Séance du
vendredi 23 juin 2023 à
14h
3e
législature -
1re
année -
2e
session -
10e
séance
PL 13241-A
Premier débat
La présidente. Notre prochain objet est le PL 13241-A (catégorie III). Le rapport est de M. Cyril Mizrahi, à qui je donne la parole.
M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, comme il s'agit d'un projet de loi constitutionnelle, j'ai estimé qu'il valait la peine de prendre la parole pour vous présenter brièvement nos travaux sur ce texte. Nous avons tout d'abord auditionné la CICAD, ainsi que les professeurs Tanquerel et Hottelier. Au cours de ces auditions, nous avons évoqué les travaux sur le plan fédéral. A la suite de cela, la majorité de la commission a choisi de procéder à une modification constitutionnelle rapidement. Si celle-ci est acceptée par le peuple - nous sommes confiants quant à cela -, charge ensuite au Conseil d'Etat d'adapter la législation pour concrétiser ce mandat constitutionnel. Celui-ci consiste en deux alinéas: le premier vise à ancrer la politique publique de lutte contre les discriminations dans la constitution; le deuxième porte sur l'interdiction des symboles, notamment des symboles nazis.
Pourquoi est-il nécessaire d'introduire cette interdiction au niveau cantonal ? Tout simplement parce que la jurisprudence fédérale, aussi étonnant que cela puisse paraître, et j'étais le premier à en être étonné, interdit l'incitation à la haine, mais pas le port ou l'exhibition de symboles notamment nazis. Ce que nous avons voulu avec cette disposition constitutionnelle, sur l'initiative de notre collègue Thomas Bläsi, c'est donner le signal très clair que nous ne voulons plus de ces symboles de haine.
Nous avons modifié le projet initial sur trois points essentiellement. Tout d'abord, nous avons décidé de donner un mandat large, sur le modèle vaudois. Il y a donc un premier alinéa qui est général, concernant la politique de lutte contre les discriminations et la haine, et un deuxième alinéa qui interdit globalement les symboles de haine, notamment les symboles nazis. Nous avons tenu compte du fait qu'il s'agit ici - et, Madame la présidente, je prendrai si nécessaire sur le temps de mon groupe - d'une disposition constitutionnelle. C'est pourquoi nous l'avons rédigée d'une manière large, pour permettre ensuite au législateur de la concrétiser avec les détails nécessaires.
Le deuxième point de modification concerne ce qui était initialement décrit comme le champ d'application de cette interdiction, qui portait sur le domaine public. Nous avons souhaité étendre ce champ d'application à l'ensemble des espaces publics, puisque la notion de domaine public nous a semblé trop étroite. Schématiquement, le domaine public, c'est la rue, les trottoirs, les places, etc. Il nous a semblé utile et nécessaire d'étendre cette notion.
La troisième modification à laquelle nous avons procédé consiste à préciser dans la base constitutionnelle que la législation d'application prévoira des sanctions. Nous avons estimé qu'une interdiction devait être assortie de sanctions pour fonctionner.
Je précise encore que, suite aux travaux, le rapporteur s'est aperçu qu'il y avait une discrépance entre le texte et le titre de la loi. C'est pourquoi je vous ai proposé un amendement de nature purement formelle, qui figure à la fin de mon rapport et qui consiste à changer simplement le titre de la modification, pour l'appeler «Interdiction des symboles de haine dans les espaces publics», afin qu'il soit en cohérence avec le texte tel que nous l'avons modifié en commission.
La commission estime avoir procédé à ces travaux de manière complète. C'est pourquoi je m'opposerai à un éventuel renvoi en commission. Je vous remercie.
M. Yves Nidegger (UDC). Je m'en voudrais beaucoup de casser l'ambiance s'agissant d'un projet issu des rangs de l'UDC, qui a recueilli les applaudissements quasi unanimes de la commission des Droits de l'Homme - c'est suffisamment particulier pour être relevé et pour être salué. J'espère simplement que vous pardonnerez mon exotisme; je reviens de Berne, où un sujet exactement identique est en discussion depuis un certain temps, une interdiction, mais cette fois-ci fédérale, des symboles de haine dans l'espace public.
Il y a trois choses dont il faut se souvenir. La première, c'est que lorsque nous aurons déployé tous les efforts nécessaires à inscrire dans notre constitution genevoise le principe de cette interdiction, celle-ci restera lettre morte et n'aura aucun effet aussi longtemps qu'une loi d'application cantonale ne sera pas édictée. Or, comme vous le savez, les cantons n'ont en matière pénale qu'une compétence extrêmement résiduelle, qui se limite à des mesures de police sur le domaine public - jusque-là, on y est -, mais de rang contraventionnel. Or nous avons affaire à ce qui pourrait être un délit. Si vous pensez à l'article 261bis du code pénal, l'incitation publique à la haine est un délit. Il est frappé de sanctions relativement conséquentes. Il couvre d'ailleurs déjà, contrairement à ce que pense le rapporteur de majorité, les incitations à la haine au moyen de symboles; la jurisprudence à propos de M. Dieudonné et l'interprétation des gestes qu'il fait - qui sont symboliques - sont là pour en témoigner, ainsi que quelques autres jurisprudences.
Par conséquent, la seule chose qui me paraisse urgente dans cette affaire, c'est d'attendre que le législateur fédéral soit allé au bout de son raisonnement, et ce n'est pas si simple. Il y a un rapport très complexe - que je vous invite à lire - provenant de l'Office fédéral de la justice, qui s'est attelé à chercher comment formuler, dans une loi d'application, cette interdiction-là, et établir la nomenclature des symboles que nous visons à interdire. Parce que si vous ne précisez pas ce qui est interdit et ce qui ne l'est pas, vous n'avez ni sécurité du droit ni effectivité de la loi que vous allez appliquer.
