Séance du
jeudi 21 mars 2024 à
17h
3e
législature -
1re
année -
10e
session -
62e
séance
PL 13247-B
Premier débat
La présidente. Nous en venons au PL 13247-B. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à M. Christo Ivanov.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci beaucoup, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce projet de loi avait été renvoyé en commission parce que toutes les auditions n'avaient pas été faites. Lors d'une séance de commission, nous avons reçu la Fédération des institutions petite enfance genevoises suburbaines, la FIPEGS. A l'issue de cette audition, le vote a été le même que lors du débat précédent en commission, à savoir un refus d'entrer en matière sur ce projet de loi par 14 voix contre 1, celle du Centre.
Ce texte vise à octroyer des bons de garde destinés à financer le type d'accueil préscolaire choisi par les familles bénéficiaires. Le financement pose évidemment problème puisque cela touche prioritairement les communes, car ce sont elles qui traitent l'ensemble de la problématique de la petite enfance. Le canton est également touché par un système de compensation des charges induites pour la prestation d'accueil préscolaire, selon ce système de bons de garde. Enfin, les employeurs doivent également participer via une contribution au financement de la compensation des charges induites.
La majorité de la commission estime que ce projet de loi comporte certes de bonnes intentions, mais elle ne veut pas d'une nouvelle usine à gaz. De plus, une partie de ce qui est proposé est anticonstitutionnelle. Enfin, on parle d'un financement également à travers la FDAP, ce qui n'est pas une solution, car ce n'est pas au canton de soutenir ainsi une politique communale.
Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport vous demande de rejeter l'entrée en matière sur le PL 13247. Je vous remercie.
M. Xavier Magnin (LC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, la prise en charge des enfants en âge préscolaire est un défi encore non résolu; malgré les remarquables efforts fournis par les communes pour obtenir un taux d'offre suffisant, la demande reste bien supérieure à l'offre, d'autant plus que la crèche représente le mode de garde le plus largement plébiscité par les parents quand ils ont le choix. Il faut donc être attractif et innovant pour créer un maximum de places d'accueil, aussi bien institutionnelles qu'associatives ou encore privées.
Ce projet de loi vise à ouvrir le champ des possibles, à permettre aux familles d'exercer un libre choix entre accueil de jour, crèche privée, crèche associative, accueil restreint, accueil élargi et, bien entendu, crèche municipalisée, en étant au bénéfice d'un bon de garde qu'elles puissent utiliser comme bon leur semble !
Il est regrettable, alors que la demande des parents est si forte, si désespérée parfois, de ne pas pouvoir au moins étudier, de ne pas pouvoir auditionner, de ne pas pouvoir travailler sur ce sujet en commission, ce texte ayant été rejeté par un refus d'entrée en matière, et ce malgré un deuxième renvoi en commission le 1er septembre 2023 - il a donc été demandé deux fois qu'on en discute.
Il s'agit ici de trouver des moyens pour solliciter des volontés institutionnelles ou privées et que ces personnes puissent bénéficier des solutions adéquates pour créer des places de crèche. Facilitons l'installation de structures privées, ce qui augmentera l'offre générale de crèches, sans aucunement mettre en opposition les différents modèles de crèches. Le bon de crèche est une solution qui mérite qu'on s'y intéresse, il est utilisé notamment à Bienne, dans le canton de Berne. Avoir ne serait-ce qu'un retour sur cette expérience aurait été une excellente chose; s'ouvrir à d'autres modes de faire est utile et éclairant.
Malheureusement, nous continuons à charger les communes sans nous intéresser à d'autres propositions, nous continuons à durcir les normes et exigences, nous continuons à laisser le service chargé de surveiller les normes des IPE - pour pleinement s'assurer que cette politique publique soit correctement menée - s'étouffer sous son propre poids financier, au détriment du besoin avéré et nécessaire des parents et de leurs enfants. Le Centre est tout particulièrement sensible à la politique familiale, il regrette d'être ici minorisé et souhaite l'adoption de ce projet de loi.
