Séance du vendredi 24 janvier 2025 à 18h
3e législature - 2e année - 9e session - 53e séance

M 2886-A
Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier la proposition de motion de Sylvain Thévoz, Diego Esteban, Grégoire Carasso, Jean-Charles Rielle, Salika Wenger, Jocelyne Haller, Badia Luthi, Françoise Nyffeler, Aude Martenot : En prison pour une amende impayée ? D'autres mesures doivent être déployées
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 21 et 22 mars 2024.
Rapport de majorité de Mme Gabriela Sonderegger (MCG)
Rapport de minorité de M. Diego Esteban (S)

Débat

Le président. J'appelle maintenant la M 2886-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes, et la parole revient à Mme Gabriela Sonderegger.

Mme Gabriela Sonderegger (MCG), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission judiciaire et de la police a étudié la motion 2886 intitulée «En prison pour une amende impayée ? D'autres mesures doivent être déployées». Nos travaux ont nécessité cinq séances entre 2023 et 2024, présidées par Mme Osmani. Le département des institutions et du numérique (DIN) ainsi que les Transports publics genevois (TPG) ont notamment été auditionnés.

Le premier signataire du texte a exprimé son indignation face à la situation de personnes qui séjournent à Champ-Dollon en raison de dettes liées à des amendes non réglées, en particulier celles touchant les jeunes à faible revenu qui utilisent les transports en commun. Depuis 2018, le durcissement du code pénal a aggravé cette problématique: les amendes peuvent être transformées en jours de prison, ce qui crée un cercle vicieux d'endettement et d'incarcération, le tout avec des coûts élevés pour la société.

Lors des travaux, il a été relevé qu'il est possible de contester une ordonnance pénale dans les quatorze jours et, ainsi, de réduire le montant dû jusqu'à 20% de la somme initiale avec une option de paiement échelonné de 5 francs par mois. Si aucune opposition n'est formulée, l'ordonnance entre en force, suivie d'un rappel après quarante-cinq jours et d'un délai supplémentaire de soixante jours avant le transfert à l'office des poursuites. Lorsque la personne n'est pas solvable, un acte de défaut de biens est prononcé. Il a également été constaté que certaines personnes commettent des infractions répétées; des mesures pénales sont alors nécessaires pour remédier à ce problème.

Ensuite, le département des institutions et du numérique nous a présenté le bilan de son projet pilote en matière de travaux d'intérêt général (TIG) - cela répond à la deuxième invite visant à élargir le nombre de places. Le travail d'intérêt général est réglementé par l'article 79a du code pénal, qui stipule que s'il n'existe pas de risque de fuite ou de récidive, les détenus peuvent demander d'effectuer leur sanction sous forme de TIG s'agissant de peines privatives de liberté de six mois maximum. Le travail d'intérêt général doit être effectué au profit d'institutions sociales ou d'oeuvres d'utilité publique et n'est pas rémunéré. Il ressort de cette disposition que le TIG ne peut être prononcé qu'à la requête de l'auteur et qu'une peine privative de liberté de substitution (PPLS) ne peut pas être convertie en TIG. Dès lors, selon le code pénal, lorsque quelqu'un ne paie pas une amende, il ne peut pas exécuter sa peine privative de liberté sous forme de travail d'intérêt général.

L'audition des TPG nous a montré que suite à l'introduction du registre national des resquilleurs, les tarifs nationaux des surtaxes étaient différenciés en fonction du niveau de récidive. Jusqu'à la septième infraction, les individus concernés auront reçu 18 courriers (six factures et douze rappels). Pour les mineurs, la plainte est dirigée vers le Tribunal des mineurs. Enfin, afin de mieux gérer l'endettement, une expérience pilote impliquant plusieurs départements est menée, qui encourage la détection précoce des problèmes financiers.

Encore quelques chiffres: en 2023, les TPG ont enregistré 44 882 fraudes, un chiffre stable et comparable au résultat d'autres entreprises de transport. Parmi elles, 20 240 cas concernaient des récidivistes, principalement âgés de 20 à 29 ans. Il faut souligner l'importance d'un traitement équitable pour garantir le respect de la loi; or les mesures proposées dans cette motion dépassent ce qui est faisable. L'audition des TPG a mis en avant que le problème n'est pas de leur ressort: cet objet ne changerait rien à la pratique, car c'est le droit fédéral qui régit le non-paiement des amendes. En conclusion, une large majorité de la commission a rejeté cette motion, et nous vous encourageons à suivre cette position. Merci de votre attention.

