Séance du vendredi 15 décembre 2023 à 10h05
3e législature - 1re année - 7e session - 44e séance

La séance est ouverte à 10h05, sous la présidence de Mme Céline Zuber-Roy, présidente.

Assistent à la séance: Mmes Nathalie Fontanet, Carole-Anne Kast et Delphine Bachmann, conseillères d'Etat.

Exhortation

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

Personnes excusées

La présidente. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mme et MM. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat, Thierry Apothéloz, Anne Hiltpold et Pierre Maudet, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Jacques Béné, Virna Conti, Diego Esteban, Leonard Ferati, Joëlle Fiss, Philippe Morel, Geoffray Sirolli et François Wolfisberg, députés.

Députés suppléants présents: Mmes et MM. Sebastian Aeschbach, Oriana Brücker, Rémy Burri, Gabrielle Le Goff, Patrick Lussi et Nicole Valiquer Grecuccio.

Annonces et dépôts

Néant.

PL 13360-A
Rapport de la commission des finances chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat établissant le budget administratif de l'Etat de Genève pour l'exercice 2024 (LBu-2024) (D 3 70)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VII des 14 et 15 décembre 2023.
Rapport de majorité de M. Jacques Blondin (LC)
Rapport de première minorité de Mme Caroline Marti (S)
Rapport de deuxième minorité de Mme Marjorie de Chastonay (Ve)
Rapport de troisième minorité de M. Michael Andersen (UDC)

Suite du deuxième débat

Budget de fonctionnement (tome 1) (suite)

H - SÉCURITÉ ET POPULATION (suite)

Amendements relatifs à la politique publique H

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous poursuivons notre débat sur la politique publique H «Sécurité et population». Je donne la parole à Mme Alia Chaker Mangeat.

Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Merci, Madame la présidente. Le Centre défend une politique de sécurité au plus près des réalités du terrain et des besoins de la population, une politique qui, selon nous, doit s'appuyer sur des mesures de prévention et de répression à la fois. Nous saluons ainsi le plan mis en place pour lutter contre le crack, qui comporte un volet sanitaire, social, mais aussi sécuritaire. Il est vrai qu'une partie des citoyens sont confrontés quotidiennement aux nuisances liées au trafic, et la situation se détériore d'année en année, donc il faut absolument agir. Des Genevoises et des Genevois sont à bout, notamment dans les quartiers des Pâquis et des Grottes; ne rien faire serait la pire des choses.

J'ai écouté attentivement Me Poncet - M. Poncet, devrais-je dire -, et quoique très impressionnée par son expertise en matière de mafias et de cartels de la drogue, je n'ai pas très bien saisi où il voulait en venir; ça m'a juste fait penser que j'aimerais bien retourner en Italie un de ces jours, mais bon, c'est hors sujet. Bien sûr qu'ici, on ne prétend pas éradiquer les réseaux de trafic de drogue, mais je pense que les Genevoises et les Genevois attendent une action de notre part, c'est vraiment nécessaire. Des mesures de proximité sont impératives, même si on n'ambitionne pas de mettre fin à tous les problèmes à l'échelle internationale. Au Centre, nous sommes convaincus qu'une présence policière accrue sera bénéfique, d'une part pour rassurer la population, d'autre part pour dissuader, voire réduire, la consommation dans l'espace public et prévenir les violences.

Dès lors, Le Centre soutiendra l'amendement qui vise l'engagement de douze personnes dans la police ainsi que la ligne budgétaire liée à leur matériel; nous le soutenons d'autant plus que la police, notamment judiciaire, travaille déjà à flux tendu, nous considérons que ces postes sont loin d'être superflus. Cela dit, les frontières ne sont pas imperméables et nous pensons qu'il faut aussi renforcer la politique bilatérale entre la Suisse et la France afin de combattre la criminalité transfrontalière. Nous attendons ainsi, sur un plan plus interne, que l'organisation et la répartition actuelles des tâches et des compétences entre les polices cantonale et municipale soient revues pour que nous gagnions en efficacité. Voilà, donc nous voterons la politique publique H «Sécurité et population». Je vous remercie.

M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, on ne peut pas résumer la question du crack à un simple business international, comme cela a été fait tout à l'heure. Je crois qu'il faut voir la réalité en face et les drames humains, sociaux et sanitaires que cette substance cause au quotidien depuis plusieurs années dans un nombre significatif de pays occidentaux - mais pas seulement dans les pays occidentaux.

Devant cette situation, l'Etat a pris ses responsabilités, a décidé d'agir et a mis en place un plan crack que le PLR soutient. Il nous paraît inimaginable de ne rien faire et de simplement se dire que ça va finir par passer. On parle d'une situation dramatique. Malheureusement, il n'existe pas de thérapie comme dans le cas d'autres drogues, par exemple l'héroïne, il n'y a pas de médicament de substitution pour le crack. Dans ce contexte, nous devons agir à la fois sur le plan sanitaire, social et sécuritaire.

J'avoue que j'ai toujours de la peine à comprendre les discours qui consistent à dire qu'il faut laisser faire lorsqu'on peut non seulement engager du personnel pour agir face à une situation déterminée, mais qu'on peut en plus embaucher à d'autres fins. Là, je parle évidemment des douze postes de policiers. Nous soutiendrons l'amendement du Conseil d'Etat à ce sujet qui propose six gendarmes destinés à la sécurisation de l'espace public - on peut difficilement remettre en cause leur utilité - et six inspecteurs afin de lutter contre le trafic. Il convient d'agir au front, c'est-à-dire sur le terrain, dans les lieux où se déroulent les actes de vente de ce produit, mais également de remonter les filières, de les démonter, puis de faire en sorte que ceux qui se trouvent tout en haut soient punis, et pas seulement les petits poissons, les dealers qui se trouvent dans la rue.

Pour l'ensemble de ces raisons, j'invite ce parlement, au nom du PLR, à adopter l'amendement du Conseil d'Etat visant à réintroduire douze postes au sein de la police - sachant que ces agents pourront également être affectés à d'autres tâches par la suite si cela devait se révéler nécessaire - ainsi qu'à fournir à ces policiers l'équipement dont ils auront besoin. Merci beaucoup de votre attention.

M. Marc Saudan (LJS). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Libertés et Justice sociale acceptera l'amendement demandant des postes pour le plan crack. Nous avions soutenu le renforcement de la politique des quatre piliers cet été. Il est fondamental de mobiliser des ressources afin de combattre le fléau du crack tant pour ceux qui en souffrent que pour le voisinage.

Cependant, si on parle beaucoup du crack, je vous signale que ce n'est rien comparé au fentanyl qui risque d'arriver jusqu'à Genève, qui n'épargnera sans doute pas notre canton. Le fentanyl est cinquante fois plus puissant que l'héroïne et cause davantage de dégâts: cette drogue a été responsable de deux tiers des décès par overdose en 2022 aux Etats-Unis et y constitue la première cause de mortalité des 18-49 ans. Pour une fois, donnez-nous les moyens d'être actifs plutôt que réactifs et votez ces amendements ! Merci.

M. Skender Salihi (MCG). Chers collègues, les chiffres alarmants des contraventions délivrées au cours des dernières années témoignent de l'urgence d'agir face à cette menace grandissante qu'est la prolifération du crack. En 2021, 85 contraventions ont été enregistrées, passant à 448 en 2022 et à 346 au 31 juillet 2023 - il manque donc six mois qu'on n'a pas encore comptabilisés. Face à cette situation, il est impératif que nous, en tant que citoyens responsables, réfléchissions sérieusement à la manière dont nous entendons aborder le problème. Alors que nous nous apprêtons à voter le budget, il est crucial de considérer les solutions les plus efficaces pour éradiquer ce fléau qui gangrène nos rues.

L'une des caractéristiques les plus inquiétantes du crack, c'est l'absence de produit de substitution. Contrairement à d'autres drogues où des traitements de substitution sont souvent disponibles, il n'existe malheureusement aucun médicament pour lutter contre cette substance. Il est ainsi d'autant plus fondamental que nous envisagions des approches différentes afin d'endiguer cette épidémie.

La solution réside très certainement dans une politique dissuasive et répressive. Il est essentiel de mettre en place des mesures strictes afin de décourager la consommation comme le trafic. La répression doit s'accompagner d'une sensibilisation accrue aux dangers associés à cette drogue dévastatrice. Sensibiliser les citoyens quant aux conséquences physiques et sociales du crack peut contribuer à réduire la demande et à prévenir de futures tragédies. En outre, nous devons renforcer la présence policière dans les zones touchées et mettre en place des initiatives visant à démanteler les réseaux de trafic de drogue.

L'efficacité de ces mesures dépendra de la collaboration entre les différentes autorités. Il est temps d'agir de manière décisive. En votant des budgets qui soutiennent une politique dissuasive et répressive, nous envoyons un message fort selon lequel la drogue et la criminalité qui lui est associée n'ont pas leur place dans nos rues. La protection de nos citoyens doit être une priorité absolue. Dans ce but, le MCG vous invite à voter l'amendement demandant douze ETP, s'il vous plaît. (Applaudissements.)

M. Sylvain Thévoz (S). Juste un mot pour rappeler aux partis de droite que diaboliser la drogue en s'affolant: «Le crack, c'est affreux, le fentanyl va arriver !» ne résoudra pas le problème. Evidemment, vous n'êtes pas frappés par le crack en marchant dans la rue, il y a un contexte: c'est généralement lié à la précarité, à la désaffiliation, à des difficultés sociales.

J'observe un manque de cohérence au sein de la droite qui, d'un côté, refuse des postes supplémentaires dans l'éducation, critique les aides sociales, stigmatise une partie de la population migrante ou venant d'ailleurs, condamne les personnes en difficulté sociale et, de l'autre, tire la sonnette d'alarme: «Oh là là, attention, d'autres produits arrivent qui vont toucher tout un chacun.»

Bien sûr, ces substances concernent indistinctement et sont dangereuses pour toute la population, mais on sait très bien qu'il y a des terreaux sociaux et professionnels exposés. Une fois encore, la droite se montre au mieux schizophrène, au pire manipulatrice quand elle s'exclame: «Attention à la drogue !» sans se soucier du contexte socio-économique. Merci. (Applaudissements.)

