Séance du
jeudi 23 novembre 2023 à
20h45
3e
législature -
1re
année -
6e
session -
36e
séance
PL 12377-B
Premier débat
La présidente. Mesdames et Messieurs, nous poursuivons nos travaux avec le PL 12377-B, qui est classé en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité, rédigé par mes soins, est aimablement repris par Mme Joëlle Fiss. S'agissant du rapport de troisième minorité de Mme Aude Martenot, puisque le groupe Ensemble à Gauche ne fait plus partie de ce Grand Conseil, il ne sera pas présenté. Madame Fiss, c'est à vous.
Mme Joëlle Fiss (PLR), rapporteuse de majorité ad interim. Merci beaucoup, Madame la présidente. Effectivement, j'ai l'honneur de reprendre le rapport de majorité dont vous êtes l'auteure.
Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le PL 12377 vise à modifier l'article 15 de la constitution genevoise dans le but d'allonger la liste des discriminations interdites dans le droit. Après des discussions lors de la précédente législature, voici le second passage de ce texte en plénière. Pour rappel, la proposition initiale consistait à ajouter l'identité de genre à la liste exemplative.
Il y a plusieurs raisons pour refuser cet objet proposé à la base par Ensemble à Gauche lors de la dernière législature. D'abord, que les choses soient claires: l'interdiction des discriminations constitue un principe général garanti par le droit fédéral.
Ensuite, la loi générale sur l'égalité et la lutte contre les discriminations, soit la L 13279 que j'aime appeler la loi Fontanet, a été adoptée en mars 2023 et couvre parfaitement le sujet. Son article 1 recense entre autres les discriminations basées sur «le sexe, l'orientation affective ou sexuelle, l'identité de genre, l'expression de genre, l'intersexuation» parmi d'autres.
Faut-il par ailleurs rappeler que l'article 15 de la constitution genevoise mentionne que «toutes les personnes sont égales en droit» et que «nul ne doit subir de discrimination» ? La liste de l'article 15 ne prétend en rien être exhaustive, il s'agit d'une liste exemplative.
Mais l'argument le plus important, c'est qu'il ne faut surtout pas oublier que les droits de l'homme sont universels. A force de vouloir visibiliser certains combats, comme le proposent les rapporteurs de minorité, on affaiblit l'architecture des droits de l'homme dans son ensemble. Je dois dire avec regret qu'il s'agit d'une vision quelque peu wokiste des droits fondamentaux. Pourquoi ? Parce que les partisans du wokisme critiquent l'universalité des droits de l'homme, estimant qu'elle masque les différences de chacun; selon eux, les luttes spécifiques deviennent invisibles. Or cette lecture démontre une alarmante incompréhension de ce qu'est une valeur dite universelle. En réalité, c'est exactement le contraire: depuis les Lumières, les valeurs universelles visent à assurer l'égalité de chacun et de chacune devant la loi en dépit des différences.
La vérité, c'est qu'on ne pourra jamais recenser toutes les formes de discrimination, de nouvelles variantes vont malheureusement apparaître. Imaginez un instant si une nouvelle discrimination émergeait, par exemple - allez, au bol - envers toutes les personnes aux cheveux blonds, yeux verts et portant un tee-shirt bleu: ce n'est pas parce que ces personnes-là ne sont pas explicitement mentionnées dans la constitution que leur droit à l'égalité et à la non-discrimination ne s'applique pas.
Tout le monde n'est pas uniforme, mais tout le monde est égal. Par conséquent, hiérarchiser les victimes n'a aucun sens. J'ajouterai enfin que l'égalité de tous devant le droit n'enlève en rien l'importance d'étudier la spécificité de chaque forme de discrimination; chaque intolérance est ancrée dans son propre contexte sociohistorique et nécessite une réponse ciblée en fonction de sa dynamique distincte. Aussi, l'un n'exclut pas l'autre. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo.
