Séance du
vendredi 30 août 2024 à
14h
3e
législature -
2e
année -
4e
session -
19e
séance
M 2642-C
Débat
Le président. Le point suivant est la M 2642-C (catégorie III). Monsieur Guinchard, vous avez la parole.
M. Jean-Marc Guinchard (LC). Merci, Monsieur le président. Chères et chers collègues, je suis fâché. (Exclamations.) Oui, je suis fâché parce que c'est la deuxième fois que le Conseil d'Etat nous transmet un rapport, et c'est la deuxième fois que je vais demander, à l'issue de mon exposé, qu'il soit renvoyé à son auteur. Je n'ai pas le temps de vous faire part de tous les reproches que j'aurais à formuler, je vais donc me borner à en citer deux.
Dans ce rapport, le Conseil d'Etat énumère le nombre de pays qui ont maintenu les discriminations à l'emploi pour les personnes atteintes de diabète. Il cite la France, qui a pourtant supprimé depuis 2021 toutes les discriminations pour l'ensemble des professions qui pouvaient comporter auparavant un certain danger. Les auteurs du rapport ne signalent par ailleurs pas que des pays comme le Canada, depuis 1995, le Royaume-Uni, depuis 2012, l'Irlande, depuis 2015, et les USA, depuis 2019, ont également supprimé toutes ces discriminations.
Le rapport ne fait pas non plus l'inventaire des progrès en matière de technologie, et notamment de connectique, qui permettent aujourd'hui aux diabétiques de contrôler leur état, lequel ne représente à l'heure actuelle plus de danger, ni pour eux ni pour les autres. On peut donc considérer qu'engager un diabétique dans les professions mentionnées ne représente plus aucun danger.
J'estime que ce rapport constitue une moquerie vis-à-vis de ce Grand Conseil, des 25 000 personnes atteintes de diabète dans notre canton et des 50 000 personnes soupçonnées d'avoir un diabète mais qui l'ignorent - puisque c'est une maladie qui se développe sur le long terme et qui ne présente au départ aucun symptôme. C'est également une moquerie vis-à-vis des 60 000 personnes ici à Genève considérées comme prédiabétiques. Je vous encourage dès lors à renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat avec un zéro pointé. Je vous remercie. (Commentaires. Applaudissements.)
Une voix. T'as bien travaillé !
M. Christo Ivanov (UDC). Chers collègues, les auteurs de ce rapport ont en effet des a priori et restent figés dans leur réticence à autoriser les personnes souffrant de diabète à exercer certains métiers qui leur sont aujourd'hui interdits. Comme l'a dit mon préopinant, la France, via une loi adoptée par le parlement le 24 novembre 2021 à l'unanimité - il faut le relever -, a combattu les discriminations professionnelles subies par les malades chroniques dont font partie les diabétiques. Cette loi affirme le principe de non-discrimination dans l'accès à l'emploi et aux études. Pour établir si les conditions de santé sont réunies ou non pour accéder à une profession, le texte insiste pour que soit menée une appréciation médicale individualisée qui tienne compte des possibilités de traitement ou de compensation du diabète.
Il est frappant de constater qu'à aucun moment les auteurs de ce rapport -C (il s'agit donc d'un deuxième rapport) n'ont fait allusion aux progrès thérapeutiques et techniques réalisés ces dernières années, lesquels rendent quasiment nuls les risques d'hypoglycémie, par exemple, et assurent en outre l'autonomie des sujets avec une flexibilité nouvelle dans la gestion de l'alimentation. Je vous fais grâce de la suite... Comme l'a dit mon préopinant, il convient donc de renvoyer ce mauvais rapport à son expéditeur. Je vous remercie.
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, je me réjouis particulièrement des propos tenus par mes deux préopinants, dont je partage la consternation ainsi qu'une certaine colère face à ce rapport qui nous dit, en somme, qu'il est urgent d'attendre ! Je pense qu'il y a quand même une certaine discrépance entre les grands principes, qui sont chers au Conseil d'Etat, et leur application dans ce cas particulier.
Les grands principes, Mesdames et Messieurs, c'est notamment la convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par la Suisse en 2014. Cette convention protège également les personnes atteintes de maladies chroniques, entre autres contre les discriminations sur le plan professionnel. Or un texte législatif établi sous la houlette de notre conseiller d'Etat Thierry Apothéloz, à savoir un avant-projet de loi sur l'égalité et les droits des personnes en situation de handicap, propose de transposer dans notre droit cantonal les exigences de la convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées. Eh bien là, nous avons un cas d'application, mais tout d'un coup il n'y a plus personne, on nous dit qu'il est urgent d'attendre.