M. Diego Esteban (S), rapporteur de minorité. Je demanderai un renvoi en commission pour les raisons que je vais exposer. Comme Mme la rapportrice de majorité l'a rappelé, la procédure est complexe et comporte de nombreuses étapes. Lors des travaux de commission, nous avons rapidement identifié que le problème se situait au niveau des personnes insolvables, lesquelles n'ont pas la capacité financière de payer leurs dettes, ce que l'immense majorité des amendés décident de faire... (Remarque.) Monsieur Florey, vous pouvez toujours solliciter la parole plutôt que de beugler depuis l'autre côté de la salle ! Ah, ça fait du bien de le dire, ça me démangeait depuis longtemps ! (Rires.)

Bref, revenons au sujet: les individus qui ne disposent pas des moyens de s'acquitter de leurs amendes ne préfèrent certainement pas séjourner en prison comme mesure de substitution pour leurs dettes, mais les travaux d'intérêt général ne leur sont pas accessibles pour les motifs déjà expliqués par Mme Sonderegger, que je remercie.

Là, on a peut-être une idée du travail qui reste à faire et des efforts à déployer pour éviter de priver les gens de leur liberté de manière totalement disproportionnée. J'estime en effet, et la minorité avec moi - c'est une différence sur le principe -, que le non-paiement d'une amende, même de manière répétée, ne devrait pas mener en détention: il y a un déséquilibre total entre le problème de base et la sanction. C'est la raison pour laquelle il s'agirait de creuser davantage afin de déterminer pour quelle raison le travail d'intérêt général ne représente pas une option pour les personnes insolvables.

Or c'est précisément à ce moment-là des travaux de commission que l'examen s'est abruptement terminé, malgré des propositions d'auditions spécifiquement en lien avec les problématiques d'endettement, qui, on le sait, sont multiples et importantes dans notre canton, et font l'objet d'une action soutenue de la part du département de la cohésion sociale et d'institutions privées comme la Fondation genevoise de désendettement.

Par conséquent, pour pouvoir entendre ces entités et examiner la voie alternative qui consisterait à ouvrir la possibilité des travaux d'intérêt général aux personnes non solvables, je formule une proposition de renvoi en commission; il s'agit uniquement d'explorer cette piste-là. Merci, Monsieur le président.

Le président. Je vous remercie. La parole retourne à Mme Sonderegger, sur le renvoi en commission.

Mme Gabriela Sonderegger (MCG), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Nous nous y opposons.

Le président. Bien, merci. Je mets aux voix la demande de renvoi.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2886 à la commission judiciaire et de la police est rejeté par 51 non contre 23 oui.

Le président. Nous poursuivons le débat. Madame Masha Alimi, c'est à vous.

Mme Masha Alimi (LJS). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, une amende d'ordre relative à la LCR ou le non-paiement d'un billet TPG ou CFF peut déboucher sur une peine privative de liberté de substitution: c'est un fait, c'est le droit fédéral qui l'exige. Mais avant d'en arriver à cette extrémité, il est possible de demander un arrangement de paiement ou de s'opposer à l'ordonnance pénale dans le but de réduire le montant à régler, notamment en fonction du revenu.

L'autorité privilégie la poursuite civile et la saisie sur salaire le cas échéant; elle propose également des travaux d'intérêt général. C'est le cumul de plusieurs infractions et actes de défaut de biens qui la conduit ensuite à s'engager dans la voie pénale. S'agissant des TPG, des solutions sont offertes en amont, par exemple des arrangements de paiement ou des travaux d'intérêt général aussi. Par ailleurs, entre la première infraction, l'accumulation des rappels et la mise en détention, la procédure peut durer de trois à dix ans; c'est dire si des mesures sont prises avant l'option de la poursuite pénale qui peut aboutir à une PPLS.

Dans le cas d'espèce, on ne peut pas accepter l'impunité et il n'est pas de la compétence de ce parlement de modifier le droit pénal fédéral. Il conviendrait effectivement de soulever la question sociale pour les multirécidivistes. Favorisons plutôt, dans le cadre légal existant, des solutions alternatives, prévoyons pour les personnes qui ont commis uniquement une infraction mineure - ce n'est pas toujours le cas - un lieu de détention adéquat. Nous l'avons dit et répété dans le rapport annuel de la commission des visiteurs officiels: nous considérons que celles-ci ne sont pas dangereuses pour la population, au contraire de celles qui ont véritablement commis des délits graves.

