Séance du vendredi 4 novembre 2022 à 14h
2e législature - 5e année - 6e session - 35e séance

M 2829-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Pablo Cruchon, François Baertschi, Pierre Eckert, Jocelyne Haller, Pierre Vanek, Jean Burgermeister, Jean Batou, Marta Julia Macchiavelli, Glenna Baillon-Lopez, Léna Strasser, Salika Wenger, Emmanuel Deonna, Didier Bonny, Marjorie de Chastonay, Xhevrie Osmani, Christian Flury, Yves de Matteis, Thomas Wenger, Daniel Sormanni, Nicole Valiquer Grecuccio : Crise chez Smood
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 13 et 14 octobre 2022.

Débat

Le président. Voici le prochain sujet qui nous occupe: la M 2829-A. La parole va à M. Pablo Cruchon.

M. Pablo Cruchon (EAG). Merci, Monsieur le président. Le groupe Ensemble à Gauche est pour le moins insatisfait et passablement irrité par la réponse du Conseil d'Etat à cette motion. Irrité est un faible mot, puisque ce rapport démontre, s'il le fallait encore, le mépris certain que le département manifeste à l'égard des salariés et salariées en lutte dans ce dossier.

Cette réponse se satisfait de la signature d'une convention collective de travail entre Smood et Syndicom. Or celle-ci a été conclue dans des conditions inacceptables - inacceptables ! - du point de vue du partenariat social, puisque le principal syndicat, qui regroupait 140 membres salariés, a été écarté des négociations, celles-ci se sont faites dans leur dos. Syndicom - un syndicat jaune, en l'occurrence - comptait seulement sept personnes syndiquées dans cette entreprise et a négocié l'accord dans le dos du syndicat majoritaire. Que le Conseil d'Etat accorde crédit à ce processus alors que la CCT a été validée dans des conditions démocratiquement intolérables du point de vue de la consultation du personnel est tout bonnement scandaleux.

C'est doublement scandaleux, car la CCT ne respecte pas les recommandations de la Chambre des relations collectives de travail, que le département - à raison, cette fois-ci - avait convoquée pour essayer de faire entendre les deux parties. La CRCT a formulé des recommandations que le département s'est engagé à faire respecter, mais cette CCT ne les respecte pas, notamment en ce qui concerne les heures garanties et le défraiement des frais professionnels.

L'affaire s'est encore envenimée, puisque l'entreprise sous-traitante, Simple Pay, a fermé ses portes, mettant 220 personnes sur le carreau. Smood a indiqué, par voie de presse, récupérer environ 150 salariés, mais sans aucune garantie quelle qu'elle soit, c'était juste un effet d'annonce. Et le Conseil d'Etat se satisfait de cette situation qui laisse septante personnes sur le carreau simplement parce que certains ne veulent pas offrir des conditions de travail correctes. De plus, aucune garantie n'est fixée pour que ces 150 personnes soient réellement réengagées.

Je rappelle les invites de la proposition de motion: elle demandait au Conseil d'Etat de tout faire pour que la société se conforme aux recommandations de la CRCT et de contacter les principaux actionnaires de Smood, notamment Migros, afin de mettre la pression sur Smood. Or à ce sujet, il n'y a rien dans le rapport.

Pour résumer, le groupe Ensemble à Gauche sollicitera le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat et demande au département de réaliser un travail sérieux sur l'ensemble des questions de plateformes - on parle ici de Smood, mais nous sommes très insatisfaits aussi dans l'affaire Uber. Nous voulons un nouveau rapport et que des actions politiques plus courageuses soient entreprises. Merci. (Applaudissements.)

M. François Baertschi (MCG). La réponse que nous a rendue le Conseil d'Etat est tout à fait insatisfaisante, c'est un rapport indigent. Nous nous trouvons ici face à une société ubérisée, face à une nouvelle économie qui opère selon des règles limite. Les employeurs ordinaires doivent suivre de nombreuses règles, gérer énormément de tracasseries administratives et de bureaucratie, et puis des entreprises ubérisées comme Uber et Smood débarquent comme ça et se croient tout permis.

Face à ces sociétés, il est important d'affirmer le rôle de l'Etat, celui-ci doit se montrer véritablement ferme. Or il ne l'est pas dans le cas de Smood, il ne l'est pas non plus dans le cas d'Uber. Voilà l'objectif qui doit être poursuivi, nous attendons du Conseil d'Etat qu'il fasse preuve de fermeté et s'engage dans cette démarche, une démarche qui a été initiée au début dans le cas d'Uber, mais qui - hélas - a entre-temps été abandonnée.