Or, en l'état des travaux cantonaux, dans un domaine où, encore une fois, notre compétence résiduelle est de l'ordre de la rue et des contraventions - c'est-à-dire pas du tout du niveau des sanctions qu'il faudrait envisager si l'on voulait véritablement pallier un manque fédéral et qui seraient dissuasives en cette matière -, on n'a pas la moindre idée de la formulation possible. Vous pouvez lire le rapport dans tous les sens: on mandate le Conseil d'Etat pour élaborer une norme que le législateur fédéral et ses meilleurs experts n'arrivent pas à formuler. Vous avez une liste dans le rapport dont je vous ai parlé d'à peu près deux cents signes, presque tous inconnus, et la seule chose qu'il est urgent de faire sur cette question au niveau cantonal, chers collègues, c'est d'attendre la fin du processus, en procédant à un renvoi en commission de ce projet de loi, renvoi dont l'éventualité a été évoquée par le rapporteur de majorité. Je vous remercie.
La présidente. Merci. Vous formulez donc une demande de renvoi en commission ?
M. Yves Nidegger. Oui, Madame la présidente.
La présidente. Je vous remercie. Je lance le vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13241 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est rejeté par 57 non contre 19 oui et 2 abstentions.
La présidente. Je donne la parole à Mme Patricia Bidaux.
Mme Patricia Bidaux (LC). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les membres du parlement, en date du 27 janvier, jour de mémoire de la Shoah, ce Grand Conseil a décidé de renvoyer ce projet de loi à la commission des Droits de l'Homme. Le fruit du travail de cette commission a été de confirmer que le texte qu'il fallait adopter devait bien être constitutionnel.
Je me suis penchée sur le Mémorial du 27 janvier pour confirmer les propos qui ont été tenus dans cette noble assemblée: «Voilà la raison de voter ce projet de loi constitutionnelle, que nous vous présentons pour interdire les symboles et les objets nazis - et par conséquent leur commerce.» «[I]l y a un temps pour militer et il y a un temps pour légiférer [...] Nous sommes dans l'incapacité de décider ce soir [...]» A la suite de toutes ces discussions, il a été décidé de renvoyer ce texte en commission. L'objectif de celui-ci est d'«éviter les dérives excessives, les dérives inadmissibles que représentent l'utilisation et l'abus des signes et symboles nazis dans l'espace public.» «Avec les dispositions proposées par ce texte, nous pouvons signaler clairement qu'il n'est pas anodin d'utiliser ce genre de symboles.» Ce sont des propos que différents partis ont tenus, et j'espère que les auteurs se reconnaîtront.
Mettre en suspens ce texte en raison d'une législation supérieure, c'est retirer au texte sa valeur constitutionnelle, qui donne à notre canton une décision politique claire sur ce qu'on veut faire de ces symboles et sur la manière dont on va les traiter - que ce soit peut-être par la suite au niveau fédéral et grâce aux dispositions fédérales qui doivent être adoptées... Mais aujourd'hui, il ne s'agit pas de ça, aujourd'hui, il s'agit de dire: non aux symboles nazis, non aux symboles de haine, non à la discrimination. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
La présidente. Je vous remercie. (Remarque.) Je rappelle que nous sommes aux extraits: les groupes ne peuvent s'exprimer qu'une seule fois, et le rapporteur a parlé au nom du groupe socialiste.
Une voix. Mais non ! Il nous reste du temps.
La présidente. Une seule prise de parole est autorisée; vous êtes passé sur le temps de votre groupe, vous vous êtes donc exprimé pour votre groupe. Monsieur Francisco Taboada, vous avez la parole.
M. Francisco Taboada (LJS). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe LJS félicite M. le président de la commission des Droits de l'Homme pour le travail effectué. On doit aller dans le sens de cette commission, et c'est ainsi que se prononce le groupe LJS.
Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, en préambule, je tiens à saluer la belle unanimité qui s'est manifestée, au moins en commission, dans le cadre du travail sur ce projet de loi. L'idéologie nazie est à combattre sur tous les fronts et pas uniquement parce qu'elle est raciste et haineuse, mais parce qu'elle constitue la négation même de l'essence de l'humanité.
Ensuite du vote populaire commencera pour le Conseil d'Etat le vrai travail, soit la loi d'application, qui devra aussi comporter un volet préventif. C'est en cela que ce mandat constitutionnel prend tout son sens, malgré les travaux fédéraux, que le Conseil d'Etat suivra avec assiduité et dont il tiendra compte pour élaborer le volet répressif de cet article constitutionnel.
Nous nous réjouissons donc de pouvoir travailler avec votre parlement sur cette future loi d'application. Nous souhaitons ardemment que la belle unanimité qui s'est manifestée en commission perdure sur cet objet, parce qu'il le mérite. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. Nous procédons maintenant au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 13241 est adopté en premier débat par 80 oui contre 1 non.
Deuxième débat
La présidente. Nous sommes saisis d'un amendement modifiant le titre. Le voici:
«Titre (nouvelle teneur)
modifiant la constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE) (A 2 00)
(Interdiction des symboles de haine dans les espaces publics)»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 80 oui contre 1 non.
Mis aux voix, le titre ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, le préambule est adopté, de même que l'article unique (souligné).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 13241 (nouvel intitulé) est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 83 oui contre 1 non.