Séance du
vendredi 27 janvier 2023 à
16h05
2e
législature -
5e
année -
9e
session -
53e
séance
IN 186 et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons nos travaux avec les points fixes suivants: l'IN 186 associée à l'IN 186-A, qui sont classées en catégorie II, trente minutes. La parole échoit tout d'abord à M. André Pfeffer.
M. André Pfeffer (UDC). Merci, Monsieur le président. Je cite la conclusion du rapport du Conseil d'Etat, qui «considère [...] que la réactivation du bonus conjoncturel à la rénovation n'est pas l'instrument adéquat pour répondre à ces préoccupations». Ainsi, le financement via la quote-part cantonale du bénéfice de la BNS n'est pas voulu par le gouvernement.
Voici sa deuxième remarque: «Le Conseil d'Etat souhaite [...] trouver des modalités permettant d'exclure que la part des travaux subventionnée par des fonds publics, quelle que soit leur origine, puisse être répercutée sur les loyers. La question du "déplafonnement" des loyers pour la part des travaux non subventionnés devra être approfondie dans le cadre des travaux parlementaires.»
Ces deux avis de l'exécutif sont intéressants. Le parc immobilier de notre canton est le moins entretenu du pays en raison d'une surréglementation et de l'absence de dialogue positif entre les représentants des milieux des locataires et ceux des propriétaires. La transition énergétique concerne tout le monde et exigera également l'engagement de tout le monde. Il devient urgent que Genève développe un environnement favorable, satisfaisant autant les locataires que les propriétaires.
C'est d'autant plus souhaitable que le nombre d'immeubles appartenant à des entités publiques ou à des institutionnels progresse, il y en a de plus en plus à Genève, ce qui signifie que les propriétaires sont indirectement propriétaires. (Commentaires.) Que les locataires sont indirectement propriétaires, mille excuses !
Des voix. Ah !
M. André Pfeffer. Cette initiative sera traitée en commission, laquelle disposera de quatre mois pour établir un éventuel contreprojet. Pour une fois, il faut le souligner, le groupe UDC partage les conclusions du Conseil d'Etat. Merci de votre attention.
M. Alberto Velasco (S). Chers collègues, cette initiative a été lancée dans un contexte que vous connaissez: Genève est le canton et la ville dont les loyers sont les plus élevés de Suisse, et vous savez très bien que ces derniers temps, ils ont encore augmenté, parfois deux fois pendant l'année à cause de baux indexés. Il s'agit donc d'un canton où les locataires sont extrêmement sollicités et doivent payer des loyers très chers.
Et qu'est-ce qu'on veut par-dessus le marché ? On veut que l'assainissement du parc immobilier - le but est d'améliorer l'air ambiant, de réduire les émissions de CO2 - soit fait sur le dos des locataires, une fois de plus. Vous comprendrez que quand on rénove des immeubles à la Jonction ou dans des quartiers populaires, eh bien les habitants de Cologny en profitent tout autant.
Pour notre part, nous considérons qu'assainir le bâti afin de diminuer les émissions de CO2 constitue une politique publique, une mission de l'Etat, et à ce titre, l'Etat doit la financer et la subventionner. C'est la raison pour laquelle, dans cette initiative, nous proposons la création d'un fonds qui serait alimenté par les revenus de la Banque nationale, car nous désirons que le coût des travaux ne soit pas répercuté sur les loyers.
Dans votre rapport, Monsieur le conseiller d'Etat - vous transmettrez, Monsieur le président -, vous indiquez qu'il faut tenir compte de la situation de la Banque nationale, mais je viens de lire il y a deux ou trois jours que la BNS a engrangé un bénéfice de 40 milliards alors qu'elle était en déficit il y a quelques mois à peine. Ainsi, voyez-vous, les fluctuations que connaît la Banque nationale m'amènent à dire qu'on ne peut pas prendre ce critère en considération.
Ensuite, le deuxième argument que vous avancez, c'est que cette réactivation du bonus conjoncturel à la rénovation que nous proposons créerait des problèmes avec la LGAF, la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat. Peut-être, peut-être, nous n'avons pas étudié le cas, mais ce dispositif a fonctionné pendant des années et c'est une raison suffisante pour le relancer.
