Séance du
vendredi 17 novembre 2023 à
16h10
3e
législature -
1re
année -
6e
session -
33e
séance
PL 13335-A
Premier débat
La présidente. Nous passons au traitement de notre dernière urgence, le PL 13335-A, qui est classé en catégorie II, trente minutes. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole.
M. Diego Esteban. Merci, Madame... (Brouhaha.)
La présidente. Attendez, excusez-moi. Comme d'habitude, je demande à avoir un peu de silence ! Merci. A vous, Monsieur.
M. Diego Esteban (S), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Vous l'aurez certainement compris au début de cette session, lorsque nous avons procédé à l'élection des représentantes et représentants des partis politiques dans les différentes institutions concernées par la LOIDP et la loi sur les commissions officielles: «renoncer à temps à cette disposition» semble être un dessein relativement futile. Mais pour qu'on ne fasse pas de procès d'intention aux commissions parlementaires qui ont traité ce sujet, je rappellerai simplement que ce projet de loi, déposé le 5 juin dernier, a été renvoyé par la plénière le 22 juin, juste avant l'été, à la commission législative pour préavis. La commission législative s'est réunie le 25 août et a réussi à traiter ce projet de loi en une seule séance; elle a adressé son préavis à la commission des droits politiques le 4 septembre. Cette deuxième commission s'est réunie le 4 octobre, un mois après, et son rapport a été déposé le 31 octobre; nous voici, un peu plus de deux semaines plus tard, prêts à le traiter. Malgré la célérité avec laquelle les deux commissions parlementaires impliquées ont traité cet objet, nous arrivons donc malheureusement trop tard pour intervenir sur le processus en cours - malheureusement ou heureusement, à vous de juger. Dans la mesure où les membres sont déjà élus, ou du moins où leur nomination est en voie d'être confirmée par le Conseil d'Etat, le processus en cours devrait aller jusqu'à son terme.
Ce projet de loi propose simplement de toucher à l'article de la LRGC concernant le dispositif qui vise à renforcer la parité dans les différentes CODOF (les commissions et délégations officielles). Mais ce qu'apporte surtout cette clause, que ce projet de loi vise à supprimer, c'est une base légale pour que le Bureau applique certaines dispositions lors de la désignation des représentantes et des représentants du Grand Conseil dans les différentes institutions concernées. La simple suppression de cette disposition ne pourrait que générer de l'incertitude. Cette incertitude laisserait de la place pour des inégalités de traitement entre les partis et les autres entités, voire entre les partis tout court.
Cinq groupes sur sept avaient accepté la loi actuelle et, sans surprise, cinq groupes sur sept ont refusé d'entrer en matière sur ce projet de loi; il s'agit bien entendu des mêmes. La volonté de la majorité est donc de laisser le processus de désignation courir jusqu'à son terme, soit l'entrée en fonction des nouveaux conseils en février 2024, et d'en faire le bilan ensuite. La majorité ne refuse pas de remettre en question ce qui a été voté, mais l'évaluation doit bien sûr se faire après la mise en oeuvre de la première application; la prochaine désignation ayant lieu en 2028, nous aurons pleinement le temps de procéder à ce bilan de manière approfondie. C'est pour toutes ces raisons que la majorité de la commission vous recommande de refuser d'entrer en matière sur ce projet de loi.
M. Yves Nidegger (UDC), rapporteur de minorité. «Errare humanum est, perseverare diabolicum», dit-on. Effectivement, les mêmes partis qui ont refusé la loi actuelle parce qu'ils ont vu qu'elle allait aboutir à un petchi ont voulu l'entrée en matière sur une possibilité de l'abroger, qui évidemment ouvrira la voie pour qu'on trouve une norme qui soit, elle, praticable, le but d'une parité étant en soi plutôt louable. Mais il faut assurément se méfier de certains écueils qui se sont manifestés dans les grandes largeurs; quiconque a été impliqué d'une manière ou d'une autre dans les discussions et les tractations menées, dans les pressions exercées pour que les candidats retirent leur candidature - eux seuls pouvaient le faire, alors que ce sont les partis qui souhaitaient des répartitions différentes - a un seul mot à la bouche en ce moment, le processus n'étant pas terminé: plus jamais ça - si c'est une chose qu'on peut dire ! Alors bien sûr que le processus est entamé: un certain nombre de commissaires ont déjà été désignés, mais tous ne l'ont pas été et c'est certainement sur la fin que les conditions imposées vont engendrer les plus grandes douleurs. Par conséquent, il n'est à mon avis pas trop tard, même au milieu du processus, pour renoncer à persévérer dans l'erreur.
