Séance du vendredi 27 janvier 2023 à 18h
2e législature - 5e année - 9e session - 54e séance

PL 13241
Projet de loi constitutionnelle de Thomas Bläsi, François Lefort, Stéphane Florey, Gilbert Catelain, Boris Calame, Guy Mettan, Pierre Conne, Jocelyne Haller, André Pfeffer, Salika Wenger, Alexis Barbey, Françoise Nyffeler, Nicole Valiquer Grecuccio, Jean-Charles Rielle, Grégoire Carasso, Bertrand Buchs, Christo Ivanov, Thomas Wenger modifiant la constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE) (A 2 00) (Interdiction des symboles nazis sur le domaine public)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 26, 27 janvier, 2 et 3 février 2023.

Premier débat

Le président. Nous abordons notre dernière urgence de la soirée: il s'agit du PL 13241, que nous traiterons en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à l'auteur du texte, M. Thomas Bläsi.

M. Thomas Bläsi (UDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, chers collègues, en préambule, je pense essentiel de préciser avoir toute conscience... (Brouhaha. Un instant s'écoule.) ...suite à nos nombreux échanges, que nous sommes finalement d'accord sur le fond du texte dont nous discutons aujourd'hui. Il en découle que mon intervention se concentrera essentiellement sur la forme, qui soulève quelques questions.

Sur un plan législatif tout d'abord: un député des Verts, M. Yannick Maury, a déposé une motion dans le canton de Vaud. A Fribourg, des députés socialistes ont interpellé le Conseil d'Etat, et une commission du Conseil national a également voté dans ce sens récemment. Après plusieurs dizaines d'années et de nombreux textes déposés, plusieurs parlements cantonaux donnent des signes clairs quant à leur volonté de légiférer dans le sens d'une interdiction des symboles nazis. Il est essentiel, dans ce contexte, que Genève se manifeste pour contribuer à la synergie intercantonale actuelle. A cet égard, s'agissant de la forme, le rapport de l'Office fédéral de la justice publié le 15 décembre 2022 a élargi le champ des possibles et exposé les obstacles rédactionnels à éviter. Sur la forme, le rapport admet donc sans détour la capacité législative des cantons dans ce domaine.

La difficulté de légiférer, telle qu'exposée dans le rapport, tient au fait que le niveau législatif idéal est interdépendant de l'approche souhaitée. Ainsi, dans l'hypothèse que le législateur souhaite mettre en place une approche répressive, l'idéal serait de renforcer l'article 261bis du code pénal afin de viser - dans l'idéal - une uniformité cantonale. L'article 261bis du code pénal pourrait alors être complété pour qu'il interdise explicitement les symboles nazis. Une autre option serait d'adopter une loi spéciale permettant l'interdiction des symboles nazis de manière plus détaillée. Si le législateur souhaite une approche plus préventive, l'interdiction devrait plutôt être réglée dans le droit policier des cantons. Excusez-moi, mais j'aimerais juste pouvoir parler; c'est vraiment pénible. (L'orateur s'adresse à quelqu'un sur sa gauche.)

Une voix. Pardon.

M. Thomas Bläsi. Le rapport de l'OFJ précise, s'agissant des difficultés liées à un passage par la voie législative simple, que la mise en place d'une norme cantonale est par ailleurs possible - une norme cantonale est par ailleurs possible ! Cette norme devrait être rédigée de manière claire, précise, compacte et en prévoyant des exceptions pour que l'utilisation des symboles visés à des fins scientifiques, éducatives, artistiques ou journalistiques reste possible.

La description, dans le rapport de l'OFJ, des possibilités et des obstacles rédactionnels converge très clairement vers l'établissement d'une norme constitutionnelle comme étant le meilleur recours. Cela permet au parlement d'affirmer sa volonté de légiférer, tout en respectant la séparation des pouvoirs - la forme proposée répond parfaitement aux exigences fédérales. Pour le dire d'une autre manière, une nouvelle norme constitutionnelle permettrait au parlement d'affirmer sa volonté sur le fond, comme cela a été réaffirmé en préambule s'agissant de notre base de travail commune de ce soir.