Mesdames et Messieurs, cette situation ne va pas. Il faut être très clair: le fait de refuser l'accès à des métiers à des groupes entiers de personnes, sans une évaluation individualisée et concrète des limitations qui peuvent être présentes concernant l'accès à telle ou telle profession, constitue tout simplement une discrimination mise en oeuvre par l'Etat lui-même. Cette situation n'est vraiment pas acceptable, c'est pourquoi nous soutiendrons le renvoi au Conseil d'Etat tel qu'il a été proposé. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Pierre Conne (PLR). Chers collègues, le groupe PLR soutiendra également le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat. Notre collègue Mizrahi a anticipé ce que je voulais dire en se référant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Je précise encore sur ce point que ce texte prévoit très clairement que ce n'est pas à la personne en situation de handicap de s'adapter à son environnement, mais que c'est l'environnement qui doit être adapté aux conditions de cette personne justement pour réduire la condition de handicap. Or dans la réponse du Conseil d'Etat, on s'aperçoit que ce changement de paradigme n'a pas été effectué et qu'il est encore attendu de la personne en situation de handicap qu'elle s'adapte elle-même à la situation.
Je rejoins également les arguments qui ont été présentés, en ajoutant un élément. Le Conseil d'Etat nous annonce dans son rapport qu'il a entamé un projet pilote, et j'aimerais quand même saluer sa position. Je serai donc peut-être un peu moins sévère que mes préopinants. Le Conseil d'Etat ne refuse pas de reconnaître que la problématique existe. Toutefois, lorsqu'il nous précise comment va se dérouler ce projet pilote, il conclut en disant qu'il y a aujourd'hui au sein de la fonction publique tellement peu de personnes dans les situations qui sont celles qu'on voudrait faire évoluer qu'il faudra attendre très longtemps avant que l'on puisse réellement évaluer l'impact de ce projet pilote, et donc avant que l'on puisse modifier le protocole médical d'embauche.
C'est en fait le serpent qui se mord la queue: quand on lance un projet pilote - en l'occurrence, il concerne les ressources humaines, mais dans un domaine de santé publique -, lorsqu'on a des arguments fondés pour tester un nouveau modèle, on se donne les moyens de le réaliser. Pour être mené à bien, le projet pilote devrait d'abord modifier le protocole médical d'embauche afin que l'on puisse engager davantage de personnes notamment diabétiques - mais également présentant d'autres handicaps, puisque dans son rapport le Conseil d'Etat leur ouvre ce projet pilote -, dans le but d'admettre et d'accompagner au cours de leur processus professionnel ces personnes qui aujourd'hui ne seraient pas admises. Cela suppose effectivement, s'il s'agit d'un projet à évaluer, d'avoir des moyens pour le piloter correctement, pour l'évaluer mais également pour accompagner ces personnes, puisque pour l'heure, nous ne pouvons pas garantir absolument que toutes les situations soient maîtrisées.
Alors oui, renvoyons ce rapport au Conseil d'Etat ! Le PLR pense qu'il faudrait surtout l'inviter à se donner les moyens de mener un véritable projet pilote, en commençant par revoir les conditions d'embauche et en analysant ensuite ce que deviennent ces personnes pour pouvoir, cas échéant, modifier la législation. Je vous remercie de votre attention.
M. François Baertschi (MCG). Comme l'ont bien dit tous les préopinants, il est vrai que ce rapport est très insatisfaisant. Il est insatisfaisant parce qu'il manque d'ambition réelle. Il dénote une routine et, plus inquiétant, une administration publique sclérosée, qui reste prisonnière de processus et fermée aux changements, à une médecine du travail qui évolue, à l'inclusion des diabétiques, des malades chroniques, alors que ce devrait véritablement être la politique de Genève, qui est quand même, rappelons-le, la cité des droits de l'homme ! Nous devrions nous montrer à la hauteur sur ce point-là comme sur d'autres. Nous devrions avoir un canton de Genève ouvert à ses résidents, à tous ses résidents, sans aucune exclusion. C'est pour cela que le groupe MCG demandera le renvoi de ce rapport à son expéditeur, c'est-à-dire au Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président.
Mme Louise Trottet (Ve). Mesdames et Messieurs, beaucoup de choses ont déjà été dites au sujet de ce rapport et de son manque de sérieux et d'ambition. Je tenais simplement à ajouter que cette réponse est particulièrement absurde dans le contexte actuel où l'Etat peine déjà à recruter dans certains secteurs concernés par les professions auxquelles on refuse aujourd'hui l'accès aux diabétiques. Comme la plupart des partis, le groupe des Verts va renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat pour obtenir, espérons-le, une réponse un peu plus à la hauteur des enjeux. Merci. (Applaudissements.)
Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je tiens quand même à dire deux mots suite à vos critiques. Nous avons travaillé main dans la main avec le département des finances, des ressources humaines et des affaires extérieures sur cette réponse, puisqu'elle concerne essentiellement des professions qui relèvent de mon département. Je suis désolée de vous rappeler à un certain pragmatisme, mais ce sont des professions soumises à un test d'aptitude physique. Oui, ce sont des professions auxquelles tous ne peuvent pas accéder. C'est un fait, et renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat n'y changera rien - c'est déjà la deuxième réponse que nous vous transmettons ! Je comprends que vous puissiez vous en désoler, Mesdames et Messieurs les députés, mais un certain nombre de ces professions - on parle des policiers, des agents de détention - font l'objet d'un test d'aptitude physique, que les personnes doivent effectuer avant de pouvoir s'inscrire à l'école, qui peut-être leur délivrera un diplôme, lequel leur donnera ensuite accès à un métier. Dans ce cadre, je suis désolée de vous le dire, il y a effectivement certaines personnes qui ne passeront pas ce test physique et qui n'auront donc pas accès à la profession. Ce n'est pas de la discrimination, ce sont des exigences posées par la profession - dans un certain nombre de cas, elles sont même issues d'instituts suisses qui ne relèvent pas de la compétence du Conseil d'Etat.
Alors vous pouvez continuer à vous en tenir aux principes, à la théorie, et renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat, mais il vous transmettra la même réponse en argumentant un peu davantage, en expliquant un peu plus en quoi consiste le projet pilote et en actualisant peut-être ses données sur le droit comparé puisque, semble-t-il, elles ne sont pas à jour. On peut continuer ce jeu-là, mais ça ne changera rien au fait que pour devenir policier, on doit se soumettre à un test d'aptitude physique et que certaines personnes n'arriveront pas à accéder à ce métier en raison de ce test, notamment les personnes en situation de handicap, malheureusement - je préfère être honnête avec vous et vous le dire, parce que c'est la réalité et que je ne pense pas être là pour vous vendre du rêve. Voilà le premier élément.
Deuxièmement, j'aimerais quand même vous dire que cette motion a vraiment servi à faire bouger les lignes - à ce titre, je tiens à la saluer. Auparavant, une personne qui devenait diabétique en cours d'emploi - et ces cas-là sont les plus fréquents - était considérée comme ne remplissant plus les conditions d'engagement. Une procédure de reclassement était donc entamée, c'est-à-dire une procédure de licenciement - disons-le honnêtement -, avec une obligation pour l'employeur de reclasser l'employé, d'accord, mais il s'agissait quand même d'une procédure de licenciement. Grâce à cette motion, grâce à vos actions, ce temps-là est heureusement révolu. Aujourd'hui, une personne qui se découvre diabétique alors qu'elle est engagée dans ces métiers-là fait l'objet d'un suivi spécifique - c'est le principe du projet pilote. Il s'agit d'évaluer, en collaboration avec la personne et son médecin traitant, si elle peut être maintenue exactement à son poste, s'il faut aménager le poste ou si elle doit effectivement envisager un autre type de métier à l'Etat de Genève, parce que sa situation médicale la mettrait en difficulté dans le cadre de ses missions.
C'est là le vrai gain de cette motion. Alors vous pouvez renvoyer au Conseil d'Etat son rapport - nous vous transmettrons ainsi une troisième réponse ! -, mais vous pensez véritablement que ça va changer quelque chose ? Ça ne changera rien ! Nous allons avancer sur le projet pilote, mais les effets que vous avez voulus avec cette motion sont là, ils sont déployés, et ils ont permis de faire bouger les lignes pour les personnes en emploi. A ce stade, en revanche, celles qui ne travaillent pas encore à l'Etat de Genève resteront soumises à un test d'aptitude physique. Certaines personnes ne pourront donc pas accéder au métier de policier à cause d'une condition médicale de type diabète ou d'une mauvaise vue, tandis que d'autres se verront empêchées d'accéder à la profession d'agent de détention en raison peut-être d'une fragilité physique ou morphologique. Il faut se rendre compte que ce sont des métiers exposés en termes physiques, avec une dangerosité particulière, et nous ne pourrons jamais nous passer de ces tests d'aptitude physique. J'ai donc envie de vous dire: renvoyez-nous ce rapport si vous voulez, mais surtout faites confiance au Conseil d'Etat quant au fait que les effets sont là, qu'ils se déploient, en tout cas dans la mesure du possible. Si vous voulez aller plus loin, il faut d'abord nous laisser le temps de bien appréhender les situations pour les personnes qui sont en poste et, par la suite, on pourra peut-être envisager de faire bouger les lignes même pour celles qui ne travaillent pas encore à l'Etat. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous procédons au vote sur la demande de renvoi au Conseil d'Etat.
Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2642 est adopté par 72 oui contre 3 non et 11 abstentions.
Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2642 est donc rejeté.