M. Yves de Matteis (Ve), rapporteur de première minorité. Je ne vais pas relire mon rapport de minorité, il est disponible sur le site du Grand Conseil. J'aimerais en revanche préciser un élément qui n'a pas été évoqué jusqu'à présent, à savoir que c'est suite à une méprise - c'est du moins ce que m'avait indiqué un membre de la commission concernée de la Constituante - que l'identité de genre n'a pas été incluse dans l'article 15. En effet, seule l'orientation sexuelle y a été inscrite, certains constituants et certaines constituantes pensant que les deux termes, orientation sexuelle et identité de genre, étaient équivalents ou synonymes. En raison de cette lacune, le groupe à l'origine du projet de loi a demandé l'ajout de l'identité de genre.
Toutefois, au cours des débats de notre commission des Droits de l'Homme, il est également apparu que d'autres catégories de personnes n'étaient pas citées dans cet article antidiscriminatoire de notre constitution. Si l'on examine la Constitution fédérale, l'article 8 précise que personne ne peut être discriminé du fait de son âge - on pense aux enfants, aux jeunes ou aux seniors - ou de son sexe - il est ici avant tout question des femmes. Rien de tout cela dans notre charte cantonale - et je ne pense pas qu'on puisse soupçonner les auteurs de la Constitution fédérale de wokisme.
Contrairement à la Constitution fédérale, la constitution genevoise n'interdit donc pas les discriminations basées sur l'âge (enfants, jeunes, seniors) ou le sexe (femmes), ce qui est déjà en soi une incongruité par rapport au droit supérieur; une incongruité d'autant plus patente quand on regarde ce qui se passe à l'étranger: de nombreux pays - quasiment tous - disposent qu'on ne peut pas être discriminé du fait de son âge, de son genre, de son sexe et, parfois même, de son identité de genre.
Le 9 mai 2019, la commission des Droits de l'Homme a donc voté l'ajout des critères de l'âge, du sexe, de l'identité de genre et de la structure familiale dans l'article «Egalité» de notre constitution. La majorité d'alors était constituée d'Ensemble à Gauche, du parti socialiste, du groupe Vert et du PDC - qui ne s'appelait pas encore Le Centre. Il a semblé assez logique à la commission d'ajouter le critère de l'âge, qui concerne la totalité de la population, puisque nous avons tous été enfants et jeunes et que nous serons pour la plupart d'entre nous des seniors. La même majorité a également trouvé pertinent d'inclure le critère du sexe, qui concerne plus de la moitié de la population, à savoir les femmes. Quant aux situations familiales, évidemment qu'elles méritaient aussi d'être intégrées à cette disposition, ce qui a justifié le vote.
Malheureusement, le texte a été renvoyé à nouveau en commission et, cette fois-ci, quatre votes négatifs du PDC - qui a changé d'avis -, du PLR et de l'UDC ont eu raison des trois votes favorables d'Ensemble à Gauche, du parti socialiste et du groupe Vert. A noter que le MCG s'est abstenu lors de ce scrutin. En ce qui me concerne, je sais qu'un certain nombre d'associations avec lesquelles je suis en contact verraient d'un très bon oeil que nous adoptions ce projet de loi, et c'est pour ces raisons que j'invite les membres du Grand Conseil à l'accepter avec les amendements présentés lors des travaux de commission. Merci, Madame la présidente.
M. Diego Esteban (S), rapporteur de deuxième minorité. Ce projet de loi s'intéresse de près au coeur de la définition de la dignité humaine. En Suisse, à Genève, nous appliquons la conception qui est bien traduite dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, que je cite: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.» Je pense qu'il est très judicieux de disposer de ce genre de principes.
Maintenant, il faut également s'intéresser aux faits: comment ces principes d'égalité sont-ils mis en oeuvre ? La dignité humaine et les libertés fondamentales ne vont pas de soi et il est un certain nombre de domaines dans lesquels des droits fondamentaux ont été précisés, des lois d'application votées et des jurisprudences mises en oeuvre, que ce soit à la Cour européenne des droits de l'homme ou devant les tribunaux suisses, pour s'assurer qu'il ne puisse pas y avoir trop de fluctuations dans ce qu'on entend par «libertés individuelles».
Ce texte faisait suite à la décision de l'Organisation mondiale de la santé, en mai 2019 - c'est-à-dire deux mois avant son dépôt -, de retirer l'ancienne expression «trouble de l'identité de genre» de la liste des maladies; il s'agissait d'un grand pas en avant que les auteurs voulaient bien sûr concrétiser par cet objet. Mme Fiss a mentionné un certain nombre de motifs de discrimination qui ne sont pas cités dans les travaux parlementaires, par exemple le fait d'avoir les yeux verts; je la mets au défi de trouver des statistiques sur la discrimination à l'égard de personnes aux yeux verts qui soient similaires à celles qu'on trouve concernant les personnes transgenres.
