Séance du jeudi 15 décembre 2022 à 14h
2e législature - 5e année - 8e session - 43e séance

RD 1484-A
Rapport de la commission des finances chargée d'étudier le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil relatif au plan financier quadriennal 2023-2026 de la République et canton de Genève
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VIII des 15 et 16 décembre 2022.
Rapport de M. Jean Batou (EAG)

Débat

Le président. Nous passons au RD 1484-A, que nous traiterons en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de M. Jean Batou, à qui je donne la parole.

M. Jean Batou (EAG), rapporteur. Merci, Monsieur le président. La commission des finances a traité le plan financier quadriennal 2023-2026 dans ses séances des 21 septembre et 16 novembre 2022. Je vous rappelle qu'un PFQ, selon l'article 13, alinéa 2, de la LGAF, doit contenir une estimation des charges et des revenus de fonctionnement ainsi que des résultats, une planification des investissements, de l'évolution de la dette et des risques financiers sur les quatre prochaines années. Je vous passe le contenu de ce plan financier quadriennal, que vous avez toutes et tous lu, et je me concentre sur les prises de position des groupes qui ne convergent que sur un point: le refus unanime de ce PFQ. D'ailleurs la conseillère d'Etat Nathalie Fontanet, avec un brin d'ironie, nous a dit qu'elle constatait avoir pour une fois réussi à faire l'unanimité sur un point, à la commission des finances ! Quelles ont donc été les positions des groupes, assez différentes les unes des autres ?

L'Union démocratique du centre s'est désolée de l'augmentation des dépenses et des charges, a pointé du doigt le train de vie excessif de l'Etat, a regretté que l'Etat attende des événements imprévus pour assurer ses revenus et, enfin, s'est inquiétée de l'augmentation tant du personnel que de la dette de l'Etat.

Le PLR, comme l'UDC, a annoncé qu'il refuserait ce plan financier quadriennal; il a déploré qu'il ne contienne pas de réformes structurelles. Il a également pointé du doigt une vision à court terme du Conseil d'Etat et regretté l'augmentation des postes prévue. Il s'est par ailleurs demandé comment l'exécutif arriverait à un équilibre à l'issue des huit ans pendant lesquels on peut admettre un déficit suite à l'acceptation de la RFFA. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

Ensemble à Gauche a expliqué que le groupe refuserait aussi le PFQ, d'abord parce que nous sommes coutumiers d'écarts de centaines de millions entre les budgets déficitaires et les comptes excédentaires, et ensuite parce que les mesures prises visent à corseter les services publics et les prestations, mais jamais à augmenter les recettes en taxant un peu plus ceux qui en ont les moyens. Par exemple, ce PFQ...

Le président. Vous parlez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.

M. Jean Batou. Merci, Monsieur le président. ...aurait pu prévoir le vote probablement favorable du peuple genevois, le 12 mars prochain, sur l'initiative que nous avons lancée pour taxer les dividendes des gros actionnaires !

Le parti socialiste a refusé le plan financier quadriennal en insistant aussi sur la différence entre les résultats annoncés au budget et ceux vérifiés aux comptes. Il a déploré que la fonction publique soit toujours la variable d'ajustement des budgets de l'Etat, et enfin, il a plaidé pour la recherche de nouvelles recettes.

Le MCG est intervenu en disant que ce PFQ n'a pas beaucoup d'importance puisque nous allons vers des élections en avril 2023, que nous ne savons pas quel Conseil d'Etat sera aux affaires à l'issue de ces élections, et qu'il faudrait peut-être envisager un plan qui commence avec une législature et dure cinq ans. Et, n'en déplaise à mon excellent collègue Dimier - vous lui transmettrez, Monsieur le président -, le MCG a plaidé pour un plan quinquennal au sein de l'Etat de Genève ! Ça rappelle, pour certains, des souvenirs des années d'entre-deux-guerres.

Le parti démocrate-chrétien a noté qu'un plan quadriennal était un exercice compliqué, que les mesures structurelles annoncées n'en sont pas vraiment et qu'il manque une analyse globale du fonctionnement de l'Etat. C'est pourquoi il s'est lui aussi refusé à soutenir ce plan financier quadriennal.

Enfin, les Verts ont annoncé qu'ils refusaient également ce plan parce que, en dépit d'une planification raisonnable des investissements, il repose sur l'écrêtage des recettes des communes et sur l'utilisation de la fonction publique comme variable d'ajustement.

