Séance du vendredi 4 octobre 2024 à 14h
3e législature - 2e année - 5e session - 29e séance

La séance est ouverte à 14h, sous la présidence de M. Alberto Velasco, président.

Assistent à la séance: Mmes Nathalie Fontanet, présidente du Conseil d'Etat, et Delphine Bachmann, conseillère d'Etat.

Exhortation

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

Personnes excusées

Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Thierry Apothéloz, Antonio Hodgers, Anne Hiltpold, Carole-Anne Kast et Pierre Maudet, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Murat-Julian Alder, Stefan Balaban, Diane Barbier-Mueller, Virna Conti, Patrick Dimier, Joëlle Fiss, Adrien Genecand, David Martin, Xhevrie Osmani, Charles Poncet, Geoffray Sirolli, Vincent Subilia, François Wolfisberg et Yvan Zweifel.

Députés suppléants présents: Mmes et MM. Sebastian Aeschbach, Darius Azarpey, Céline Bartolomucci, Rémy Burri, Stéphane Fontaine, Philippe Meyer, Daniel Noël et Nicole Valiquer Grecuccio.

Annonces et dépôts

Néant.

M 2805-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Christo Ivanov, Eric Leyvraz, Stéphane Florey, Virna Conti, Patrick Lussi, Marc Falquet, André Pfeffer, Thomas Bläsi, Eliane Michaud Ansermet : Non au démantèlement de l'infrastructure postale
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 26, 27 janvier, 2 et 3 février 2023.
Rapport de majorité de M. Pierre Eckert (Ve)
Rapport de minorité de M. Serge Hiltpold (PLR)
M 2853-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Delphine Bachmann, Xavier Magnin, Jean-Luc Forni, Jacques Blondin, Jean-Charles Lathion, Souheil Sayegh, Bertrand Buchs, Claude Bocquet, Jean-Marc Guinchard, Sébastien Desfayes, Patricia Bidaux pour un service public plus proche de la population à travers les structures postales existantes sur le canton de Genève
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 11 et 12 mai 2023.
Rapport de M. Jean-Marc Guinchard (LC)

Débat

Le président. Nous entamons nos travaux avec le traitement des objets liés suivants: la M 2805-A et la M 2853-A, classées en catégorie II, trente minutes. M. Serge Hiltpold ne siégeant plus, son rapport sera présenté par M. Béné. (Remarque.) Nous traitons des deux propositions de motions. Mesdames et Messieurs, nous commençons avec la M 2805-A. En raison de l'absence de M. Eckert, le rapport de majorité sera défendu par M. Nicolet-dit-Félix, à qui je donne la parole.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de majorité ad interim. Je vous remercie, Monsieur le président. Ça passera comme une lettre à la poste ! (Exclamations. L'orateur rit.) M. Eckert n'est effectivement pas là pour l'instant; je le remplace donc au pied levé afin de vous parler de la M 2805 déposée par l'UDC. Cette motion, comme d'autres sur lesquelles nous avons travaillé hier, formule des propositions qui, à la fois, sont relativement évidentes et ne mangent pas de pain... (Rires.) ...pour reprendre l'expression utilisée à plusieurs reprises: il s'agit fondamentalement d'inviter le Conseil d'Etat à s'engager auprès de la Poste pour empêcher le démantèlement continu des bureaux de poste et leur remplacement par des succédanés, des ersatz d'offices postaux tels que vous les connaissez dans le canton.

Nous vivons toutes et tous dans ce pays, dans ce canton, et nous subissons année après année ces fermetures. Celles-ci ont deux causes. L'une est incontestable, c'est la baisse de fréquentation des offices par la population, essentiellement en raison de la numérisation d'une part importante des services que la Poste avait coutume et habitude de fournir à la population de notre pays. C'est incontestable: vous et moi, nous nous rendons moins souvent dans les bureaux de poste que les gens de la génération précédente, et cela doit être pris en compte.

L'autre raison est, on va dire, la détestable tendance des autorités fédérales et de la Poste elle-même à considérer cette entreprise, puisque désormais il s'agit d'une entreprise, comme une entreprise standard, c'est-à-dire devant avant tout produire du rendement, du bénéfice, alors que, à l'instar d'autres régies fédérales, la Poste a pour mission essentielle d'offrir un service au public, vous le savez, Mesdames et Messieurs les députés.

Ça tombe très bien que ce soit l'UDC qui ait déposé ce texte, parce que le conseiller fédéral actuel chargé des affaires postales est de ce parti, vous le savez. Je pense qu'il faut soutenir ce texte et demander au Conseil d'Etat d'intervenir auprès de la Poste et précisément auprès du ministre de tutelle, M. Rösti, dont la posture à l'égard des questions que j'ai soulevées tout à l'heure n'est pas forcément en phase complète avec celle des motionnaires du jour. Pour ces raisons, la commission de l'économie vous invite à voter cette motion. Je reprendrai peut-être la parole plus tard, à moins que M. Eckert ne soit rentré. Ah, il est arrivé ! Parfait ! Je vous remercie, Monsieur le président.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de minorité ad interim. C'est un peu comme beaucoup de ces motions ou déclarations d'intentions: on montre qu'on soutient le service à la population, que tout fout le camp, qu'on est dans l'austérité et qu'il y a de moins en moins de proximité avec la population. Puis on apprend que l'ordonnance sur la Poste, modifiée sur le plan fédéral en 2019 encore, stipule que 90% de la population doit avoir accès en moins de vingt minutes, à pied ou en transports publics, au service universel de la Poste. Cette clause a été précisée pour chaque canton, et il s'avère qu'à Genève, le taux de la population ayant accès au service universel de la Poste en moins de vingt minutes, à pied ou en transports publics, est de 99,72%. On remplit donc totalement les objectifs.

On pourrait toujours vouloir plus, mais se pose la question suivante: qui paie ? Dans le Jura, c'est le canton qui paie le projet pilote, cependant la configuration est complètement différente: c'est un canton peu peuplé mais quand même assez étendu, avec des populations assez éloignées des offices de poste. A Genève, on constate qu'il y a de plus en plus de casiers à colis et on a aussi des boîtes postales.

Pour ma part, j'ai de la peine à comprendre ce qu'on souhaite réellement. Que veut-on ? Que des gens au guichet attendent des clients qui ne viennent pas ? Veut-on réellement ça ? Ou est-ce qu'on souhaite un service postal efficace dans des endroits bien précis, mais pas forcément dans chaque immeuble, dans chaque pâté de maisons ? On parle vraiment de luxe ! Pour terminer mon intervention, je citerai un propos de Michel Blanc: «Le luxe, c'est très futile, mais il me rassure.» Je vous encourage donc à refuser cet objet.

Le président. Merci bien. Je passe la parole à M. Jean-Marc Guinchard, rapporteur sur la M 2853-A.

M. Jean-Marc Guinchard (LC), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Si j'avais pu intervenir à propos de la M 2805-A en tant que député, j'aurais souhaité dire que cette motion est tout à fait complémentaire à l'excellente motion du Centre, la M 2853-A, celle au sujet de laquelle vous me donnez la parole. Nous vous invitons à l'accepter comme nous accepterons la M 2805-A.

Mesdames et Messieurs les députés, l'auteur et première signataire de ce texte s'est inspirée des modèles qui existent dans les cantons de Neuchâtel et du Jura. Elle relève que la motion s'appuie sur divers constats: on observe en Suisse de manière générale un démantèlement du réseau avec une baisse des points d'accès et un réseau postal qui peine à maintenir des comptes à l'équilibre. La Poste a pour objectif le développement de certains services. En outre, le réseau a été stabilisé à environ huit cents filiales entre 2021 et 2024, mais on a déjà annoncé cette année qu'un certain nombre d'entre elles seraient remises en cause. La Poste a également un rôle social et de prestataire de services, notamment pour les personnes âgées, les personnes isolées qui ont de la peine avec l'évolution du monde numérique et plus particulièrement avec la pratique du e-banking.

Elle relève aussi que des personnes ne peuvent pas se déplacer facilement ou sur de longues distances. A l'heure actuelle, l'enjeu est de décentraliser des prestations de l'Etat, et la Poste pourrait constituer un vecteur de facilitation pour les personnes ayant de la peine avec les guichets numériques et les aider. La motion a dès lors pour but d'inviter l'Etat à entamer des négociations avec la Poste afin que l'on détermine quelles prestations pourraient être déléguées à des offices postaux, dans un souci de valoriser les prestations de proximité et de recréer des liens sociaux avec des personnes larguées par l'évolution du numérique - dans le respect de la protection des données personnelles - et ce à des coûts parfaitement raisonnables.

L'audition des responsables de ce secteur de la Poste et l'intervention de la conseillère d'Etat ont convaincu les commissaires que cette incitation faite au gouvernement avait tout son sens et était tout à fait réaliste. Preuve en est que les usagers peuvent déjà obtenir sans problème au guichet d'un office postal un extrait du casier judiciaire comme un extrait du registre des poursuites. Il ne s'agit donc pas de démanteler les services de l'Etat ni de favoriser artificiellement la Poste, mais simplement de travailler sur des services de proximité et d'aide aux personnes moins à l'aise avec des formalités administratives.

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.

M. Jean-Marc Guinchard. Merci. On constate trop souvent que la numérisation de certains services rend les contacts impossibles entre les administrations et leurs usagers, comme avec des compagnies privées. Il suffit de voir les difficultés auxquelles vous êtes confronté lorsque vous souhaitez prendre contact avec votre assurance-maladie ou votre banque et que vous désirez le faire par téléphone: une bande-annonce vous fait patienter avec de la musique et toute sorte d'indications pendant plus de vingt à trente minutes, jusqu'à ce que vous ayez un correspondant qui, à ce moment-là, vous déclare qu'il n'est pas compétent et qu'il va vous passer une autre ligne. Vous attendez à nouveau vingt minutes ! Le système est assez souvent le même à l'Etat, ce qui justifierait une décentralisation de certaines prestations. Sur cette base, je vous recommande, Mesdames les députées, Messieurs les députés, d'accepter largement les deux textes qui vous sont soumis. Je vous remercie.

Le président. Merci. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons à présent débattre des deux propositions de motions. Monsieur Ivanov, c'est à vous.