Une autre piste consisterait par exemple à intégrer une procédure permettant, avant une incarcération, de déterminer si la personne est sous curatelle pour éventuellement poursuivre le curateur qui n'a pas suivi sa pupille. (Remarque.) Si celle-ci a été identifiée comme irresponsable de ses actes, il conviendrait d'annuler sa peine tout en mettant en place un suivi psychologique. Vous l'avez compris, Libertés et Justice sociale refusera cette motion, car les invites au Conseil d'Etat ne sont pas adéquates et elle mélange des thématiques d'ordre social, politique et criminel. C'est dommage, l'intention était bonne. Merci, Monsieur le président. (Commentaires.)

Le président. Merci, Madame la députée. Mesdames et Messieurs, vous pouvez être d'accord ou non avec le discours de notre collègue, mais il n'est pas besoin de ricaner ! A présent, la parole échoit à Mme Fiss.

Mme Joëlle Fiss (PLR). Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe PLR refusera également cette motion, qui propose de déployer des mesures alternatives afin d'éviter la détention de personnes pour des amendes non payées. Pourquoi y sommes-nous opposés ?

Tout d'abord, le système actuel, comme vient de l'indiquer Mme Alimi, offre de nombreuses opportunités aux individus pour régler leurs amendes avant d'en arriver au stade final de l'emprisonnement - et il s'agit vraiment d'un stade final: les personnes concernées reçoivent plusieurs rappels, elles ont la possibilité de demander un arrangement de paiement, elles sont sollicitées par l'Etat pour changer la situation, donc la privation de liberté ne constitue pas une nouvelle qui tombe du ciel sans avertissement.

Ensuite, il serait vraiment très dangereux, à notre avis, de pratiquer un code pénal à deux vitesses, c'est-à-dire que certains citoyens soient punis d'une peine de prison tandis que d'autres non; c'est vraiment injuste et c'est pour cette raison que nous nous positionnons contre le texte.

Il faut rappeler que les jours-amendes sont déjà ajustés en fonction de la situation financière de chacun: les personnes à bas revenu s'acquittent de montants faibles et les solvables de sommes beaucoup plus élevées. Modifier ce système pour introduire des critères supplémentaires risque de générer des disparités, de créer une justice à deux vitesses. Or il convient de traiter les gens de façon équitable, comme la rapporteure de majorité l'a bien souligné tout à l'heure. Il faut encore ajouter que la conversion d'amendes en peines privatives de liberté relève du droit pénal fédéral: le Grand Conseil genevois n'a aucune compétence en la matière et ne peut pas se soustraire à la législation supérieure.

Nous sommes tous d'accord avec ce que le rapporteur de minorité déplore: on ne devrait pas aller en prison lorsqu'on n'a pas payé son ticket de bus, c'est certain. Toutefois, le code pénal, c'est-à-dire la peine privative de liberté, s'applique lorsqu'on ne donne pas suite aux sollicitations de l'Etat, qu'on n'essaie pas de trouver un arrangement financier et qu'on ignore constamment ou fréquemment des rappels. Mesdames et Messieurs, le PLR vous recommande de rejeter cet objet.

Une voix. Bravo.

Une autre voix. Très bien.

Mme Sophie Bobillier (Ve). Aujourd'hui, nous avons entendu la conseillère d'Etat chargée du département des institutions et du numérique indiquer qu'il n'était nullement prévu de cesser de placer des personnes pour amendes impayées à Champ-Dollon. Or il s'agit d'une question de société fondamentale que nous devons nous poser: souhaitons-nous que des individus qui ne se sont pas acquittés d'un billet de transport - volontairement ou non - se retrouvent en prison ?

Dans le cadre des travaux de la commission des visiteurs officiels qui ont été exposés à 14h, il a été mis en exergue qu'un nombre important de personnes exécutent une peine pécuniaire convertie en jours de prison. Le chiffre exact, nous ne le connaissons pas, le département ne nous a pas transmis cette précieuse information, malgré plusieurs relances. Ce soir, combien de gens passeront la nuit en détention pour un ticket de bus impayé ? Combien d'entre eux ont moins de 25 ans alors que notre Grand Conseil a voté la gratuité des TPG pour cette tranche de la population ? Le Conseil d'Etat continue à faire planer l'obscurité.