M. Arber Jahija (MCG). Chers collègues, ces douze postes supplémentaires permettraient d'accroître les ressources et les effectifs de la police et, par conséquent, de renforcer sa capacité à réagir rapidement et efficacement face aux diverses situations d'urgence et aux différents délits. Cela pourrait également contribuer à créer un environnement plus sûr et protecteur pour les citoyens et à maintenir leur confiance dans les forces de l'ordre. Ainsi, le MCG vous invite à soutenir l'amendement.

Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je me réjouis de voir que la majorité qui, en commission, avait biffé sans scrupule les postes de policiers pour la mise en oeuvre du plan crack revient à la raison. Il s'agit naturellement, cela a été souligné dans le cadre des débats, d'un problème majeur de santé publique, puisque les effets de ce produit sont absolument ravageurs pour les consommateurs.

Il faut également rappeler, cela a été fait à l'instant par M. Thévoz, les enjeux sociaux et sécuritaires qu'engendre cette substance. C'est d'ailleurs, à mon avis, l'avantage du plan crack élaboré par le Conseil d'Etat: il comporte des mesures coordonnées entre les différents départements et transversales entre les différentes politiques publiques.

Face à l'ampleur de la problématique et surtout à la rapidité de son développement, il était absurde de penser qu'on pouvait affronter ce gigantesque nouveau défi sans avoir recours à des moyens supplémentaires, que ce soit dans le domaine de la sécurité avec l'octroi de nouveaux postes de terrain ou à travers l'augmentation de la subvention à Première ligne. Cette association accomplit un travail fondamental et formidable de prise en charge et d'accompagnement des personnes consommatrices dans le but de réduire les risques, à la fois pour elles-mêmes, pour l'entourage et pour les habitants des différents quartiers dans lesquels s'opère la consommation de crack.

C'est la raison pour laquelle la minorité que je représente vous invite à voter les amendements visant non seulement à réintégrer les douze postes coupés pour la mise en oeuvre du plan crack, mais également à augmenter la subvention à l'association Première ligne.

Le deuxième élément que je voudrais relever dans le cadre de cette politique publique, c'est le choix de la majorité du Grand Conseil de couper trois postes au sein de la brigade judiciaire et radar de l'unité routière, c'est extrêmement préoccupant. Actuellement encore, il y a malheureusement trop de morts et de blessés graves sur les routes. Il faut agir sur différents aspects: mesures de prévention, de réduction des risques, d'aménagement de l'espace urbain, mais aussi de contrôle et de sanction. Les ETP sont nécessaires dans ce service afin d'améliorer la sécurité routière, de faire tous les efforts possibles pour réduire au maximum les accidents de la circulation. Je vous demande dès lors d'accepter aussi l'amendement de la minorité pour la réintroduction des trois postes à l'unité routière de la police. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Jacques Blondin (LC), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, comme vous l'avez entendu, la majorité - et même l'ensemble des groupes - va soutenir le plan crack. La question qui se pose, me direz-vous, est la suivante: pourquoi aviez-vous coupé ces postes lors des travaux à la commission des finances ? Il faut tout de même qu'on vous apporte une réponse. Vous devez savoir que sur l'ensemble des politiques publiques, le plan crack coûte pas loin de 6 millions actuellement eu égard aux différentes mesures prévues. Pour nous, la réflexion était simple - enfin, elle s'est basée sur deux faits.

Tout d'abord, il y a Première ligne. Alors on ne doute pas une seconde de la nécessité du travail de cette association, mais la question, ce sont les moyens et la capacité dont elle disposera pour mettre en place les actions qu'on attend d'elle. Est-ce qu'un montant de 2, 4 ou 6 millions d'un coup va permettre de régler le problème ? L'interrogation reste ouverte, parce que, vous le savez, il faut le temps d'organiser les choses, il faut engager les collaborateurs. De notre côté, on avait estimé qu'il était possible de différer quelques crédits afin de voir comment les choses se passeraient avec Première ligne; parfois, trop d'argent ne constitue pas forcément la bonne solution.

Le deuxième aspect concerne la police. On a obtenu des informations - évidemment, les décisions ne se prennent pas comme ça - qui se sont révélées contradictoires par la suite s'agissant des effectifs de police. Il fallait déterminer s'il était judicieux d'instaurer une brigade crack plutôt que d'opérer des réaffectations momentanées au sein des équipes de police, ce que l'on considérait à l'époque comme suffisant.

C'est sur ces éléments qu'on a élaboré le projet de budget. Or il est vrai qu'après discussion et compte tenu des retours des citoyens dans certains quartiers - ça a été souligné -, on a finalement compris que le sujet était sérieux: le crack fait des ravages évidents au sein de la population, tant au niveau social que sanitaire, sans parler de la problématique de fond qui pourrait être d'ordre économique à terme si les mafias arrivent jusqu'à Genève: ça pourrait devenir un problème important.

C'est la raison pour laquelle la majorité, dans le cadre des échanges qui ont précédé le deuxième débat, a décidé d'entrer en matière sur les amendements qui concernent aussi bien la police que l'association Première ligne. Ainsi, a priori, les postes ne seront pas coupés. Nous attendons bien entendu de la conseillère d'Etat que les choses se fassent comme il se doit. Merci beaucoup.

Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je me réjouis que dans le cadre des prises de position qui viennent d'intervenir, quasiment tous les groupes aient manifesté l'intention de voter les amendements relatifs au plan crack. Je vous félicite de donner au canton les moyens nécessaires pour apporter une réponse non seulement concertée et équilibrée à ce problème, mais surtout très attendue par la population.

Je ne vais pas revenir sur ce programme qui a déjà été largement présenté, mais je tiens à insister sur la cohérence de ces mesures à même de renforcer la politique des quatre piliers, pour autant qu'aucun pilier ne soit affaibli et certainement pas l'axe sécuritaire, celui qui est aujourd'hui sollicité par les habitants des quartiers concernés - des quartiers qui ne sont pas forcément réputés pour abriter des fans absolus de politique sécuritaire. Dans le domaine de la drogue, les mesures sociales, sanitaires et éducatives nécessitent des mesures sécuritaires, et les mesures sécuritaires nécessitent des mesures sociales, sanitaires et éducatives.

Ce qui me surprend, en revanche, c'est qu'une partie du parlement, certes très minoritaire, s'oppose à ce dispositif tandis qu'une autre partie refuse d'écouter les autres besoins, les demandes du terrain, qui sont précisément celles sur lesquelles l'élaboration de ce budget s'est basée.

C'est précisément parce que j'ai confiance en mes équipes et que je suis à l'écoute de ces besoins qui ne sont pas sortis d'un chapeau que je vous soumets des amendements plus globaux afin de soutenir le travail quotidien difficile, exigeant, de plus en plus diversifié, de jour comme de nuit, du personnel de l'Etat: celui des policières et policiers qui interviennent dans des situations toujours plus complexes et sensibles, des collaboratrices et collaborateurs de la police qui rendent leur action possible, des personnes qui accompagnent les victimes auprès de la police, de la justice et du centre LAVI, des agentes et agents de détention et responsables d'ateliers qui subissent de mauvaises conditions matérielles de travail, du personnel chargé de la délivrance des autorisations de séjour, de la documentation d'identité et d'autres mesures de suivi et de contrôle, des responsables de la gestion des risques et de la protection de la population.

Mesdames et Messieurs les députés, les collaboratrices et collaborateurs de la politique publique H partagent un point commun fondamental: dans ces métiers, on ne choisit pas sa charge de travail et on ne peut pas s'y dérober. On ne choisit pas le nombre de crimes et de délits qui sont commis, ni si le crack se développe et fait des ravages, ni si des hooligans décident d'envahir notre stade, ni si la situation géopolitique provoque des manifestations quotidiennes et des arrivées de délégations ministérielles dont nous devons assurer la protection, ni le nombre d'enfants victimes d'infractions graves à qui il faut garantir justice, protection et accompagnement, ni, cela a été évoqué, le nombre de décès sur les routes - un par mois en moyenne.

On ne choisit pas le nombre de personnes condamnées à une peine ferme, ni l'augmentation du coût de l'alimentation des détenus - soit dit en passant, nous ne pouvons pas refuser d'enfermer ni de nourrir. On ne choisit pas le nombre de permis de travail demandés dans le cadre de notre économie dynamique et florissante, ni le nombre d'adoptions internationales effectuées par des citoyens genevois, ni les normes fédérales en matière d'état civil - elles nous sont imposées par la Confédération. Enfin, on ne choisit pas la recrudescence des risques que court notre population: crues de l'Arve, dangers liés aux transports de chlore pour les besoins de l'économie suisse, hausse du nombre d'incendies dus aux épisodes caniculaires.

Mesdames et Messieurs, j'éprouve un profond respect pour ces collaboratrices et collaborateurs qui répondent toujours présents, qui sont disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, qui acceptent de prendre sur leurs congés, sur leurs vacances simplement parce qu'ils et elles n'ont pas le choix et que leur mission le leur impose. Nous évoluons dans un monde où les crises se succèdent, et ces équipes sont toujours davantage sollicitées; elles travaillent sans relâche pour maintenir des prestations essentielles à l'Etat dans un contexte instable et insécure, et elles me font remonter quotidiennement le manque d'outils et d'appui.

A cet égard, j'informerai les habitantes et habitants qui appellent de leurs voeux une plus grande présence policière que l'UDC - vous transmettrez, Madame la présidente - préfère sa doxa sur la dette au bien-être des Genevoises et Genevois. Je trouve irrespectueux que, d'une part, vous vous affichiez en fervents supporters de la sécurité publique, mais que, d'autre part, lorsqu'il s'agit de passer à l'acte, vos discours ne soient pas suivis d'actions et de la mise à disposition des moyens requis. Les collaboratrices et collaborateurs de mon département sont extrêmement engagés et font preuve d'un très fort sens du service public; ces femmes et ces hommes mettront tout en oeuvre pour absorber le surplus, mais nous ne pourrons pas tirer sur la corde durant toute la législature: vous les laissez seuls à assumer la surcharge de travail qui découle de cette absence de ressources.

Par ailleurs, il convient de s'attaquer à de nouvelles problématiques gravissimes de portée internationale, comme l'augmentation généralisée de la traite d'êtres humains, auxquelles nous devons apporter des réponses rapides et concertées avec les différents partenaires sociaux.