M. Christo Ivanov (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, nous avions déposé ce texte afin de défendre les bureaux de poste menacés à Genève et d'assurer le maintien d'un réseau social... C'est le cas de le dire ! ...postal de qualité. On l'a vu avec le nombre de fermetures des succursales. On peut prendre l'exemple d'un de nos grands offices, sis au 11 rue du Stand: il a été fermé. On peut aussi prendre l'exemple récent de celui de Chêne-Bougeries, et j'en passe, des vertes et des pas mûres. En ville de Genève, il y avait un grand combat pour le maintien de l'ouverture de la poste du Beulet; j'avais d'ailleurs participé avec Mme Meng à la récolte de signatures pour maintenir ce bureau ouvert. Il est évident que nous devons faire de la proximité, être proches des gens qui ont de la peine à se déplacer, comme l'a dit M. Guinchard, nous occuper de nos personnes âgées, de nos personnes handicapées, afin qu'une succursale leur rendant de grands services se trouve à proximité de chez elles.

J'aimerais quand même rappeler que la Poste est une société anonyme (cela n'aura échappé à personne), qu'en 2023, le bénéfice consolidé après provisions était de 254 millions de francs et que selon les prévisions, d'ici 2028, 170 offices postaux vont fermer en Suisse. On voit bien que les régions périphériques, les campagnes et les montagnes sont de plus en plus prétéritées et que le nombre de nos bureaux de poste se réduit comme peau de chagrin !

L'UDC votera évidemment sa propre motion, elle votera également la motion déposée par Le Centre, parfaitement complémentaire à la sienne, pour réfléchir à un partenariat avec la Poste dans l'objectif de définir des prestations administratives en vue d'un service public plus proche des habitants et du maintien des structures postales existantes. Je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, d'accepter ces deux motions. Je vous remercie.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'aborde un aspect important, à savoir le statut de la Poste. Vous transmettrez à M. Ivanov, Monsieur le président, que son propos n'est pas tout à fait exact. La Poste est une société anonyme mais de droit public: elle appartient à la Confédération. Je crois qu'il est important de le préciser, parce que ça situe aussi la teneur de notre débat. Nous ne débattons pas dans le vent, nous débattons puisque nous sommes en effet le pouvoir politique du canton de Genève et que nous pouvons faire remonter à la Confédération notre souhait, ainsi que d'autres cantons peuvent le faire, pour le maintien de cette prestation que l'on pourrait qualifier de prestation publique à la population au vu de son rôle et au vu du propriétaire qui n'est autre que la Confédération.

J'ai effectué quelques petites recherches dans différents articles de journaux, et j'ai constaté que ces motions, qui ont pourtant quelques années, sont tristement d'actualité. Si l'on compare les différents chiffres que l'on peut recueillir, on arrive à un constat quand même dramatique: en 2005, la Poste comptait 2390 offices en Suisse. Je répète: 2390 ! Elle n'en compte actuellement plus que 600 ! Je vous laisse saisir l'ampleur de cette réduction. En dix-neuf ans, nous sommes passés de 2390 à seulement 600 offices. Cette régression est dramatique !

Aujourd'hui, plus qu'une qualité dans le service public, c'est quasiment les bureaux de poste qu'il est question de maintenir, tant ils ont fondu de façon considérable. Il s'agit de rappeler que ces bureaux jouent un rôle prépondérant auprès de la population. On l'a encore vu il y a quelques années avec la crise covid, on le voit aujourd'hui notamment avec l'augmentation des envois; on n'encourage certes pas cette augmentation, mais le commerce en ligne, la hausse des achats en ligne entraînent une reprise des envois postaux et le développement de sociétés de livraison privées.

La Poste doit aussi jouer son rôle: celui de lieu de vie et lieu de lien social dans les communes et dans les quartiers des plus grandes villes. Enlever la poste, c'est simplement enlever ces lieux essentiels à la vie de quartier ou de commune et dans lesquels les habitantes et les habitants se retrouvent. Il est donc essentiel d'agir !

Ces deux textes vont dans le même sens. Celui de l'UDC vise à condamner les suppressions d'offices et à ce que tout soit fait pour les maintenir: il est essentiel de l'accepter ! Il est tout à fait pertinent d'étudier l'autre texte, celui du Centre, car il propose d'élargir les missions de la Poste et de développer des partenariats entre l'administration publique, puisque c'est une société anonyme de droit public, et les offices postaux. Pour ces raisons, le groupe socialiste vous invite à les voter.

M. François Baertschi (MCG). Pour les clients et ses employés, la Poste est un service sinistré, une belle institution que l'on a détruite. Dernier élément d'actualité: on apprend que dans le Jura, la moitié des offices va fermer. Nous apprenons qu'un secteur important du canton de Genève sera dirigé par une frontalière... (Exclamations.) ...résidant à Annemasse. C'est catastrophique ! (Commentaires.)

Une voix. Elle parle français !

M. François Baertschi. C'est catastrophique, parce que l'on connaît leur mode de travail, la manière de mal gérer, la manière de maltraiter le personnel résident genevois. C'est une véritable catastrophe pour cette institution ! Cette institution est mal gérée, c'est une évidence ! On le voit grâce à ces deux motions que le MCG va soutenir avec enthousiasme.

Nous sommes également très étonnés qu'une personnalité comme M. Christian Levrat, ancien président du parti socialiste et actuel président de la Poste, mène une politique aussi destructrice pour la société, les travailleurs et les usagers. Je reprends les mots d'un de ses collègues de parti qui s'est exprimé hier soir; je reprends ses mots, ils ne viennent donc pas de ma bouche, ils proviennent de son vocabulaire, de sa manière de traiter les choses: on peut dire que c'est le président de parti le plus violent envers ses employés et les usagers de la Poste.

M. Pierre Eckert (Ve). Excusez-moi de mon retard: j'ai un peu surestimé mes capacités à pédaler contre la bise ! Pour commencer mon intervention, je vous signale que j'ai un joli dessin de presse - je ne vous le montrerai pas, mais vous pouvez venir le consulter - sur lequel il est écrit: «La Poste proposera des alternatives lors de la fermeture de ses filiales.» On y voit une dame d'un certain âge faisant la queue devant l'entrée d'une boîte de nuit pour déposer un colis. C'est peut-être un peu excessif, mais je pense que remplacer un certain nombre d'offices postaux par divers types de boutiques dans lesquelles vous pouvez avoir accès à plusieurs services postaux ne constitue pas la réponse. Les réponses ont été données tout à l'heure; un service postal, c'est quand même quelque chose de totalement différent.

Dans la mesure où de nombreux éléments ont déjà été évoqués, j'aimerais continuer en mentionnant la loi. Celle-ci précise que la Poste est en mains publiques, comme on l'a dit, et la loi sur la poste garantit «un réseau d'offices de poste et d'agences couvrant l'ensemble du pays et assurant les prestations du service universel; celles-ci doivent être accessibles à une distance raisonnable dans toutes les régions et à tous les groupes de population». Une statistique dans le canton de Genève a été donnée; nous sommes actuellement en danger, puisqu'un certain nombre de succursales seront fermées et que nous risquons fortement de ne plus pouvoir réaliser cette condition imposée par la loi.

Je souligne encore un élément: la libéralisation de la Poste, ce n'est pas la gauche qui l'a voulue, d'une façon ou d'une autre. Vous pouvez accuser... Elle a été menée dans les années 1990; on avait décidé de séparer la poste de la téléphonie. Ce n'est pas vraiment nous qui avons engagé le processus de libéralisation. Malgré le fait que la Poste soit en mains publiques, je pense que la loi doit être respectée et qu'il faut garder cette proximité.

J'ajoute encore un mot à propos de la M 2853-A: c'est une bonne piste ! Intégrer dans les bureaux postaux un certain nombre de services de l'Etat représente vraiment une bonne piste. Nous soutiendrons également cette motion et faisons totalement confiance à la personne qui l'a déposée - elle est actuellement aux manettes - pour la mettre en oeuvre en tant que conseillère d'Etat. Je vous remercie.

M. Francisco Taboada (LJS). Chers collègues, Mesdames et Messieurs les députés, je ne vais pas revenir sur les éléments déjà évoqués, néanmoins j'en soulèverai un qui m'a un peu touché. Les chiffres, on peut leur faire dire ce que l'on veut ! On peut les manipuler dans un sens tout autant que dans l'autre. Mais lorsque j'entends parler de la distance et des transports publics à disposition de certains de nos concitoyens, j'aimerais préciser que certaines personnes vivant dans notre canton sont isolées. Je songe notamment aux personnes âgées: lorsqu'elles doivent se déplacer pour chercher un paquet à la poste, ce n'est pas quelque chose d'aisé pour elles. On doit penser à cette tranche de la population et pas seulement invoquer des statistiques. Je le répète: les chiffres, on peut leur faire dire ce que l'on veut. Je voulais dire qu'il faut avoir une pensée à l'égard des personnes à mobilité réduite et de nos aînés: ils ont aussi droit à ce service, comme vient de le dire mon préopinant. Je m'arrêterai là, Monsieur le président. Merci.

Le président. Je vous remercie. Je passe la parole à M. Baertschi, qui dispose encore d'une minute.

M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Si l'on veut parler de la Poste, il faut également parler d'une direction très agressive, avec des managers domiciliés hors de Genève, notamment M. Roberto Cirillo et M. Johannes Cramer; ils ont travaillé chez McKinsey et ont eu des méthodes très brutales, en particulier M. Cirillo avec la Poste allemande où il a créé un champ de ruines. Voilà ce que l'on continue de faire à Genève, et en Suisse bien évidemment, hélas ! Voilà ce qu'il faut également dénoncer !

Mme Danièle Magnin (MCG). Je voudrais simplement dire que la poste est à 900 mètres de chez moi, que le bus est dévié et ne passe pas dans mon coin et qu'une boîte aux lettres est relevée le matin à 10h. Par conséquent, si vous travaillez toute la journée, une fois que vous avez terminé, soit vous marchez 1 kilomètre, soit vous attendez que le courrier parte le lendemain. Ce n'est vraiment pas agréable ! Merci.