Enfin, Monsieur le conseiller d'Etat, vous avez déposé un crédit de 200 millions, mais je dois dire que c'est presque grâce à notre initiative si le gouvernement a présenté ce montant. Cela étant, nous sommes d'avis qu'il faut renvoyer cet objet en commission - à celle de l'énergie, je crois; cela nous permettra peut-être de trouver un compromis ou une solution afin que les travaux puissent se faire et surtout que les locataires ne subissent pas les coûts engendrés par ces rénovations. Merci.
M. Philippe de Rougemont (Ve). Aujourd'hui, les locataires paient la facture pour des charges gonflées et un état déplorable des bâtiments, lesquels nécessitent d'énormes rénovations thermiques. On prend un retard terrible sur d'autres cantons, on chauffe l'extérieur parce que nos immeubles sont des passoires.
A part les locataires qui s'acquittent de factures d'énergie trop chères, citons également les espèces les plus fragiles ainsi que les autres populations dans le monde les plus vulnérables au changement climatique, qui, dans leur chair, paient le fait que nous n'assainissons pas les bâtiments, et pas seulement à Genève.
L'objectif, c'est de passer de 1% à 3% de bâtiments rénovés chaque année. Sauf qu'il y a un dilemme, voilà pourquoi ça ne se fait pas, et l'initiative de l'ASLOCA vise précisément à corriger ce problème. Ce dilemme se joue entre les propriétaires, qui engagent des frais pour les travaux, et les locataires qui, si l'assainissement fonctionne, bénéficient d'une baisse des charges; les premiers n'ont pas vraiment intérêt à se lancer, parce qu'ils ne profiteront pas de la diminution des charges, et les seconds, qui y trouveraient un intérêt, ne sont pas ceux qui déclenchent l'investissement.
C'est un dilemme auquel les coopératives échappent par ailleurs, parce que dans ce cas de figure, l'acteur qui finance la rénovation énergétique est celui qui en bénéficie in fine, donc vivement que le modèle des coopératives essaime et devienne la norme pour une vaste majorité des bâtiments, c'est vraiment ce qu'il nous faudrait pour que nous ne soyons plus enfermés dans ce dilemme.
L'autre défi, c'est la transparence sur le rendement locatif. Il existe une enveloppe de rénovation des immeubles financée par la Confédération à laquelle les propriétaires ont droit, à condition de communiquer leur rendement locatif, et c'est là que peut être calculé le montant de la subvention. Or ils ne le font pas, parce que les taux hypothécaires étaient extrêmement bas ces dernières années - mais sans répercussion sur les loyers, lesquels auraient pourtant dû baisser. Voilà le deuxième grand dilemme, il faut regarder cette réalité en face, et l'initiative de l'ASLOCA propose une solution avec le bonus conjoncturel basé sur les dividendes de la BNS.
Alors certes, la Banque nationale n'a peut-être pas réalisé un immense bénéfice cette année, mais les années précédentes, c'était spectaculaire, et elle a accumulé un capital. Il se trouve que la BNS est soumise à un règlement stipulant que le versement des dividendes aux cantons doit être lissé dans le temps; il peut y avoir des années fastes et des années moins fastes, mais il faut un lissage.
Toutes ces raisons font que c'est à la commission de l'énergie, qui a déjà traité ce sujet-là, que le travail devra se faire, il faudra discuter entre les différents représentants, auditionner des gens et réfléchir. Voilà, donc merci à l'ASLOCA d'avoir déposé cette initiative qui mérite une discussion.
M. Jacques Blondin (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, la question de la rénovation énergétique des bâtiments pour répondre à nos objectifs de diminution à terme des émissions de gaz à effet de serre va nous occuper relativement longuement. L'initiative de l'ASLOCA tombe à point nommé, parce qu'il s'agit ni plus ni moins d'une réaction aux discussions que nous menons en ce moment à propos de la loi sur l'énergie: l'objectif est d'abaisser le seuil des IDC à 450 mégajoules par mètre carré, mais il faut déterminer de quelle manière le financer et, in fine, qui en portera la charge financière.