Prenons les chiffres de l'association Stop Suicide, qui fournit un certain nombre de données: il y a dix fois plus de tentatives de suicide chez les personnes transgenres que dans le reste de la population. Parmi les jeunes de 16 à 26 ans, c'est simple, 69% y ont déjà songé contre 20% en moyenne... (Brouhaha.)
La présidente. Excusez-moi de vous interrompre, Monsieur, je suis navrée. Mesdames et Messieurs, peut-être ne l'avez-vous pas remarqué, mais la pause est terminée. Est-il possible d'avoir un peu de calme ? J'ai compris qu'il y a des amendements de dernière minute sur d'autres objets, mais je vous remercie d'aller en discuter à l'extérieur pour qu'on puisse poursuivre sereinement le débat sur celui-ci. Reprenez, Monsieur Esteban.
M. Diego Esteban. Merci, Madame la présidente. Ce sont des statistiques assez édifiantes qui montrent bien qu'on ne cherche pas à mettre fin à ses jours parce qu'on est trans, mais parce que la société sanctionne notre identité de genre. De même, le taux de chômage est six fois plus élevé chez les personnes transgenres que dans le reste de la population. Ainsi, contrairement aux personnes avec les yeux verts, on est vraiment dans un cas de figure où il y a une légitimité et une urgence à protéger la liberté individuelle, et l'un des outils de cette protection est précisément l'interdiction des discriminations.
On nous dit que la liste est exemplative et que, du coup, elle pourrait tout contenir, mais ce que la jurisprudence suisse nous enseigne, c'est que chaque fois qu'on ne mentionne pas un élément, on prend le risque d'une application aléatoire. En effet, on parle beaucoup de l'égalité et de l'interdiction des discriminations, mais il existe une autre disposition stipulant que la dignité humaine est inviolable, et aujourd'hui, elle n'est pas appliquée par les tribunaux, elle n'a pas de portée juridique propre. Juridiquement, en Suisse, on ne peut pas invoquer la dignité humaine; c'est le risque qu'on prend avec les personnes transgenres si on n'insère pas quelque part dans la hiérarchie normative de notre pays le fait qu'il ne faut pas sanctionner des personnes pour ce qu'elles sont. Voilà, c'est tout ce que je signalerai à ce stade, Madame la présidente. La deuxième minorité que je représente votera bien sûr l'entrée en matière.
Mme Christina Meissner (LC). Notre constitution est claire: toutes les personnes sont égales en droits. Ce projet de loi vise à modifier l'article 15 de la constitution afin d'allonger la liste exemplative des discriminations interdites qui s'y trouvent. Lors du premier passage en commission, une majorité avait soutenu ce texte; lors du second passage en commission, une autre majorité s'est formée pour le refuser. Pourquoi ce revirement ?
C'est très simple: entre-temps, le 23 mars 2023, la loi générale sur l'égalité et la lutte contre les discriminations (la L 13279) a été adoptée par ce parlement; elle couvre - elle couvrait, du moins à ce moment-là - à satisfaction les discriminations liées à «l'origine, l'âge, le sexe, l'orientation affective ou sexuelle, l'identité de genre, l'expression de genre, l'intersexuation, les incapacités, les particularités physiques, la situation sociale ou familiale, les convictions religieuses ou politiques». Il n'y a aucune raison de remettre en question la formulation adoptée par le Grand Conseil alors que seulement huit mois se sont écoulés.
Certes, la loi votée n'est pas parfaite, certains à la droite du parlement l'ont déjà relevé en déposant un texte pour la modifier - que dis-je, pour la supprimer. Si la gauche s'y met à son tour, ce sera donner raison au Centre qui, à l'époque, avait demandé qu'elle soit soumise au peuple; solution refusée par votre assemblée. Eh bien maintenant, Mesdames et Messieurs les députés, assumez vos choix, s'il vous plaît ! Quant à nous, nous refuserons l'entrée en matière.