Mme Sophie Demaurex (S). Mesdames et Messieurs les députés, c'est vrai, il existe en Suisse allemande une tendance à voir les bons de garde comme un système pouvant répondre aux défis de l'accueil de l'enfance. Or, ils ne sauraient en soi déterminer la quantité, la qualité ou le prix des prestations. Il faut donc être très attentif aux effets collatéraux. Les bons de garde visent principalement la concurrence, ce qui n'entraîne pas une augmentation de l'offre, alors que les listes d'attente sont longues et que le libre choix apparaît plutôt comme un leurre.
Pro Enfance, plateforme romande pour l'accueil de l'enfance, en appelle au financement par l'objet et non le sujet, les enfants relevant de la responsabilité des familles et de la société. La contribution des pouvoirs publics doit non seulement atteindre une diminution du coût pour les familles, mais aussi garantir l'accueil. Il s'agit de réfuter la marchandisation des services aux jeunes enfants, qui s'éloigne du principe de l'universalité de l'éducation. D'ailleurs, l'OCDE recommande un modèle d'investissements publics axés sur l'offre et gérés par les autorités. Cette perspective assure un meilleur taux de couverture et une qualité plus uniforme que les modèles fondés sur les aides aux familles.
Par ailleurs, la Commission fédérale pour les questions familiales s'est montrée sceptique quant au fait de passer du financement de l'offre au financement des familles par le biais des bons de garde. Pour ces raisons, ce projet de loi, louable sur son intention, n'apporte pas une bonne solution à la pénurie de places d'accueil pour les enfants. Aussi, je vous invite à le refuser. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Céline Bartolomucci (Ve), députée suppléante. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a en effet l'intention extrêmement louable de tenter de trouver une solution à la pénurie de places en crèche dans notre canton. Il s'agit, comme nous le savons toutes et tous, d'une problématique brûlante, capitale et parfois dramatique pour une majorité de foyers genevois. La solution évoquée dans ce texte consiste à modifier la loi sur l'accueil préscolaire en introduisant la notion de financement par le sujet via les bons de garde et en créant une fondation dédiée à leur financement. L'idée est donc de financer non plus les institutions d'accueil mais les familles, afin qu'elles puissent choisir une méthode de garde parmi les offres existantes, qu'elles soient publiques, privées ou autres.
Bien que traitant d'un sujet essentiel, ce projet de loi apparaît malheureusement peu abouti et peu réaliste. En effet, selon le texte proposé, le Conseil d'Etat fixe un montant du bon de garde qui serait le même pour toutes les familles, indépendamment de leurs ressources. Mais quid de l'âge des enfants et de leurs spécificités ? Quid de l'accueil en question ? Le montant du bon serait-il le même pour une place en crèche et pour une maman de jour ? Ce montant serait-il adapté en fonction du taux d'encadrement ? Comment ces bons seront-ils financés ?
De plus, ce projet de loi propose d'utiliser ces bons auprès de personnes pratiquant l'accueil familial de jour à titre indépendant, sans en préciser vraiment les conditions: parle-t-on ici de personnes formées, de mamans de jour, de membres de la famille, d'autres personnes ? Malheureusement, aucune réponse n'est donnée à toutes les questions évoquées précédemment et à bien d'autres encore. Les conditions d'application restent floues, difficiles à mettre en oeuvre, voire risquées, pour les familles qui connaissent déjà un contexte difficile.
Bien que ces bons de garde existent dans certains cantons, ils ne sont pas la solution. Pire, ils peuvent même parfois aggraver le problème. Ainsi, à Berne, où ce système existe depuis quelques années, les crèches ne se remplissent plus, car leurs prix ont augmenté de façon considérable depuis la mise en place de cette approche. La disponibilité des places en crèche demande une véritable réflexion sur la petite enfance et un financement réaliste qui soit à la hauteur des besoins des familles et des enfants, et non pas des solutions à la va-vite incluant, par exemple, des baisses de salaire, de prestation ou d'encadrement, comme le réclament à répétition les partis de droite de ce Grand Conseil ces derniers temps.
