Séance du
vendredi 24 mars 2023 à
18h05
2e
législature -
5e
année -
11e
session -
69e
séance
PL 13259
Troisième débat
Le président. Nous continuons nos urgences avec le troisième débat du PL 13259. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Madame Diane Barbier-Mueller, je vous donne la parole.
Mme Diane Barbier-Mueller (PLR). Merci, Monsieur le président. Je vais être brève, parce qu'on a déjà fait toute la discussion il y a deux semaines. Voici un rappel succinct: ce projet de loi demande le maintien de ce qui s'était toujours fait, à savoir l'accueil des enfants dès l'âge de 3 ans révolus au 31 décembre de l'année scolaire en cours.
Je vous fais part toutefois d'un petit rebondissement: après discussion entre le Conseil d'Etat et les écoles privées, un accord a pu être trouvé, qui convient à tout le monde. Il permet de maintenir le statu quo et de proposer aux familles une réelle offre alternative au système public grâce à l'accueil des enfants dès 3 ans, tout en garantissant les conditions d'accueil adaptées à la petite enfance. Je remercie le Conseil d'Etat pour cette proposition qui convient très bien. Voilà, Monsieur le président.
M. Emmanuel Deonna (S). Le succès de l'initiative pour des places de crèche gratuites l'a prouvé: la population a une très forte attente, qui est légitime. Nous devons développer de nouvelles structures d'accueil de la petite enfance pour atteindre l'idéal «un enfant, une place». Il manque en effet environ 5000 places de crèche dans le canton, en particulier dans les communes suburbaines telles qu'Onex, Meyrin, Vernier et Lancy, et leur prix est trop souvent prohibitif, en dépit des subventions.
Les signataires de ce projet de loi déplorent une modification du règlement d'application de la loi sur l'accueil préscolaire. Selon eux, cette modification empêcherait les écoles privées de continuer à accueillir les enfants dès 3 ans et de proposer ainsi une offre adaptée et complémentaire. Les signataires de ce texte ont raison de le souligner: la garde effectuée à la maison par une personne externe ne garantit pas nécessairement un encadrement d'aussi bonne qualité que les établissements dédiés à cette fonction. Il est aussi vrai que de nombreuses mamans sont contraintes de renoncer à leur activité professionnelle, et que plus longtemps elles mettent leur carrière entre parenthèses, plus il leur est difficile de retrouver du travail.
Mesdames et Messieurs les députés, les autorités doivent tout mettre en oeuvre pour lutter contre la pénurie de places d'accueil. Cependant, elles doivent aussi veiller à garantir que les conditions de travail et les prestations sociales en usage dans le secteur de la petite enfance soient respectées.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme Nicole Valiquer Grecuccio pour une minute trente-quatre.
Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S). Merci, Monsieur le président. Le groupe socialiste aurait évidemment préféré pouvoir entendre la conseillère d'Etat expliquer l'amendement avant de participer à ce débat.
Le parti socialiste se félicite que des négociations aient pu se dérouler. Par contre, il regrette toujours que le projet de loi n'ait pas pu être discuté comme il se doit en commission, afin que chacun et chacune ici puisse voter en ayant les tenants et les aboutissants, comme c'est le cas lorsqu'on étudie un projet de loi sérieusement.
D'après ce que nous avons compris, cet amendement permettra de répondre à la loi sur l'instruction publique, mais on ne dit toujours rien de ce qu'il en est avec le système HarmoS ni avec FO18. En tant que socialistes et - j'imagine et ose espérer - en tant que députés et députées de ce canton, nous devons garantir les mêmes conditions aux enfants, qu'ils soient dans des écoles privées ou dans les écoles publiques. Nous attendons donc, avant de nous prononcer, l'intervention de la conseillère d'Etat. Merci beaucoup.