M. Yves Nidegger (UDC). Chers collègues, l'article 15 de notre constitution cantonale, sous le titre «Egalité», comporte un premier alinéa parfaitement rédigé - gloire soit rendue aux constituants qui ont quelque peu repris la constitution précédente -, lequel dispose: «Toutes les personnes sont égales en droit.» C'est parfait, tout est dit. Il n'y a pas plus universel ni inclusif que le mot «personnes» et il n'y a pas plus précis que le fait qu'elles soient égales en droit. Ce n'est pas une égalité de fait; avec les mêmes droits, celui qui bosse beaucoup et qui a du talent aura probablement une vie davantage couronnée de succès que celui qui ne bosse pas et est moins talentueux, mais chacun aura les mêmes droits.
Puis, il y a un alinéa 2 que certains souhaiteraient faire ressembler à un inventaire à la Prévert en se demandant ce qu'on pourrait bien y ajouter. C'est un peu le corollaire du premier: «Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de [...]». Alors au XIXe siècle, ce corollaire négatif était important: tout le monde est égal en droit, donc nul ne doit être discriminé pour tel ou tel motif. Mais on était au XIXe siècle, il s'agissait de motifs classiques: il ne fallait pas que les catholiques soient moins bien traités que les protestants à Genève, il était question de convictions religieuses. Ou alors de l'origine: le Fribourgeois ou le Valaisan - qui se trouvent tous deux être catholiques par ailleurs - ne devaient pas être maltraités par rapport à l'habitant du canton, donc on a mentionné l'origine. Après est venue la question du sexe: les hommes, les femmes.
On peut naturellement allonger cette liste et en faire un inventaire à la Prévert avec toutes les possibilités d'inégalités de traitement qui pourraient être constatées ou imaginées, mais on en arrive à une proposition qui rend illisible une disposition dont le premier alinéa, si on le comprend bien, est absolument parfait et suffisant.
Tout dépend de l'époque, mais si vous voulez vraiment tout préciser... On a par exemple ajouté les déficiences, c'est-à-dire le handicap. Dans cette logique, il faudrait donc... On a parlé du genre - hommes, femmes, ce sont en principe deux genres -, et il y a cette idée très à la mode aujourd'hui - mais qui passera très vite - qui voudrait que la plupart des gens auraient un trouble, peinant à déterminer s'ils sont hommes ou femmes. Il ne faut pas se foutre de la gueule du monde, les gars: on sait tous si on est un homme ou une femme. (Remarque.) Statistiquement, ce n'est vraiment pas un problème de société d'une quelconque importance.
Cela étant, il est en vogue actuellement de souligner le fait que, peut-être, certains auraient ce trouble, il faut donc le spécifier. Mais alors faites-le pour tous les handicaps: on ne peut pas être discriminé parce qu'on a un pied bot, parce qu'on est aveugle, parce qu'on est sourd, c'est du même ordre.
La non-entrée en matière constitue la seule réponse rationnelle, intelligente à ce projet de loi, susceptible de nous ramener un petit peu aux limites qu'il nous faut imposer, donc le groupe UDC suivra très docilement la majorité.
La présidente. Je vous remercie. La parole va à M. Matthieu Jotterand pour deux minutes trente-cinq.
M. Matthieu Jotterand (S). Merci, Madame la présidente. Le chrono n'a pas été arrêté très vite, je trouve.
La présidente. Il est décalé de vingt secondes, si vous voulez tous les chiffres dans le détail.
M. Matthieu Jotterand. Merci beaucoup, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, mon préopinant vient de nous donner un bel exemple d'hôpital qui se fout de la charité sur le plan de se foutre de la gueule du monde. Pourquoi ? Nous avons là un homme cisgenre qui n'a absolument jamais vécu la moindre discrimination, je suis prêt à en mettre ma main au feu, et qui, pourtant... (Remarque. Rires.) Vous me laissez parler, Monsieur Nidegger, ou vous avez encore quelque chose à commenter ? ...et qui, pourtant, vient nous dire que les discriminations que subissent les personnes trans équivalent, comme le formulerait une autre préopinante, à celles vis-à-vis des personnes aux yeux verts.