Pour toutes ces raisons, le groupe des Vertes et des Verts vous demande de refuser ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Ana Roch (MCG). Chers collègues, malgré un deuxième renvoi en commission, ce projet de loi peine à convaincre. En effet, le principal problème réside dans le fait que ce texte ne s'attaque pas véritablement à l'accueil de la petite enfance, mais plutôt à la question de la disponibilité des places pour les enfants. Cela implique la mise en place d'un mécanisme supplémentaire de financement par le biais de bons.
Le manque de clarté concernant le processus est préoccupant; il est difficile de voir comment cela pourrait réellement bénéficier à l'accueil des enfants ou financer davantage de places. En réalité, ce projet de loi semble manquer sa cible et ne répond pas adéquatement aux besoins réels des familles et des enfants; bien entendu, nous le regrettons. Il est déterminant que les mesures législatives proposées soient réellement efficaces et pertinentes pour améliorer l'accès à l'accueil de la petite enfance.
Pour ces raisons, le MCG ne soutiendra pas ce projet et vous invite à faire de même. Merci.
M. Sébastien Desfayes (LC). D'abord un constat évident: le taux d'offre à Genève est de 36%. Il y a donc à peu près 3200 enfants qui sont, au travers de leur famille, à la recherche d'une place de crèche, d'une place d'accueil de jour. Peut-on dès lors continuer avec ce système, ne rien faire et dire finalement: «Bon, cette solution pose des questions» ? Si ce projet de loi pose des questions, alors il appartient à la commission de faire son travail, de procéder à des auditions et de suggérer des amendements. Je n'accepte pas l'argument consistant à dire qu'on ne sait pas très bien comment ça sera réglé, comment ces bons seront attribués. S'il y a des questions qui se posent, il ne fallait pas procéder à l'examen à la va-vite de ce projet de loi.
Selon moi, ce que les familles de Genève attendent, c'est qu'on renverse la table. Renverser la table, ça ne veut pas dire continuer dans l'étatisation ou la collectivisation des crèches, ce qui n'apportera pas une place d'accueil supplémentaire et coûtera une fortune que les communes seront incapables de payer. Je précise bien: si les communes devaient répondre à toute demande de place de crèche, elles devraient mettre, en sus des 300 millions actuels, 600 millions sur la table - c'est bien entendu une hypothèse invraisemblable, qui ne sera jamais réalisée.
Regardons ce qui se passe en Suisse alémanique. J'ai entendu chez une de mes préopinantes, avec laquelle je n'opine pas: «Oui, mais la petite enfance est délicate et nous devons lui accorder un maximum d'attention.» Mais peut-on vraiment considérer qu'en Suisse alémanique, les enfants sont maltraités avec le système des bons de garde ? Au contraire, j'ai plutôt l'impression que la petite enfance est bien mieux gérée en Suisse alémanique. Pour le canton de Berne, s'il existe des places d'accueil disponibles, ce n'est pas parce que les places de crèche sont plus chères, c'est précisément parce que les bons de garde ont été efficaces et ont eu un effet systémique positif: de grands acteurs privés sont venus s'y installer et ont ouvert des places qui sont aujourd'hui disponibles.
Ne soyons donc pas dogmatiques sur un sujet aussi important, osons renverser la table. Je vous invite en conséquence à soutenir ce projet de loi. Merci.
M. Djawed Sangdel (LJS). Chers collègues, ce projet de loi a été renvoyé deux fois en commission et quatorze commissaires n'ont pas voulu entrer en matière. Il repose sur une analyse correcte du mécanisme financier, mais pas du mécanisme d'accueil: comment faut-il accueillir les enfants, où doit-on les accueillir, avec quelles qualifications, quels contrôles ? Parce qu'on ne peut pas laisser les enfants dans les mains de familles ou de gens qui sont peut-être partiellement incapables de se substituer aux crèches ou à certaines institutions éducatives.
Pour les communes, ce projet de loi posera non seulement un vrai problème financier, en raison de la distribution de bons, mais aura également comme conséquence qu'elles devront engager encore plus de personnel pour gérer ce processus: à qui faut-il donner ces bons, à quelles conditions, comment peut-on remplir les conditions, comment contrôler ? Si l'on prend le mécanisme dans son ensemble, ce texte ne répond pas aux besoins de la demande. Cette dernière est énorme. Le groupe LJS est toujours favorable à la création de plus de places de crèche pour aider les Genevoises et les Genevois dans le domaine de l'éducation des petits enfants en crèche, mais ce texte ne répond pas aux besoins ni aux critères imposés par certaines institutions étatiques.
