Séance du
vendredi 1 septembre 2023 à
8h
3e
législature -
1re
année -
3e
session -
16e
séance
PL 12610-A
Premier débat
La présidente. Nous abordons une nouvelle urgence, le PL 12610-A, dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. La parole va à M. Pierre Eckert.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, ce projet de loi a été traité en 2020. Il demande que les émoluments liés à une prestation ne dépassent pas de plus de 5% le coût réel de réalisation de celle-ci. On a discuté assez longtemps, on a aussi auditionné le surveillant des prix, et il en est ressorti que ce texte avait une justification et qu'il ne fallait pas que le prix des émoluments dépasse de trop le coût de la prestation elle-même.
Par contre, ce qui a été constaté, c'est qu'on dispose tout de même d'une certaine marge d'appréciation; ces principes sont difficiles et, comme je l'ai dit, une marge d'appréciation peut être prise en considération. On relève qu'une certaine proportionnalité doit exister entre le coût d'une prestation et son prix. Selon le surveillant des prix, cette proportion devrait être de 100%.
Le problème, c'est que ce coût est composé de coûts directs - en général, le temps de travail - et de coûts indirects que sont l'état-major, l'informatique, les locaux, l'énergie, donc il y a vraiment une comptabilité analytique à mettre en place qui peut se révéler compliquée. De plus, selon la LGAF, la somme payée peut être dépendante de l'avantage économique procuré par la prestation, par exemple une autorisation d'exploitation.
Ce qui était intéressant, c'est que nous avons opéré une distinction entre impôt, taxe et émolument. Ici, on parle d'émolument. Un émolument est perçu pour une prestation fournie de façon directe. Par exemple, un permis de construire ou de conduire constitue une prestation directe, vous payez un émolument pour l'obtenir, donc il ne s'agit pas d'un impôt versé dans la caisse générale de l'Etat. Le département nous a mis à disposition un tableau complet avec l'ensemble des taxes, émoluments et impôts, que nous gardons en réserve, si jamais nous voulons définir différents types de prestations ou modifier des taxes. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Je vais prendre sur le temps de mon groupe, Madame la présidente.
Ce que j'aimerais encore souligner, c'est que ce tableau comporte relativement peu de prestations dépassant le taux de 100%. En fait, il y en a dans deux services: à l'office cantonal des véhicules (OCV), dont le taux de couverture est de l'ordre de 118% - il a déjà été adapté à la baisse et continue à l'être -, et à l'office du registre foncier, où on a également diminué le niveau; c'était au-dessus, mais maintenant, on est à proximité de 100%. Aussi, l'administration fait son travail.
Pour moi, il faut refuser ce projet de loi, parce qu'il va créer une usine à gaz administrative. Le texte est beaucoup trop détaillé, il demande que chaque prestation couvre son coût sans le dépasser de plus de 5%. Le tableau qui nous a été fourni par l'administration est organisé par services. Si, par exemple à l'office cantonal des véhicules, on commence à distinguer les permis auto, les permis moto, les permis bateau, les visites, les expertises, etc., ça va générer un travail monumental. Dès lors, il faut rejeter cet objet, parce qu'il est beaucoup trop détaillé, il exige une granularité excessive et un travail administratif gigantesque qui engendrera une usine à gaz pour l'administration. Voilà pourquoi je vous propose, en tant que rapporteur de majorité, de refuser l'entrée en matière.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce projet de loi a pour objectif, comme l'a expliqué mon préopinant, de plafonner le prix des émoluments afin que les dépenses ne puissent pas - au niveau de l'AFC, mais surtout en ce qui concerne les véhicules - dépasser de plus de 5% le montant total de la prestation administrative. L'idée est que l'Etat adapte le prix des émoluments au coût réel, et non à un coût surfait, comme cela a été mentionné dans le rapport du surveillant des prix en 2018.
Pour bien comprendre l'utilité de cet objet, il est plus que nécessaire de connaître le droit fédéral, qui est le droit supérieur. Au niveau fédéral, les bases juridiques du droit des émoluments se présentent ainsi - ce sont deux principes qui découlent de la Constitution fédérale: il y a d'une part le principe de la couverture des coûts (les émoluments ne doivent pas dépasser les coûts), d'autre part le principe d'équivalence (le prix perçu ne doit pas dépasser la valeur ou l'équivalence de la prestation délivrée par l'Etat).
Or il a été relevé que, en grande partie, comme d'habitude, Genève se permettait de facturer des émoluments qui atteignent plus de 163% du coût. Il semblerait que ce projet de loi ait tout de même fait bouger les lignes, ce qui est positif, puisque l'Etat et ses services se sont rendu compte qu'ils allaient dans le mur. Le texte propose donc de plafonner le montant des émoluments, avec une couverture maximale qui ne peut dépasser 105%. Voilà pourquoi il convient de voter l'entrée en matière sur cet excellent projet de loi. Je vous remercie.
M. Alexandre de Senarclens (PLR). Dans ce projet de loi, il est question des émoluments, qu'il faut distinguer des taxes et impôts: ceux-ci ne sont pas affectés à une tâche particulière et ne doivent pas nécessairement couvrir un coût particulier. Ici, nous parlons exclusivement des émoluments: quand on va renouveler sa plaque d'immatriculation, quand on va refaire un passeport. Le principe d'un émolument, c'est qu'il doit couvrir la prestation effectuée par l'Etat. Comme l'a indiqué le rapporteur de minorité, il existe deux principes cardinaux dans la fixation du prix: le principe de la couverture des coûts - les émoluments ne doivent pas dépasser les coûts - et le principe de l'équivalence - le prix perçu ne doit pas dépasser la valeur ou l'équivalence de la prestation délivrée par l'Etat.