M. Djawed Sangdel (LJS). Le groupe LJS encourage l'innovation et la créativité: il faut utiliser des outils modernes ! Actuellement, la plupart des citoyens ont accès à travers leur e-banking à certains paiements, à certaines activités, mais il faut quand même repenser notre système postal et qu'on ait des bureaux pour des personnes âgées ou des personnes qui, aujourd'hui, n'ont pas certains accès, certains outils modernes. Le groupe LJS vous encourage à soutenir ce modèle avec un autre fonctionnement, mais il vous invite aussi à soutenir ces motions. Je vous remercie.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de minorité ad interim. Je reviens sur quelques éléments. On peut être d'accord avec le lien numérique - je parle de la M 2853-A - qu'il faut améliorer pour aider la population à faire des transactions en ligne, à commander en ligne. On peut être tout à fait d'accord sur ce point. Néanmoins, même si c'est une institution publique, la Poste connaît une érosion de son modèle d'affaires traditionnel: il y a une grosse baisse des bénéfices. Monsieur Romain de Sainte Marie, vous avez évoqué le nombre d'offices postaux en considérable diminution, mais il faut aussi dire que la distribution ou l'envoi de lettres par la population est aussi en diminution. Il y a une grosse augmentation des colis - n'en déplaise à certains, mais voilà, c'est comme ça ! Je pense à Zalando, à Amazon, etc. Par contre, la distribution de lettres connaît une très forte baisse: 42% ! Vous avez évoqué ce qui s'est passé depuis 2005, Monsieur de Sainte Marie: eh bien depuis 2005, le trafic des lettres en Suisse a diminué de 45%.

Chaque fois que la Poste a la volonté de proposer d'autres services que son modèle d'affaires traditionnel, pour la majorité de ce parlement, c'est non ! Le PLR souhaitait effectivement que la délivrance des plaques automobiles puisse se faire aussi par les bureaux de poste, comme activité annexe, mais ce parlement l'a refusé, pour des raisons... La gauche désire une économie planifiée: on ne voudrait surtout pas diminuer le nombre de fonctionnaires à l'office cantonal des véhicules. Le fait est qu'on n'a pas permis à la Poste de délivrer des plaques automobiles, comme ça se fait dans d'autres cantons.

J'aimerais juste terminer en citant ce qui a été dit lors d'une audition à la commission de l'économie. Il a été dit que «ce n'est pas le rôle du Conseil d'Etat de "maintenir l'état du bureau de poste"» et qu'il fallait plutôt miser sur la lutte contre la fracture numérique. Cette position n'était pas tenue par quelqu'un d'habituellement très libéral, on va dire; c'était celle de Mme Fischer - je l'ai déjà citée hier -, plutôt connue pour vouloir une économie planifiée.

Je comprends bien non seulement les auteurs de la motion, mais aussi, et surtout, les votes en commission: vous avez peut-être raison d'essayer, parce qu'«on sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher» ! (Rires.)

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de majorité ad interim. J'interviens très rapidement pour associer mes propos, un peu plus personnels, à ceux très sensibles que nous avons entendus, notamment de Mme Magnin et de M. Taboada, qui évoquent une forme de détresse des gens effectivement dépourvus des services essentiels que la Poste leur proposait. Le chiffre de 99,72% figure dans le rapport; je savais que j'étais un être exceptionnel, mais pas au point de faire partie des 0,28% des Genevois qui résident à plus de vingt minutes d'un office de poste. L'hypothèse que je privilégie est que ce chiffre date d'avant la suppression successive des offices de poste d'Athenaz, de Chancy, d'Avully et de La Plaine. Depuis, toute la Champagne est dépourvue de bureaux de poste et tous les résidents de cette région du canton doivent se déplacer au plus proche, à savoir à Bernex, s'ils veulent disposer de services étendus, ce qui suppose plus de vingt minutes de trajets en transports publics pour la plupart d'entre eux. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. C'est au tour de M. Guinchard, rapporteur de majorité pour la M 2853-A.

M. Jean-Marc Guinchard (LC), rapporteur. Rapporteur tout court ! Merci, Monsieur le président. Je crois que nous tous, dans cette salle, sommes sensibles aux activités de proximité grâce auxquelles nos concitoyens se retrouvent dans toute une série de circonstances. Dans un village - à cet égard, j'ai été sensible aux déclarations de mon collègue Romain de Sainte Marie -, les habitants ont ou avaient l'habitude de se rencontrer à l'église ou au temple (ce qui devient de plus en plus rare), dans les bistrots (Dieu merci, ça continue) et également à la poste, ce qui favorise le lien social en permettant aux gens de se retrouver. Plusieurs raisons à cela, et ce sont les objectifs de ces deux excellents textes: déployer des activités postales, permettre le contact et faire bénéficier d'une décentralisation de certains services de l'Etat. Je ne peux donc que vous encourager à voter largement ces deux excellents textes. Je vous remercie.

Mme Delphine Bachmann, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, on se retrouve aujourd'hui pour ne pas trop manger de pain et encore peut-être un peu de lecture. Concernant la première des deux motions, je pense faire quand même un peu de lecture. Vous invitez le Conseil d'Etat «à s'engager activement, auprès de la Poste suisse, pour défendre les bureaux de poste menacés de fermeture à Genève et le maintien d'un réseau postal de qualité». C'est sûr; je pense que personne ne peut être en désaccord avec cette affirmation ! On souhaite évidemment tous un service postal de qualité. J'ai moi-même vécu la récente fermeture de la poste de Chêne-Bougeries, ce qui me conduit à devoir parfois aller en terres thônésiennes. C'est risqué, comme chacun le sait, mais on s'en sort !

Pour revenir à des considérations un peu plus sérieuses, s'agissant d'économie un peu moins planifiée, je souhaiterais juste rappeler que si la Poste est un service public, ça n'en reste pas moins une entreprise qui a des objectifs, qui doit atteindre une rentabilité et qui voit, comme beaucoup d'entreprises, une transformation de son modèle d'affaires avec les changements sociétaux que nous vivons. Vous le savez très bien, on n'utilise plus autant la Poste qu'auparavant. Elle doit par conséquent prendre des mesures structurelles.

Le Conseil d'Etat dialogue constamment avec la Poste: j'ai encore reçu ses représentants il y a quelques mois pour un échange, parce qu'il nous paraît crucial de maintenir ce service public de qualité. Certes, des offices postaux ferment, mais je tiens à rappeler que 99,39% des personnes (c'est le chiffre le plus récent que l'on ait: il date de 2023) ont accès à un service postal à moins de vingt minutes à pied ou en transports publics de leur domicile. Même si on peut faire dire aux chiffres ce que l'on veut, je pense quand même que celui-ci est significatif. Si des bureaux postaux ferment, en revanche on constate un renforcement des automates, des points de retrait, des points de dépôt et des filiales en partenariat. En 2021, on dénombrait 95 points d'accès et en juin 2024, on en dénombrait 106 ! Donc, bien que des succursales ferment aujourd'hui, on constate qu'on a de plus en plus de points d'accès.

C'est dans ce sens que va la deuxième motion, déposée par une personne dont je connais vaguement le nom: elle vise plutôt à renforcer ces filiales en partenariat, voire à ce qu'y soient offertes des prestations de proximité et des services à la population. On pense ici, on l'a dit avant, aux personnes âgées, à celles pour qui l'administratif est peut-être plus rugueux, à celles qui savent moins bien s'y prendre avec la transition numérique que nous vivons. Le Conseil d'Etat accueillera favorablement la deuxième motion, car nous avons des discussions avec la Poste à ce sujet, que nous entendons poursuivre.

Quant à la première motion, je vous laisserai déterminer son efficacité, mais dans tous les cas, sachez que le Conseil d'Etat est attentif à la question d'un service postal de proximité et qu'il entend poursuivre en ce sens le dialogue qu'il a établi depuis longtemps avec la Poste. Je vous remercie de votre attention.

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote.

Mise aux voix, la motion 2805 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 71 oui contre 18 non et 1 abstention (vote nominal).

Motion 2805 Vote nominal

Mise aux voix, la motion 2853 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 74 oui contre 18 non et 1 abstention (vote nominal).

Motion 2853 Vote nominal

M 2808-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Thomas Wenger, Sylvain Thévoz, Denis Chiaradonna, Badia Luthi, Glenna Baillon-Lopez, Jocelyne Haller, Nicole Valiquer Grecuccio, Emmanuel Deonna, Marjorie de Chastonay, Pierre Eckert, Boris Calame, Ruth Bänziger, Adrienne Sordet pour que Genève devienne « zone hors Black Friday » et lutte contre l'hyperconsommation
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 2 et 3 mars 2023.
Rapport de majorité de M. André Pfeffer (UDC)
Rapport de minorité Mme Amanda Gavilanes (S)

Débat

Le président. Nous passons à la M 2808-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de minorité de Mme Amanda Gavilanes est repris par M. Thomas Wenger. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole.

M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Avec cette proposition de motion, les signataires souhaitent déclarer le canton de Genève «zone hors Black Friday» et surtout interdire aux commerçants genevois de participer au «Black Friday» et même d'en faire la promotion dans leurs vitrines. A travers cette démarche, les auteurs désirent soutenir deux objectifs du plan climat, à savoir la diminution de 60% des émissions de gaz à effet de serre et la neutralité carbone d'ici 2050.

On constate la contradiction de ce militantisme quand on regarde la dernière et très curieuse invite de cette motion: «à promouvoir [...] l'économie circulaire, le commerce local, les produits locaux», etc., etc. Evidemment, avec une invite aussi curieuse, on a plutôt l'impression que cette motion atteindrait exactement l'objectif inverse.

En empêchant nos commerçants de pratiquer leur métier, il serait plutôt question de tuer notre commerce local, de tuer nos petits commerçants et peut-être de favoriser les grands supermarchés de France voisine ou autre. Cette motion est tellement curieuse que même les commissaires Vertes et Verts ne la soutiennent pas - je crois qu'il faut le rappeler aux auteurs.

Bref, après deux séances de commission - dans un local évidemment chauffé au mazout, il faut le préciser ! -, une très, très large majorité a quand même eu la bonne idée de refuser ce texte. Je vous invite évidemment à en faire de même, car cette motion est tout sauf un soutien apporté à nos commerçants et au commerce local. Merci de votre attention.