Le vote a été absolument clair, puisque, sur les quinze membres de la commission des finances, quinze ont refusé ce PFQ. Raison pour laquelle, dans mon rôle un peu fédérateur de rapporteur de majorité... (L'orateur rit.) ...je vous recommande de renvoyer ce plan financier quadriennal au Conseil d'Etat. Merci.

M. François Baertschi (MCG). Rapporteur d'unanimité: c'est quand même un rôle, je dois dire, auquel Jean Batou est peu habitué - vous transmettrez, Monsieur le président: si j'observe bien ce qui se passe dans ce Grand Conseil, il est en général plutôt dans les minorités. (Remarque. L'orateur rit.) Ça va peut-être changer avec les élections, je n'en sais rien, nous verrons.

C'est vrai qu'il y a quelque chose d'un peu absurde à ce qu'un plan change chaque année, ne se ressemble pas d'une année à l'autre et varie beaucoup suivant l'atmosphère, suivant le... comment dire, suivant les intentions du Conseil d'Etat, selon le... je devrais parler de la météo et de l'air du temps, c'est malheureusement un peu ça.

On voudrait que le travail tende plus vers une planification, peut-être pas aux relents soviétiques telle que la craindrait mon excellent collègue Patrick Dimier - et vous transmettrez également, Monsieur le président -, mais peut-être vers une planification à la française, excusez-moi... (Remarque. Commentaires.) ...ou selon d'autres modèles... (Remarque.) ...susceptibles de nous inspirer, et de nous inspirer de manière positive. Mais j'imagine qu'il faut en tout cas changer de méthode. Ce n'est pas une critique de ce qui a été fait ni des services de l'Etat ou de l'exécutif; on a commencé à procéder de cette façon il y a quelques années. Peut-être a-t-on mal fait, tous, collectivement. Il est peut-être temps de changer de méthode; ce sera à nos successeurs de le faire, tant au gouvernement qu'à la députation. Merci, Monsieur le président.

M. Alberto Velasco (S). Ecoutez, j'ai lu avec attention ce rapport et je tiens à remercier les fonctionnaires qui y ont contribué, parce qu'il contient des chiffres très intéressants pour ceux et celles qui veulent travailler dessus. Après, il y a des cautèles, des critères... Vous savez très bien que nous avons adopté cette fameuse loi de frein à l'endettement et au déficit; de ce fait, ceux qui établissent le PFQ doivent tenir compte de ces deux cautèles. Là, ils ne peuvent rien faire; ce que j'ai compris en lisant ce rapport, c'est qu'ils sont corsetés.

Ils nous donnent toute une série de chiffres dont nous aurions effectivement peut-être pu discuter à la commission des finances. Pourquoi, par exemple, est-ce que le PIB tend à diminuer ? Pourquoi est-ce que les recettes fiscales stagnent avec un accroissement de 1,8%, 1,6% ? Nous n'avons pas discuté de ces éléments, c'est dommage en effet.

Vous savez que notre groupe, à l'époque, avait voté contre ces deux mesures de corsetage que sont le frein au déficit et le frein à l'endettement. Evidemment, nous ne pouvons pas voter un rapport qui ne peut pas se projeter dans l'avenir, ne serait-ce qu'à cause de deux mesures de cautèle, ce qui est absurde, parce qu'on ne connaît effectivement pas, à cinq ans, quelles sont les mesures des prestations sociales. On nous dit que la pauvreté augmente, qu'il y a des problèmes s'agissant des écoles, mais on ne retrouve pas ça dans ces projections - même si ce rapport a quand même de la valeur: la valeur des chiffres, qu'on peut interpréter. Pour ces raisons, le rapporteur d'extrême majorité l'a annoncé, nous refuserons ce rapport et voterons le renvoi au Conseil d'Etat. Merci.

M. Yvan Zweifel (PLR). Qui a dit que l'unanimité était impossible à la commission des finances ? Nous avons effectivement réussi, et je remercie au passage le rapporteur, puisqu'il a été plus ou moins objectif - s'il est quand même parvenu à faire un peu de publicité pour son initiative, il a été plus ou moins objectif sur le reste. Mesdames et Messieurs, pourquoi cette unanimité ? J'aimerais rappeler ici la position qui est la nôtre, celle du groupe PLR.