Dans le domaine de la sécurité routière, une coupe de trois postes de radaristes a été opérée par la commission des finances. Le Conseil d'Etat vous propose de n'en retenir qu'un seul qui, comme c'était le cas pour les deux autres, serait autofinancé grâce aux recettes générées par le dispositif des radars mobiles. Mesdames et Messieurs les députés, tout comme vous, j'ai été extrêmement choquée par les récents accidents mortels sur nos routes. Il y en a un par mois en moyenne: chaque mois, une personne perd la vie sur les routes à Genève ! Nous devons tout faire pour éviter ces drames. Il ne s'agit pas que de cyclistes et de scootéristes, nous devons également protéger les piétons.

En 2022, 241 personnes ont perdu la vie sur les routes suisses, soit 20% de plus qu'en 2021, sans compter toujours plus de blessés graves. Or il a été clairement démontré que les radars représentent une aide essentielle pour le contrôle et ont une influence sur les dépassements de vitesse, surtout les radars mobiles. En effet, le taux d'infractions relevé par un radar mobile est de 10% environ des véhicules contrôlés, alors qu'il est de seulement 0,6% pour tous les autres radars.

Avec la suppression de ces postes pourtant autofinancés, des mesures devront être prises à l'interne de la police pour garantir le traitement des infractions au code de la route, ce qui aura un impact sur les autres missions policières; je vous laisserai alors assumer les conséquences de vos décisions.

Concernant la coupe des postes de secrétaires pour la retranscription des auditions de mineurs victimes d'infractions graves, la révision du droit pénal en matière sexuelle, dont l'entrée en vigueur est fixée au 1er juillet 2024, nécessitera des adaptations en matière d'audition des victimes, notamment une augmentation du volume des auditions LAVI. Il s'agit pour la police judiciaire de maintenir un haut standard de qualité dans ces situations aussi sensibles que douloureuses pour les victimes. Les deux postes sont destinés à gérer les auditions de type EVIG (enfants victimes d'infractions graves), qui accusent actuellement un retard excessif dans la transcription en raison d'une augmentation de leur nombre.

Mesdames et Messieurs les députés, savez-vous que lorsqu'un mineur est victime d'actes d'ordre sexuel, de maltraitance ou d'une autre infraction grave et qu'il doit être auditionné, la procédure est très particulière ? Des policiers spécialement formés entendent les enfants dans une salle spécifiquement équipée à cet effet, l'audition est intégralement filmée et doit être retranscrite mot à mot. Que proposez-vous, Mesdames et Messieurs les députés ? Que des inspecteurs retranscrivent eux-mêmes ces auditions ? Est-ce cela, l'efficience ? Ou que les cas soient traités avec de nombreux mois de retard ?

Je ne peux pas l'accepter. Il en va de la protection d'enfants victimes d'infractions graves, de la répression des auteurs de ces actes infâmes. Ne perdons pas de vue que s'il y a un domaine où il est de notre devoir moral d'intervenir vite et bien, c'est précisément celui-ci. Si votre conscience vous permet de ne pas vous soucier de ces situations, ce n'est pas mon cas, ce n'est pas celui du Conseil d'Etat. Aidez la police à protéger les enfants victimes d'infractions graves, aidez la justice à punir ces prédateurs, donnez-nous les moyens de le faire.

Au sein de l'office cantonal de la détention, au crépuscule de la dernière législature, vous avez voté une planification pénitentiaire ambitieuse qui nous servira de guide pour mener notre action dans ce domaine durant la législature. Parallèlement à ce programme colossal, nous devons assurer le quotidien, le fonctionnement, le recrutement, il s'agit d'un enjeu fondamental dans cet office. Dans ce cadre, nous vous demandons simplement de renforcer d'un demi-poste l'équipe de direction.

Mais surtout, nous vous demandons de nous permettre de nourrir les détenus, cette mission fait partie du travail quotidien de l'OCD. Ceux qui n'ont pas remarqué que les denrées alimentaires ont renchéri sont manifestement des privilégiés. La somme d'un peu plus de 470 000 francs trouve son origine dans la hausse d'une part du coût des matières premières destinées à la confection des repas, d'autre part du prix de vente des mets préparés par les HUG. Que vais-je répondre aux HUG qui ont augmenté le coût des repas et qui nourrissent à peu près la moitié des détenus à Genève ? Que je ne vais pas payer le montant fixé ? Ce n'est pas raisonnable. Il s'agit d'assurer une prestation de même qualité que précédemment tout en faisant face à l'élévation des prix.

Cet amendement inclut un montant de 102 000 francs qui résulte de l'augmentation du coût des marchandises destinées à la revente dans les épiceries des établissements de détention; il est entièrement couvert par une hausse correspondante des revenus. Si vous ne deviez pas réintégrer l'adaptation des prix pour les repas, il faudrait alors supprimer les revenus prévus à la nature 42.

J'aimerais également que vous me permettiez de plaider pour le poste de juriste au sein du service état civil et légalisations de l'office cantonal de la population et des migrations. Il s'agit d'une nouvelle prestation, nous n'étions pas chargés de cette mission précédemment. Il y a désormais une obligation légale d'offrir, au sein du canton, un double niveau de juridiction, nous avons donc dû intégrer ce service à l'office cantonal de la population et des migrations.

Le 8 décembre, le Conseil fédéral a communiqué qu'il fallait réformer le droit international de l'adoption, parce que des abus étaient constatés dans de nombreuses procédures. Nous devons être exemplaires dans ce domaine qui touche véritablement le coeur de nos concitoyens: l'établissement du lien de filiation entre des enfants qui viennent en Suisse et des parents qui ont décidé de les adopter. Là non plus, je ne conçois pas que l'on puisse tolérer des retards ou des procédures bâclées.

Un petit mot encore sur le poste d'ingénieur à l'OCPAM pour les abris de protection civile. Un rapport de la Cour des comptes met en exergue des carences en la matière, nous devons de surcroît nous coordonner avec les dossiers d'autorisations de construire. Bon, puisque M. le président du Conseil d'Etat a indiqué que les processus seraient ralentis, je pourrais dire que nous arriverons peut-être à nous adapter, mais notre canton accuse tout de même un retard d'environ sept mois dans l'analyse des plans de ces objets après leur soumission alors que nous sommes censés traiter les dossiers en nonante jours. Genève sera dans l'incapacité de tenir à jour les inventaires des places protégées et, partant, de fournir des informations fiables à l'Office fédéral de la protection de la population, à la protection civile, à l'armée, aux autorités, compromettant ainsi la protection des habitants conforme aux normes légales.

En définitive, Mesdames et Messieurs les députés, la politique publique H est un petit peu comme la politique publique B: elle sert toutes et tous, elle sert l'entier des citoyens et des départements. Je ne comprends pas que l'on puisse transiger sur des questions de sécurité aussi importantes pour notre population. Dès lors, je vous invite vraiment à accepter les amendements que le Conseil d'Etat a déposés dans cette politique publique, parce que tout cela forme un ensemble et qu'il n'y a véritablement aucune marge de réallocation de ressources dans un domaine où nous devons simplement faire face aux besoins et nous montrer pertinents dans notre réponse et nos actions. Merci, Madame la présidente. (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous procédons au vote des amendements en commençant par une première proposition de Mme Marti et cosignataires: +586 212 francs.

Une voix. Vote nominal !

La présidente. Etes-vous soutenue ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, vous l'êtes.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 49 non contre 46 oui (vote nominal).

La présidente. Il y a ensuite deux amendements identiques, l'un du Conseil d'Etat, l'autre de M. Baertschi, pour une augmentation de 545 497 francs, que je mets aux voix en une seule fois. Le vote nominal est également sollicité. (Appuyé.)

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 86 oui et 12 abstentions (vote nominal).

La présidente. Le Conseil d'Etat demande un ajout de 154 949 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 61 non contre 35 oui et 1 abstention.

La présidente. L'amendement suivant, toujours du gouvernement, prévoit un montant de +74 134 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 63 non contre 32 oui et 2 abstentions.

La présidente. L'exécutif nous soumet encore l'octroi de 96 000 francs.

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 85 oui et 12 abstentions.

La présidente. A présent, j'ouvre le vote sur un amendement de Mme Marti et cosignataires visant une hausse de 5788 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 65 non contre 33 oui.

La présidente. Mme Marti et cosignataires proposent par ailleurs d'accorder 182 518 francs supplémentaires.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 64 non contre 33 oui.

La présidente. Nous continuons avec une requête du Conseil d'Etat: +41 061 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 64 non contre 33 oui.

La présidente. Le prochain amendement émane du Conseil d'Etat et consiste en une hausse de 476 747 francs.

Une voix. Vote nominal !

La présidente. Est-ce que vous êtes soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) C'est tout bon.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 50 non contre 33 oui et 13 abstentions (vote nominal).

La présidente. Nous sommes saisis d'une nouvelle demande de Mme Marti et cosignataires: +10 111 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 64 non contre 33 oui.

La présidente. Nous nous prononçons maintenant sur une modification de Mme Marti et cosignataires portant sur une somme de +230 268 francs. Le vote nominal est demandé. (Appuyé.)

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 63 non contre 33 oui (vote nominal).

La présidente. Le Conseil d'Etat requiert ensuite +115 134 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 63 non contre 33 oui.

La présidente. Mme Marti et cosignataires présentent un amendement de +12 525 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 62 non contre 33 oui et 2 abstentions.

La présidente. Toujours de Mme Marti et cosignataires, voici un amendement visant une augmentation de 201 978 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 62 non contre 33 oui et 2 abstentions.

La présidente. Je vous invite maintenant à vous prononcer sur cette proposition du Conseil d'Etat: +96 547 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 62 non contre 33 oui et 2 abstentions.

La présidente. Enfin, Mme Marti et cosignataires ont déposé un amendement prévoyant +5170 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 60 non contre 33 oui et 1 abstention.

Mise aux voix, la politique publique H «Sécurité et population» ainsi amendée est adoptée par 52 oui contre 12 non et 33 abstentions.

Votes nominaux relatifs à la politique publique H

I - IMPÔTS ET FINANCES

La présidente. J'appelle la politique publique I «Impôts et finances» et j'ouvre le débat. Monsieur Julien Nicolet-dit-Félix, vous avez la parole.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, comme vous le savez, la politique publique I a la particularité d'être la seule qui rapporte plus que ce qu'elle coûte à l'Etat. Elle rapporte passablement, au point que nous avons obtenu le chiffre de 1400 millions de francs d'écart entre l'estimation du budget 2022 et les comptes que nous avons votés le 31 août dernier.

