Séance du
jeudi 2 mars 2023 à
17h
2e
législature -
5e
année -
10e
session -
60e
séance
PL 12305-A
Premier débat
Le président. Nous traitons à présent le PL 12305-A, classé en catégorie II, soixante minutes. Je donne la parole au rapporteur de majorité, M. Jean-Marc Guinchard.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. J'attendrai que mon collègue minoritaire puisse s'installer confortablement ! (Un instant s'écoule.) Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues, le PL 12305 a été déposé le 28 mars 2018 déjà, à la suite de l'entrée en vigueur du nouveau droit fédéral sur la nationalité suisse qui, lui, est entré en vigueur le 1er janvier 2018. Ce projet de loi a pour objectif d'adapter le droit cantonal aux modifications des dispositions fédérales, de l'actualiser et de lui donner une nouvelle terminologie plus adéquate, étant donné que le texte ancien était truffé de notions désuètes.
Le projet de loi tient également compte des voies de recours administratives contre un refus de naturalisation, ce qui a donné lieu à des jurisprudences récentes en la matière, lesquelles ont notamment relevé que le système des prérequis instauré dans le règlement sur la naturalisation ne reposait pas sur une base légale formelle. La procédure cantonale de naturalisation est en effet entièrement soumise aux principes généraux du droit administratif et, par conséquent, toute décision de l'autorité cantonale de naturalisation est sujette à recours auprès d'un tribunal indépendant.
Selon le Conseil d'Etat, le projet de loi est le fruit du travail d'un groupe pluridisciplinaire. Le nouveau droit fédéral de la nationalité met l'accent sur l'intégration des étrangers, qui postule l'existence d'un lien entre droit des étrangers et droit de la nationalité et entre intégration et naturalisation. Pour le législateur fédéral, la naturalisation est l'aboutissement de l'intégration. Le titre de la loi sur le droit de cité genevois a aussi été modifié, puisqu'il n'y a qu'une seule naturalisation, qui est suisse, mais plusieurs droits de cité: communal et cantonal.
D'aucuns pourront s'étonner du nombre de séances consacrées à une simple adaptation de notre législation cantonale à une nouvelle réglementation fédérale, ce d'autant que cette dernière ne laisse guère de marge de manoeuvre au législateur cantonal. La volonté des membres de la commission était d'examiner toutes les possibilités et les souplesses laissées par la loi fédérale - il y en a assez peu - dans le but de rendre le texte de la loi cantonale aussi clair et précis que possible pour les personnes concernées. A cela s'ajoute le fait que, comme annoncé lors de la présentation du projet de loi, le département a déposé de nombreux amendements afin de respecter les dernières décisions jurisprudentielles en la matière. Enfin, la commission a procédé à deux relectures minutieuses du texte de loi, d'abord pour d'éviter toute contradiction et toute incohérence s'agissant de dispositions techniques relativement compliquées, et ensuite pour traduire la totalité du texte en langage épicène.
C'est à une très large majorité - 11 oui contre 2 non et 1 abstention - que le texte a finalement été adopté. Il faut relever à cet égard que les oppositions tiennent au fait que pour une partie de la gauche et de l'extrême gauche, les dispositions fédérales actuelles sont insatisfaisantes. Pour cette minorité, c'est le droit du sol qui devrait l'emporter. Cette insatisfaction, il faut le relever, a aussi été énoncée par des membres de la majorité, qui ont toutefois estimé que le refus d'une disposition cantonale n'était pas le moyen de modifier une disposition fédérale. Cela étant, grâce notamment à l'expertise et aux compétences des membres de l'administration qui ont accompagné nos travaux - cela a été relevé par tous les groupes -, la majorité de la commission ne peut que vous recommander, Mesdames les députées, Messieurs les députés, l'acceptation de ce texte avec la même majorité que celle rencontrée en commission. Je vous remercie.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, la Suisse a mal à son processus de naturalisation. Nous avons quelque 8 millions d'habitants dans ce pays, dont 2 millions d'étrangers, soit un quart de la population qui est étrangère. A Genève, cette proportion est encore plus grande, puisque nous avons 40% de résidents étrangers. Ce fait est largement dû à une fabrique d'étrangers «made in Switzerland»: des étrangers qui naissent ici et qui, parce qu'il n'y a pas de droit du sol, sont écartés d'office de la nationalité qu'on pourrait leur donner et sont soumis à un processus de naturalisation particulièrement tatillon, difficile et semé d'embûches et d'obstacles. Ce n'est pas moi qui le dis: dans mon rapport, vous trouverez des extraits et le lien vers un article d'un pôle de recherche national piloté par l'université de Neuchâtel, qui comparait les droits de naturalisation dans différents pays européens. Celui-ci concluait - ce sont des Neuchâtelois qui ont réalisé cette étude - que la Suisse était le pays le plus restrictif d'Europe: «La Confédération apparaît comme le seul pays ne disposant ni d'élément de droit du sol dans son code de la nationalité ni d'aucun des mécanismes alternatifs» évoqués dans l'article. «La législation fédérale prévoit par ailleurs les conditions de naturalisation les plus restrictives d'Europe occidentale.»