Ce projet de loi, nous le soutenons au PLR, car il défend un bon principe, à savoir que l'Etat ne doit pas s'enrichir en prélevant ces émoluments. Nous considérons qu'il est important que ce principe soit inscrit dans la loi, même si nous reconnaissons qu'il est parfois très difficile d'évaluer le prix exact, sachant qu'il y a des coûts directs - en général, le temps de travail - et des coûts indirects composés de l'état-major, de l'informatique, des locaux, de l'énergie. Evidemment, il n'est pas toujours facile d'évaluer le temps dévolu à la réalisation de la prestation. La mise en oeuvre de ce texte, nous le reconnaissons, pourra poser des difficultés, mais sur le principe, il est important de rappeler que le montant d'un émolument ne doit pas être supérieur au coût de la prestation. C'est la raison pour laquelle le PLR votera en faveur de cet objet. Je vous remercie, Madame la présidente.
M. Sandro Pistis (MCG). Je pense qu'il faut revenir à certaines réalités. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'en son temps, la Cour des comptes avait effectué une évaluation sur la problématique des émoluments dans notre canton, car un article dénonçait les montants excessifs de certains d'entre eux. Par la suite, le Conseil d'Etat a pris ses dispositions et a procédé à la diminution du prix de certains émoluments.
Le risque, en votant ce projet de loi qui vise à ne pas dépasser le coût de la prestation de plus de 5%, c'est qu'on va créer une usine à gaz. Et cette usine à gaz, il va falloir l'assumer par la suite. Aussi, ce que je vous propose, c'est de renvoyer le texte en commission, de sorte qu'on puisse obtenir une photographie de ce qui a été entrepris au niveau des émoluments, cas échéant taper sur les départements qui ne se sont pas mis à jour et ne respectent pas le principe d'équité ni une certaine qualité.
Le MCG a toujours soutenu des montants raisonnables, mais on ne peut pas voter comme ça ce type de projet, dont la mise en application est énergivore pour l'administration. C'est la raison pour laquelle le groupe MCG demande un renvoi en commission: nous souhaitons avoir une photographie de la problématique générale. Merci.
La présidente. Je vous remercie. Sur cette demande de renvoi en commission, la parole va aux rapporteurs, puis au Conseil d'Etat. Monsieur Ivanov, c'est à vous.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Merci, Madame la présidente. Le rapporteur de minorité refusera le renvoi en commission.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Le travail que réclame M. Pistis a été réalisé. Nous avons un tableau complet - consultez le rapport - avec l'ensemble des prestations, et le travail d'adaptation a déjà été effectué. La Cour des comptes a transmis son rapport et l'administration, comme c'est expliqué dans le rapport également, a déjà adapté un certain nombre de prix. Comme je l'ai signalé, ce projet de loi est à mon sens inutile. Si vraiment vous voulez aller dans la direction de ce texte, Mesdames et Messieurs, alors il faudrait l'amender d'une façon ou d'une autre pour diminuer très largement sa granularité et ne pas exiger un taux de couverture par prestation. Personnellement, je ne m'opposerai pas au renvoi en commission, mais disons que je m'abstiendrai.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat estime que ce projet de loi est problématique, non pas dans son intention, parce qu'il n'y a pas de raison que deux services au sein de l'Etat soient bénéficiaires en raison des émoluments et taxes qu'ils perçoivent, mais parce que, pour régler le problème, vous proposez une loi générale qui implique d'examiner chaque taxe ou émolument perçu, de faire de la comptabilité analytique pour chacun d'entre eux afin de s'assurer qu'ils ne dépassent pas de plus de 5% le coût réel.
Or, et on vous l'a démontré en commission pendant les auditions, ce qui a été effectué ne correspondait pas non plus tout à fait à la réalité, parce que les coûts informatiques n'étaient pas pris en compte, certains autres coûts non plus. Là, vous demandez que pour chaque prestation délivrée, une analyse complète soit menée. Mesdames et Messieurs, c'est une usine à gaz...
Une voix. Mais non !
Mme Nathalie Fontanet. Mais si, Mesdames et Messieurs, et en plus, ce sont celles et ceux qui refusent systématiquement les projets de budgets qui exigent un tel dispositif ! Ce n'est pas possible, Mesdames et Messieurs, je vous appelle à revenir à la réalité: nous ne pouvons pas mesurer, pour chaque prestation, ce qui est effectué. (Remarque.)
Nous vous demandons de renvoyer le texte en commission; cas échéant, si vous souhaitez que nous trouvions une solution, nous pouvons en chercher une dans la LGAF, déterminer ce que nous pouvons faire sur le plan de la comptabilité analytique, mais n'acceptez pas ce projet de loi qui représente un danger de par le travail administratif absolument hallucinant qu'il va nécessiter pour être mis en oeuvre. A moins que vous ne soyez décidés, dès aujourd'hui, à accepter l'ensemble des projets de budgets du Conseil d'Etat et à ne plus tenter de limiter l'engagement de personnel; d'après les propos du chef de groupe UDC, je ne crois pas que son parti aille dans cette direction. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo.
La présidente. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Je soumets la proposition de renvoi en commission aux votes de l'assemblée.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12610 à la commission fiscale est adopté par 48 oui contre 37 non et 1 abstention.