Présidence de M. Alberto Velasco, premier vice-président

1400... (Brouhaha.) Je vais peut-être laisser les gens aller à la buvette, Monsieur le président de séance; comme ça, quand on aura un petit peu de silence, je pourrai continuer. (Le silence se fait.) Merci. 1400 millions de francs, Mesdames et Messieurs: ce montant constitue une somme énorme, que vous aurez peut-être de la peine à vous représenter; pour vous aider, j'ajouterai que cela équivaut à 253 kilomètres de billets de 1000 francs mis bout à bout, c'est-à-dire, grosso modo, la distance qui sépare cette salle de la Banque nationale à Berne, aller et retour. Représentez-vous ça ! Il s'agit simplement de l'écart d'estimation entre ce qu'on pensait avoir à disposition lorsque vous avez voté le budget 2022 (je ne faisais pas partie de cette assemblée) et les comptes qui ont été obtenus et votés le 31 août dernier dernier. On ne peut évidemment qu'être content d'avoir des économètres qui proposent des estimations plutôt prudentes et on peut bien sûr se réjouir des résultats tout à fait positifs que notre canton obtient, mais enfin, cet écart fait de Genève le champion de Suisse, peut-être du monde, des erreurs d'estimation en matière de recettes. Du reste, je vous invite à découvrir un opuscule d'Avenir Suisse, qui n'est pas précisément une officine marxiste, intitulé «Budgets cantonaux hors cible»; on y parle passablement de notre canton, et pas forcément dans les termes les plus charitables.

L'idée n'est bien entendu pas d'accabler le département des finances, mais simplement de se demander si, suite à cette énorme différence, la façon de procéder aux estimations fiscales a été revue. On remarque que, dans le budget qui nous est présenté, les recettes sont estimées à un peu plus de 10 milliards de francs (10,326 milliards), alors que dans les comptes de l'année 2022, les recettes effectives dépassaient les 11 milliards (11,126 milliards), ce qui fait un delta, une différence d'environ 900 millions. On est en train de nous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que l'on anticipe pour l'année 2024 des recettes inférieures de près d'un milliard à celles que nous avons observées en 2022, c'est-à-dire que notre canton serait dans une récession grave, puisque nous perdrions à peu près 10% de nos recettes. Cela n'est évidemment pas très sérieux !

Je vous invite à lire également les pages 16 à 22 et 148 à 155 du rapport de majorité, car des explications tout à fait intéressantes et pertinentes montrent pourquoi j'ai en partie tort: effectivement, l'année 2022 était exceptionnelle (on ne peut pas la prendre comme référence absolue); mais enfin, chaque année, le conseiller d'Etat nous explique au printemps que l'année précédente était une année exceptionnelle pour diverses raisons. Lorsqu'on se demande pourquoi, dans les faits, cette année était exceptionnelle, on se rend compte qu'en réalité, chaque année est relativement ordinaire, parce que l'augmentation des recettes fiscales est globalement répartie entre les différents types de fiscalités du canton.

Tout ça pour dire que cela fait bientôt huit heures que nous sommes en train de nous écharper, de discuter sur des montants parfois extraordinairement dérisoires. Nous avons ainsi refusé, tout à l'heure, un amendement de moins de 1000 francs. Les bancs de droite, en particulier l'UDC, souhaitent que le budget soit équilibré. Nous cherchons évidemment tous l'équilibre; nous souhaitons que la balance des recettes et des dépenses soit équilibrée, mais lorsqu'un des plateaux est aussi mal évalué, on se rend bien compte de l'absurdité à vouloir équilibrer le second plateau (celui des dépenses) à 1000 francs parfois, le plus souvent à 100 000 francs près, alors que l'on sait que c'est en centaines de millions que l'autre plateau est sans doute mal évalué. Tout cela pour dire que nous souhaitons véritablement une réflexion sur cette estimation des recettes qui nous permette, à terme, d'avoir un budget évalué d'une façon un petit peu plus sérieuse. Pour toutes ces raisons, nous allons nous abstenir sur cette politique publique, comme sur les autres. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Yvan Zweifel (PLR). Hier, lorsque nous abordions la politique publique F «Formation», un député de cet hémicycle a commencé son intervention en expliquant que des gens prenaient des positions alors qu'ils ne comprenaient rien au métier d'enseignant. Je suis heureux de découvrir maintenant que le même député décide de prendre la parole pour discuter de fiscalité alors qu'il n'y connaît absolument rien ! (Rires.) Je suis heureux de l'entendre, car en bon démocrate, j'aime le débat; ce n'est pas parce qu'on n'est pas un spécialiste du domaine qu'on n'a pas le droit de s'exprimer. Nous sommes élus par la population pour prendre des positions, et je suis donc très heureux que M. Julien Nicolet-dit-Félix - pardon, je l'ai cité - ait pu s'exprimer, comme j'ai pu m'exprimer moi aussi, même s'il pensait, hier, que j'avais tort.

Cela étant dit, je reviens au propos qui nous intéresse: M. Nicolet-dit-Félix s'étonne des recettes fiscales importantes que l'on a connues. Alors, outre effectivement l'année exceptionnelle 2022, dont on rappelle qu'elle a commencé par la crise ukrainienne, ou plutôt la guerre en Ukraine, qui a débouché ensuite sur une crise énergétique, qui en tant que telle est une crise... Il se trouve qu'à Genève, un certain nombre d'entreprises (celles que notre estimé collègue Sylvain Thévoz adore particulièrement, celles qu'il préfère avant tout), à savoir des sociétés de négoce, sont actives dans un domaine où la crise énergétique a fait connaître des variations très importantes des prix à la hausse ou à la baisse. Il est évident que les sociétés qui gagnent de l'argent non pas grâce à la crise ou grâce à la guerre en Ukraine, mais en raison de variations qui ne sont pas de leur fait, mais de celui de la crise et de la guerre, ont gagné beaucoup d'argent. Et bonne nouvelle, elles ont par conséquent aussi payé beaucoup d'impôts.

En outre, et je reviens sur un autre événement qu'il faut rappeler ici, il y a eu la RFFA, la fameuse réforme de l'imposition des entreprises, honnie tant par M. Nicolet-dit-Félix que par M. Thévoz - je ne voudrais pas m'acharner sur eux; je le fais en toute amitié, vous me connaissez, Messieurs, mais je dois m'adresser au président, donc il transmettra avec la sagacité qui est la sienne -, dont on a toujours entendu dire sur les bancs de gauche qu'elle allait coûter une fortune au canton ! Or, il se trouve que non seulement elle n'a rien coûté, mais surtout qu'elle a rapporté énormément. Lorsqu'on a parlé de la RFFA, ce parlement, et le Conseil d'Etat d'abord, avaient estimé que son coût, statique, devrait être amorti en cinq ans. Sur pression de la gauche, élargie à l'époque - vous verrez à qui - le parlement a décidé d'être plus prudent et de le faire sur huit ans, alors que nous disions que cinq ans, c'était certainement déjà pessimiste. La preuve: elle a été absorbée en deux ans ! Mesdames et Messieurs, merci à ce parlement, merci évidemment au peuple genevois qui a avalisé la RFFA et merci à ces entreprises !

Pourquoi est-ce que je reviens sur les entreprises de négoce ? Parce qu'à l'époque, elles étaient taxées à un taux d'impôt sur le bénéfice plus bas que le taux de 13,99 d'aujourd'hui, en l'occurrence à 11,6, et qu'on a donc un double effet Kiss Cool avec ces entreprises-là: il se trouve que non seulement elles gagnent plus d'argent, mais qu'en plus cet argent est plus taxé ! Voilà qui explique ces recettes effectivement exceptionnelles de l'année 2022, dont il faut évidemment se féliciter ! Merci à tous ceux qui font des réformes fiscales intelligentes, à la baisse, puisque la baisse du taux ne vide pas les caisses, contrairement à tout ce qu'on entend systématiquement à gauche. Au contraire ! Cela rapporte des recettes fiscales supplémentaires; la démonstration en est faite ici.

Je reviens sur la réflexion que souhaiterait M. Nicolet-dit-Félix portant sur les différences importantes entre les budgets et les comptes. Celles-ci sont aussi dues - vous le savez - à des correctifs liés à des exercices précédents, car parfois... Cela concerne notamment des contribuables d'une certaine importance, tant les personnes physiques que les personnes morales, qui d'abord prennent plus de temps à faire leur déclaration, parce que leur patrimoine, leur revenu, etc., sont plus complexes, plus importants, et qui ensuite peuvent ne pas être d'accord avec les taxations émises. Cela retarde le processus de taxation, ou en tout cas d'encaissement définitif de ces impôts. Ces correctifs arrivent année après année, en majorité, pour l'instant, dans un sens positif, mais il peut survenir qu'une année cela se fasse dans un autre sens.

Vous voulez une réflexion sur ce point ! Ça tombe bien, parce que le Conseil d'Etat l'a menée. A la commission des finances, on nous a expliqué que, pour la première fois (il s'agit d'un changement comptable assez important; on entendra d'ailleurs volontiers la Cour des comptes lorsqu'il s'agira d'étudier les comptes sur ce point-là), on avait décidé d'intégrer forfaitairement une partie de ces correctifs; un calcul sur les moyennes des anciens correctifs a été pris en compte. A titre personnel, j'ai été dubitatif sur ce point: comment l'estimer ? On prend la moyenne des correctifs qui, par définition, sont volatils et peuvent changer chaque année; on décide d'appliquer cela. Honnêtement, d'un point de vue comptable, ce n'est pas très sincère, mais la majorité s'est dit :«Puisque nous avons constaté qu'il y avait souvent cet écart, prenons en compte en partie ces montants-là.» Bonne nouvelle, Monsieur Nicolet-dit-Félix ! Votre réflexion a déjà été faite et a déjà été concrétisée.

Pour toutes ces raisons, vous l'aurez compris, nous vous invitons à approuver la politique publique I «Impôts et finances» et à continuer de voter des réformes fiscales intelligentes, bien faites, qui ne mènent pas à une baisse des impôts mais à une hausse de recettes fiscales; on a touché les personnes morales, il s'agira maintenant de s'attaquer, au sens positif du terme, aux personnes physiques, à qui il faut aujourd'hui donner un bol d'air fiscal qui sera bienvenu. Je suis certain que la majorité raisonnable et responsable de ce parlement votera une baisse d'impôts en faveur des personnes physiques.