Cette motion ne va pas à l'encontre du droit fédéral en vigueur, au contraire, elle vise à le renforcer, à aller plus loin: elle demande simplement au Conseil d'Etat d'intervenir auprès des TPG pour renforcer les protocoles d'arrangement de paiement, de s'assurer qu'il y ait suffisamment de places pour que des travaux d'intérêt général puissent être effectués en lieu et place de l'incarcération, de renforcer son action pour éviter la case prison, de clarifier les procédures de solvabilité et d'y intégrer des critères sociaux.

Quelqu'un qui ne règle pas son amende par principe - comme on a pu le voir défrayer la chronique - n'est pas dans la même situation qu'une personne précaire, illettrée, allophone, qui ne comprend que peu notre système complexe ou encore qui souffre de phobie administrative; une amende de 100 francs n'a pas la même portée pour un individu à la rue ou un individu roulant en Lamborghini. Nous ne pouvons pas faire l'économie d'un examen particulier pour éviter de balancer des gens en prison. Chaque nuit en détention coûte énormément à la société. La prison pour dettes doit appartenir à l'histoire, pas à notre présent. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

Mme Danièle Magnin (MCG). Mesdames et Messieurs, j'ai trouvé très amusant - excusez-moi, cela a peut-être perturbé quelque peu le déroulement de la séance - d'entendre une préopinante indiquer qu'au besoin, il fallait placer la personne sous curatelle et punir le curateur. J'ai pensé aux curateurs de toutes les personnes dans la précarité, majoritairement ceux du SPAd qui sont débordés: si vous incarcérez les curateurs à Champ-Dollon, qui effectuera le travail ? Voilà qui m'a bien fait rire ! Je vous laisse continuer la séance, merci. (Commentaires.)

Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Mesdames et Messieurs les députés, Le Centre est d'accord avec le titre de la motion, mais pas tellement avec son contenu. Je m'explique: comme mes préopinants l'ont relevé, il y a beaucoup de démarches en amont et d'arrangements possibles avant qu'une personne en arrive au stade du non-paiement d'une amende et qu'on ne puisse vraiment plus rien faire. Le service des contraventions la condamne alors par ordonnance pénale de conversion, laquelle fixe la peine privative de liberté de substitution. Il faut souligner qu'à ce moment-là, elle a encore la possibilité de payer; si elle ne le fait pas, son dossier est transmis au service d'application des peines.

La loi pénale fédérale, Mesdames et Messieurs, laisse très peu de marge de manoeuvre en matière d'exécution des peines; cette marge réside, c'est vrai, dans le type de peines prononcées. A cet égard, Le Centre souhaiterait que l'Etat développe davantage de mesures de substitution, par exemple les bracelets électroniques et les travaux d'intérêt général, plutôt que de privilégier la case prison. En effet, nous estimons que les individus condamnés pour ne pas s'être acquittés d'une amende ne méritent pas de subir une sanction aussi lourde que la privation de liberté, aussi courte soit-elle.

Cela étant, Mme la conseillère d'Etat Carole-Anne Kast travaille déjà sur l'élargissement du travail d'intérêt général et effectue actuellement une expérience pilote dont nous avons pu découvrir les conclusions intermédiaires. Il est encore beaucoup trop tôt pour tirer le bilan de ce projet.

Nous aurions pu soutenir la motion s'il n'y avait que cela, mais sa dernière invite nous pose beaucoup trop problème: on demande tout de même au service des contraventions qu'il «ne fasse pas seulement un tri en raison de critères de solvabilité, mais ajoute des critères sociaux, de santé, de gravité du cas et de charge de famille, avant de transmettre les dossiers respectivement au service d'application des peines et mesures (SAPEM) ou à l'office des poursuites». Mesdames et Messieurs, ce n'est tout simplement pas le travail du service des contraventions ! Partant, ce texte est parfaitement illégal et ne trouve pas de place dans la problématique. Au Centre, nous attendons avec beaucoup d'intérêt et d'impatience les conclusions de l'expérience pilote menée par la conseillère d'Etat et nous vous invitons à refuser cet objet. Merci.

M. Yves Nidegger (UDC). Nous avons entendu énormément de choses au cours de ce débat... et même deux ou trois éléments justes ! Mais c'était plutôt minoritaire. Je ne vais pas en rajouter, ceux qui ont entendu le message des premiers intervenants ayant cerné le sujet de manière correcte sauront se le rappeler.