Genève est un canton de locataires, cela a été indiqué, et il est vrai aussi que les loyers y sont élevés. Cela étant, et on y reviendra quand on traitera le PL 12593, Mesdames et Messieurs, les sommes dont il faudra disposer pour atteindre nos objectifs se chiffrent à des centaines de millions, on parle même de milliards. Il ne vous aura pas échappé que le canton a demandé un budget d'un milliard pour ses propres bâtiments, et si on ajoute l'argent que le privé doit investir, on se trouve bien au-delà de ces montants. La question sera de savoir qui paie, quels leviers sont disponibles pour financer tout cela.
Si l'ASLOCA veut éviter que les locataires passent à la caisse, eh bien il faut penser à ces outils, parce que les financements à Berne sont multipliés par deux. Je doute qu'avec l'argent de la BNS, on obtienne cet effet de levier. On doit trouver un moyen pour qu'un franc investi à Genève en génère un deuxième à Berne. Le projet du Conseil d'Etat ouvrant un crédit de 200 millions est jugé insatisfaisant par une bonne partie de la commission.
On aura largement le temps de discuter de la problématique, mais une chose est sûre en ce qui concerne cette initiative: il faut trouver une solution «win-win». Evidemment, les propriétaires vous diront qu'ils ne peuvent pas prendre en charge des rénovations à hauteur de 600 à 1000 francs le mètre carré sans avoir de retours, et les locataires, eux, expliqueront qu'ils n'ont pas les moyens de payer. Le débat sera passionnant, et je me plais à relever que les deux projets seront étroitement liés à l'issue du PL 12593 - je le cite pour ceux qui veulent le lire - et que les différentes positions pourront vraisemblablement nous aider à répondre à l'initiative. Merci, Monsieur le président.
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, l'initiative de l'ASLOCA touche un sujet brûlant, celui de la rénovation énergétique des bâtiments. Il s'agit de déterminer qui va financer les travaux: les propriétaires, les locataires ou les deux en même temps ? A la commission de l'énergie, on est en pleine discussion autour de cette problématique avec le PL 12593 que vient de citer mon collègue Jacques Blondin, et on espère trouver enfin une solution. Il n'y a pas de raison que les locataires, qui paient déjà des loyers très chers à Genève, soient finalement les dindons de la farce, et au MCG, on veillera à ce que le coût des travaux ne se répercute pas sur les loyers. Voilà la première chose.
Maintenant, le financement proposé dans l'initiative est assez hasardeux. Les bénéfices de la Banque nationale ne sont pas suffisamment réguliers, c'est le moins qu'on puisse dire. Même si, au mois de janvier, la BNS a empoché 40 milliards, elle n'a pas encore couvert les pertes de 2022 qui culminent à 140 milliards. Par conséquent, il faut rester prudent.
Il va falloir aider les propriétaires pour qu'ils accélèrent le processus d'assainissement des bâtiments qui est absolument nécessaire, mais il faut aussi qu'ils jouent le jeu, c'est-à-dire que ceux qui en ont les moyens se lancent et que ceux qui ne les ont pas ouvrent leur compte, et on les aidera. Voilà la ligne qu'on doit suivre dans cette affaire, soit à travers l'initiative, soit à travers le projet de loi 12593 qui devrait normalement revenir très bientôt devant ce parlement.
On n'a pas réussi à trouver d'accord à la commission de l'énergie, mais peut-être qu'on y parviendra en plénière de façon à voter les fonds et à entreprendre ces rénovations énergétiques indispensables. Il faut que chacun y trouve son compte: que les locataires ne subissent pas de nouvelles hausses de loyer et que les propriétaires qui en ont besoin soient soutenus via la manne publique. Merci, Mesdames et Messieurs les députés.
Le président. Merci, Monsieur le député. Avant de céder la parole à M. Yvan Zweifel, je salue à la tribune notre ancienne collègue, Mme Helena Verissimo de Freitas, qui est présente parmi nous ce soir ! (Applaudissements.) Allez-y, Monsieur Zweifel.
M. Yvan Zweifel (PLR). Merci, Monsieur le président. Je ne vais pas trop aborder le fond du sujet, d'abord parce que d'autres l'ont fait avant moi et surtout, comme l'a relevé M. Blondin précédemment, parce que la thématique est déjà traitée à la commission de l'énergie, donc les travaux continueront à ce sujet. Je me permets néanmoins d'apporter deux petits points de précision pour ceux qui auront à réfléchir au sein de la commission qui examinera cet objet.