En premier lieu, je voudrais redire que ce plan financier quadriennal est un outil extrêmement important en matière de gestion financière. Il l'est d'abord pour l'exécutif - c'est-à-dire le Conseil d'Etat -, qui ne doit évidemment pas s'arrêter à une vision à une année et à celle du budget, mais avoir une vision à plus long terme; pour l'administration bien sûr aussi, qui doit savoir dans quelle direction aller; et puis pour nous, parlementaires, de manière que lorsque nous votons le budget - soit l'autorisation maximale de dépense par politique publique -, nous ayons une vision non pas juste de l'année à venir, mais également de ce que prévoit de faire le gouvernement les années suivantes. Sauf que cet outil fondamental est très mal utilisé, Mesdames et Messieurs, en tout cas par la majorité de gauche du Conseil d'Etat.

Chaque année, c'est en effet un petit peu la même rengaine. L'exécutif nous dit: «Cette année, nous allons ouvrir 400 postes, ou 500 postes, ou 350 postes. C'est énorme, Mesdames et Messieurs les députés, mais rassurez-vous, regardez le plan financier quadriennal: il y aura beaucoup, beaucoup moins d'engagements les années suivantes !» Alors l'année suivante, on se dit: «Tiens, qu'est-ce qui se passe ?» Eh bien, il se passe exactement la même chose ! On nous propose, dans le cadre du budget, énormément de postes supplémentaires, mais le Conseil d'Etat nous dit: «Rassurez-vous, Mesdames et Messieurs les députés, tout va bien. Les années suivantes, regardez le plan financier quadriennal réajusté, il y aura beaucoup moins d'engagements.» Et puis si on empile ces plans financiers quadriennaux, on se rend compte que le gouvernement, en réalité, se moque éperdument de ce parlement ! Ou il ne prend tout simplement pas cet outil à bras-le-corps; il l'élabore uniquement pour expliquer son budget ou argumenter à son égard, mais pas du tout dans une vision prospective. C'est en ce sens - principalement ce sens - que le groupe PLR refusera ce plan financier quadriennal.

L'autre point, le rapporteur l'a évoqué, c'est qu'on s'arrête à quatre ans, parce que oui, bien sûr, c'est un plan financier quadriennal ! (L'orateur insiste sur le mot «quadriennal».) Soit, mais nous, ce que nous aimerions savoir concerne ce fameux déficit admissible en lien avec la RFFA, acceptée par la population: on va se retrouver à -186 millions au bout des huit ans admissibles et on va devoir passer l'année d'après à zéro ! La marche est assez importante et je serais, moi, assez intéressé de savoir ce que le Conseil d'Etat a prévu pour éviter ce saut, puisque, pour l'instant, il nous montre simplement qu'il va respecter plus ou moins cette fameuse limite - qu'à la fin, il ne respecte pas, comme on le voit à chaque budget et comme nous aurons l'occasion d'en discuter plus tard.

Parce que cet outil de gestion financière est essentiel et parce que le Conseil d'Etat n'en a rien à faire, nous le refuserons.

M. Jacques Blondin (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, à mon tour, je remercie le rapporteur d'avoir donné le point de vue de tous les groupes, mais je tiens quand même à préciser deux ou trois points. Un PFQ, c'est visiblement compliqué; sont-ce des prévisions ou des prédictions ? Je laisserai tout un chacun répondre à la question.

Quand on lit ce PFQ, eh bien on est finalement rassuré: le train va dans la bonne direction et les choses s'amélioreront d'elles-mêmes d'ici quatre ans. Faisons tout de même quelques analyses: en matière de postes de travail, on l'a dit, c'est maintenant qu'on a beaucoup besoin d'engager, et la courbe s'inversera dans trois-quatre ans - les choses sont sous contrôle. C'est plus préoccupant au niveau de ce qu'on appelle les mesures structurelles, donc le report sur les communes notamment, et des recettes hypothétiques: s'il y en a pour 172 millions dans le budget 2023, il y en a hypothétiquement pour 400 millions par an en 2025-2026. Imaginons que ces mesures structurelles ne soient pas appliquées: vous tirerez vous-mêmes les conséquences de la réalité des chiffres. Et puis, pour notre groupe, ce ne sont pas vraiment des mesures structurelles. Nous attendons une autre analyse du travail.