Dernier point, et j'insiste là-dessus: on l'a dit, la réflexion sur les correctifs a déjà été prise en compte, Monsieur Nicolet-dit-Félix, mais il faut rester prudent, parce que l'année 2022 a été exceptionnelle. Qu'est-ce qui se passera le jour où elle sera exceptionnelle, mais dans l'autre sens ? Ce qui veut dire - il faut le rappeler ici - que les revenus sont volatils et qu'il faut agir sur les charges. C'est précisément pour ça que nous sommes ici, pour contenir ces charges, car si ceux-là voient une inflation chaque année, les charges, elles, ne diminuent pas. Une fois qu'on les a votées, elles sont fixes, alors que les revenus, eux, augmentent jusqu'à présent, heureusement, et dans une proportion plus importante que les charges; mais le jour où vous aurez l'effet contraire, avec un effet ciseau, on sera bien en peine de financer toutes les charges que vous souhaitez absolument dans cet Etat. Il est donc important, importantissime même, de garder une fiscalité attractive, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales, afin de garantir des prestations de qualité à la population. Je vous remercie.

M. Yves Nidegger (UDC). Chers collègues... Vous transmettrez, Monsieur le président, que je rêve de ce jour où le PLR agirait aussi bien qu'il parle. Ce serait un monde totalement différent, probablement un autre monde. La politique publique sur laquelle on doit se prononcer en ce moment est celle qui consiste pour l'Etat à prélever leur part - qu'on espère juste - dans les poches de ceux qui génèrent la richesse primaire dans ce canton. Ce n'est pas une politique publique, soyons clairs ! C'est le moyen nécessaire de les financer toutes. La seule chose sur laquelle on pourrait se prononcer, c'est l'anticipation de ce que seront les recettes, et la seule chose que l'on sache sur ce point, c'est qu'elle est fausse. Pour cette raison-là, nous allons refuser cette politique publique, comme les autres.

M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, le malaise grandit depuis le début de nos débats, parce que l'on rentre toujours plus dans l'insincérité de ce budget. Mme Fontanet - vous transmettrez - s'interrogeait dans la presse sur la sincérité budgétaire de la droite, qui propose des coupes sur les charges tout en disant: «Peut-être qu'on les remettra par la commission des finances.» On s'interroge également sur la sincérité du Conseil d'Etat, et particulièrement de sa grande argentière, qui sous-estime artificiellement les rentrées fiscales afin de créer un déficit et d'annoncer, comme elle l'a fait dans la presse, que si les comptes 2024 sont positifs, nous voterons des baisses d'impôts.

Ce jeu de dupes existait dans les rues de Genève, il s'appelait le jeu du bonneteau. Vous savez, il y a un bonneteur, un manipulateur, et des complices qui demandent: «Où est la balle ?» et qui entraînent des imbéciles ou des gens à essayer de trouver la clé du jeu. Au final, ceux-ci perdent, mais s'ils gagnent, les gros bras arrivent - on pourrait imaginer que ce serait l'UDC - pour intimider un tel ou un autre afin qu'ils rendent les gains. On a réussi à éradiquer le bonneteau dans les rues de Genève, mais il revient malheureusement dans le parlement et vaut des milliards.

Mon collègue Julien Nicolet-dit-Félix l'a dit avec une grande clarté: comptes 2022, 11,186 milliards, projet de budget 2024, 10 milliards de recettes prévues. Nous perdrions un milliard en deux ans, alors que tous les voyants de l'économie sont au vert. Entre les estimations fiscales faites en octobre 2023 et celles faites aujourd'hui, vous avez probablement omis de regarder les comptes de 2023, qui sont publiés, de Trafigura notamment, une des grandes multinationales du pétrole: ceux-ci présentent 300 millions de bénéfice de plus à l'échelle mondiale. Or, on sait qu'environ 10% de ses impôts sont payés ici; vous pouvez donc vous imaginer qu'il y aura 30 millions supplémentaires par rapport à l'année 2002, qui était déjà exceptionnelle. L'année 2022 ne sera pas du tout exceptionnelle, car 2023 sera une année encore plus exceptionnelle ! En outre, le rapport de la Banque cantonale de Genève sur les prévisions 2024 dit, en gros, que l'inflation est contenue, que le plein emploi est pratiquement acquis, que les conditions-cadres sont bonnes et que les fluctuations des prix de l'énergie sont en train de se stabiliser. Vitol et d'autres grands négociants du pétrole annoncent, eux aussi, des comptes florissants. Aussi comment - et j'entendrai volontiers les explications des joueurs de bonneteau - peut-on anticiper un milliard de baisse ?

Alors oui, gouverner, c'est prévoir. Mme Fontanet nous dira: «Je n'ai pas de boule de cristal», mais quand même ! Là, il y a des gogos ! On est en train de jouer à un jeu qu'on connaît bien et qui, depuis des décennies, vise à faire baisser artificiellement les revenus pour s'attaquer aux charges et à faire baisser celles-ci pareillement, pour qu'au final, aux comptes, on dise: «Regardez ! C'est magnifique ! On a des bénéfices et maintenant on peut baisser les impôts.» Les gogos, c'est évidemment la population genevoise qui - vous transmettrez à M. Zweifel - sait très bien sur le dos de qui les grands négociants de pétrole font de l'argent: sur le sien. A la fin du mois, quand elle voit l'augmentation des charges d'électricité et de mazout, elle sait très bien qui engrange les bénéfices et qui doit payer.

Vous transmettrez également, à propos de la RFFA: la RFFA, c'est une hausse d'impôts pour les grandes multinationales ! Sur ce point, on est dans le domaine de compétences de M. Zweifel, la fiscalité, mais lorsqu'il parle comme politicien, on connaît ses talents de rhétorique et d'enfumage dont il fait en l'occurrence pleinement usage.

Enfin, quant aux autorisations de dépenses, la droite baisse très concrètement les charges, attaque différentes prestations publiques en sachant très bien que les comptes seront bénéficiaires, et cela, pour nous, c'est inacceptable ! Ce budget est un jeu de bonneteau, un jeu de dupes et nous le refusons, bien évidemment, car les prévisions fiscales, et Mme Fontanet le sait, seront au-delà de ce qu'elle a prévu: les comptes seront largement bénéficiaires. C'est une honte de faire aujourd'hui ces économies sur le dos des Genevoises et Genevois ! Je vous ferai brièvement la liste des domaines en crise: l'éducation, les 9-15 ans (il existe un problème crasse de jeunes en désaffiliation, dans des situations psychosociales très compliquées), la crise du logement. Or, on a un budget artificiellement baissé, avec des charges encore plus comprimées, et cela, nous ne pouvons pas l'accepter. Merci. (Applaudissements.)

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Très rapidement, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais remercier mon préopinant qui relève le fait que, pour la plupart, nous sommes des miliciens et donc relativement peu compétents dans les domaines sur lesquels nous nous exprimons. C'est tout à fait mon cas: je n'ai pas la formation de fiscaliste de M. Zweifel. A la différence des autres, lorsque j'interviens, je m'informe au préalable, et pas nécessairement auprès des gens qui sont les plus proches de moi, puisque, ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, je me suis informé entre autres auprès d'Avenir Suisse: comme vous le savez, ce n'est pas vraiment une faîtière de gauche. Dans le rapport d'Avenir Suisse, qui classe Genève comme le champion de notre pays de l'erreur d'estimation, on se rend compte, contrairement à ce que M. Zweifel a sous-entendu tout à l'heure malgré ses talents de fiscaliste, qu'au cours des quinze dernières années, Genève s'est systématiquement trompé sur ses estimations fiscales, et cela dans des marges qui vont croissant. La seule année où la surestimation était extrêmement faible était 2015.

Sur cette base de travail... J'ai également mentionné les pages du rapport de majorité où l'économètre chargé de ces estimations s'est exprimé avec des arguments tout à fait convaincants pour certains; je ne remets pas ça en cause. C'est l'occasion de saluer la qualité du travail que nous pouvons faire à la commission fiscale, notamment grâce à l'excellence des employés et des cadres du département des finances, qui sont non seulement réactifs mais souvent très précis sur les questions que nous posons et qui, effectivement, aident l'autodidacte que je suis, comme M. Zweifel m'aide parfois sur des questions techniques. Je les salue d'ailleurs bien volontiers.

Sur la base de ces informations, nous pouvons développer un discours politique, que j'ai tenu tout à l'heure et que mon préopinant, Sylvain Thévoz, a tenu avec une verve à peu près équivalente: nous ne pouvons pas continuer à vivre dans une république où, quand on estime les recettes fiscales de l'année suivante, on ment tout bonnement aux citoyens. Je suis prêt à prendre un pari avec n'importe lequel ou laquelle d'entre vous, Mesdames et Messieurs du côté droit de l'hémicycle, sur la prévision fiscale: on se retrouvera dans une année et demie et la prévision telle qu'elle figure dans le budget - que nous allons voter ou non tout à l'heure - sera largement sous-estimée. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Sébastien Desfayes (LC). Je dois dire que j'ai été un peu interloqué en entendant le député Thévoz - vous transmettrez, bien entendu, Monsieur le président - dire qu'une baisse d'impôts sur le revenu des personnes physiques se ferait au détriment des Genevoises et des Genevois. Il faut savoir que ceux qui sont concernés par cette baisse d'impôts, c'est la majorité, plus précisément 63% de la population genevoise qui paie des impôts sur le revenu. Ce sont des gens qui, pour la plupart, pour la plupart - je parle de la classe moyenne -, ne bénéficient d'aucune subvention, mais sont pourtant confrontés aux hausses de toute sorte: hausse du loyer, hausse des crédits hypothécaires pour les propriétaires, hausse des primes d'assurance-maladie, hausse du prix des denrées alimentaires. Selon l'idéologie de Sylvain Thévoz, ne devrait-on rien faire pour ces gens ? Ils ont besoin d'une baisse d'impôts et cette baisse d'impôts aura lieu ! D'ailleurs, et je tiens à rassurer la gauche, que les comptes soient positifs ou déficitaires, une baisse d'impôts sera votée; c'est un engagement pris par la majorité du parlement.