Cette erreur, quelle est-elle ? Dire que nous voulons le choix libre des personnes que chaque parti ayant droit à un représentant enverra, avec comme critère la compétence, tout en voulant imposer un résultat prédéfini, est un oxymore - c'est un oxymore démocratique. Soit on choisit - ce sont les élections -, soit on impose un résultat prédéfini ! Tous les systèmes qui ont voulu l'élection, mais avec un résultat prédéfini, se sont effondrés. A Genève, au XIXe siècle, nous voulions des élections, mais nous voulions un gouvernement protestant. Qu'est-ce que ça a amené ? La tenue à l'écart d'un certain nombre de communes catholiques, trop nombreuses à vouloir rejoindre Genève, et des frontières en zigzag qui aujourd'hui donnent lieu à l'explosion des frontaliers. Qu'est-ce qu'un frontalier ? C'est quelqu'un qui est économiquement suisse et politiquement français ! L'impossibilité de gérer la cuvette dans des frontières convenables résulte de cette volonté de choisir, mais avec un résultat que l'on veut prédéfinir.
L'Afrique du Sud a connu la même chose ! On voulait des élections, mais on voulait un gouvernement blanc ! Bon, eh bien il fallait exclure du vote les Noirs, qui étaient majoritaires. S'agissant du conflit actuel - l'établissement d'Israël en Palestine -, que veulent les Israéliens ? Des élections, mais un gouvernement hébreu. Ça implique que les réfugiés qui ont été écartés au cours des guerres ne peuvent pas, eux et leurs descendants, revenir participer à l'élection et qu'il faudra par conséquent deux Etats, qui par ailleurs sont rendus impossibles par la politique actuelle.
La présidente. Monsieur le rapporteur de minorité, on peut juste revenir au sujet ? (Rires.)
M. Yves Nidegger. Mais c'est le sujet ! L'oxymore dont je vous parle était aussi pratiqué dans l'Union soviétique: on voulait des élections, mais tous les élus devaient être du parti communiste. Ici, on veut des élections, mais il faut absolument la parité ! C'est le dogme du moment: la parité. Vous devez donc élire, mais vous ne devez pas élire ceux que vous voulez ou ceux que vous trouvez compétents ou ceux que vous trouvez dignes de vous représenter dans tel ou tel autre conseil: vous devez élire avec cette espèce de surmoi freudien qu'est la parité et qui est devenu l'obstacle à tout ! C'est absolument le sujet: la façon dont a été rédigée cette norme, qui veut un choix tout en imposant le résultat du choix, est l'oxymore démocratique qui crée le petchi dans lequel nous sommes aujourd'hui. Il faudra par conséquent revenir dessus.
Comme apparemment une majorité d'entêtés souhaite enterrer cet objet, je vais vous demander un renvoi en commission, parce que de retour en commission, ce projet pourra être retravaillé. Ce qui vous paraît excessif dans l'abrogation pourra du coup être remplacé par un amendement général proposant une meilleure formule que celle concoctée par Nidegger dans son esprit, j'en conviens, quelque peu particulier. Mais en tout les cas, chers collègues, il faut - et il faut rapidement - remplacer une loi qui crée le désordre par une loi qui amène plus d'équité, puisque tel était le but, affiché en tout cas. L'idée n'était pas de nous paralyser tous et de nous rendre la vie impossible pendant des semaines; l'idée était d'accélérer le processus par lequel un plus grand nombre de femmes entre dans les conseils. Alors si certains disent que la nature s'en charge, d'autres veulent un résultat ici et maintenant, parce qu'ils croient au grand soir, à la révolution et à d'autres idées marxisantes; libre à eux. Mais nous devons aujourd'hui renvoyer ce texte à la commission des Droits de l'Homme afin que, dès à présent, tout de suite, on modifie cette règle pour qu'elle devienne praticable.