Il faut savoir que les travaux d'intérêt général dont on nous rebat les oreilles relèvent du droit fédéral, ne peuvent pas être imposés à quelqu'un qui n'en veut pas et surtout n'intéressent absolument pas la clientèle des amendes impayées accumulées qui constitue le problème évoqué ici. En conséquence de quoi, pas besoin d'en dire beaucoup pour appeler à refuser cette motion hors sujet.

Le président. Je vous remercie. Madame Alimi, il vous reste dix secondes.

Mme Masha Alimi (LJS). Merci, Monsieur le président. Je suis ravie - vous transmettrez à Mme Magnin - de l'avoir fait autant rire. Je n'ai jamais dit qu'il fallait mettre les curateurs en prison. Voilà, merci.

Une voix. On lira le Mémorial !

Mme Danièle Magnin (MCG). Je ne l'ai pas précisé tout à l'heure, Mesdames et Messieurs, parce que j'étais encore sous le coup de l'amusement, mais il y a énormément de jeunes toxicomanes qui n'ont pas d'argent sur eux pour prendre le bus, et vous voulez de surcroît les placer en détention ? En prison, ils seront confrontés à la présence d'individus dangereux qui leur enseigneront tout à fait autre chose que ce qu'ils ont appris dans leur famille à Genève.

Quand j'ai entendu parler de travaux d'intérêt général, je me suis dit: ma foi, pourquoi pas ? On n'est pas loin de la prison pour dettes que raconte Charles Dickens dans ses différents romans sur la pauvreté en Angleterre. Bien entendu, on ne veut pas envoyer nos jeunes concitoyens aux galères, mais si on pouvait - j'en serais ravie - en apprendre davantage sur l'expérience qu'est en train de mener Mme Carole-Anne Kast, ce serait formidable.

M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, nous regrettons que l'opportunité de traiter un enjeu important, soit l'injustice - certains groupes l'ont soulignée - que des gens soient placés en prison pour amendes impayées, donc pour dettes, ne trouve pas preneurs et n'ait pas a minima éveillé la créativité de la commission judiciaire et de la police, qui aurait pu amender le texte. Il y a une sorte d'hypocrisie, notamment de la part du Centre qui s'exclame: «Ah, nous aurions voté la motion si elle ne comportait pas cette invite !» Mais qu'ont fait les commissaires ? Ils ont entendu la conseillère d'Etat, ils auraient pu trouver une clé, une solution.

En effet, il me semble que nous sommes assez unanimes dans ce plénum pour dire que ça ne va pas, que la situation actuelle n'est pas correcte, qu'on envoie en prison des gens qui n'ont rien à y faire. Et ce n'est pas la gauche qui le soutient, c'est le service médical de Champ-Dollon, ce sont les agents de détention eux-mêmes face à des personnes privées de discernement qui se retrouvent incarcérées. Certes, on leur a envoyé une série de courriers, mais vous comprenez qu'en ayant recours à la même démarche avec des individus qui ne peuvent pas la saisir, vous arriverez au même résultat. Idem pour les personnes allophones: on envoie les amendes dans d'autres pays, elles ne voient même pas la couleur de ces rappels dont la majorité semble estimer qu'ils représentent la panacée.

On peut s'acharner comme ça longtemps, on va continuer à mettre en détention des personnes soit qui, pour des raisons de santé, n'ont rien à y faire, soit qui s'y trouvent parce qu'elles ne peuvent pas payer - ce n'est pas qu'elles ne le veulent pas, elles n'en ont simplement pas les ressources -, soit parce qu'elles n'ont même pas reçu les notifications car elles vivent à l'autre bout de l'Europe, voire plus loin. Il faut créer autre chose, il faut inventer un nouveau système, il faut définir des critères différents pour éviter ce dispositif qui envoie les gens automatiquement en prison, il faut mener une évaluation.

D'ailleurs, cette automaticité a été attaquée par Me Dina Bazarbachi, et il y a aujourd'hui un effet suspensif sur une situation: une femme mendiante s'est retrouvée - tenez-vous bien ! - emprisonnée à Champ-Dollon pour des amendes de plus de 140 000 francs et aurait dû y rester à peu près deux ans. Vous constaterez qu'il y a quelque chose qui ne va pas. On amende les mêmes gens à répétition pour finalement décider: «Avec des dettes à hauteur de 140 000 francs, vous allez à Champ-Dollon pour deux ans.» Cette femme est mère de deux enfants de 5 et 3 ans, vous admettrez que sur les plans de la proportionnalité, de l'éthique et de la justice, il y a quelque chose qui ne convient pas.