Il est évident que ce texte, dont la portée symbolique est intrinsèquement forte, prend encore un relief particulier ce 27 janvier. Aujourd'hui est célébrée la journée internationale de la commémoration de la Shoah et de prévention des crimes contre l'humanité. Ce jour pourrait également être celui où Genève s'affirmerait précurseur dans ce débat national. Le fait de mettre notre législation en accord avec nos convictions humanistes rejaillirait sur l'aura de toute la Genève internationale. Pour toutes ces raisons, je vous appelle à refuser les possibles demandes de renvoi en commission et à accepter le vote sur le siège.

En conclusion, je citerai le message du Conseil fédéral lors de cette journée de commémoration: «Retenir les leçons historiques de l'Holocauste est un devoir permanent. Nous devons toutes et tous nous engager, constamment et partout, contre la propagation de l'antisémitisme et du racisme.» Monsieur le président, je vous remercie.

M. Alexis Barbey (PLR). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, après avoir parlé de la forme de ce projet de loi, je tiens à rappeler quelques-unes des images qui sont liées à ce projet de loi. Pourquoi vouloir interdire les symboles nazis ? On a l'impression que ça vient un peu comme la pluie après les vendanges, parce que nous sommes quarante ans plus tard - nous sommes même cinquante ans plus tard - et que ça n'aurait pas de raison d'être, mais on se souvient. On se souvient de ces rassemblements de Nuremberg où les foules étaient ramassées et où l'esprit de l'individu était complètement happé par l'esprit de la collectivité, par la haine. La force de ce mouvement était inspirée par la haine qu'il avait des autres, de certaines parties de la population; je pense en particulier aux Juifs, aux Roms, aux homosexuels, et j'en passe.

C'est pour éviter que tout cela revienne que nous déposons ce projet de loi. Ces dispositions nous paraissent une évidence: il ne faut évidemment pas laisser un trou comme ça, béant, dans notre arsenal législatif; cela nous permettrait d'éviter les débordements. C'est à ce titre que je vous demande de voter ce projet de loi sans passage en commission. Je vous remercie.

Une voix. Mais non !

M. Alexis Barbey. Eh bien, si !

La même voix. Ce n'est pas ce qu'on avait dit !

M. François Lefort (Ve). Impérialisme, racisme, antisémitisme, eugénisme, colonialisme, ethnodifférentialisme: ce sont des critères relatifs aux idées nazies ! Plus généralement, ce sont des idées antihumanistes ! Plus que de simples idées mises ensemble, c'est un programme. Alors oui, ici, nous sommes un pays démocratique; nous sommes partisans de la liberté de pensée, de la liberté d'expression de toutes les idées - pour autant qu'elles soient humanistes.

Le Conseil fédéral, récemment, dans ses réponses aux interventions de conseillers nationaux, a plaidé la tolérance dont nous devrions faire preuve envers ce qu'il nomme des idées dérangeantes. Mais, Mesdames et Messieurs, nous avons tous des idées dérangeantes, pour les autres ! Vous avez tous eu, aujourd'hui, des idées dérangeantes: on l'a vu avec les interventions qui ont animé cette salle, et cela est sain ! Cela s'appelle la démocratie ! Personne parmi vous ne nourrit en revanche d'idées haineuses à l'égard des autres, de ceux qui expriment des idées différentes et dérangeantes.

Les idées haineuses visant à l'annihilation, à la spoliation ou à la mise en esclavage d'une partie de la population propagées par le nazisme et d'autres idéologies ne sont pas des idées dérangeantes, ce sont des idées dangereuses ! Ce sont des idées dangereuses pour la démocratie et antihumanistes; des idées ennemies, qui existent et sont celles d'une extrême minorité de nos populations, en Suisse ou en Europe. Une extrême minorité qui se sent libre en Suisse, qui propage ses idées ennemies par le commerce d'objets nazis, attirant ici de toute l'Europe, pour y faire leurs courses, de pauvres âmes cultivant un romantisme morbide.

C'est une anomalie que de tolérer ce commerce ! Ce n'est d'ailleurs plus un commerce de reliques du passé: des bibelots sont fabriqués à la chaîne, comme on fabriquerait des boules à neige et des boîtes qui font «meuh». Alors, j'aime beaucoup les boîtes qui font «meuh», qui sont très suisses; par contre, tout ce qui ferait «Heil Hitler» et «Heili, heilo» n'est pas suisse, est antihumaniste et est notre ennemi. Voilà la raison de voter ce projet de loi constitutionnelle, que nous vous présentons pour interdire les symboles et les objets nazis - et par conséquent leur commerce. Pour quelle raison ? Pour nous protéger de ces idées ennemies qui n'ont pas rien à voir avec les idées humanistes. Ce soir, nous vous proposons donc un projet anticonstitution... (Exclamations amusées. Rires. L'orateur rit.)