S'agissant du déficit, on l'a dit, les rentrées fiscales ont fait le yoyo cette année - heureusement, dans le bon sens, et tout le monde en profite. Mais il faut juste être clair sur le fait que si elles devaient évoluer dans le mauvais sens, eh bien l'hypothèse du PFQ, qui laisse croire qu'on va maîtriser la dette, pourrait rapidement s'inverser. Quelques petites supputations par rapport à un écart entre les mesures structurelles et la réalité laisseraient penser que la réserve conjoncturelle de 810 millions pourrait être vite dissoute, parce que ce serait nécessaire. Et puis la dette, quand même: le premier frein est à 13,3 milliards, le deuxième à 14,8; le coût de la dette augmente dans le PFQ, et ce de 56 millions, il ne faut pas l'oublier. Et si ces hypothétiques recettes ou économies d'échelle ne viennent pas, eh bien on devra appliquer le frein à l'endettement, hypothétiquement déjà vers 2026-2027.

Ce sont toutes ces raisons qui font que, dans le contexte actuel et compte tenu effectivement des élections à venir, le parti démocrate-chrétien également a refusé d'entrer en matière sur ce PFQ. Merci.

M. Eric Leyvraz (UDC). Je remercie M. Batou pour son excellent rapport: il a bien résumé l'avis de chaque groupe. Alors quand on peut faire court, pourquoi faire long ? Merci. (Rires.)

Une voix. Bravo !

Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Les Vertes et les Verts refuseront ce plan financier quadriennal, car les mesures proposées créent un décalage entre le budget 2023, qui est une vision à court terme, pour une année, et les budgets à venir. En effet, dans ce PFQ, il y a des propositions de mesures structurelles via des projets de lois connexes, tels que celui sur l'écrêtage, qui ont un impact à moyen ou long terme, alors que nous votons sur un projet de budget qui est par définition conjoncturel. Si nous saluons la planification des investissements, nous, les Vertes et les Verts, déplorons bien évidemment l'utilisation encore et toujours de la fonction publique comme mesure d'ajustement, ou d'autres mesures comme l'écrêtage des recettes des communes. Pour toutes ces raisons, nous refuserons le RD 1484 du Conseil d'Etat. Merci.

Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, que vous dire après un tel succès - unanime ! D'abord, je pense qu'un plan financier quadriennal est effectivement un outil extrêmement important pour planifier les dépenses prévues. C'est une planification, Mesdames et Messieurs ! Toute une série d'éléments sont évidemment appelés à se modifier après que nous l'avons élaborée, sous l'effet des recettes fiscales, des crises successives que nous pouvons rencontrer. Evidemment que nous n'avions absolument aucune idée, lorsque nous avons établi le plan financier quadriennal 2018-2021, du fait que nous traverserions la crise du covid, Mesdames et Messieurs ! Lorsque nous avons conçu le plan financier quadriennal 2022-2025, nous n'avions pas non plus connaissance de ce que nous traverserions une crise de l'énergie, les effets de la guerre en Ukraine et d'autres événements de ce type. Nous n'avons pas de boule de cristal ! Vous n'en avez pas non plus.

Les motifs pour refuser ce plan financier quadriennal, on l'a entendu - et bravo à M. Batou pour l'exercice, je ne le savais pas aussi consensuel - sont différents pour chacun de vos groupes. Chaque groupe a une raison différente pour ne pas l'accepter ! Peut-être devrait-on associer au processus, comme pour le partenariat social, un représentant par groupe et élaborer tous ensemble un plan financier quadriennal !

Le Conseil d'Etat a un rôle, Mesdames et Messieurs, les députés en ont un autre. Nous avons pris acte du fait que vous n'acceptez plus nos PFQ; cela fait quelques années qu'ils sont systématiquement refusés. Cette année, vous avez fait vite puisque le refus intervient en même temps que le budget: les autres années, les PFQ ont été refusés trois ou quatre ans après. Je vous félicite donc, au nom de l'exécutif, pour votre célérité; on sait au moins où on en est. En ce qui nous concerne, au gouvernement, nous continuerons à concevoir des plans financiers quadriennaux. Cela demande un certain travail à l'administration, et même un travail extrêmement important; si ces plans sont au final refusés, se pose la question de la bonne utilisation - cette fois par le Grand Conseil et non par le Conseil d'Etat - des forces de l'administration. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous fais voter sur la prise en considération de ce rapport.

Mis aux voix, le rapport du Conseil d'Etat RD 1484 est rejeté par 88 non et 2 abstentions (vote nominal).

Le rapport du Conseil d'Etat RD 1484 est donc renvoyé à son auteur.

Vote nominal