C'est un réel problème ! Et c'est un problème qui mérite raisonnablement d'être évoqué, au moment où nous débattons de la naturalisation dans ce parlement genevois. Certes, on peut faire le travail d'appliquer le droit fédéral, mais enfin, quand même ! C'est l'occasion de faire un point sur ce droit fédéral et d'exprimer des avis ! Et l'avis que j'exprime par ce rapport de minorité, c'est que, dans le préambule sur l'objet de la loi, nous devrions dire que l'application des normes fédérales faisant l'objet de la présente loi n'entraîne ni ne signifie aucune adhésion politique du canton de Genève ou de ses autorités au système du droit du sang, qui fonde le droit fédéral en matière de nationalité.
Parce que dans cette histoire de droit du sang, il y a quand même un paradoxe: quand il s'agit d'admettre à la nationalité suisse des étrangers, y compris les étrangers qui sont nés ici, de la deuxième ou de la troisième génération, on est particulièrement tatillon sur leur degré d'intégration, sur leur maîtrise des langues nationales, sur ceci et sur cela. Par contre, le régime ordinaire de transmission de la nationalité suisse se fait «par le sang» - entre guillemets bien sûr -, avec des règles qui sont des règles médiévales, qui se débattaient dans le cadre de successions monarchiques, où il s'agissait de savoir quelle part de sang venait d'où, et encore dans des régimes beaucoup plus désagréables que les régimes médiévaux: en Allemagne, par exemple, les lois de Nuremberg prévoyaient justement toute une série d'analyses concernant le sang que les gens avaient ou n'avaient pas et qui justifiaient tels droits ou telle absence de droits dramatique et problématique.
On a donc un souci avec cette nationalité et cette naturalisation, et il faut en débattre maintenant. C'est un souci qui était partagé à l'époque où ce droit de la nationalité et de la naturalisation a été durci par les normes fédérales. Il a été durci avec l'exigence du permis C, qui est particulièrement problématique pour Genève, puisqu'une bonne partie des étrangers dans notre canton liés à la Genève internationale ont des permis Ci, donc des permis qui ne permettent pas la naturalisation. Le permis C est d'ailleurs un problème, parce qu'on n'a jamais droit à un permis C: il est délivré de manière administrative. Quand on vient de certains pays, il faut cinq ans pour obtenir un permis C, pour d'autres, il en faut dix, etc. Il y a donc un réel problème avec ce permis C comme fondement de la naturalisation.
J'avais interpellé le Conseil d'Etat à l'époque - c'était Pierre Maudet qui s'occupait de cela -, qui avait répondu qu'il était opposé à ce durcissement de la naturalisation, et le Conseil d'Etat avait fait une campagne recensant toutes les personnes susceptibles d'être naturalisées à Genève. 90 000 personnes l'étaient, et le Conseil d'Etat de l'époque avait adressé un message aux personnes qui allaient être privées du droit de se naturaliser les incitant à effectuer la démarche avant que ce nouveau droit fédéral ne s'impose. C'est dire si le gouvernement - à l'époque en tout cas - était hostile à cette mesure, puisqu'il est intervenu auprès de toute une série de résidents de ce canton pour leur demander de prendre des dispositions, de facto pour éluder une loi fédérale problématique qui allait s'imposer !
Evidemment, cette mesure était temporaire. Aujourd'hui, nous pouvons faire deux choses - c'est celles que je propose: on peut certes adopter une loi qui met en oeuvre le droit fédéral, mais signifier qu'on n'est pas d'accord avec celui-ci; on peut l'inscrire dans le préambule de la loi. Certes, cela n'entraîne pas d'effet législatif, mais le reste du préambule n'entraîne pas d'effet législatif non plus, c'est une déclaration politique. Par ailleurs, on peut refuser d'inscrire dans la loi cantonale genevoise l'exigence du permis C, qui est, comme on vient de le voir, problématique. Cela ne signifie pas qu'il ne sera pas exigé, mais ce sera la manifestation d'une volonté politique, qui appuiera les démarches en cours à Berne, avec une initiative en préparation visant à assouplir le droit et la possibilité de se naturaliser dans ce pays.
Pour conclure, simplement, je dirai aussi que nous avons entendu dans cette enceinte des partisans de la naturalisation qui étaient nombreux quand il s'agissait de refuser les droits politiques aux résidents étrangers, disant que la voie à privilégier est celle de la naturalisation. Donc, Mesdames et Messieurs, si vous voulez vraiment - si ce n'est pas de l'hypocrisie de circonstance ! - privilégier la naturalisation, votez mes amendements et exprimez-vous auprès de vos élus fédéraux pour obtenir une intervention dans le sens d'un droit du sol au moins partiellement reconnu par la législation suisse, afin que nous rejoignions la modernité des autres pays européens en la matière.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, il est bientôt 19h, je suspends donc les travaux sur ce projet de loi. (Exclamations. Commentaires.)