Une voix. Ah ben bravo !

Une autre voix.  Ça ne m'étonne pas !

M. François Lefort. Oui, mais ça ne m'arrive pas souvent ! Bon ! Nous vous proposons ce projet constitutionnel de façon à en terminer avec une anomalie européenne: la tolérance du commerce des objets nazis. Merci. (Applaudissements.)

M. Pierre Vanek (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, François Lefort a parlé à l'instant du commerce de croix gammées et d'aspects de détail ! Sur le fond, il y a une bataille d'idées à mener: une bataille politique contre le nazisme bien sûr, contre le fascisme, contre le racisme, contre l'islamophobie, contre l'antisémitisme, contre la xénophobie ! Et moi, je suis réservé par rapport à ce projet de loi; ma religion n'est pas faite à ce stade. Je suis réservé parce que je pense que les batailles d'idées doivent se mener à coups d'idées et non à coups d'interdits ou de mesures administratives. Il serait très facile de voter cet objet et d'avoir bonne conscience, de dire: on a fait ce qu'il fallait, on a bouché - je crois que c'était l'expression de François Lefort - un vide dans notre législation; circulez, il n'y a plus rien à voir !

Or, Mesdames et Messieurs, le fascisme moderne, les régimes autoritaires, antidémocratiques, problématiques à de nombreux titres, ne reviendront pas sans doute avec tous les oripeaux antérieurs du nazisme, avec des croix gammées ! Ils reviendront, ils mûrissent leurs offensives possibles sur le terrain de la xénophobie ordinaire. Ils s'inventeront de nouveaux symboles, ils feront autrement. Ce sont ces batailles-là qu'il faut être capable de mener, et je ne suis pas persuadé que le vote sur le siège, sans débat sérieux en commission, à la hussarde et à la va-vite, sans même que les citoyens aient pu être informés avant hier que cette affaire-là allait être débattue, soit une bonne idée.

Pour ma part, si on devait en débattre, j'aurais pour le moins un ou deux amendements à poser sur la table. Je ne les présente pas maintenant, ce n'est pas le moment, mais j'insiste sur le renvoi en commission de ce texte, parce qu'on se dirige vers une votation populaire - une votation constitutionnelle - et celle-ci doit être préparée: c'est notre fonction de parlementaires ! On a réécrit la constitution, on a cru indispensable de créer une assemblée ad hoc et puis de discuter pendant quatre ans, mais ce n'est pas ce que je demande: cet objet doit évidemment être traité en commission pour revenir avec des rapports qui permettent aux uns et aux autres d'avoir des positions un tout petit peu plus préparées, un tout petit peu plus étayées, à la mesure de l'importance du sujet qui est posé sur la table avec ce projet de loi. Merci.

M. Pierre Conne (PLR). Chers collègues, il y a un temps pour militer et il y a un temps pour légiférer. Je suis signataire de ce projet de loi, ce que j'ai fait comme un acte militant. A partir de maintenant, nous devons apaiser la dimension militante et nous attaquer au fond de la problématique. Il est impensable de faire l'impasse sur un travail en commission pour un projet de loi aussi important ! Il n'y a pas d'urgence; par contre, il y a un problème majeur de fond sur lequel nous devons travailler en commission. Que dirait demain le juge si, devant s'intéresser à l'avis du législateur, il se trouvait face à un vide sidéral ? C'est absolument inconcevable. En plus, inscrire dans la constitution l'interdiction de ces signes sans modalités d'application, c'est comme inscrire dans la constitution «tu ne tueras point» mais ne pas prévoir de loi pénale d'application, ce qui permettrait aux criminels de continuer à égorger dans la joie et la bonne humeur. Non !

Mesdames et Messieurs, nous devons nous poser la question du fond. Nous devons nous poser la question du rang législatif: projet de loi constitutionnelle et projet de loi ou seulement un projet de loi, ce qui aurait l'avantage d'une application beaucoup plus rapide ? Nous sommes dans l'incapacité de décider ce soir et je vous demande d'accepter le renvoi en commission de ce texte. C'est un acte responsable, qui nous permettra vraiment d'agir pour l'avenir afin d'atteindre l'objectif voulu, c'est-à-dire éviter les dérives excessives, les dérives inadmissibles que représentent l'utilisation et l'abus des signes et symboles nazis dans l'espace public. Je vous remercie de votre attention.