Je dois dire que ce qui fait froid dans le dos, quand on siège à la commission fiscale, c'est de s'apercevoir que l'avenir financier du canton dépend d'une très courte majorité. Je souhaite faire un peu d'anticipation - il importe de le faire -, mais ce n'est malheureusement pas une anticipation aussi joyeuse qu'un roman de Jules Verne: imaginons que la gauche soit un jour majoritaire dans ce parlement et à la commission fiscale. Cette hypothèse apparaît improbable, quand bien même on a vu ces deux jours que la gauche cherchait à acheter une clientèle et voulait distribuer, comme Crésus, les deniers dans le cadre d'un système qui a montré toute son efficacité en Ville de Genève. Imaginons un instant que la gauche soit majoritaire à la commission fiscale et au parlement. Qu'est-ce qui se produirait à Genève ? On aurait une augmentation de l'imposition des personnes physiques, une augmentation de l'imposition des personnes morales, une augmentation de l'imposition sur la fortune, on aurait un retour de l'imposition sur les successions en ligne directe, on aurait une augmentation de l'imposition sur les successions (je parle du taux), une augmentation de l'impôt immobilier complémentaire, une augmentation du taux d'intérêt dû par les contribuables à l'administration fiscale, une augmentation de l'imposition des dividendes, on aurait toutes les augmentations d'impôts possibles. Le résultat de cette politique-là serait la ruine du canton, parce que précisément les contribuables, les rares contribuables - cela fait rire M. Nicolet-dit-Félix -, les très rares contribuables dont dépendent les finances du canton partiraient. On veut casser le jouet; par idéologie, on veut détruire ce qui a pourtant fait la prospérité du canton. Je trouve ça consternant ! Ce qui intéresse la gauche, c'est d'obtenir des majorités et de défendre son idéologie et non le bien commun. Merci.

M. Sylvain Thévoz (S). Je réponds brièvement à M. Desfayes et à M. Zweifel - vous transmettrez - pour faire un peu de «fact checking». M. Zweifel dit en gros que quand on effectue des dépenses, on ne peut pas revenir en arrière après et qu'elles ne cessent de croître. Comptes 2022: 10,459 milliards de charges; projet de budget 2024: 10,367 milliards ! Les prévisions de dépenses sont donc inférieures aux charges de 2022; et ce minimum, vous voulez encore le diminuer, vous voulez baisser ces 10,367 milliards ! A nouveau, vous nous enfumez, vous ne racontez pas tout à fait la vérité des chiffres.

Quant à M. Desfayes - vous transmettrez -, lui, il est vraiment le roi du bonneteau ! On ne parle plus du budget 2024, on parle de l'idéologie de la gauche. Nous, nous parlons très concrètement des besoins des gens et de leur besoin impératif d'avoir des prestations publiques de qualité. Demandez aux habitants de cette ville s'ils préfèrent avoir 60 francs de baisse d'impôts, comme vous le proposez, ou des écoles de qualité, ou une police de qualité, comme l'a rappelé Mme Kast, ou une sécurité routière. Si ce débat était posé correctement, comme nous essayons de le faire aujourd'hui et tout au long de l'année, la réponse serait claire: pas de baisses d'impôts, parce qu'elles péjorent des prestations publiques de qualité qu'une grande partie du monde nous envie, mais qui nécessitent des investissements et un renforcement. Cette façon d'aller à tout prix vers une baisse d'impôts en anticipant de manière erronée les recettes - vous transmettrez à Mme Fontanet - est perverse, car au final, vous péjorez concrètement la qualité de vie des Genevoises et des Genevois et même notre économie, nos PME, qui ont besoin d'une éducation forte, d'une sécurité et de transports efficaces. C'est évidemment pernicieux, dangereux, avec ce jeu de bonneteau auquel, Monsieur Desfayes - vous transmettrez -, vous excellez, malheureusement pour Genève.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Zweifel. (Le président prononce le nom de M. Yvan Zweifel de manière erronée. Rires.)

M. Yvan Zweifel (PLR). Je me réjouis de l'année prochaine ! (L'orateur rit. Rires.) Merci, Monsieur le président. Je voulais proposer un amendement - mais je ne le ferai pas - pour la création de deux ETP au département de Mme Fontanet spécialisés dans les estimations fiscales, et j'aurais voulu proposer que MM. Thévoz et Nicolet-dit-Félix y postulent... (Rires.) ...puisque apparemment, ils sont meilleurs que toute l'administration pour savoir quelles seront les recettes fiscales et les estimations, basées sur des calculs mathématiques peut-être trop complexes, peu importe, et par ailleurs vérifiés par la Cour des comptes il y a quelques années. Je suis sûr que Mme Fontanet y fera référence tout à l'heure.

Si vous vous arrêtez systématiquement aux années 2022, 2021 et 2020, qui ont connu des crises... 2020, c'était évidemment le pompon: un budget 2021 voté en décembre 2020, c'est-à-dire en plein milieu de la deuxième vague covid, avec des aides monumentales accordées par l'intégralité de ce parlement. Il est évident que la situation n'a ensuite pas été la même, et tant mieux ! On s'est retrouvé dans une situation largement bénéficiaire, et tant mieux ! Mesdames et Messieurs, je crois que si on s'arrête juste sur ce point, ce n'est pas du «fact checking», Monsieur Thévoz. Mais je vais vous en faire, puisque vous en voulez !

Entre 1998 et 2022, il y a eu des baisses importantes d'impôts, notamment l'initiative -12% votée par le peuple (c'était en 1999, l'entrée en vigueur était en 2000), et en 2009, une baisse pour la classe moyenne, à savoir l'instauration du bouclier fiscal. Ce sont des baisses d'impôts qui, selon les propos de M. Thévoz, auraient dû engendrer des économies terribles pour la population. Quels sont les chiffres ? Je vous les donne. Entre 1998 et 2022, la population a crû de 114 780 personnes, donc de 28%. Les recettes fiscales, Mesdames et Messieurs, ont baissé... Ah ben non ! (Rires.) Elles ont monté de 5,7 milliards, soit de 160%, malgré - pardon, à cause, ou plutôt grâce à ces baisses fiscales, qui ont donc porté leur fruit. Est-ce que ces baisses fiscales ont engendré des baisses de prestations, c'est-à-dire des baisses de charges de l'Etat ? Je le rappelle, la population a augmenté de 28%. Les totaux des charges de l'Etat ont baissé... Ah non ! (Rires.) Les charges de l'Etat ont augmenté de 4,9 milliards, c'est-à-dire de 90% par rapport à une augmentation de 28% de la population. Vous voulez du «fact checking» ? Ça, c'est du «fact checking», Monsieur Thévoz !

Pour le reste - on l'a souligné -, la réflexion a déjà été menée tant par l'administration que par le Conseil d'Etat. Vous êtes en train de nous parler des comptes 2023, qui seront probablement positifs - encore une fois, tant mieux -, pour les comparer avec le budget 24: or, ce sont les comptes 24, dans un an et demi, qui nous diront ce qu'il en est par rapport à ce budget 24. Si en 2024 la réalité est effectivement meilleure que les estimations - encore une fois, tant mieux -, qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'on aura créé des excédents. A quoi serviront-ils ? A rembourser la dette, qui est, par habitant, la deuxième la plus élevée de tout le pays, c'est-à-dire à éviter de reporter son poids sur nos enfants et nos petits-enfants ! Oui, c'est la réalité ! Elle n'est pas celle des estimations dans un sens positif du terme. J'en serai ravi, et j'espère que vous le serez également, puisque comme ça, on aura enfin remboursé notre dette.

Je vous invite encore une fois non seulement à voter cette politique publique I, mais encore à voter les futures baisses d'impôts, dont les chiffres nous montrent qu'elles sont totalement absorbables et qu'elles seront bénéfiques non seulement pour l'Etat mais aussi pour les contribuables !

Une voix. Bravo !

M. Sylvain Thévoz (S). Sans vouloir rallonger, Mesdames et Messieurs, méfiez-vous quand le PLR fait du «fact checking», car c'est la même situation que quand un joueur de bonneteau vous invite à jouer: M. Zweifel - vous transmettrez - joue avec les chiffres et les concepts. L'augmentation des recettes est due à une croissance extraordinaire, c'est vrai, mais elle n'est pas corrélée aux baisses d'impôts. Elle est le résultat direct de la situation extrêmement privilégiée de Genève. Malgré des baisses d'impôts, il y a une croissance des recettes, c'est vrai. Cela ne signifie toutefois pas qu'il faut à tout prix comprimer les nécessités et les dépenses, et encore moins qu'il faut s'appuyer, comme vous le faites faussement en disant: «Tant mieux si les comptes seront positifs, on pourra ainsi rembourser la dette et baisser les impôts»... On voit là le mécanisme de dupes qui est à l'oeuvre et que vous alimentez. Pourquoi le PLR, qui veut absolument que l'Etat rembourse sa dette, encourage-t-il les banques, les gros propriétaires à en contracter ? Il y a là deux poids, deux mesures. Nous défendons un Etat fort, des prestations, parce qu'il est nécessaire pour les habitants et habitantes qu'on réponde à leurs besoins; aujourd'hui, ce n'est malheureusement pratiquement plus le cas. Merci beaucoup.

Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés - vous transmettrez, Monsieur le président de séance -, j'espère que M. Thévoz se sent mieux après avoir pu vider son sac, porter des accusations de mensonge et accuser la conseillère d'Etat que je suis de jouer au bonneteau avec les recettes fiscales, de mentir, de cacher des revenus. J'espère véritablement que ça l'a soulagé et que ses proches, sa famille verront moins d'agressivité dans son comportement habituel grâce à cela. Vous transmettrez, hein ! Mesdames et Messieurs les députés, à un moment donné, il faut quand même avoir un minimum de bonne foi ! Traiter l'administration et la conseillère d'Etat que je suis de menteuses, les accuser de jouer au jeu du bonneteau avec les revenus de la population, c'est tout à fait inacceptable !