Compte tenu de ces éléments, le groupe LJS vous invite à ne pas entrer en matière. Je vous remercie.
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, l'UDC ne soutiendra pas ce projet de loi, car, c'est vrai, il n'est financièrement pas tenable. On n'est pas prêt actuellement à renverser la table, peut-être qu'on le sera dans quelques années, puisque ces bons se font dans d'autres cantons. Il faut reconnaître que ce texte a quand même un avantage, c'est qu'il favorise les gens qui mettent leurs enfants dans des crèches privées, dans la mesure où ces structures ne reçoivent aucune subvention et doivent respecter la grille salariale qui leur est imposée. A ce sujet, on pourra quand même voter pour favoriser les crèches privées en leur accordant une certaine liberté sans laquelle elles n'arrivent pas à tourner. Cela permettra d'avoir de nouvelles crèches dans le canton, qui, en plus, ne coûteront absolument rien au contribuable. L'UDC suivra donc évidemment le rapport de majorité, tout en remerciant quand même les personnes qui ont déposé ce projet de loi, qui aura du succès dans quelques années, nous en sommes convaincus. Merci.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Xavier Magnin pour une minute quinze.
M. Xavier Magnin (LC), rapporteur de minorité. Merci, Madame la présidente. Au moins un groupe relève que Le Centre est novateur et en avance sur son temps - ça fait plaisir. Pour les autres, peut-être que l'objectif consistant à créer plus de crèches n'a pas été bien compris. L'idée est d'être attractif et innovant, de permettre un libre choix, de pouvoir au moins étudier cette solution. Malgré un double renvoi en commission, rien n'a été possible, si ce n'est une audition de la FIPEGS.
Je reviens sur le financement qu'on dit non tenable. On parle d'un financement qui serait assumé par des privés et non par les institutions publiques: ces 600 millions supplémentaires, comme l'a dit le député Desfayes, sont en effet quasiment impossibles ou actuellement impossibles pour les collectivités publiques que sont les communes. Vous vous rappelez qu'actuellement, les 44 communes hors Ville de Genève ont environ 1,3 milliard de budget réparti entre elles.
Je vous appelle toujours à voter ce projet de loi pour permettre des choix et plus d'offres de places en crèche. (Applaudissements.)
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Comme je l'ai dit tout à l'heure, ce projet de loi part d'une bonne intention, même d'une excellente intention, parce que je crois que nous sommes tous attentifs au fait de trouver des solutions pour la petite enfance. Le système financier proposé n'est pas viable, pas tenable. Par ailleurs, cela relève en grande partie de la compétence des communes. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous demande de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Anne Hiltpold, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vais être très brève. J'ai entendu qu'il fallait renverser la table pour pouvoir offrir aux familles plus de places de crèche. Je ne suis pas sûre que ce soit la bonne solution, le Conseil d'Etat n'en est pas sûr non plus. Beaucoup de questions sont peut-être restées en suspens, mais un élément auquel nous avons pu apporter une réponse et au sujet duquel nous pensons encore pouvoir le faire, en tout cas au sein de mon département, c'est que ce n'est pas en changeant de paradigme que nous créerons plus de places de crèche.
Ce que nous devons faire, c'est faciliter l'ouverture, c'est travailler non pas sur les taux d'encadrement, mais sur les qualités du personnel que nous engageons dans ces établissements. Nous pourrions débattre d'autres points, mais ce n'est en tout cas pas ce système-là qui permettrait de créer plus de places de crèche. Nous sommes tous d'accord sur le fait que nous avons besoin de plus de places de crèche - c'est un élément autour duquel nous nous rallions tous -, mais ce n'est pas ce système qui va permettre d'y arriver. Pour ces motifs, le Conseil d'Etat vous propose de ne pas entrer en matière. Merci beaucoup.
La présidente. Je vous remercie. Nous passons au vote.
Mis aux voix, le projet de loi 13247 est rejeté en premier débat par 80 non contre 8 oui.