Une voix. Bravo !

Mme Patricia Bidaux (PDC). Que dire après cet argumentaire selon lequel le fond n'est pas encore acquis et il faudra mettre en place la législation ensuite ? Mais ce sera le cas, quel que soit le vote de ce soir ! Il faudra bien légiférer, il faudra bien donner un cadre à ce nouvel article constitutionnel. En novembre 2021, une motion a été déposée à Berne, que le Conseil national n'a pas encore traitée: elle demande que soit effectivement interdite et pénalisée l'utilisation dans l'espace public, réel comme virtuel, de symboles nazis connus de tous. Pour son préavis, le Conseil fédéral a analysé ce texte sous l'angle de la propagande; c'était le seul moyen qu'il avait de pouvoir le traiter. Il dit que rien ne peut être fait tant qu'il n'y a pas de volonté de propagande dans l'espace public. Et d'ajouter que l'utilisation de symboles nazis peut indéniablement être choquante et accablante pour les victimes de l'Holocauste et leurs familles.

Le 12 janvier 2023, la commission des affaires juridiques du Parlement s'empare également du sujet et demande de créer une loi spéciale - une nouvelle loi qui instaurerait une nouvelle forme de peine dévolue à l'utilisation de symboles nazis dans l'espace public. Cette loi spéciale appellerait des sanctions du même niveau que l'amende d'ordre - c'est ce que dit la commission -, et il faudrait mettre en place une ordonnance d'exécution.

Le 15 décembre 2022, M. Bläsi en a parlé, est sorti le rapport de l'Office fédéral de la justice qui confirme que le texte constitutionnel est bel et bien le meilleur moyen aujourd'hui pour marquer notre choix. Le faire en ce jour de mémoire serait une marque de notre engagement: j'ai entendu que nous nous sentons toutes et tous concernés, que nous sommes unanimes à condamner l'exhibition et le commerce de ces objets encore trop souvent visibles dans l'espace public.

Alors quel choix pourrait-on bien avoir ce soir ? Eh bien le choix de ne pas nous cacher derrière l'argumentaire de la Confédération et d'affirmer, comme nos collègues d'autres cantons, qu'ici, à Genève, patrie des droits de l'homme, nous ne tolérons pas l'exhibition ou le port de symboles nazis: non seulement ils portent atteinte à la dignité humaine, mais ils véhiculent une idéologie mortifère que nous n'entendons pas banaliser.

Le PDC-Le Centre soutiendra cet objet sur le siège. Si un renvoi en commission devait se dessiner, le PDC-Le Centre restera très attentif et très engagé quant au maintien du texte à son niveau actuel - il ne faudra pas lui retirer de sa substance -, tout comme il sera attentif au délai de traitement. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs. (Applaudissements.)

Mme Ana Roch (MCG). Ce 27 janvier, cela a été relevé, marque la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste. Quelle meilleure occasion que celle-ci pour débattre du sujet de ce texte ? Les diverses démarches législatives doivent contribuer fortement à une prise de conscience collective: nous ne pouvons pas banaliser la réalité effrayante de la Shoah et tout ce qui s'est produit en ces circonstances.

Durant la pandémie, nous avons vu ressurgir les démons du passé avec l'utilisation d'emblèmes nazis - à croire que d'aucuns ne mesurent pas leur portée. Avec les dispositions proposées par ce texte, nous pouvons signaler clairement qu'il n'est pas anodin d'utiliser ce genre de symboles. Par la même occasion, nous soutenons la mémoire des victimes et de leurs familles. L'importance de la démarche mériterait un vote sur le siège; cependant, le MCG soutiendra le renvoi en commission. Merci.

Une voix. Bravo !