M. Pablo Cruchon (EAG). Mesdames les députées, Messieurs les députés, le groupe Ensemble à Gauche s'opposera au projet de loi et à l'amendement proposé par le Conseil d'Etat. D'abord, concernant le projet de loi: selon nous, il va vraiment à l'encontre de la vision que nous avons de l'accueil préscolaire. Pourquoi ? Parce que ce texte va favoriser la privatisation de ce secteur, en enfonçant un coin dans ce marché. Deuxièmement, il permet de contourner les normes d'encadrement, qui sont prévues par la loi sur l'accueil préscolaire et qui ont fait l'objet de débats, de référendums et de discussions avec les personnes concernées. Troisièmement, il affaiblit la position des crèches et induit un accueil préscolaire à deux vitesses. Or qui seront les principales victimes de ce genre de projet élitiste ? Ce seront évidemment les populations qui n'ont pas accès à de bonnes écoles faute de moyens.
Nous sommes opposés à ce projet de loi parce qu'il met en danger l'idée d'un service public de bonne qualité accessible à toutes et tous. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ce texte permettrait d'accueillir dès 2 ans et demi - écoutez-moi bien: dès 2 ans et demi ! - des enfants dans des taux d'encadrement inférieurs - je dis bien inférieurs - à ce qui est préconisé par la loi. C'est-à-dire que nous avons affaire soit à des écoles qui, pour s'aligner sur les prix, pratiquent du dumping salarial compte tenu des conditions de travail, soit à des écoles qui doivent rogner sur le taux d'encadrement pour avoir des prix corrects. Nous avons donc un problème ou de dumping ou de qualité d'accueil. Pourtant les études sont claires: la question de l'accueil préscolaire est au centre de la lutte contre les inégalités sociales. En effet, un accueil préscolaire de bonne qualité réduit les inégalités au moment de l'entrée à l'école et les inégalités présentes dans d'autres sphères de la vie.
Face à cette offensive, nous avons un projet - nous l'avons déjà dit - à savoir l'initiative pour des crèches gratuites et en nombre suffisant. C'est un autre modèle; on postule que cela doit être un service public, comme l'école, accessible à tous, avec des normes d'encadrement, avec de la qualité, avec du personnel formé. Or, ces garanties ne figurent pas dans ce projet de loi.
J'aurais tendance à dire que l'amendement du Conseil d'Etat est pire encore, car il prévoit d'inscrire ces dispositions dans la LIP, la loi sur l'instruction publique, la sortant ainsi de la loi sur l'accueil préscolaire, et précise qu'on doit négocier les taux d'encadrement. On avoue dès le début qu'on ne respectera pas les taux d'encadrement en vigueur dans la loi et que ce sera fait sans contrôle démocratique, puisque c'est un règlement d'application.
Il faut donc refuser ces deux projets et soutenir un véritable service public de l'accueil préscolaire qui réponde aux besoins de la population, de toute la population et pas seulement des populations favorisées et qui ont les moyens. Il manque 4000 à 5000 places de crèche; il est donc nécessaire de donner des moyens pour les créer, former le personnel, et les rendre gratuites. Je vous remercie.
Mme Diane Barbier-Mueller (PLR). Je ne réponds pas à la haine anti-privés de M. Cruchon. Je veux juste préciser, parce que je ne l'ai pas fait, que le PLR soutiendra l'amendement du Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. Didier Bonny.
M. Didier Bonny (Ve). Merci, Monsieur le président. Je souhaite vous demander si en troisième débat on peut demander un renvoi en commission. On peut le faire, non ?
Le président. Oui.
M. Didier Bonny. Merci. Très bien; ce sera donc la conclusion de mon intervention.
Le président. Vous avez terminé ?
M. Didier Bonny. Non, je n'ai pas terminé. (Rires.) Ce sera la conclusion, Monsieur le président; il faut m'écouter, s'il vous plaît, merci. (L'orateur rit.) Je ne vais pas redonner l'intervention que j'ai faite la dernière fois, même si vous ne vous en souvenez probablement pas: j'avais posé plusieurs questions au sujet de ce texte. Logiquement, j'avais demandé qu'il soit renvoyé en commission. Or j'ai bien compris aujourd'hui que l'amendement du Conseil d'Etat essaie de limiter les dégâts, puisque, compte tenu de la majorité de ce parlement, cet objet sera très vraisemblablement voté.