M. Thomas Wenger (S), rapporteur de minorité ad interim. Mesdames les députées, Messieurs les députés, cette motion vise effectivement à provoquer un peu un électrochoc: un électrochoc auprès des consommatrices et des consommateurs, un électrochoc auprès de nos commerçantes et commerçants ainsi qu'un électrochoc auprès des politiques. Pourquoi ?

Le «Black Friday», c'est quoi ? A la base, c'est une journée en novembre où on vend à prix cassés un certain nombre de produits, qui, pour la plupart, Monsieur Pfeffer - vous transmettrez, Monsieur le président -, ont parcouru des dizaines de milliers de kilomètres, sont fabriqués par des personnes dont les conditions de travail sont déplorables, en Chine, au Bangladesh ou ailleurs; tout ça pour nous permettre, lors de cette journée, d'acheter des t-shirts ou autres biens de consommation, dont nous n'avons souvent pas besoin, à trois francs, à quatre francs, soi-disant à prix cassés.

Alors pourquoi cette motion ? De nouveau pour susciter un réveil citoyen, et puis pour lutter contre l'hyperconsommation. On voit que le «Black Friday» est une espèce d'orgie d'hyperconsommation. D'abord, c'était une journée, un vendredi. Ensuite, on a vu apparaître la mention de «Black Week», et maintenant à partir de cet été, j'ai même vu le «Summer Black Friday»: presque jour après jour, cela nous force quasiment à acheter des choses en nous faisant miroiter des actions plus alléchantes les unes que les autres.

Cela s'inscrit dans un état d'esprit général: aujourd'hui, Noël commence quasiment en novembre, Pâques commence dans nos magasins en février, on se met à fêter Halloween et plein d'autres fêtes, qui ne viennent absolument pas d'Europe ou en tout cas pas de Suisse. Ça m'étonne qu'on ne soit pas bientôt amenés à fêter Thanksgiving parce que l'industrie de la dinde voudrait en vendre plus ! Mesdames et Messieurs, nous sommes face à une urgence climatique, environnementale et de la biodiversité. Il est extrêmement important de pouvoir lutter contre cette hyperconsommation, autrement c'est toujours la même chose: quand c'est le trafic aérien, on ne peut rien faire parce qu'il faut répondre à la demande, et pour ce qui est de l'alimentation, on fait venir des vins d'Australie, de Nouvelle-Zélande ou de Californie parce qu'il faut répondre à la demande. Et ce sont les mêmes qui défendent le GRTA, les vins genevois, etc., qui sont pour ne mettre aucune barrière et pour que nos magasins continuent à vendre des vins qui viennent d'Australie ou du fin fond du monde ! Non, ce n'est pas répondre à la demande !

Ça, c'est de la poudre aux yeux de la part de nos grands commerçants, des grandes chaînes; on peut aussi parler - malheureusement, je n'ai pas le temps, c'est bientôt terminé - de tout ce développement du commerce numérique, de Booking, d'Airbnb, etc., qui nous font croire qu'il reste trente-huit secondes avant de pouvoir réserver, qui nous incitent via le marketing et la pub à consommer, consommer et hyperconsommer.

Je vous invite à voter cette motion, qui, à nouveau, demande un réveil, veut provoquer un électrochoc afin que nous changions nos modes de consommation. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)

M. Vincent Canonica (LJS). Cette motion pointe du doigt la surconsommation. A-t-on le droit de légiférer à ce sujet ? Et à quel titre ? Au titre de la protection de la santé ? De la protection de la planète ? Du respect des libertés individuelles ? L'auteur de la motion justifie l'interdiction de surconsommer, je cite ses mots: «Il faut également continuer à sensibiliser les consommatrices et consommateurs à l'empreinte carbone environnementale des achats.»

Hier, nous avons débattu de la suppression ou non de la nécessité de renouveler tous les quatre ans l'autorisation à obtenir pour vendre de l'alcool à l'emporter ou du tabac, et vous avez décelé un danger pour la santé. Ce nouveau texte porté devant la commission de l'économie devrait être renvoyé à la commission de la santé pour étudier les risques de la surconsommation. Mais soyez rassurés, je ne ferai pas une telle demande de renvoi. Ici encore, il ne s'agit pas d'un problème de santé publique, mais d'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie. Vous ne m'empêcherez pas de m'interroger sur la santé mentale de notre parlement.

Je finis par me demander à quoi sert cette commission de l'économie, car j'ai le sentiment que dès que l'on tente de préserver la liberté du commerce et de l'industrie, une autre liberté plus importante l'emporte. Quand ce parlement aura tué toute notre économie, il ne faudra pas venir pleurer pour réclamer encore plus de soutien financier pour notre population, qui n'aura alors pas d'autre choix que de vivre aux dépens de l'Etat.

Je lis encore dans le rapport qu'un commissaire se demande si le «Black Friday» n'entraîne pas davantage de surendettement en lien avec la surconsommation. Est-ce que ce parlement entend préserver les libertés des consommateurs et des commerçants ? Je crains qu'à vouloir légiférer à outrance et tout interdire, on se dirige automatiquement vers une invitation à la déviance et au contournement des lois.

Je tiens à rappeler que la Suisse est pionnière en matière de consensus et à partager ma crainte que nous tombions dans un système d'interdictions et de lois à tout prix pour n'importe quoi. Enfin, je relèverai que le pouvoir d'achat est une préoccupation constante de ce parlement. Tous les coûts augmentent, et le jour où les Genevoises et les Genevois peuvent faire leurs achats pour moins cher, vous voulez encore leur retirer cette opportunité ! Ne vous y trompez pas, nos habitants iront profiter du «Black Friday» dans le canton de Vaud ou en France voisine, et les associations de préservation de la planète vous diront merci, tandis que les commerçants se mettront à manifester dans nos rues.

Je me permets de citer encore un des auditionnés, qui rappelle à la commission que les entreprises...

Le président. Merci, Monsieur le député.

M. Vincent Canonica. Je finirai simplement en disant que s'il n'y a plus de consommateurs, il n'y aura finalement plus de commerçants, il n'y aura plus de vie, et ce sera un véritable problème de santé publique. (Applaudissements.)

M. Jean-Marc Guinchard (LC). Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues, comme le rapporteur de minorité, dont je partage certaines des préoccupations, je déteste et suis assez allergique à ces coutumes qui sont importées et qui visent à nous faire consommer à des occasions qui ne représentent rien pour nous. (Brouhaha.)

Le président. Monsieur le député, un instant. Je prie celles et ceux qui parlent de bien vouloir écouter notre collègue.

M. Jean-Marc Guinchard. Merci, Monsieur le président. C'est vrai que j'ai vu aussi dans les Rues Basses quelques boutiques qui n'affichaient non pas seulement «Black Friday», mais également «Black November», donc pendant tout un mois, ces gens importent des marchandises et les vendent à bas prix alors qu'ils ne les ont jamais eues auparavant dans leur stock ni dans leurs étalages.

Cela dit, j'ai quand même confiance dans les gens qui nous ont élus, je ne les considère pas comme des demeurés ni comme des bobets, et j'estime qu'au nom de la responsabilité individuelle, ils peuvent se forger une opinion par rapport à leurs comportements d'achat et de préservation de l'environnement. Les choses progressent en la matière, et j'ai bon espoir qu'on y arrive d'ici peu de temps. Ici, il ne s'agit pas de défendre la liberté du commerce et de l'industrie - je pense que la commission de l'économie le fait suffisamment et à réitérées reprises -, mais de mettre en avant une certaine responsabilité individuelle.

Notre Grand Conseil n'est pas le gendarme de la consommation ou de l'hyperconsommation. Quelle est notre légitimité à provoquer des électrochocs pour sensibiliser nos électeurs à certains comportements ? Dès lors, je vous remercie de suivre la majorité de la commission ainsi que Le Centre et de refuser cette motion.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Cet après-midi commence peut-être sous le signe de la psychologie de bazar vu qu'on se fait traiter de déviants et qu'on suppose qu'on prend les administrés pour des bobets si on a l'audace de légiférer. Effectivement, nous ne partageons pas cet avis; en revanche, nous pensons que la consommation, l'hyperconsommation, comme d'autres pratiques, peuvent être parfaitement normales et acceptables, mais peuvent aussi relever de l'addiction dans certains cas. Nous ne sommes pas naïfs; comme pour d'autres pratiques addictives, nous savons que certains acteurs économiques profitent de cette inclination à l'addiction pour la renforcer.

Comme l'a très bien décrit M. Wenger tout à l'heure, le «Black Friday» fait partie des outils - mais il y en a plein d'autres, on a parlé de Noël en novembre et de Pâques en février -, qui servent incontestablement à générer cette hyperconsommation dont les effets sont particulièrement délétères pour les personnes qui en sont victimes: on peut parler de leur budget, des problèmes de surendettement que ces personnes peuvent rencontrer, mais également d'enjeux psychologiques. On sait que cette hyperconsommation est nourrie par une situation d'insatisfaction permanente, qui n'est jamais rassasiée par le fait de consommer, précisément parce que ces acteurs génèrent un désir insatiable.

C'est exactement le contraire de l'économie qu'il conviendrait de défendre et que ce parlement serait parfaitement légitime à proposer à la population. L'économie que chacune et chacun ici sait souhaitable est une économie de la durabilité, une économie locale, avec des acteurs qui n'ont pas de stocks gigantesques à fourguer à la fin novembre afin de pouvoir en faire des nouveaux pour Noël. C'est une économie du réemploi, de la réparation. Et nous savons que pour des raisons non seulement environnementales, mais également sociales - et même pourquoi pas sanitaires vu que la question a été posée tout à l'heure -, il serait infiniment préférable que le parlement passe des paroles aux actes et défende des textes qui permettent de réorienter l'économie genevoise dans ce sens.

Ce texte a une portée essentiellement symbolique, il faut en convenir. Les deux premières invites ont été discutées en commission. Il a été proposé de les enlever parce qu'effectivement, elles peuvent être perçues comme étant un peu agressives ou sans grand effet. La commission a finalement décidé de ne pas les supprimer. Les trois suivantes sont parfaitement acceptables et rentrent complètement dans le cadre de ce que je viens de dire. C'est pour cela que le caucus des Verts s'est résolu à soutenir cette motion et qu'il vous invite à faire de même ! Merci. (Applaudissements.)