Le premier a trait non pas au financement en tant que tel, mais à la manière dont celui-ci sera inscrit au niveau du budget et des comptes de l'Etat. Les initiants, si j'ai bien compris, souhaitent une forme de dépense d'investissement. Or le Conseil d'Etat rappelle que, initiative ou pas, le crédit sera soumis aux règles de la LGAF et notamment aux normes comptables IPSAS; de facto, cela signifie qu'il faudrait a priori plutôt envisager une dépense de fonctionnement, ce qui n'a naturellement pas du tout le même impact. Je sais que la commission de l'énergie discute déjà de cet élément, mais il me semblait tout de même important de le souligner, parce que cela influence beaucoup d'autres choses, notamment notre planification budgétaire.
Le deuxième aspect concerne la Banque nationale. Le Conseil d'Etat soulève une question à juste titre, expliquant que la BNS n'a pas versé d'argent l'année dernière par exemple, puisqu'elle n'a pas réalisé de bénéfices, et que dès lors, l'initiative stipulant que la moitié de la part cantonale doit être affectée aux rénovations, cela signifie que rien ne serait accordé. Outre cela, il y a un autre problème, et j'aimerais vraiment le rappeler ici: il faut opérer une distinction importante entre un bénéfice comptable et la conséquence en liquidités. Ce n'est pas parce qu'une entreprise ou la BNS enregistre un bénéfice comptable, c'est-à-dire une différence entre ses revenus et ses charges, que l'argent est pour autant disponible en cash afin d'être distribué.
C'est même le contraire pour ce qui a trait à la BNS. En effet, Mesdames et Messieurs, comme vous le savez, la Banque nationale émet des francs suisses et les utilise pour acheter des euros, parfois des dollars ou encore d'autres devises dans le but de soutenir le franc suisse contre ces autres devises. Aussi, si nous voulions aujourd'hui verser des francs suisses aux cantons, comme il n'y en a pas réellement dans le bilan ou les caisses de la BNS, il faudrait transformer des euros ou des dollars en francs suisses, et vous imaginez bien l'effet que cela aurait sur le cours du franc suisse face à l'euro ou au dollar et, partant, les répercussions pour nos entreprises, notamment celles qui exportent.
Je souhaitais vraiment vous rendre attentifs à ce point. Penser qu'un bénéfice de 40 milliards implique 40 milliards de francs suisses dans les caisses et qu'on peut aller se servir allégrement est faux, cela n'a strictement rien à voir. Agir ainsi pourrait avoir des conséquences extrêmement dommageables pour toute l'économie et donc, par ricochet, pour les recettes fiscales non seulement de la Confédération, mais aussi des cantons. J'invite les commissaires qui étudieront cette initiative à tenir compte de cette donnée. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Rémy Pagani (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les conseillers municipaux... Les députés, pardon ! (Rires.)
Une voix. Ça faisait longtemps !
M. Rémy Pagani. Oui, ça faisait longtemps que je n'avais pas eu ce réflexe tout pavlovien. (L'orateur rit.) Excusez-moi ! J'aimerais d'abord rappeler un fait: on parle de la Banque nationale, mais il est tout de même extraordinaire qu'on oublie de préciser que celle-ci avait - et a encore - des réserves extraordinaires qu'elle peut dissoudre, ce qui fait que même si elle subit des pertes, sa stabilité n'est pas remise en cause, bien au contraire. Bien au contraire !
De plus, on a appris dernièrement que la BNS avait réalisé d'importants bénéfices, donc la logique nous conduit à soutenir cette initiative qui part d'un bon principe. D'ailleurs, c'est ainsi que les choses se sont passées ces vingt dernières années: les bénéfices ont été redistribués et nous en avons disposé, ils ont été inscrits dans la comptabilité du canton.
Cette initiative permettra au peuple de trancher, et j'en suis content, la question des subventions à hauteur de 20% ou de 50%, parce que nos amis du PLR - enfin, nos adversaires du PLR - ont tenté de déstabiliser les membres de la commission de l'énergie lors des discussions en disant: «Ça va coûter tellement cher qu'on va payer 50%, voire 100%, des frais de rénovation, pas seulement ceux qui découlent de la mise en conformité avec les exigences énergétiques, mais de toutes les rénovations.» On a vu le gouvernement débarquer à la commission de l'énergie, Mme Fontanet et M. Hodgers sont venus nous alarmer en annonçant que cette proposition, si elle passait en plénière, viderait complètement les caisses de l'Etat, mais alors complètement ! Complètement !