M. Cyril Mizrahi (S). Tout d'abord, j'aimerais remercier le député Thomas Bläsi pour le dépôt de cet objet: je pense que la question est tout à fait pertinente et que c'est un bon projet - le groupe socialiste pense que c'est un bon projet. C'est un texte qui a sa place au niveau constitutionnel et que nous devons, contrairement à ce que j'ai entendu de la part de certains et certaines, soutenir sur le fond. Parce que M. Lefort nous disait tout à l'heure qu'il y a certaines idées qui sont bien, d'autres idées qui ne sont pas bien. Il faut être très clair: la haine de l'autre n'est pas une opinion ! Et, pour M. Vanek, je ne pense pas que cette histoire des croix gammées est un détail: je crois que ces choses sont véritablement nocives. La haine de l'autre est nocive pour la démocratie et nous devons effectivement légiférer en vue d'interdire ces croix gammées, ces symboles nazis.

J'ai entendu dire qu'il faut de toute façon faire le débat d'idées, qu'il faudra de toute façon concrétiser, etc. J'entends bien ! Mais je pense qu'on tient là une première étape, et cette première étape, on doit y souscrire. Maintenant, le PS votera quand même le renvoi en commission, parce qu'il s'agit d'un projet de loi constitutionnelle. Ce n'est pas une motion, c'est quelque chose de sérieux - c'est un sujet sérieux: on touche à la constitution et ça vaut la peine de se poser un certain nombre de questions. Est-ce qu'on veut, par exemple, interdire les symboles nazis uniquement sur le domaine public, comme le propose le texte ? En ce qui me concerne, je ne suis pas du tout convaincu; je pense qu'il faut discuter pour déterminer jusqu'où on veut aller dans cette interdiction des symboles nazis.

Il y a donc quand même des questions qui se posent, et je pense qu'on ne peut pas faire l'économie de leur traitement parce que ce jour revêt une importance symbolique particulière; ce n'est pas, à mon sens, faire justice à cette thématique. Je vous propose donc, pour traiter le sujet comme il le mérite en ce jour également, de voter le renvoi en commission pour le traiter jusqu'au bout. Je vous remercie.

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Thévoz, il vous reste trente secondes.

M. Sylvain Thévoz (S). Merci, Monsieur le président. Le «Blick» relevait fin décembre qu'un élu de l'UDC Genève était accusé de néonazisme, et l'article mentionne que ce député suppléant «like» des pages sur Facebook telles que celles de Légion 88, groupe de rock anticommuniste, de la 28e division SS Wallonie, de la Luftwaffe ou de l'Afrikakorps. Ce charmant député suppléant, qui a prêté serment ici même, fait également l'apologie... Il était membre de Kalvingrad Patriote, groupe d'extrême droite néofasciste genevois. (Commentaires.) Mes questions pour l'UDC sont les suivantes: est-ce que ce député suppléant est toujours dans votre groupe - est-ce que vous l'avez mis dehors ? -, et quel est le lien avec ce projet de loi, que vous déposez de manière opportune aujourd'hui ? Merci. (Commentaires.)

M. Patrick Dimier (MCG). Durant la dernière guerre, un de mes oncles était le chef de la résistance dans le Pays de Gex et c'est lui notamment qui a permis à la soeur du général de Gaulle de s'extraire et de venir chez nous. C'est donc naturellement un sujet qui me touche et dans lequel j'ai bien entendu l'occasion de m'impliquer personnellement.

Une voix. Bravo !

M. Patrick Dimier. Mais on n'est pas là pour s'occuper d'affaires personnelles - je renvoie le compliment à M. Thévoz, qui s'est attaqué personnellement à un élu de la république. Que ça lui plaise ou non, c'est un élu de la république ! Et on n'est pas là pour ça ! On est là pour viser la cible absolument centrale de ce débat, c'est-à-dire éradiquer autant que faire se peut la peste - je répète: la peste - nazie ! C'est notre devoir à tous: c'est notre devoir de démocrates et c'est surtout, surtout, notre devoir de mémoire.

Mais j'aimerais quand même, avant de conclure, rappeler une chose très importante, parce qu'elle a malheureusement été effacée. Souvenez-vous de qui a libéré le camp d'Auschwitz: ce sont les Russes. C'est dramatique, et ça montre et ça prouve - ça montre et ça prouve ! - le devoir que nous avons de lutter contre ça, quel que soit notre camp et quels que soient les hasards de l'histoire. Je ne soutiens absolument pas les Russes aujourd'hui, mais je tiens à ce qu'on n'oublie pas que ce sont eux qui nous ont permis de gagner la guerre: ils ont pris Berlin et ont mis à terre les nazis ! Point ! (Commentaires.)

Une voix. Très bien !