Mme Ana Roch (MCG). Je vais, à l'instar de l'un de mes préopinants, rappeler le principe fondamental de la liberté de commerce, qui est au coeur de notre économie. Cette liberté, bien qu'encadrée par des régulations nécessaires, reste essentielle pour garantir une activité commerciale dynamique et diversifiée. Or, la motion qui nous est soumise aujourd'hui non seulement se heurte à des arguments juridiques en la matière, mais est également en décalage avec le mode de vie contemporain.

Nous sommes tous conscients de l'urgence climatique et des ajustements de consommation qu'elle impose, mais ce texte ne parvient pas à concilier ces enjeux avec la réalité économique locale. Il est flagrant qu'un nombre croissant de commerces sont actuellement à remettre; il suffit de se promener dans nos rues pour constater ce signe clair de la difficulté dans laquelle se trouve le commerce genevois.

Dans ce contexte déjà fragile, il serait inopportun d'imposer de nouvelles restrictions, qui pourraient accélérer ce déclin. Nous devons plutôt réfléchir à des solutions pour soutenir nos commerçants face aux défis actuels, tout en intégrant de manière équilibrée les enjeux climatiques. En effet, introduire de nouvelles contraintes, comme cela a été fait avec le salaire minimum ou l'interdiction de l'ouverture des commerces le dimanche, risque de produire les mêmes effets pervers que ceux entraînés par ces décisions, qui, bien que guidées par de bonnes intentions, ont nui à la vitalité du commerce local.

Avant de conclure - vous transmettrez, Monsieur le président, au député Nicolet-dit-Félix -, je dirai que nous attendons que soient déposés les prochains textes pour le retour de la prohibition, visant à interdire l'alcool, la cigarette, le jeu, éventuellement le sexe, puisque cela peut déclencher des addictions ! (Commentaires.)

Le président. S'il vous plaît !

Mme Ana Roch. En conclusion, nous considérons que cette motion est malvenue dans le contexte actuel, et vous invitons à la rejeter. Merci.

M. Yves Nidegger (UDC). Chers collègues, puisqu'on est entrés dans la psychologie des profondeurs, il est peut-être utile de rappeler ce que signifie le terme «Black Friday»... (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît ! Pouvez-vous laisser parler le député ? Merci.

M. Yves Nidegger. ...afin d'éclairer les ressorts compulsifs de ceux qui expriment à son sujet tant de détestation. C'est une institution qui vient des commerçants new-yorkais, qui, lorsqu'ils atteignaient le point d'équilibre, c'est-à-dire le moment où le chiffre d'affaires annuel permet de couvrir les coûts fixes, ce qui implique qu'on sort des chiffres rouges pour l'année et qu'on entre pour sûr dans les chiffres noirs - d'où l'idée de «Black Friday» -, pour remercier leur clientèle, offraient le vendredi qui suivait ce jour-là ce qu'ils avaient en stock à prix coûtant. Voilà d'où cela vient !

Le fait que ce réflexe de haine compulsive à l'égard de la fin d'un déficit provienne de la gauche est finalement assez logique en termes de psychologie des profondeurs, puisque nous savons cette partie de l'hémicycle profondément «addict» aux déficits, à la dette et à l'absence de bénéfices, en tout cas en ce qui concerne les finances publiques. Cela a conduit le rapporteur de minorité - et je le regrette - à fustiger le fait qu'il y ait trop de «Black» dans les rues marchandes de notre ville.

M. Jacques Béné (PLR). Encore une fois, le PLR est effectivement contre les entraves au commerce. Il souhaiterait même plutôt une déréglementation, tout en gardant des cautèles pour préserver notamment le personnel. J'aimerais bien qu'on définisse ce qu'est l'hyperconsommation. M. Wenger a dit... Enfin, la motion relève qu'il faudrait plus de biens de consommation de seconde main - j'aimerais bien savoir s'il a acheté sa chemise et son pull de seconde main. (Remarque.)

C'est quoi la surconsommation ? En Suisse, on surconsomme, oui. Pourquoi ? Parce qu'on a les moyens de le faire. Et qu'est-ce que la gauche dit à longueur de débats ? Eh bien vous avez critiqué le fait que nous, nous disions qu'il faut répondre aux besoins du marché. Mais vous, vous n'arrêtez pas de nous dire qu'il faut répondre aux besoins de la population. Ce dont a besoin la population, c'est que son pouvoir d'achat augmente, pour qu'elle puisse surconsommer, Monsieur Wenger, surconsommer !

Alors j'aimerais comprendre pourquoi vous n'allez pas essayer de mettre en place votre économie planifiée dans d'autres pays qui n'ont pas le même pouvoir d'achat, comme ça vous pourrez défendre le pouvoir d'achat dans ces pays-là, pour que justement les gens puissent aussi surconsommer ailleurs. Non, Monsieur Wenger, et Mesdames et Messieurs de la gauche unie...

Le président. Adressez-vous au président, Monsieur le député.

M. Jacques Béné. Pardon, oui. Alors, Monsieur le président, vous transmettrez, le problème n'est pas là. Le problème, c'est que nos commerces doivent pouvoir vivre, déstocker et se battre contre la consommation en France voisine, contre le commerce en ligne. C'est ça, les grands enjeux. Si vous voulez fermer les magasins, vous n'aurez plus de surconsommation ! On pourrait faire aussi des mois fermés, avec évidemment des employés qui seraient quand même payés ! Non, Mesdames et Messieurs, je crois que cette motion - comme beaucoup trop de textes de la part de la gauche, qui sont des postures purement politiques pour se donner bonne conscience - est totalement inutile. Monsieur Wenger, comme vos comparses, pour les commerces genevois et le bien public, je vous déclare définitivement perdus ! (Rires.)

M. Jean-Marc Guinchard (LC). Mesdames et Messieurs, j'avais oublié de mentionner un aspect, que j'ai trouvé original et sympathique, suscité par la maison Payot: lors de l'édition du premier «Black Friday», Payot a mis en place dans ses commerces un vendredi solidaire durant lequel vous aviez la possibilité, en achetant un bouquin, d'en augmenter le prix afin que cette augmentation soit versée à une association caritative. Je préfère ce type de mesures proposées par des commerçants à des législations encore plus contraignantes. Je vous remercie.

M. Lionel Dugerdil (UDC). J'aimerais répondre à M. Wenger - vous transmettrez, Monsieur le président -, qui nous accuse d'incohérence en disant que nous voulons protéger les commerces locaux alors que nous soutenons le «Black Friday». Pour ces mêmes raisons de défense du commerce local, je ne suis personnellement pas un grand adepte du «Black Friday», mais pour la défense de notre Etat de droit et de la liberté d'entreprendre et de commerce, je vous enjoins évidemment de refuser cette motion. Vous transmettrez à M. Wenger que son parti fait preuve d'incohérence lorsqu'il défend la transformation de nos frontières en passoires au nom du panier de la ménagère et du libre-échange. Merci.

M. Thomas Wenger (S), rapporteur de minorité ad interim. J'aimerais apporter plusieurs réactions à ce qui a été dit pendant ce débat. La première concerne la notion de pouvoir d'achat - je crois que c'est M. Béné qui en parlait. Il a en partie raison, c'est vrai qu'au parti socialiste, on n'aime pas tellement cette notion de pouvoir d'achat, qui suscite le fait d'acheter, d'acheter et d'acheter toujours plus. On préfère, Monsieur Béné - mais ça, ça ne vous préoccupe pas beaucoup, on le sait, et vos collègues du PLR non plus -, le fait de pouvoir payer ses factures à la fin du mois. Et quand on voit le projet de budget 2025, que nous étudions à la commission des finances, et l'augmentation des aides sociales, des subsides d'assurance-maladie, des prestations complémentaires pour les seniors, pour les familles... Oui, il y a aujourd'hui, on va dire, au moins un quart de la population genevoise qui a de la peine à payer ses factures. Et c'est pour ça qu'on veut augmenter le pouvoir d'achat.

Ensuite, vous transmettrez, Monsieur le président, toujours à M. Béné, qui parle de la défense du commerce genevois, que le commerce n'est pas quelque chose d'uniforme: il y a les petits commerces, les commerces locaux, les boutiques, les boulangeries, les garagistes, etc. Et puis, il y a le commerce des grandes enseignes, des grandes chaînes internationales, qui sont dans les rues du centre de Genève, comme dans les rues d'à peu près toutes les villes et toutes les capitales du monde et qui vendent exactement la même chose. Et c'est elles qui bénéficient du «Black Friday», de ce genre de coup marketing, et non pas nos tout petits commerces !

Et puis, vous transmettrez aussi au rapporteur de majorité et à d'autres, notamment à Mme Roch, qui disent qu'ils sont tout à fait conscients de l'urgence climatique et environnementale, mais qu'il y a la responsabilité individuelle, que cette dernière s'arrête quand on voit que ça ne fonctionne pas. Les objectifs de réduction de 60% des gaz à effet de serre en 2030 et de neutralité carbone, on ne les atteindra jamais si on ne prend pas des décisions collectives. Et comment est-ce qu'on en prend ? En légiférant !

Alors dans tous les domaines, on nous dit: «Responsabilité individuelle, on ne peut rien faire, on ne veut rien faire.» C'est la même chose dans le cadre de la mobilité, qu'est-ce qu'on veut faire aujourd'hui ? Elargir les autoroutes, alors qu'on sait que cela augmenterait le trafic individuel motorisé. Mais comme c'est de la responsabilité individuelle, allons-y, élargissons les autoroutes et augmentons encore le trafic ! Pour le trafic aérien, c'est exactement la même chose, il ne faut surtout pas bouger. Durant le covid, tout le monde a redécouvert la Suisse; je vais faire toutes mes vacances en Suisse et en Europe, c'est super ! Or, les chiffres de l'aéroport sont aujourd'hui plus élevés que ceux de 2019, alors que c'était déjà la meilleure année de l'aéroport quant au nombre de passagers.