Mesdames et Messieurs, je ne doute pas que nous sommes parfaits dans notre travail et que la Constituante était tout aussi parfaite, mais l'alinéa 1 n'est pas si parfait que cela. Bien sûr, il l'est en théorie, mais tant qu'on reste dans l'abstrait, cela ne veut rien dire. «Toutes les personnes sont égales en droit», bien sûr, c'est ce que préconise la constitution, mais c'est inutile tant que cela reste un voeu pieux. Il faut donc améliorer cette disposition qui, pour l'instant, édicte un principe dans le vide.
Les personnes transgenres représentent une très petite part de la population, une part toutefois qui concentre un nombre de discriminations vraiment très élevé. On nous dit qu'il y aura toujours de nouvelles discriminations, mais ce n'est pas le cas, Mesdames et Messieurs, ce n'est pas le cas ! Les personnes discriminées, on les connaît, ce sont toujours les mêmes, ce sont des phénomènes notoires, et c'est d'ailleurs pour cela que nous avons légiféré.
Pourquoi est-il seulement réjouissant et pas suffisant que la lutte contre les discriminations figure dans la loi ? Pourquoi ? Parce que mon préopinant a précisément cherché à abolir cette loi, tout simplement. Inscrire le principe dans la constitution permettrait une protection plus importante, de la même manière qu'on a malheureusement besoin, dans certains pays du monde, de mettre le droit à l'avortement dans la constitution parce que des gens l'attaquent. Et vu comme est partie la législature ici, cela risque d'arriver, cela viendra sans doute. Voilà pourquoi il est indispensable d'ancrer dans notre constitution la protection des personnes transgenres contre la discrimination. (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe MCG s'opposera au texte qui vous est proposé, non pas qu'il considère qu'il n'y ait pas de discriminations et encore moins qu'il ne faille pas les poursuivre, mais nous constatons que notre constitution sert d'expression à tous les bons principes, principes que nous pouvons bien sûr chacune et chacun soutenir, mais qui sont déjà couverts par des dispositions générales. Une loi existe à Genève et nous sommes également en train de travailler en commission sur d'autres textes qui touchent ces questions.
Qui oserait aujourd'hui prétendre - comme dans certains pays où d'aucuns, ouvertement, veulent interdire l'avortement - que la discrimination contre les personnes transgenres se justifie ? Personne. Personne ! Par contre, entre le dire et le faire, il y a encore un pas, et il faut que nous puissions agir lorsqu'il y a des déviances de langage et de comportement. Pour cela, l'arsenal législatif dont nous disposons est bien suffisant.
N'utilisons pas notre constitution pour y mettre - et ne le prenez pas de manière péjorative - toutes les émotions de notre société actuelle, des émotions certainement justifiées, fondées sur des actes graves qu'il faut combattre, mais qui ne doivent pas être toutes mentionnées dans une charte fondamentale, faute de quoi celle-ci ne remplirait plus sa fonction première qui est d'énoncer de grands principes. Je vous remercie.
La présidente. Merci bien. Monsieur Yves de Matteis, souhaitez-vous reprendre la parole ? (Remarque.) Alors allez-y, vous disposez encore de trois minutes.
M. Yves de Matteis (Ve), rapporteur de première minorité. Merci, Madame la présidente. J'ajouterai encore deux éléments. D'abord, le projet de loi d'Ensemble à Gauche avait été déposé bien avant les travaux sur ces objets. Le but était de renforcer la protection des personnes transgenres, certainement pas de remettre en cause la loi Fontanet.
Ensuite, quand on a ajouté les critères de l'âge et du sexe - qui, pour l'un d'entre eux, figure aussi dans cette loi -, c'était précisément pour que celle-ci soit vraiment garantie constitutionnellement, qu'il y ait une base solide avec une ligne ininterrompue entre la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Convention européenne des droits de l'homme, la Constitution suisse et notre charte cantonale. A ce propos, je répète que si la constitution genevoise est une liste à la Prévert, alors la Constitution fédérale aussi, puisqu'elle comprend notamment l'âge et le sexe, éléments qui ne sont pas inclus dans la constitution genevoise. Tout cela pour arriver par la suite aux lois et règlements qui en seront déduits.