Lorsque nous avons présenté le projet de budget 2022, nous étions début 2021 et nous n'avions absolument aucune idée de ce qui allait se passer, nous ne connaissions pas la guerre en Ukraine et nous ne connaissions pas non plus le poids que prendraient certaines activités d'entreprises que nous avons la chance d'avoir dans notre canton. Quand nous avons pris connaissance des comptes 2022, c'était au début 2023, soit près de deux ans après. Alors oui, cela fait rire, lorsque je dis que nous n'avons pas de boule de cristal, et je me réjouis que certains rient, mais prétendre que la conseillère d'Etat que je suis mentirait... Il me semble que dans le cadre de ces débats sur le projet de budget, c'est une des premières fois, depuis hier, qu'un groupe attaque nommément une conseillère d'Etat. J'aimerais rappeler que les projets de budget sont établis et les décisions sur les estimations fiscales prises par le Conseil d'Etat dans son ensemble, qu'ils l'ont toujours été et que nous nous prononçons ensemble grâce au travail d'une administration performante - parce que derrière ces accusations, il y a aussi des critiques graves à l'encontre de l'administration, et je soulignerai que nous nous prononçons sur la base de l'examen performant fait par l'administration.

Alors oui, nous avons vécu des crises; cela a effectivement eu une influence sur les recettes fiscales. Il faut néanmoins rappeler certains éléments qui ont déjà été soulignés par le député Zweifel. Contrairement aux autres cantons sauf Zurich, le canton de Genève applique les normes IPSAS. Celles-ci ont pour conséquence que nos comptes sont délimités dans la durée, c'est-à-dire que lorsque nous avons des résultats qui sont positifs, ils sont affectés à l'année qui les concerne et non pas à l'année pendant laquelle nous retenons les montants pour la fiscalité. Je vais m'exprimer plus clairement, excusez-moi: nous avons chaque année des correctifs. Les comptes 22, aussi positifs, étaient liés aux correctifs des années 20 et 21. Mesdames et Messieurs, à chaque compte, de même qu'à chaque budget, l'ensemble des revenus fiscaux est estimé. (L'oratrice insiste sur le mot «estimé».) Il n'y a aucune réalité ! Le tout est estimé, c'est le modèle que nous avons. Cela signifie qu'aux comptes 2022, nous avons effectivement dû appliquer les correctifs des rentrées fiscales des années 2019, 2020, 2021, qui viennent gonfler et renforcer les montants visibles sur les comptes 2022.

Alors vous permettrez que lorsque nous faisons les estimations sur le budget 24, nous ne puissions pas tenir compte de ces correctifs ! Les années 2019, 2020, 2021 et 2022 ont leur taxation avancée, voire, pour la plupart, sont déjà entièrement taxées, et on ne peut pas reporter à nouveau ces correctifs sur les années à venir. Le Conseil d'Etat s'est néanmoins montré sensible à la situation que nous vivons, à savoir le fait que certains groupes se servent des comptes des années suivantes pour dire que le budget aurait pu être bien supérieur et pour relever la discrépance entre les estimations fiscales réalisées au moment du vote du budget et les estimations fiscales réalisées au moment des comptes - ce sont à nouveau toujours des estimations.

Dans ce contexte, sur la proposition de l'administration fiscale cantonale, le Conseil d'Etat a décidé d'introduire une moyenne de correctifs dans les projections pour éviter de nous retrouver, comme dans le cas des comptes 2022, avec des correctifs extrêmement importants liés aux résultats 19, 20, 21. Ces correctifs ont été pris en compte dans le cadre du projet de budget 24, c'est-à-dire qu'on a rajouté des montants importants - on l'a expliqué à la commission des finances - sur les revenus des personnes morales, sur les revenus, toujours estimés, des personnes physiques et aussi sur les revenus d'impôts divers; mais cela n'empêchera pas qu'il est probable que nous aurons des comptes 23 positifs, cette modification n'ayant pas été faite dans le cadre du projet de budget 23.

Je me contente de citer les documents qui vous sont remis, Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas une information que je lance comme cela, pour faire penser que nous pourrons effectuer une baisse d'impôts; nous vous avons remis dans le cadre du plan financier quadriennal l'estimation des revenus à venir, respectivement l'estimation de la dette. On constate que ces revenus sont estimés moins bons; ils ne sont pas estimés moins bons parce que les années 20, 21 et 22 ont été moins bonnes, mais parce que nous recevons les projections des entreprises (les projections de ce que nous appelons le panel) qui, je ne vous le cache pas, Mesdames et Messieurs, ne voient pas 2024 comme une année florissante. Toutefois, on ne sait pas ce qui va se passer en 2024; on rencontre là un élément qui nous est partiellement inconnu et qu'on ne peut pas prédire.

Cela dit, Mesdames et Messieurs les députés - je l'assume et je crois que le Conseil d'Etat est partiellement d'accord avec nous -, si je dois choisir entre avoir des comptes positifs à présenter à votre Conseil et à la population et avoir des comptes négatifs, je choisis les comptes positifs. Il se trouve cependant que je n'ai pas à choisir, parce que c'est un travail scientifique, qui est réalisé par mon administration et qui fera l'objet de modifications, comme cela a été annoncé, déjà pour l'année 2024. Dans ce contexte, certains reproches ne sont pas acceptables.

Le jeu de dupes, le jeu du bonneteau, ce n'est pas le Conseil d'Etat qui en est responsable, ce n'est pas le Conseil d'Etat qui l'applique. Ce sont encore moins les membres de l'administration ou de l'administration fiscale cantonale ! Mesdames et Messieurs, ce n'est pas parce que des comptes sont positifs, ou qu'ils pourraient l'être, que l'argent peut être dépensé plus librement. En revanche, le Conseil d'Etat vous a présenté un projet de budget qu'il a soutenu dans son unanimité. Je le répète: l'unanimité du Conseil d'Etat a soutenu le projet de budget. Celui-ci a aujourd'hui été coupé, ce que l'ensemble d'entre nous regrette, non pas parce que nous aurons des comptes positifs, mais parce que ce projet de budget correspondait aux besoins des différents départements, aux besoins de la population, il ne faisait pas de cadeaux, il prenait en compte une augmentation de la précarité et certaines augmentations de besoins.

S'agissant de la baisse d'impôts, cela non plus, ce n'est pas une invention de Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat, comme aimerait le faire croire M. Thévoz - vous transmettrez, Monsieur le président de séance. C'est une décision du Conseil d'Etat, qui a été annoncée très rapidement après notre élection, dans le discours de Saint-Pierre, et qui a ensuite été confirmée dans le cadre du programme de législature. Le Conseil d'Etat partage l'avis que les impôts des personnes physiques doivent être baissés, car Genève est le canton dans lequel le taux d'imposition est le plus élevé et le canton dans lequel, en raison des charges fixes extrêmement élevées, les citoyennes et les citoyens ont le moins de revenus disponibles à la fin du mois. Dans ce contexte, le Conseil d'Etat souhaite instaurer une baisse d'impôts.

J'ajoute un mot sur la question de la dette, qui est souvent évoquée dans les différents débats. J'aimerais rappeler que notre dette est importante, que nous avons financé la recapitalisation de la caisse de pension, qu'un montant de 1,5 milliard a été versé en remboursement de cette recapitalisation et que malgré ce milliard de remboursement de la recapitalisation de la caisse de pension, sur les plus de 6 milliards de son coût global, la dette a baissé au cours des années. En 2014, la dette connaissait son montant le plus haut et atteignait 13,4 milliards; je vous l'ai déjà annoncé, la dette devrait encore baisser à fin 2023 et être très largement en dessous des 11 milliards. Là non plus, cette information n'est pas secrète, connue de Nathalie Fontanet seule, mais elle figure dans tous les documents qui vous ont été remis sur l'évaluation de la dette, à la fin du PFQ notamment.

Mesdames et Messieurs, notre situation est enviable; nous avons des revenus fiscaux qu'aucune, je dis bien aucune collectivité en Europe ne peut se vanter d'avoir; nous avons des revenus fiscaux par personne physique qui dépassent les revenus par personne physique en Europe; notre dette est maîtrisée, ses coûts aussi - que cela plaise ou non -, parce qu'en 1997, elle nous coûtait 425 millions de francs par année et qu'en 2024, elle devrait nous coûter 120 millions. Nous ne sommes pas à l'abri des risques financiers, mais il se trouve que mon administration gère avec beaucoup de prudence cette dette grâce à des prêts à taux longs, à des prêts à taux courts, qui nous permettent d'assurer un financement pérenne de l'Etat de Genève. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Le président. Je vous remercie, Madame la présidente du département. Mesdames et Messieurs, il n'y a pas d'amendements, nous allons donc procéder au vote sur la politique publique I.

Mise aux voix, la politique publique I «Impôts et finances» est adoptée par 53 oui contre 14 non et 30 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Une voix. S'il n'y a pas de revenus, il n'y a pas de problème ! Là, vous pourrez vous plaindre !

Le président. Nous passons à la politique publique J «Justice». La parole est sollicitée par Mme Dilara Bayrak.

Mme Dilara Bayrak (Ve). Merci, Monsieur le président de séance. Quelques mots sur la justice et les montants qu'il est proposé de réintroduire par les amendements. Un certain nombre de coupes ont été opérées par la commission des finances. J'ai de la peine à les comprendre, puisqu'on nous répète sans cesse qu'il faut respecter la séparation des pouvoirs, ne pas se mêler des lois sur l'organisation judiciaire, laisser le Pouvoir judiciaire s'autogérer. En parallèle, on soutient aussi que la justice est lente, défectueuse, qu'il y a plein de dysfonctionnements au sein du système judiciaire genevois, que les décisions prennent trop de temps pour être rendues, que les collaborateurs sont complètement sous l'eau car il y a de plus en plus de procédures.

Tout cela pour aboutir à des suppressions de postes au sein du Pouvoir judiciaire ! Je le dis en anglais, parce qu'il s'agit d'une expression anglophone: «Make it make sense.» Cela ne fait aucun sens ! Cela ne fait aucun sens de se plaindre constamment du fonctionnement de la justice, de la lenteur des procédures, des manquements par exemple au TPAE qui demande ici d'être renforcé, puis de couper des postes là où il y en a besoin.

Encore une fois, c'est une incohérence, une incohérence qui se paie cher, avec une justice mal perçue par la population, des prises de parole systématiques des citoyens qui protestent que la justice n'est pas juste. A mon avis, cette phrase doit nous interpeller: quand les gens nous indiquent que la justice n'est pas juste, que le système est corrompu, cela doit nous faire réagir. Ces personnes sont extrêmement préoccupées par la manière dont fonctionne le système, notamment par la lenteur des procédures.