Et puis, je peux à nouveau vous parler de l'alimentation: on n'a pas non plus de réflexion, je me souviens très bien, par exemple, d'avoir trouvé dans une enseigne orange des poires qui étaient suisses et, à côté, des poires d'Afrique du Sud. Est-ce qu'on a besoin de poires d'Afrique du Sud alors qu'on a au même moment des poires suisses ? «Oui, pour répondre à la demande du consommateur et de la consommatrice !» Non mais franchement ! C'est vraiment de nouveau l'idée de changer de philosophie sur notre consommation, sur notre hyperconsommation. Et comme cela a été dit, cette motion est symbolique, mais elle vise à nous faire réfléchir philosophiquement à ce qu'on veut comme consommation, comme production aujourd'hui...

Le président. Merci, Monsieur le député.

M. Thomas Wenger. ...dans le monde, en Suisse et à Genève. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)

M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, le débat a été très vif, mais pour revenir sur cette pseudo ou éventuelle zone hors «Black Friday», je crois qu'il faut tout de même préciser que pour les commerçants genevois, ce serait uniquement et exclusivement une entrave et une barrière. Et la conséquence serait évidemment un déplacement des clients des commerçants genevois vers des supermarchés ou d'autres points de vente un peu plus accueillants. Pour ces raisons, et essentiellement pour celles-ci, je vous recommande vivement de refuser ce texte.

Mme Delphine Bachmann, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, merci pour ce débat animé et philosophique. J'aimerais revenir sur un ou deux éléments. Le premier, c'est qu'évidemment, Genève ne peut pas demain décréter qu'elle est une zone sur laquelle on ne peut pas faire de «Black Friday». Je rappelle que la législation en la matière est fédérale. Cas échéant, je vous invite, par le biais de vos relais au niveau fédéral, à déposer des motions ou postulats demandant que soit interdite toute période de soldes ou d'actions visant à vendre un certain nombre de choses.

Au-delà de la question du cadre fédéral, je rappelle aussi que la mise en place d'une telle action à Genève aurait en fait pour seule conséquence de réduire l'attractivité et de mettre en péril un peu plus le commerce genevois, qui, c'est vrai, fait face à des difficultés. La concurrence, elle est là, elle est dans le canton de Vaud, à côté en France voisine, et tous les jours sur internet. C'est déjà éminemment compliqué pour les commerces de survivre !

Il a été évoqué que c'étaient les grandes enseignes qui en bénéficiaient. Je tiens à rappeler qu'il y a quand même un effet dynamique. C'est-à-dire que si aujourd'hui les personnes se rendent en ville pour faire des achats dans les grandes enseignes, on le sait, cela bénéficie aussi aux petites, qui, seules, n'ont pas forcément l'attractivité requise pour faire venir ces consommateurs. On peut le déplorer, mais c'est aujourd'hui un état de fait.

Je rappelle aussi que le secteur du commerce fait face à des difficultés d'augmentation de charges croissantes ces dernières années et je pense qu'il est dès lors important de lui envoyer un message positif. Je souligne par ailleurs que les actions de soldes ou de «Black Friday» permettent aussi une gestion des stocks plus efficiente pour les commerces. On pourrait évidemment aussi parler de la notion de liberté économique, qui prime et qui rend la mise en oeuvre de cette motion complètement impossible.

Après tous ces éléments, il y a bien entendu un tout autre débat que l'on doit avoir quant à l'attention qu'on doit porter à l'hyperconsommation, qui est aujourd'hui un véritable enjeu, c'est vrai, au regard de la précarité de certaines personnes, au regard de la crise environnementale que nous vivons. Au-delà de la liberté individuelle, je reste persuadée que, oui, notre Etat peut avoir un rôle à jouer sur ces questions, au même titre que chacun et chacune d'entre nous.

Il a d'ailleurs été relevé que les faîtières du commerce mettent elles-mêmes en place un certain nombre d'initiatives, à l'image du «Fair Friday», qui visent à consommer, par exemple, en faveur des personnes qui sont dans la précarité en faisant des dons par le biais d'une journée au cours de laquelle une partie du chiffre d'affaires est remis à Caritas ou à d'autres associations. Je souligne donc ici la prise de conscience de ces mêmes milieux quant au fait de proposer des alternatives aux consommateurs et consommatrices.

Et puis, je le rappelle, l'Etat de Genève, par le biais de la campagne «Cé qu'è lainô» et la mise en oeuvre d'une motion votée par ce parlement durant la période du covid, met un point d'honneur à favoriser partout où c'est possible le commerce local, nos petits commerçants, et évidemment aussi la mise en valeur de nos produits régionaux en matière d'agriculture et de production viticole. Dès aujourd'hui, cette campagne déploie son troisième volet. Elle se poursuivra encore sur plusieurs mois, avec pour objectif de sensibiliser les consommateurs et, bien évidemment, d'améliorer la situation pour les commerces, spécifiquement pour les petits et les locaux, qui, on le sait, font face à une situation particulièrement difficile.

Voilà ce que je voulais vous dire aujourd'hui. Le Conseil d'Etat vous invite à refuser cette motion dont la mise en oeuvre est illusoire et ne rentre pas dans le périmètre légal qui est le nôtre. Il vous remercie toutefois de ce débat, qui nous rend attentifs à ces questions. Sachez que nous les prenons en compte et que nous nous y attaquons via les quelques éléments que j'ai pu vous expliquer aujourd'hui. Je vous remercie de votre attention.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons voter sur cette proposition de motion.

Mise aux voix, la proposition de motion 2808 est rejetée par 56 non contre 30 oui et 1 abstention (vote nominal).

Vote nominal

M 2854-R-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Caroline Marti, Léna Strasser, Sylvain Thévoz, Xhevrie Osmani, Nicole Valiquer Grecuccio, Cyril Mizrahi, Jean-Charles Rielle, Jean-Pierre Tombola, Caroline Renold, Sophie Demaurex, Diego Esteban : La crise continue chez Smood
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 2 et 3 mai 2024.
Rapport de majorité de M. Jean-Marc Guinchard (LC)
Rapport de minorité de M. Jean Burgermeister (EAG)

Débat

Le président. Nous abordons maintenant la M 2854-R-A, classée en catégorie II, trente minutes. Le groupe Ensemble à Gauche ne faisant plus partie de ce Grand Conseil, le rapport de minorité de M. Jean Burgermeister ne sera pas présenté. La parole va à M. Jean-Marc Guinchard, rapporteur de majorité.

M. Jean-Marc Guinchard (LC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, nous arrivons là pratiquement aux dernières scories d'Ensemble à Gauche - des textes qui d'ailleurs ont été systématiquement repris par le parti socialiste.

Le dépôt de cette proposition de motion 2854 a pour le moins surpris la majorité des commissaires à l'économie, dans la mesure où elle traite du même problème - elle porte sur le même sujet - que la M 2829, à laquelle le Conseil d'Etat s'est engagé à répondre au Grand Conseil dans sa session des 13 et 14 octobre 2022. A cette occasion, comme le veut la procédure habituelle, les motionnaires ont la possibilité, s'ils ne sont pas satisfaits de la réponse donnée par le Conseil d'Etat, de voter un renvoi audit Conseil.

La M 2854 apparaît dès lors comme superfétatoire, et c'est la raison pour laquelle la majorité de la commission a décidé de la refuser, de même que l'amendement du groupe des Verts qui figure dans le rapport à la page 14 - je vous le rappelle: «à exiger l'application des recommandations de la CRCT par Smood et par l'ensemble des sociétés actives dans le même segment de marché». Par ailleurs, la M 2854 se focalise à nouveau sur l'entreprise Smood, ce qui peut être considéré comme réducteur dans la mesure où ce type d'activité de plateforme - cette «ubérisation» de l'économie, comme l'a relevé avec pertinence un commissaire - mériterait un débat plus large, sur le plan fédéral plutôt qu'à l'aune des dispositions cantonales. C'est d'ailleurs ce à quoi s'est engagée la conseillère d'Etat lors de son audition du 12 septembre, en rappelant que ses services, en parfaite coordination avec le SECO, travaillaient assidûment sur ce dossier depuis quelques mois.

Il faut rappeler pour le surplus qu'une convention collective de travail conclue entre partenaires privés ne saurait faire l'objet d'une intervention de l'Etat, qui est particulièrement démuni dans ce domaine. S'ajoute à cela que l'on ne saurait invoquer, dans ce contexte, les seules recommandations de la CRCT dans la mesure où il ne s'agit, comme leur nom l'indique, que de recommandations sans force obligatoire. Il n'en demeure pas moins que la société Smood a agi avec une brutalité peu coutumière vis-à-vis de ses employés, profitant de lacunes manifestes de notre ordre juridique, et qu'il appartient au Conseil d'Etat, en concertation avec les services de la Confédération, de trouver rapidement des solutions permettant de sauvegarder les droits des travailleurs de cette branche, particulièrement démunis et vulnérables. Au vu de ces explications, la majorité de la commission vous recommande de refuser la M 2854 avec la même majorité que celle issue des travaux de la commission. Je vous remercie.

M. Pierre Eckert (Ve). Merci au rapporteur d'avoir bien résumé les travaux de la commission. Mesdames et Messieurs, ce type d'économie ne plaît clairement pas plus que ça au groupe des Verts. Livrer des repas à domicile, ça vaut ce que ça vaut: manger son plateau repas devant sa télévision ou devant sa Xbox en train de jouer, ce n'est bien sûr pas vraiment ce qu'on peut appeler le sommet de la convivialité. Nous préférerions de loin que ces personnes mangent dans un restaurant, ce qui ferait au moins marcher un peu plus l'économie locale. D'un autre côté, je vois bien qu'il peut être intéressant de se faire livrer un certain nombre de repas ou de denrées alimentaires à la maison - si vous êtes incapable de vous déplacer, ça peut bien entendu se justifier.

Cela dit, si nous estimons qu'il est utile d'avoir ce type de service et que des personnes vous livrent des denrées ou des repas à domicile, que ces personnes soient au moins traitées de façon convenable ! Et il se trouve que Smood ne traite pas du tout son personnel de façon convenable. Il se trouve par exemple que les heures d'attente ne sont pas du tout payées, seul le temps de livraison l'est, ce qui bien entendu est terriblement problématique. En plus de ça, les horaires ne sont pas connus à l'avance. Ce personnel se trouve donc dans une situation extrêmement précaire.