Cela étant dit, parmi toutes les questions que j'avais posées, il y en a quand même... Je n'en repose que deux. Voici la première: combien coûte en moyenne l'écolage pour une année en école privée à cet âge ? Je pose la question corollaire: cette solution n'est-elle pas réservée aux familles qui peuvent se la permettre ? La seconde question, la voici: sachant que la première primaire est obligatoire, qu'advient-il des enfants qui arrivent dans le système public après avoir déjà fait non pas une année scolaire - comme je l'avais dit la dernière fois - mais deux ? Que va-t-il se passer quand ces enfants vont rejoindre le système public ?
Il me semble que ces questions-là sont totalement légitimes. Il faut donc pouvoir se les poser en toute tranquillité en commission, et non voter sur le siège un projet de loi quand même assez fondamental. Monsieur le président, vous m'aurez donc vu venir: je demande cette fois le renvoi de ce texte en commission. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je le ferai voter après que tout le monde se sera exprimé. Monsieur Xavier Magnin, vous avez la parole.
M. Xavier Magnin (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Le Centre est heureux qu'un compromis soit trouvé et proposé. Cela permettrait de conserver cette mixité et cette complémentarité de l'offre scolaire et de garder l'attractivité pour les internationaux notamment, mais aussi pour nos concitoyens. Cette proposition correspond à ce que l'on trouve en France voisine par exemple; elle permet aussi aux expatriés d'assurer un retour dans leur système scolaire.
Les offres ne sont pas concurrentes, elles sont complémentaires; l'essentiel est véritablement là, sans négliger le fait que cela soulagera pour partie les besoins déficitaires en garde d'enfants d'âge préscolaire - environ 450 à 500 enfants sont en effet concernés. Par ailleurs, le passage entre l'école publique et l'école privée se fait déjà depuis de nombreuses années, et cela ne pose absolument aucun souci. C'est donc un bon compromis, et Le Centre vous recommande d'accepter... (Quelqu'un éternue.) Santé ! (Rires.) ...le PL 13259 amendé. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme Danièle Magnin. (Un instant s'écoule.)
Mme Danièle Magnin (MCG). Je suis désolée. (L'oratrice rit.) Je ne savais pas que j'avais déjà la parole. Comme je l'ai expliqué la dernière fois, j'ai toujours vu pendant mon propre cursus scolaire des jardins d'enfants qui accueillaient des enfants dès 3 ans; rien n'a changé, il n'y a pas eu de morts, ni de dégâts, ni de vrais soucis.
En revanche, voici ce qui se passe maintenant: nous manquons de milliers de places de crèches. Une nouvelle motion, je crois, a été déposée en faveur de la gratuité des places de crèche, ce qui est un leurre total ! Je vous signale une autre méthode: il s'agirait de faire payer les places en crèche aux gens en fonction de leurs revenus, mais du coup, vous n'auriez plus les personnes qui ont des revenus importants: pour garder leurs enfants, elles prendraient quelqu'un à la maison ou se mettraient à plusieurs. En ce qui concerne le MCG, nous soutiendrons ce projet de loi. Merci.
Le président. Merci, Madame la députée. Monsieur Cruchon, il vous reste quinze secondes.
M. Pablo Cruchon (EAG). Ce sera très bref. C'est pour dire que ce n'est pas un leurre. Du reste, 6500 personnes ont appuyé notre initiative en l'espace de cinq semaines: c'est bien la preuve que la population veut un projet de gratuité ouvert et un service public de bonne qualité. Je vous remercie.
Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous le savez, j'étais extrêmement inquiète la session passée, lorsque ce projet de loi a été déposé. Au fond, il soulève deux enjeux. Je ne vais pas résumer les autres, mais je souligne celui des écoles privées qui font du suivi scolaire et qui accueillent des enfants de moins de 4 ans; et il y a celui, très pratique, des enfants de moins de 4 ans qui sont dans des structures comme les jardins d'enfants, comme les crèches, auxquels s'appliquent des règlements différents et une loi différente.