Cette proposition de motion n'est pas parfaite, elle doit être amendée, travaillée ou servir de matériel pour un projet de loi solide, ce que la commission des visiteurs officiels est en train d'élaborer ou de chercher à faire, donc nous vous invitons à renvoyer le texte, qui peut servir de détonateur - on va le dire ainsi -, à la commission des visiteurs officiels, à le faire sortir de la commission judiciaire et de la police qui, apparemment, n'a pas compris l'enjeu ou, en tout cas, l'a mal traité. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo.

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission des visiteurs officiels. A ce sujet, je passe la parole tout d'abord à la rapporteure de majorité.

Mme Gabriela Sonderegger. Qui ne la souhaite pas !

Le président. Merci. Monsieur le rapporteur de minorité ?

M. Diego Esteban (S), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Je la soutiens pleinement.

Le président. Parfait, merci. Mesdames et Messieurs, nous nous prononçons sur la demande de renvoi à la commission des visiteurs officiels.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2886 à la commission des visiteurs officiels du Grand Conseil est rejeté par 53 non contre 30 oui et 1 abstention.

Le président. Je repasse la parole à M. Esteban pour quarante secondes.

M. Diego Esteban (S), rapporteur de minorité. Ce sera suffisant, Monsieur le président, pour exprimer à quel point je regrette, quand on sait que les situations de surendettement constituent une spirale dont il est très difficile de s'extirper, que le discours ambiant soit celui de la responsabilité individuelle. Il est notoire qu'en cas d'insolvabilité, c'est la case prison quasi automatiquement. Le débat qui a eu lieu juste avant a montré qu'il existe une disproportion entre le fait de ne pas pouvoir payer une amende et de finir en détention. Peut-être le parti Libertés et Justice sociale devrait-il repenser son nom, sachant qu'il est aussi complaisant avec le fait d'incarcérer des personnes en situation de précarité. Mesdames et Messieurs, je vous invite à soutenir cette motion. (Applaudissements.)

Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je suis obligée de vous dire que sur cette question, vous m'attristez particulièrement. Vous m'attristez particulièrement, parce que vous entretenez, de part et d'autre, l'illusion que le droit fédéral pourrait être ignoré; vous m'attristez particulièrement, parce que vous confondez respect de la loi et volonté politique; vous m'attristez également, parce que des personnes ont été auditionnées en commission qui ont expliqué tout le travail qu'elles accomplissent dans ce domaine et que, à écouter le présent débat, c'est comme si elles n'étaient jamais venues.

Enfin, vous m'attristez, parce que vous estimez que renvoyer ce texte en commission pourrait aider mon administration à réaliser ce qui figure dans le programme de législature et va exactement dans le sens des motionnaires, c'est-à-dire éviter, autant que faire se peut, que des peines privatives de liberté de substitution pour non-paiement d'amendes aient lieu sous la forme d'arrêts dans des établissements de détention.

Nous en avons parlé plus tôt dans la journée, je vous ai expliqué que nous cherchons par tous les moyens à empêcher ces peines privatives de liberté de substitution, que nous développons des projets pilotes en amont, que nous essayons de diversifier les lieux de TIG, que nous tentons de trouver une nouvelle manière de contacter les gens pour leur permettre soit de prendre des arrangements, soit d'effectuer du travail d'intérêt général - lequel ne peut pas être imposé -, soit encore de disposer d'autres alternatives aux peines privatives de liberté ou pour les arrangements de paiement.

Au final, Mesdames et Messieurs les députés, voici ce que je vais vous dire, histoire que vous soyez bien énervés contre moi pendant le week-end, puisque nous allons probablement clore nos travaux ici - vous m'amusez aussi, permettez-moi de vous taquiner un peu: faites ce que vous voulez avec cette motion, votez-la, ne la votez pas, renvoyez-la en commission, cela n'empêchera pas mes services de poursuivre le travail qu'ils ont déjà engagé afin de mettre en oeuvre le programme de législature et d'éviter au maximum, dans le respect du cadre légal, que des peines privatives de liberté de substitution soient prononcées. Merci, Mesdames et Messieurs les députés. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. J'invite l'assemblée à se prononcer sur ce texte.

Mise aux voix, la proposition de motion 2886 est rejetée par 53 non contre 33 oui et 1 abstention (vote nominal).

Vote nominal