Il faut encore savoir que la société Smood est détenue à 40% par la Migros. Nous avons essayé, il y a deux ans, de discuter avec la Migros, qui est l'actionnaire principal de cette société, avec pour résultat une fin de non-recevoir. Mentionnons aussi un montage que nous n'avons pas totalement compris - moi, je ne suis pas un expert de la question: il y a de la sous-traitance à une société nommée Simple Pay. C'est très compliqué de comprendre exactement ce qui se passe, mais la seule chose qu'on remarque en fin de compte, c'est que le personnel est traité extrêmement mal ! La CRCT, la Chambre des relations collectives de travail, s'est penchée sur la question et a fait un certain nombre de recommandations. Je veux bien que ce soient des recommandations, mais nous pensons quant à nous que ce serait bien qu'elles soient au moins suivies !

J'ai essayé de me renseigner pour savoir si la situation a évolué depuis deux ans, puisque ce rapport a été déposé il y a deux ans, et j'ai eu le renseignement que la situation n'a pas évolué du tout. La Migros est toujours aussi arrogante pour ce qui est ne serait-ce que de recevoir les syndicats; la situation du personnel n'a pas évolué du tout et les informations que j'ai reçues sont en fait extrêmement... J'aurais espéré que la situation se soit améliorée depuis deux ans, mais ce n'est pas le cas. C'est pourquoi je vous recommande de soutenir cette motion. (Applaudissements.)

Mme Léna Strasser (S). Cette motion demande que le Conseil d'Etat prête une attention particulière à la question évoquée et qu'il y ait une prise de position forte dans un conflit qui semble spécifique mais qui est surtout lié à l'économie de plateforme. Elle pourrait paraître obsolète - c'est le message qu'a essayé de faire passer le rapporteur de majorité -, pourtant, je crois qu'on l'a compris avec le discours de mon préopinant, ce n'est pas le cas. Le nouveau modèle économique lié aux plateformes met à mal le coeur même des rapports de travail. La problématique n'est pas tant le type de travail, soit la livraison, que le modèle de contractualisation du travail et le jeu d'algorithme, finalement, qu'on retrouve sur ces plateformes.

Les constats de la Chambre des relations collectives de travail vont dans ce sens. Elle relève notamment que ce type d'économie entraîne des problématiques que le droit du travail peine à cadrer - je crois qu'on l'a compris, ce point est réellement un enjeu -, même si divers outils déjà existants seraient applicables et que de nouveaux pourraient être développés. Il en découle une concurrence effrénée tant entre les entreprises qu'entre les travailleurs, et ça, dans les relations de travail, c'est problématique. Cela aboutit de plus à une précarisation et à une paupérisation des travailleurs et des travailleuses.

Après la grève des travailleurs et travailleuses de Smood en novembre 2021 et le rebond intervenu en 2022, au moment de dépôt de cette motion, tout n'est malheureusement pas réglé dans cette affaire. Une convention collective de travail a bien été signée, mais elle l'a été avec un syndicat qui n'est pas celui qui représentait les travailleurs et travailleuses à l'occasion de cette grève; il est donc difficile de dire comment leurs revendications ont été prises en compte. De plus, un bref comparatif entre les recommandations de la CRCT et la CCT signée entre Syndicom et Smood montre qu'il y a clairement un «gap» entre les deux textes. Je vous invite à aller les regarder, ça vaut la peine de voir à quel point les recommandations ont été survolées.

Pour nous, groupe socialiste, il est important de donner un signal fort: ce genre de pratique ne doit pas être toléré par notre Grand Conseil et l'économie de plateforme ne peut pas ignorer les règles de protection des travailleurs. Pour nous, le département doit intervenir fermement pour lutter contre la sous-enchère salariale et les violations du droit du travail qui en découlent. Nous soutenons également l'amendement des Verts, qui propose de faire un modèle de ce cas spécifique pour ouvrir la réflexion sur d'autres entreprises qui fonctionnent sur le même principe d'économie de plateforme. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Jacques Béné (PLR). C'est de nouveau une de ces motions qui a vécu, qui est totalement obsolète, comme l'a rappelé M. Guinchard. Ce qui m'attriste surtout, c'est le discours de la gauche, qui croit être bienveillante avec l'ensemble de la population en laissant penser que certains cas individuels - parce qu'il y a des cas individuels qui effectivement se passent mal - constituent une généralité. De là à venir parler de paupérisation, de précarisation, d'austérité, de là à dire que ce canton va sombrer totalement... On n'en est pas là ! Et vous êtes tristes - franchement, vous me faites plus de peine qu'autre chose ! (Rires.)

En commission, nous avons auditionné certaines personnes. En fait, cette motion demande au Conseil d'Etat de faire ce pour quoi il est effectivement... enfin, de remplir sa fonction. Et en commission, nous avons auditionné une personne qui a dit que le Conseil d'Etat, de manière générale, fait respecter la loi; que des contrôles et des enquêtes sont effectués; que le Conseil d'Etat n'a pas attendu la grève lancée par les salariés membres d'Unia pour réagir sur ce dossier; que le département est fortement mobilisé sur la problématique de toutes ces plateformes, que ce soit Smood, Uber, etc.; et puis que l'OCE et la CRCT le sont tout autant, notamment s'agissant du contrôle du salaire minimum. Cette personne, je l'ai déjà dit tout à l'heure, est en règle générale plutôt en faveur de l'économie planifiée: il s'agit de nouveau de Mme Fischer !

Je sais bien que l'objectif principal, pour la gauche, c'est que le pouvoir d'achat augmente pour que les employés, dans ce canton, puissent aller au «Black Friday» - peut-être devrait-on l'appeler le «Green Friday», comme ça vous seriez peut-être d'accord qu'il y ait une telle journée ! Mais si les salaires augmentent, les marges diminuent. Si les marges diminuent, les magasins ferment - ou se vendent, comme c'est le cas avec la Migros -, le chômage augmente et donc le pouvoir d'achat baisse. Il faut donc des aides et des subventions pour que le pouvoir d'achat augmente et que la surconsommation reparte de plus belle ! Mais je vais m'arrêter là, parce que je commence à sentir la fatigue. Je vous remercie. (Rires.)

Mme Léna Strasser (S). Je rebondis sur les propos de mon préopinant, qui se dit attristé. Je l'encourage à aller discuter avec les travailleurs et les travailleuses qui sont dans ces situations-là: c'est en effet dur de joindre les deux bouts quand on n'a pas un salaire régulier, quand on n'est pas sûr de pouvoir travailler autant d'heures qu'on le souhaiterait. C'est comme si vous étiez serveur, Monsieur Béné - vous transmettrez, Monsieur le président -, et que vous n'étiez payé que quand vous prenez votre plateau pour amener une consommation au client, mais pas pour tout le reste des tâches que vous effectuez. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

M. Jean-Marc Guinchard (LC), rapporteur de majorité. Rapidement et en guise de conclusion, je voulais préciser à l'intention du groupe socialiste que le Conseil d'Etat n'a malheureusement aucune compétence pour intervenir dans le cadre de la signature d'une convention collective de travail. C'est un contrat qui est conclu entre deux organisations de droit privé - les syndicats et la partie patronale - et même si la signature avec le syndicat Syndicom montre, démontre bien la malignité et la dureté de cette entreprise, Smood, dans ce cadre nous ne pouvons malheureusement rien faire.

Cela étant, je suis sensible à la peine et à la tristesse exprimées par notre collègue Béné. Nous avons beaucoup parlé, hier et aujourd'hui, du pain et du fait que nos motions n'en mangeaient pas beaucoup, et de lecture. Je souhaiterais qu'on passe, pour la suite des débats, à la consommation de pain et de jeux - «panem et circenses» -, mais je doute que la suite de nos travaux, notamment en matière de mobilité et de transports, permette beaucoup ce calme auquel j'aspire. Je vous remercie.

Mme Nathalie Fontanet, présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, en tant que suppléante de ma collègue Mme Bachmann, je rejoins les propos du rapporteur de majorité, à savoir que nous avons déjà traité des préoccupations exprimées dans la M 2854 dans le cadre de la M 2829 «Crise chez Smood». Dans le rapport dont votre Grand Conseil a pris acte le 12 mai 2023, il était indiqué: «il s'agit de suivre l'entreprise Smood dans la durée pour évaluer sa capacité à mettre en place une organisation du travail respectueuse des exigences légales, qu'il s'agisse de la loi sur le travail ou du salaire minimum.» J'aimerais donc vous confirmer l'engagement du département à cet égard: effectivement, la loi doit être respectée par l'ensemble des entreprises dans notre canton et l'OCIRT y est attentif, de même que la conseillère d'Etat. Je vous invite à rejeter cette motion. Merci.

Le président. Merci, Madame la présidente. Nous passons au vote, Mesdames et Messieurs les députés.

Mise aux voix, la proposition de motion 2854 est rejetée par 57 non contre 30 oui (vote nominal).

Vote nominal

M 2905-A
Rapport de la commission de la santé chargée d'étudier la proposition de motion de Jocelyne Haller, Pablo Cruchon, Caroline Marti, Marjorie de Chastonay, François Baertschi, Didier Bonny, Françoise Nyffeler, Salika Wenger, Aude Martenot, Pierre Vanek, Philippe de Rougemont, Nicole Valiquer Grecuccio, Badia Luthi, Olivier Baud : Consultation interdisciplinaire en santé au travail (CIST), phase 2 : pour un observatoire de la santé au travail
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VII des 14 et 15 décembre 2023.
Rapport de majorité de Mme Jacklean Kalibala (S)
Rapport de minorité de M. Jean-Marc Guinchard (LC)

Débat

Le président. Nous passons à la M 2905-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Madame la rapporteure de majorité, vous avez la parole.

Mme Jacklean Kalibala (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. En Suisse, près d'un quart des motifs de consultation en médecine de premier recours sont liés au travail. Ce dernier est donc un déterminant de la santé. Certaines expositions professionnelles peuvent causer des maladies professionnelles ou liées au travail, ou encore aggraver certaines autres maladies.