Cette initiative arrive au bon moment, elle stipule que pas plus de 20% des rénovations énergétiques ne doivent être... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...subventionnées, et heureusement, heureusement ! Elle dispose encore autre chose, à savoir que les propriétaires qui dégagent des bénéfices extraordinaires - et je suis bien placé pour le savoir, puisque j'ai été l'un des responsables de la caisse de pension de la Ville de Genève, dont la rentabilité des immeubles est exceptionnelle...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Rémy Pagani. ...au bénéfice des employés retraités de la Ville de Genève, bien sûr, mais toujours est-il qu'il y a des rentrées extraordinaires...
Le président. C'est terminé !
M. Rémy Pagani. Je vous remercie de votre attention.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, merci pour ce débat introductif qui, dans l'ensemble, a bien posé les enjeux. Le Conseil d'Etat partage à la fois la préoccupation et l'intention des initiants. En effet, nous devons réaliser d'importants travaux d'assainissement énergétique, c'est un défi qui fait consensus aujourd'hui. Il est important que les choses se déroulent en bon équilibre, et quoi de plus naturel pour l'ASLOCA que de se soucier de protéger les locataires dans leur droit de bénéficier, y compris après rénovation, d'un loyer décent et accessible ?
Toutefois, le Conseil d'Etat vous invite à rejeter cette initiative. Pourquoi ? Tout d'abord, cela a été souligné, l'outil ressuscité par ce texte est celui du bonus conjoncturel, un système que nous avons abandonné il y a déjà une dizaine d'années, puisqu'il n'est plus compatible avec la LGAF et le fonctionnement des normes IPSAS qui, vous le savez, en tout cas pour les députés qui suivent assidûment les travaux de la commission des finances, régissent les finances de l'Etat à l'heure actuelle.
Pour le dire plus trivialement, le Grand Conseil a voulu bannir ces cagnottes qui étaient utilisées et alimentées au fil de l'eau et qui, par conséquent, échappaient largement au contrôle parlementaire. Ainsi, l'acceptation de cette initiative réactiverait un dispositif que nous avons aboli. C'est problématique, non pas en ce qui concerne la question énergétique, à vrai dire, mais vraiment eu égard à la bonne gestion financière de l'Etat.
Je soulève un autre problème - l'initiative ne contredit pas réellement cette information, mais ne l'énonce pas non plus: entre l'époque où nous utilisions le bonus conjoncturel à la rénovation et aujourd'hui, le programme bâtiments de la Confédération, c'est-à-dire le financement fédéral, s'est renforcé. Comme vous le savez, Berne ajoute 1,70 franc à chaque franc cantonal que nous dépensons. Il est donc très intéressant de mener des projets compatibles avec les normes fédérales: dès lors qu'ils sont reconnus par Berne, cela double pratiquement la mise. Par conséquent, il est essentiel, dans la mise en oeuvre du dispositif genevois, que nos projets soient compatibles avec les normes fédérales, ne serait-ce que pour bénéficier de la manne du Parlement suisse.
Le troisième écueil de l'initiative qui a été évoqué dans cette enceinte est celui de la source de financement, à savoir la Banque nationale suisse. Certes, la BNS redistribue parfois une partie de ses bénéfices, mais en réalité, ce ne sont pas ses bénéfices; dans le système des dividendes, une partie des réserves qui lui sont mises à disposition retournent parfois aux cantons, mais chacun sait que ce n'est pas là la mission première de la BNS.
Ce qui a été relevé par M. Zweifel sur le bénéfice nominal de 40 milliards est parfaitement juste: non, il n'y a pas 40 milliards à disposition dans les caisses de la BNS. La Banque nationale a pour rôle de stabiliser le franc suisse dans le cadre d'une économie internationale et nationale, c'est sa vocation première, et la mobilisation de sommes qui semblent très importantes au vu de l'extérieur doit être affectée à cet objectif. Si, de manière subsidiaire, des rendements sont parfois redistribués, tant mieux. Voilà pour la question du fonctionnement de la BNS.