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe maintenant la parole à M. Thomas Bläsi. (Brouhaha.) Monsieur Thomas Bläsi, vous avez la parole ! (Brouhaha.) Vous prendrez la parole quand il y aura un peu de silence, parce que pour l'instant on ne vous entendrait pas. (Un instant s'écoule.)

M. Thomas Bläsi (UDC). Merci, Monsieur le président. Ecoutez, je ne reviendrai pas sur les propos de M. Thévoz: je lui propose d'échanger avec la personne concernée ou avec la direction du parti. Je ne vois pas quelle explication je pourrais lui fournir ou quelle responsabilité je pourrais avoir personnellement; je pense que mon engagement est assez clair dans ce texte.

Maintenant, ce que j'aimerais tout de même dire, s'agissant de la difficulté de prendre une décision parce que vraiment, quand même... On parle d'un texte qui a deux alinéas: le premier alinéa fait une ligne et comporte «contre le racisme et l'antisémitisme», plus les verbes qui vont avec. Le deuxième alinéa interdit les symboles nazis sur le domaine public, plus les verbes qui vont avec. Ce texte a été déposé le 4 janvier; vous pouviez le signer jusqu'au 10 janvier. Vos groupes se sont réunis entre le 20 et le 25 janvier pour prendre une décision et arrêter une position de fond sur ce texte - vous avez eu plus d'un mois pour décider ce que vous vouliez faire de deux phrases. Ces deux phrases correspondent exactement à la possibilité maximum qu'on a d'un point de vue législatif, et c'est effectivement un texte constitutionnel pour affirmer notre volonté de légiférer et avoir une synergie avec les autres cantons. Alors nous n'aurons pas, je pense, la valeur du symbole ce soir, et j'en suis très triste; je suis par contre heureux que nous soyons d'accord sur le fond. Je vous rends la parole, Monsieur le président, et vous remercie.

Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, on l'a mentionné, le 27 janvier est un jour important, et c'est vrai qu'il est important que le parlement, sur le fond, donne un signe. Cela dit, et j'y reviendrai, le Conseil d'Etat soutiendra le renvoi en commission, parce que quand on traite un projet de loi constitutionnelle de cette importance, il est nécessaire de vérifier qu'on ait bien tout prévu et qu'on n'ait pas oublié certaines choses, qu'il n'y ait pas certains problèmes qui puissent se poser. Cela dit, sur le fond - et j'aimerais exprimer, là, la position du Conseil d'Etat -, nous défendons bien évidemment ce que demande ce projet de loi. Pourquoi ? Parce que ni le racisme ni l'antisémitisme ne sont d'un seul lieu ou d'un seul temps.

On sait également que lorsqu'il y a un génocide, celui-ci n'arrive jamais par hasard ! Il y a eu le dénigrement, la stigmatisation systématique d'un groupe ethnique, pendant des années, pendant parfois une décennie, parfois même, si on parle des Juifs, pendant des siècles ou des millénaires. Les symboles, les mots préparent donc toujours les actes, et le rôle que vous voulez assigner au canton est extrêmement important - il le remplit d'ailleurs en partie: l'Etat met en oeuvre une politique de lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

Nous le faisons dans nos écoles: celles et ceux qui parmi vous sont enseignants savent très bien que la Shoah comme tous les génocides sont extrêmement étudiés dans les programmes d'histoire. Et qu'on rappelle que les mots mènent aux actes ! Que, par exemple, les nazis traitaient les Juifs de parasites et que les génocidaires hutus, au Rwanda, qualifiaient les Tutsis de cancrelats ou de cafards. C'est exactement la même chose: on dénigre, on prépare et, pour finir, on extermine. Et on extermine parce qu'une partie de la population reste passive. On extermine parce que certains se disent: «Ah, mais j'obéis aux ordres et donc je ne suis pas responsable.» Il y a une forme de dissolution de la responsabilité; on ne sait plus très bien qui est le responsable du génocide.

Oui, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat soutient bien évidemment une inscription dans la constitution de l'interdiction des symboles nazis, des symboles liés au racisme, mais il vous demande de renvoyer cet objet en commission pour s'assurer que le texte qui sera au final soumis à la population soit tout à fait acceptable pour chacune et chacun.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous avons une demande de renvoi en commission, sur laquelle je vous invite à vous prononcer.

Mis aux voix, le renvoi du projet de loi 13241 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est adopté par 56 oui contre 28 non et 2 abstentions.