Nous manquons cruellement de données de santé sur la population suisse, et il en va de même pour la santé au travail. Les données qui existent ne sont pas centralisées et sont difficiles à répertorier. C'est de ce constat qu'est partie cette motion. La consultation interdisciplinaire en santé au travail, la CIST, dont il est question, a été lancée en avril 2022 à Genève. Elle est une des actions du plan cantonal de promotion de la santé et de prévention.

La CIST est le fruit d'une collaboration entre la DGS - à l'époque - et l'OCIRT, à savoir l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail. La CIST est un dispositif de conseil et d'orientation en plein développement. Depuis son lancement le 4 avril 2022, il y a eu seulement 23 demandes et 13 prises en charge. Cela est en partie expliqué par une méconnaissance par les bénéficiaires de l'existence de la CIST.

A Genève, nous avons déjà l'expérience d'un observatoire sur la santé avec le Bus Santé, établi depuis 1992. L'idée d'un observatoire romand de la santé au travail n'est pas nouvelle, elle avait déjà été évoquée à l'époque de l'institut romand de santé au travail, l'IST. Mais cette initiative n'avait finalement jamais vu le jour, puisque en 2019, cet institut a fusionné avec d'autres pour devenir Unisanté à Lausanne. Les acteurs de l'IST ont été intégralement repris par cette structure dans le département de santé, travail et environnement.

Le département agit dans la veille et la prospective, mais il n'a pas de mandat pour collecter des données sur la santé au travail. Les auditions en commission ont confirmé la nécessité de recueillir de telles données afin de mieux appréhender les problématiques de santé au travail. Cependant, il s'avère que la consultation du CIST, encore en développement, ne paraît pas être un endroit adapté pour ces activités.

De plus, certaines données doivent être collectées au niveau régional, voire national. Ces constats ont mené les commissaires à déposer des amendements qui détaillent des objectifs précis et invitent plus largement le Conseil d'Etat à développer les connaissances relatives aux accidents et à la santé au travail, en collaboration avec des acteurs régionaux et nationaux. Je vous invite donc à suivre la quasi-totalité de la commission et à accepter la motion ainsi amendée.

M. Jean-Marc Guinchard (LC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues, en préambule, je tiens à remercier la rapporteure de majorité pour la qualité de son rapport dont je partage certaines - seulement certaines - appréciations.

La première version de cette motion, déposée par notre ancienne collègue Mme la députée Jocelyne Haller, a subi, au cours des travaux en commission et au fil des auditions demandées, qui ont été nombreuses, de multiples modifications.

La première d'entre elles, qui a été rappelée, était de ne plus confier ce mandat à la CIST, en raison du fait que cette institution avait à peine neuf mois d'existence au moment du dépôt de la motion et qu'elle ne pouvait dès lors pas assumer cette mission.

Plusieurs autres structures ont été envisagées, en particulier Unisanté, mais également les HUG. Connaissant les difficultés que les HUG ont rencontrées à plusieurs reprises en matière de respect des dispositions légales, en particulier celles de la loi sur le travail ayant trait aux horaires, il aurait été pour le moins piquant d'avoir recours à eux en matière d'observation des problèmes de santé au travail.

Le premier point faible de cette motion était de ne raisonner qu'au plan cantonal. A l'issue des travaux, elle a été enfin étendue au plan romand, en citant notamment la CLASS, la conférence latine des chefs de départements des assurances sociales et de la santé, mais sans que nous sachions si celle-ci était compétente ni si elle avait les moyens humains et financiers pour s'exécuter.

Au final, il faut constater que de nombreux organismes s'occupent de récolter des données dans ces différents domaines, mais que cela se fait malheureusement sans centralisation ni collaboration horizontale. Je pense que le sujet est important et mérite d'être traité, mais à tout le moins sur le plan fédéral, plutôt que sur la base d'un traitement cantonné à la seule Suisse romande, sans savoir si l'organe désigné est en mesure de le faire, comme je viens de le rappeler.

Sous l'égide du SECO, en collaboration avec la SUVA, les faîtières des assureurs maladie, l'observatoire de la santé fédéral et l'Office fédéral de la statistique, le pilotage d'un tel projet est non seulement possible, mais serait en tout cas plus représentatif, tant il est vrai que, dans ce domaine, il vaudrait la peine de penser Confédération plutôt que Romandie.

C'est pour ces raisons que je vous recommande, au nom de la minorité - en fait, j'étais tout seul ! (Rires.) -, de refuser cette proposition de motion.

Mme Louise Trottet (Ve). Je tiens à m'allier aux félicitations et aux remerciements pour les excellents rapports, en particulier celui de majorité, mais aussi celui de minorité, même si je n'en partage pas les conclusions. Mesdames et Messieurs, une enquête européenne a récemment montré que 23% des travailleurs et travailleuses déclarent avoir été absents du travail au cours des douze derniers mois en raison d'atteintes à la santé liées à l'exercice de leur profession.

Mais quels sont les chiffres suisses et quelles seraient les causes de ces absences ? Nous ne le savons pas, nous n'avons pas de données. La motion que nous traitons aujourd'hui, et qui est somme toute assez technique, répond donc à un besoin grandissant, qui est celui de la récolte de données concernant la santé au travail sur notre territoire, afin de permettre une meilleure prévention.

De quelle prévention parle-t-on ? Par exemple de celle des troubles musculo-squelettiques, mais aussi des risques psychosociaux. On s'intéresse ici aussi aux adaptations nécessaires de l'ergonomie, en particulier dans le contexte du réchauffement climatique, ou encore à l'exposition à des substances chimiques dans le cadre du travail. La prévention des accidents, par contre, est déjà en grande partie assurée par la SUVA.

L'idée d'un observatoire, telle que formulée dans ce texte, est de permettre la mise en lien des différents acteurs concernés par le sujet au niveau de la Suisse romande, en tout cas dans la version amendée de la motion. Cela a été dit, le projet initial demandait un observatoire cantonal, mais cette échelle a été jugée peu adéquate pour répondre à la question de la santé au travail, car on peut effectivement estimer que la santé des travailleurs et travailleuses genevois est relativement comparable à celles des travailleurs et travailleuses vaudois.

Concernant l'avis de la minorité centriste, qui préconise plutôt un échelon fédéral pour ce projet, le groupe Vert est sensible à l'argument selon lequel une augmentation de l'échelle d'analyse serait peut-être encore plus pertinente, mais en même temps, vu les majorités actuelles à Berne, il lui paraît plus réaliste de déjà essayer de créer quelque chose de ce côté-ci de la Sarine, quitte à ensuite élaborer des collaborations avec le reste de la Suisse.

Le groupe Vert vous invite donc chaleureusement à accepter cette motion, certes technique, mais aussi très importante pour plus de santé au travail ! (Applaudissements.)

Mme Natacha Buffet-Desfayes (PLR). Au sujet de ce texte, trois constats s'imposent, ils ont été évoqués par les personnes qui ont pris la parole juste avant moi. D'abord, le marché du travail évolue de manière très rapide - cela, nous le constatons absolument tous les jours. Ensuite, il est difficile - cela a aussi été rappelé - de croiser les données liées au marché du travail, aux accidents de travail et aux maladies liées à l'exercice d'une activité professionnelle. Un troisième constat s'impose, celui de l'augmentation constante des troubles psychologiques et psychiatriques.

Les objectifs du texte sont donc valables et louables puisque ce dernier demande de mieux connaître les chiffres ainsi que toutes les données liées aux accidents du travail et à la santé au travail, de mieux les articuler et de les mettre en perspective. Comment atteindre ces objectifs ? Principalement en croisant les données qui relèvent de la santé au travail ainsi qu'à des difficultés causées par différents critères sociaux et économiques. Dans un deuxième temps, un des moyens d'atteindre les objectifs de ce texte est d'examiner minutieusement le lien qui existe entre la santé mentale et l'activité professionnelle. Et bon, comme je sens que je vais conclure, il me reste à vous dire que nous vous invitons à accepter ce texte ! (Applaudissements.)

Une voix. Très joli !

M. Arber Jahija (MCG). Mesdames et Messieurs, chers collègues, en abordant les questions de santé et de prévention des maladies au travail, cette motion a pour objectif d'élargir les connaissances dans ces domaines par le biais de statistiques, d'enquêtes et de recherches approfondies. Bien qu'une littérature abondante couvre déjà le sujet, il est important de bien saisir les caractéristiques indispensables pour favoriser des environnements professionnels sains à Genève.

Nous soutiendrons ce texte, en espérant ainsi pouvoir disposer de données croisées et actualisées sur les problèmes de santé au travail dans le canton, qui touchent de nombreuses personnes, toutes catégories de travailleurs confondues. Merci de votre attention. (Applaudissements.)

Mme Delphine Bachmann, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, évidemment, du point de vue de l'OCIRT, qui a mis en place la CIST, à savoir la consultation interdisciplinaire en santé au travail, toute initiative visant à renforcer la santé au travail, mais aussi la quantité de données disponibles pour nous permettre de piloter cette politique publique, est à saluer. Mais c'est vrai que dans cette nouvelle version, la motion dépasse en fait très largement le cadre des conditions de travail et s'intéresse de manière beaucoup plus large, par exemple, à l'influence des facteurs socioprofessionnels sur la santé au travail. Et puis, elle ne prévoit plus l'ancrage organisationnel d'une nouvelle structure à la CIST.

Je ne pourrai bien sûr pas me prononcer sur l'intégralité de cette nouvelle version du texte, je crois que celui-ci relève désormais plus du département de la santé que du seul département de l'économie, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'en cas d'adoption par votre parlement, l'OCIRT se réjouit d'ores et déjà de contribuer, dans le rôle qui est le sien, aux recherches et aux travaux sur ce sujet. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote.

Mise aux voix, la motion 2905 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 67 oui contre 7 non (vote nominal).

Motion 2905 Vote nominal

Le président. J'invite les membres du Bureau à se réunir à la salle Nicolas-Bogueret. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprendrons nos travaux à 16h. Merci.

Une voix. Bravo, président !

La séance est levée à 15h35.