Qu'est-ce que cela signifie pour le canton de Genève ? Que nous ne devons pas faire dépendre une politique publique - en l'occurrence la rénovation des bâtiments, mais le Conseil d'Etat en dirait de même pour l'ensemble des politiques publiques - d'une source de financement aussi aléatoire. Les rentrées de la BNS dépendent très largement des fluctuations de l'euro. Comment peut-on imaginer faire dépendre l'assainissement de nos immeubles d'une devise aussi faible actuellement ? Chacun comprendra qu'on ne peut pas se démunir à ce point de notre souveraineté, si je puis dire, en matière de finances et que, par conséquent, un mode de financement intracantonal doit être mis en place si on veut stabiliser, et je crois que c'est le but des initiants, cette rénovation énergétique.
La question qui se pose, et j'en terminerai par là, puisque vous avez déjà largement entamé les travaux à la commission de l'énergie, est la suivante: qui paie ? Qui paie ces importants travaux ? Le Conseil d'Etat s'en tient à un principe, au principe libéral selon lequel il revient au propriétaire d'entretenir son actif. Lorsqu'il s'est agi de mettre en conformité les voitures avec les nouvelles normes environnementales, par exemple, nous avons demandé aux automobilistes de payer pour adapter leur véhicule. Dans le cas d'espèce, si les propriétaires immobiliers doivent s'ajuster à de nouvelles normes publiques - qu'elles soient environnementales ou de sécurité, peu importe -, c'est principalement à eux d'assumer financièrement les frais.
C'est un principe libéral sain de financement et de fonctionnement entre l'économie publique et privée. Si on part de ce principe, il est évidemment possible, de manière complémentaire, d'instituer des aides publiques. Et à ce sujet, le Conseil d'Etat entre en matière. Il est juste que dans le cadre de cet effort extrêmement important qui est exigé des propriétaires privés, il y ait aussi de l'argent public, et c'est dans cette optique que le Conseil d'Etat a déposé un projet de loi ouvrant un crédit de 200 millions; il s'agit d'une somme conséquente, mais qui, je le dis tout de suite, à l'échelle des enjeux cantonaux, semble plutôt modeste, du moins si on la déploie sur plusieurs décennies. Il y a peut-être un espace de discussion autour de ce montant.
Enfin, est-ce que les locataires doivent participer ? De l'avis du Conseil d'Etat, il faut s'en tenir à la LDTR. Dans sa teneur actuelle, la LDTR permet aux propriétaires de valoriser des travaux, qu'ils soient énergétiques ou pas, mais jusqu'à certains plafonds. Ces plafonds, le Conseil d'Etat n'entend pas les toucher. Le Conseil d'Etat ne compte pas non plus permettre aux privés qui reçoivent de l'argent public de l'utiliser afin de le valoriser dans le cadre des travaux et d'obtenir ensuite les augmentations de loyer correspondantes. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, si je puis dire. Aux yeux du Conseil d'Etat, il serait impropre que cette subvention importante - 200 millions ou plus, s'il vous convient - permette des hausses de loyer, cela contredirait l'esprit de la LDTR. En revanche, le reste des mécanismes doit s'appliquer.
Je crois qu'avec les principes que nous venons d'évoquer, Mesdames et Messieurs, il y a matière à compromis, il y a matière à contreprojet, et le Conseil d'Etat oeuvrera avec vous pour trouver si possible un consensus qui satisfasse toutes les parties et qui nous permette de relever ensemble le défi de la transition énergétique des bâtiments dans le respect de la propriété privée, dans le respect des locataires, mais aussi dans le respect du climat, puisque c'est le but. Merci beaucoup de votre attention.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous passons au vote sur le renvoi à la commission du logement; en cas de refus, les deux objets iront à la commission de l'énergie et des Services industriels de Genève.
Mis aux voix, le renvoi de l'initiative 186 et du rapport du Conseil d'Etat IN 186-A à la commission du logement est rejeté par 75 non contre 10 oui.
L'initiative 186 et le rapport du Conseil d'Etat IN 186-A sont donc renvoyés à la commission de l'énergie et des Services industriels de Genève.