Présidence de Mme Céline Zuber-Roy, présidente

Pour toutes ces raisons - et j'imagine que l'ensemble des amendements seront défendus par le Conseil d'Etat -, j'invite les députés à se ressaisir, à voter ces postes, à tendre l'oreille vers toutes les personnes qui se plaignent que leurs cas traînent devant les tribunaux depuis des mois et des mois, voire des années et des années. Je pense qu'il est très important que nous écoutions les citoyens et que nous agissions en conséquence. Merci.

La présidente. Merci, Madame la députée. Je salue à la tribune la présence de notre ancien collègue et actuel conseiller national, M. Cyril Aellen, ainsi que de notre ancien collègue, M. Georges Vuillod. (Applaudissements.) La parole va à M. Grégoire Carasso.

M. Grégoire Carasso (S). Merci, Madame la présidente. Chers collègues, comment ne pas faire référence aux deux plaidoyers du procureur général, M. Olivier Jornot, devant la commission des finances ? Pas besoin d'invoquer les étiquettes partisanes; pas besoin non plus de faire allusion à de quelconques juristes cachés que mon collègue Zweifel - vous transmettrez, Madame la présidente - pourrait avoir envie de chercher dans l'administration. Eh non, parce que les juristes cachés, s'il y en a, se trouvent à Berne. Le hasard fait parfois bien les choses: il se trouve que l'un de nos anciens collègues nous écoute à l'instant !

En effet, ce sont des juristes - ou plutôt des élus PLR majoritaires à Berne ainsi que des parlementaires UDC - qui ont révisé le code de procédure pénale, ce qui aura pour conséquence à Genève mille audiences supplémentaires. Mille audiences supplémentaires simplement en raison de décisions prises par une majorité de droite PLR-UDC aux Chambres fédérales ! Alors oui, quand on intervient à un certain niveau institutionnel, souvent, peu importe les répercussions, en l'occurrence budgétaires, pour les échelons inférieurs.

Le Pouvoir judiciaire est dirigé depuis de très nombreuses années par un magistrat PLR qui, pour la première fois en dix ans, sollicite neuf postes de magistrats supplémentaires et trente collaboratrices et collaborateurs pour les accompagner, un ratio qui a fait débat en commission. C'était tellement touchant de voir le procureur général donner des explications, les députés PLR ne pas oser lever le petit doigt jusqu'à ce qu'il sorte pour ensuite remettre maladroitement, timidement en question le ratio évoqué, à savoir environ 2,5 collaborateurs par juge.

Or il s'agit d'un ratio que l'on peut déjà considérer comme trop faible. Comme dans une étude privée d'avocats, plus les associés sont entourés de collaborateurs, plus l'efficacité augmente. La même démonstration a été faite en commission par le procureur général, qui nous a expliqué que ces neuf postes de magistrats et les trente collaboratrices et collaborateurs qui les accompagnent correspondent à un besoin urgent lié aux mille audiences supplémentaires qui devront être menées en 2024 du simple fait que le code de procédure pénale a été modifié et qu'il entrera en vigueur le 1er janvier.

Je terminerai, Madame la présidente, en évoquant, dans cette même enveloppe, les deux juges pour le tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant. On parle là de personnes sans doute parmi les plus fragiles à Genève et d'un tribunal qui a du mal à suivre le rythme, qui est régulièrement mis à l'index par les administrés dont il s'occupe, par les médias, parfois aussi par ce parlement, et vous, Mesdames et Messieurs les élus du PLR et de ses filiales de droite, du centre et d'ailleurs, vous refusez à cette juridiction des moyens essentiels non pas pour augmenter la qualité des prestations, mais simplement pour essayer de rattraper les retards.

Vous pourrez soutenir ce que vous voudrez, mais typiquement, s'agissant de la politique publique J, en refusant ces postes, vous péjorez les prestations livrées à la population; de manière générale, vous ralentissez un peu plus encore la justice, et c'est regrettable, pour ne pas dire lamentable. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

La présidente. Je vous remercie. Il y a eu un petit souci dans le chronométrage, vous avez été identifié comme membre du groupe des Verts; trois minutes passeront donc des socialistes aux Verts. Pour conclure, je donne la parole à Mme la conseillère d'Etat Carole-Anne Kast.

Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, lors de l'examen des comptes, je vous avais indiqué que je fonctionnerais comme agente de liaison vis-à-vis du Pouvoir judiciaire pour défendre par-devant votre Grand Conseil ses besoins, ses préoccupations, ses requêtes. Je le fais avec d'autant plus d'aisance que cela va dans la droite ligne de la politique publique H que je défendais tout à l'heure. En effet, nous sommes dans un domaine où nous n'avons pas le contrôle du flux de la demande, et il n'est pas question de choisir de ne pas délivrer telle ou telle prestation. Je le répète: l'input n'est pas sous le contrôle de l'administration qui s'en occupe.

Au sein du Pouvoir judiciaire, l'argumentaire qui a été développé pour le rétablissement de six postes sur les onze demandés met en avant des besoins criants. D'une part, un renforcement du Ministère public est nécessaire en raison d'une modification du code de procédure pénale à l'échelle fédérale. Ceux qui siègent à la commission judiciaire le savent bien, puisque nous avons bouclé ce dossier il y a une semaine: nous n'avons pas voulu ces changements, ils nous ont été imposés par la Confédération. Le Ministère public a expliqué l'énorme charge de travail que cette modification législative allait engendrer, avec près de mille audiences supplémentaires à la clé.

Mesdames et Messieurs les députés, comment entendez-vous faire face à mille audiences supplémentaires à personnel constant ? Ce n'est tout simplement pas possible. En l'occurrence, on ne peut pas juste avancer qu'il suffit de se réorganiser, de trouver des ressources ailleurs; la politique publique J fonctionne par elle-même, la justice ne peut pas chercher des forces dans l'administration.

D'autre part, il faut de nouveaux postes au tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant. Comme cela vient d'être rappelé, cette juridiction, qui affronte une augmentation vertigineuse des dossiers, traite de la vie des citoyennes et des citoyens, doit se pencher sur des situations complexes et des personnes émotionnellement fragiles, et prendre le temps d'auditionner les gens. Si elle ne le fait pas ou ne dispose pas des moyens pour le faire, elle s'expose au risque de ne pas être comprise ou de rendre une justice pouvant être considérée comme aveugle par certains administrés.

Il est absolument fondamental que les projets que nous vous soumettons, que vous étudiez dans vos commissions en pointant du doigt un certain nombre de problématiques, débouchent sur quelque chose de concret en vue d'une amélioration, dans le but que les citoyennes et citoyens de ce canton soient mieux traités. Je ne comprends pas, s'agissant d'un côté d'une contrainte imposée par Berne, de l'autre d'un constat largement partagé par votre parlement, à savoir qu'il y a lieu de mieux traiter les citoyens devant les tribunaux, sachant par ailleurs que l'administration, le Conseil d'Etat et le Grand Conseil souhaitent des réformes dans ce cadre, pourquoi vous refusez d'accorder des ressources pour les mener.

Le dernier amendement concerne des charges contraintes, à savoir les expertises. Là encore, nous n'avons pas le choix des inputs: lorsque des crimes sont commis et que des prélèvements ADN sont nécessaires, il faut bien les commander, c'est la procédure qui l'exige, il ne revient pas au Ministère public de choisir de le faire ou pas. Il en va de même des traducteurs qui sont prévus par le droit dans le cadre de certaines auditions, il en va de même de toute une série d'éléments, il en va de même de l'assistance judiciaire qui doit être garantie, parce qu'il s'agit d'un droit; lorsque les conditions sont remplies, il faut l'accorder.

Alors, Mesdames et Messieurs, vous pouvez voter ou non la nature 31, nous savons tous quelle en sera la conséquence: comme il s'agit de charges contraintes, celles-ci reviendront sous forme de crédits complémentaires, de la même manière que le Pouvoir judiciaire est revenu devant vous la semaine dernière pour réclamer 3,5 millions liés à ce type de charges. L'enjeu ici, c'est simplement la sincérité budgétaire. Nous ne saisissons pas pourquoi, face à des aspects imposés par la loi, sur lesquels nous n'avons aucune prise, une majorité du Grand Conseil s'obstine à vouloir cacher la vérité aux citoyens. Cela coûtera ce que le droit nous demande de mettre en oeuvre, et le montant défini au budget n'y changera pas grand-chose in fine. Je vous invite à soutenir les amendements du Conseil d'Etat qui relaient les besoins du Pouvoir judiciaire afin de réintroduire les postes dans ces deux juridictions qui en ont cruellement besoin. Merci, Madame la présidente.

La présidente. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous sommes en procédure de vote. Il y a tout d'abord un amendement de Mme Marti et cosignataires qui prévoit un montant de +2 319 482 francs. Le vote nominal est sollicité. (Appuyé.)

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 61 non contre 33 oui et 2 abstentions (vote nominal).

La présidente. Le Conseil d'Etat propose ensuite une augmentation de 610 420 francs.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 58 non contre 33 oui et 4 abstentions.

La présidente. Pour finir, le gouvernement nous soumet la requête suivante: +1 577 000 francs. Nous sommes encore saisis d'une demande de vote nominal... qui est soutenue.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 59 non contre 33 oui et 4 abstentions (vote nominal).

Mise aux voix, la politique publique J «Justice» est adoptée par 51 oui contre 12 non et 33 abstentions.

Votes nominaux relatifs à la politique publique J

La présidente. Je suspends ici les débats. Voici un point de situation en ce qui concerne les temps de parole: le rapporteur de majorité dispose encore de vingt minutes, la rapporteure de première minorité de cinq minutes quarante, la rapporteure de deuxième minorité de neuf minutes et le rapporteur de troisième minorité de vingt et une minutes trente. En outre, il reste vingt-quatre minutes au PLR, quatorze minutes aux socialistes, onze minutes aux Verts, quarante-quatre minutes au MCG, dix minutes à l'UDC, quarante-sept minutes à LJS et trente-deux minutes au Centre.

Sixième partie des débats sur le budget 2024 (fin du 2e débat et début du 3e débat): Séance du vendredi 15 décembre 2023 à 14h

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes attendus dans la cour pour la traditionnelle soupe de l'Escalade offerte par les maraîchers genevois, que nous remercions. (Applaudissements.) Je vous souhaite un bon appétit ! Nous reprendrons nos travaux budgétaires à 14h tapantes.

La séance est levée à 11h50.