Avant de parler de l'amendement, je répondrai à l'une des questions de M. Bonny, à propos du coût des écoles privées: étant à la tête des écoles publiques, je ne connais pas ce coût exact. Je connais le prix de quelques-unes d'entre elles, mais je serais incapable de vous dire le coût global pour les petits. Je ne répondrai donc pas.
Par contre, je peux répondre à votre question concernant ce qui arrive à des petits qui ont commencé en école privée et qui rejoignent ensuite le public: ils sont inscrits dans la classe qui correspond à leur âge au sein du système public. Si les enfants ont commencé l'école avant ou sont nés au mois de septembre ou d'octobre et n'ont pas pu commencer l'école à 4 ans, en général les parents demandent un saut de classe. La demande est examinée et l'enfant obtient ou n'obtient pas un saut de classe. Voilà ce que je peux vous dire, mais j'imagine qu'en tant qu'ancien directeur d'école, vous savez un peu ce qui se passe. (Remarque.)
J'en viens à l'amendement. Ce qui m'inquiétait du fait que ce texte ne soit pas renvoyé en commission, c'était le risque d'une absence de contrôle, de surveillance adéquate, spécifique, pour des enfants petits, puisque le projet de loi permettra de fait à des enfants âgés de moins de 3 ans lors de la rentrée scolaire d'entrer dans un système de type français ou autre. Ce qu'il fallait absolument garantir, c'est qu'on puisse déterminer des conditions d'accueil qui correspondent aux écoles privées. Voilà pourquoi nous avons négocié un amendement.
Mais attention à une chose ! On parle bien d'écoles. Ce qui m'inquiétait aussi tout particulièrement, ce n'est pas les grandes écoles privées, qui ont déjà, de fait, un encadrement probablement suffisant, etc. Depuis quelques années fleurissent de petites écoles qui, en fait, sont des crèches ou des jardins d'enfants - je devrais plutôt dire des jardins d'enfants déguisés - et qui, sous prétexte de vide juridique, disent être des écoles afin d'échapper au taux d'encadrement, aux garanties concernant la formation du personnel, etc.
Cet amendement - c'est pour ça que nous avons voulu que ce soit la loi sur l'instruction publique - concerne des écoles; or, les écoles privées sont des écoles. Il ne concerne pas celles et ceux qui contourneraient la loi en faisant passer des jardins d'enfants pour des écoles. Voilà simplement ce que je voulais vous dire: c'est l'accord auquel nous sommes arrivés. Dans la mesure où une majorité du parlement souhaite voter cette loi aujourd'hui, je ne peux que vous demander de soutenir cet amendement qui permet de garantir un accueil de qualité. Merci.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous votons tout d'abord sur la demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du projet de loi 13259 à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport est rejeté par 54 non contre 34 oui.
Le président. Je vous fais voter à présent sur l'amendement général négocié avec le Conseil d'Etat, que voici:
«Titre (nouvelle teneur)
Projet de loi modifiant la loi sur l'instruction publique (LIP) (C 1 10)
Art. 1 Modifications (nouvelle teneur)
La loi sur l'instruction publique, du 17 septembre 2015, est modifiée comme suit:
Art. 43, al. 2 et 3 (nouveaux, les al. 2 à 4 anciens devenant les al. 4 à 6)
2 Les écoles privées qui délivrent des prestations d'enseignement relevant du degré primaire et équivalent au cycle élémentaire peuvent accueillir des enfants dès l'âge de 3 ans révolus au 31 décembre de l'année scolaire en cours.
3 Le règlement détermine les conditions d'accueil adaptées à l'âge des enfants, en concertation avec les écoles privées.»
Mis aux voix, cet amendement général est adopté par 74 oui contre 7 non et 9 abstentions.
Le président. Je soumets à vos votes l'ensemble de ce projet de loi tel qu'amendé.
Mise aux voix, la loi 13259 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 55 oui contre 34 non et 1 abstention (vote nominal).