Il s'agit vraiment d'une suite logique depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui est d'ordre universel, jusqu'aux mesures concrètes du canton. Le fait de ne pas vouloir inclure ces trois critères de discrimination, à mon sens, constitue une erreur. C'était aussi l'avis des constitutionnalistes que nous avons reçus, qui nous ont notamment indiqué que le fait d'ajouter des éléments à cette liste exemplative augmentait la densité normative de notre constitution et permettait d'en renforcer l'esprit même ainsi que la protection de la population genevoise. Il suffit de lire les procès-verbaux de commission pour s'en rendre compte. Voilà, c'est tout ce que j'avais à dire pour l'instant. Merci.
La présidente. Vous n'aurez plus la parole après.
M. Yves de Matteis. Ce n'est pas grave.
Mme Joëlle Fiss (PLR), rapporteuse de majorité ad interim. J'aimerais juste réagir - vous transmettrez, Madame la présidente - aux propos de M. de Matteis: depuis mars 2023, l'identité de genre est incluse dans la loi sur l'égalité et la lutte contre les discriminations qui a été adoptée par notre parlement. Il n'y a donc pas de problème, cet élément est ancré dans la législation genevoise. Je peux comprendre qu'il y ait eu certaines revendications avant l'adoption de la loi dite Fontanet, mais maintenant, cela ne fait plus aucun sens. Voilà, c'est l'un des points que je me devais de souligner.
Vous transmettrez aussi aux membres du parti socialiste que je regrette qu'ils n'aient pas compris que mon analogie avec les yeux, le tee-shirt ou les cheveux était métaphorique; ils ont vraiment pris cela au premier degré, c'est dommage. Ce que j'essayais de dire, c'est ceci: imaginez qu'une nouvelle forme de discrimination apparaisse tout à coup, par exemple à l'endroit des personnes aux cheveux blonds, yeux verts et portant un tee-shirt bleu: même si cette catégorie de personnes n'est pas explicitement mentionnée dans la constitution, la loi Fontanet les protégerait malgré tout.
Je me répète un peu, mais oui, il est possible que de nouvelles formes de discrimination apparaissent à l'avenir. Vous êtes bien optimistes de penser que la discrimination s'arrête là où on est aujourd'hui, en 2023; il se peut très bien que de nouvelles versions émergent soudain. Je suis assez étonnée par cette vision.
Encore une fois, Mesdames et Messieurs, il s'agit d'une liste exemplative, pas exhaustive. C'est dû au fait que les droits de l'homme sont universels, que tout le monde est concerné, que tout un chacun est égal devant la loi. Voilà pourquoi le PLR vous demande de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. Merci.
La présidente. Je vous remercie. Avant de donner la parole à la conseillère d'Etat, je rappelle à tout un chacun de bien insérer son badge. En effet, beaucoup de personnes n'ont pas leur badge, et après l'intervention de la magistrate, il y aura le vote. Madame Nathalie Fontanet, je vous laisse vous exprimer.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Merci beaucoup, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députa... les députés, pardon ! (Rires. Commentaires.) Je n'ai pas dit de gros mot, au moins ! Et vu mon état d'énervement, c'est déjà pas mal. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat comprend tant les arguments de la majorité que ceux des minorités, mais nous nous rallions à la majorité tout simplement parce que nous estimons qu'une modification constitutionnelle - et donc une votation populaire sur les seuls ajouts proposés - ne paraît pas très proportionnelle ni opportune politiquement, sans parler des coûts. A notre sens, avec l'adoption de la LED et de la LED-Genre, le projet de loi dont il est question ici n'est plus nécessaire aujourd'hui.
S'agissant des droits des personnes transgenres, l'élargissement de l'article 261bis du code pénal aux discriminations envers celles-ci nous semblerait prioritaire par rapport à une modification de la constitution cantonale. Nous sommes conscients que la liste des discriminations reste lacunaire, mais dans le cadre de la LED et de la LED-Genre, des travaux ont été menés qui ont duré deux ans, chaque terme a fait l'objet d'une négociation; il n'y a pas lieu de revenir maintenant sur le sujet avec une modification constitutionnelle. Au nom du Conseil d'Etat, je vous recommande dès lors de suivre la position de la rapporteure de majorité. Merci.
La présidente. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, c'est le moment de voter.
Mis aux voix, le projet de loi 12377 est rejeté en premier débat par 59 non contre 34 oui et 1 abstention.