La présidente. Je vous remercie. Vous avez demandé un renvoi à la commission des Droits de l'Homme. Monsieur le rapporteur de majorité, souhaitez-vous vous exprimer sur cette demande ? Excusez-moi: pas aux Droits de l'Homme mais à la commission législative. (Commentaires.) Vous avez demandé quelle commission ? (Remarque.) La loi, à la base, a été faite par la commission législative; votre projet de loi visant à modifier la LRGC, c'est la commission des droits politiques qui l'a étudié après préavis de la commission législative. Il faut juste me dire où vous voulez le renvoyer !
M. Yves Nidegger. Je me suis trompé. Vous avez raison, Madame la présidente: je souhaite un renvoi à la commission des droits politiques, la législative ayant déjà raté le boulot. (Rires.)
La présidente. Merci. Monsieur le rapporteur de majorité, vous souhaitez vous exprimer à ce propos ?
M. Diego Esteban (S), rapporteur de majorité. Oui, merci. La majorité, sans surprise, est opposée au renvoi en commission, et je vais vous expliquer pourquoi. Tout d'abord, c'est la majorité de deux commissions qui s'oppose à ce texte, la commission législative et la commission des droits politiques. Je rappellerai que la commission des droits politiques - ça figure dans le rapport - a envisagé la possibilité de geler le projet de loi en vue de s'en servir comme base pour d'éventuelles révisions législatives: celles-ci pourraient intervenir une fois fait le bilan de la première mise en oeuvre des désignations dans les commissions et délégations officielles sous l'effet de la nouvelle loi. La commission y a renoncé parce que ce n'est pas une bonne base de travail: déjà, elle centre complètement la réflexion sur la nomination des représentantes et des représentants du Grand Conseil, alors que bien plus d'entités sont évidemment impliquées dans le processus. Et il y a une autre raison: si ce projet de loi est utilisé comme base, cela veut dire que si on ne trouve pas mieux, eh bien la disposition serait tout simplement supprimée, ce qui créerait toute une série d'autres problèmes très difficilement gérables, en tout cas de l'avis du Bureau du Grand Conseil.
A tout le moins, s'il devait y avoir un renvoi en commission, autant qu'il se fasse à la commission législative: elle serait bien mieux armée pour mener l'ensemble du processus et donc également entendre les retours relatifs aux désignations qui ont lieu dans d'autres entités. Mais la position du rapporteur de majorité que je suis, c'est de refuser le renvoi en commission, de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi et d'attendre une proposition plus complète en temps voulu - probablement du Conseil d'Etat, dont je ne veux pas anticiper les propos.
La présidente. Je vous remercie. Je déduis de vos propos que vous ne demandez pas le renvoi à la commission législative. Nous n'avons donc qu'une seule demande de renvoi: à la commission des droits politiques. Madame la conseillère d'Etat Nathalie Fontanet, vous avez la parole.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Merci beaucoup, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, cette loi a été votée. Elle a été mise en pratique ces derniers mois et nous avons effectivement pu constater, avec la chancellerie d'Etat, qu'elle est compliquée à appliquer - qu'elle est compliquée pour les groupes politiques et pour les associations professionnelles, qu'elle ne comporte manifestement pas suffisamment d'exceptions et qu'elle manque de souplesse. De là à renvoyer en commission un texte qui demande son abrogation, Mesdames et Messieurs les députés, il y a un pas !
Pour ma part, je prends devant vous, ce soir, l'engagement - nous avons déjà échangé à cet égard avec la chancellerie - de revenir avec un projet de loi amendant... (L'oratrice insiste sur le terme «amendant».) ...la loi qui a été votée. Nous nous servirons de notre expérience et de ce que nous avons entendu des différents groupes - ils se sont tous tournés vers nous, parce que cette loi est effectivement difficile à mettre en pratique, compliquée, les uns et les autres ont annoncé avoir dû travailler tous ensemble. Le Conseil d'Etat s'oppose donc au renvoi de ce projet de loi en commission parce que le texte ne demande qu'une abrogation, et il se propose de revenir devant vous dans les meilleurs délais, dès lors que la disposition est de toute façon déjà appliquée pour l'actuelle législature, de sorte que cette loi ne soit plus la même pour la prochaine, qu'elle soit simplifiée et permette à toutes et tous d'arriver à une parité plus ou moins complète, moyennant des exceptions et de la souplesse. Je vous remercie. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'ouvre le vote sur le renvoi à la commission des droits politiques.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13335 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est adopté par 51 oui contre 41 non.