Pour nous, le groupe MCG, c'est important pour deux raisons: primo pour défendre les employés de ces sociétés, secundo pour garantir une égalité de traitement avec les entreprises lambda qui, elles, sont aux prises avec beaucoup de tracasseries bureaucratiques, avec l'OCIRT, avec les nombreux services de l'Etat. Nous voulons une équité de traitement avec les autres acteurs du secteur privé ainsi qu'avec les indépendants qui doivent répondre à d'innombrables exigences bureaucratiques que leur impose l'Etat. Alors on peut éventuellement baisser ces exigences bureaucratiques pour tout le monde, mais on ne peut pas accepter une économie d'exception comme elle se pratique dans le cas d'Uber, mais aussi de Smood.

Rappelons encore que c'est la Migros qui se trouve là derrière, Migros qui réalise des recettes considérables, qui bénéficie d'avantages en tant que société coopérative. Or cette entreprise se permet d'employer des méthodes vraiment limite. C'est la raison pour laquelle nous demandons le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat.

Mme Fabienne Fischer, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je commencerai par vous dire que je n'évoquerai pas ici le dossier concernant Uber, dans lequel des procédures sont en cours s'agissant tant de l'examen des engagements annoncés par Uber pour le règlement du passé que des conditions d'exploitation et d'exercice pour le futur; des décisions seront rendues très prochainement par l'administration conformément à ses compétences. Je ne vais donc pas profiter de mon intervention sur la question Smood pour vous parler d'Uber, comme vous me le suggérez ou l'attendez peut-être.

En revanche, ce que je peux vous dire, c'est que le nombre de demandeurs d'emploi inscrits en provenance de Simple Pay qui n'ont pas retrouvé de travail après le licenciement collectif opéré par cette société est actuellement au nombre de huit, et non de septante. Ce que cela signifie, c'est que toutes ces personnes ont vraisemblablement été réengagées soit par Smood, soit par d'autres entreprises de livraison dans le domaine de la restauration.

J'aimerais également souligner que nous avons affaire à deux domaines dans lesquels l'action de l'Etat ne peut pas être la même. Dans le domaine du droit privé - qui comprend notamment les conventions collectives de travail -, l'Etat n'a pas de moyens d'intervenir. Nous pouvons encourager les partenaires sociaux à maintenir leurs revendications dans ce secteur, mais clairement, nous ne pouvons pas décider de ce que font les syndicats. En l'occurrence, et cela a été relevé, l'un des syndicats de la branche a choisi de signer une convention collective de travail, décision sur laquelle l'Etat ni cantonal ni fédéral n'a de prise.

S'agissant par contre du droit public, je peux vous garantir que tous les contrôles sont effectués et qu'il n'y a pas de contrôle à deux vitesses, comme certains semblent le sous-entendre. En effet, si Simple Pay a choisi de mettre la clé sous la porte - Simple Pay étant la société qui formellement, mais aussi un peu abusivement, employait les livreurs de chez Smood -, c'est précisément parce qu'une décision d'assujettissement à la loi fédérale sur le service de l'emploi a été rendue à son encontre, lui imposant de se mettre en conformité avec la législation. Face à cette exigence fixée par l'administration, la réponse de l'entreprise a été: «Non, nous mettons la clé sous la porte, nous ne voulons pas respecter les exigences légales.» Et l'exploitation a cessé immédiatement.

Tout cela pour indiquer qu'il n'y a pas deux poids, deux mesures dans la manière dont l'Etat, l'administration et le département en particulier appliquent les contrôles et les exigences de mise en conformité de même que les conséquences légales de ces exigences, à savoir, dans le cas d'espèce, la fin de l'exploitation.

Je ferai un parallèle avec les discussions actuellement en cours au niveau fédéral sur le respect du salaire minimum et la manière dont on peut agir. Pourquoi ? Parce que, vous le savez, à Genève, 60% ou presque du corps électoral a voté en faveur de l'introduction d'un salaire minimum, qui est actuellement en vigueur. Or, à Berne, il se discute en ce moment une motion d'un conseiller national qui propose de ne pas respecter les votations du souverain cantonal lorsque des conventions collectives nationales fixent des salaires minimaux, même inférieurs. Concrètement, ce que cela signifie, c'est qu'à Berne, on se prépare à prendre des décisions qui impliqueront une réduction de salaire de plusieurs centaines de francs par mois dans des secteurs comme la coiffure, l'esthétique, l'hôtellerie-restauration ou le nettoyage.

Aujourd'hui, le Conseil d'Etat est mobilisé pour défendre à Berne la position selon laquelle, sous l'angle du fédéralisme, sous l'angle du respect des droits démocratiques et de la démocratie semi-directe, les cantons, qui sont compétents en matière de politique sociale - et le salaire minimum est considéré comme un élément de politique sociale - doivent pouvoir maintenir leur salaire minimum. C'est un combat qui aura des conséquences très concrètes pour votre coiffeuse, pour un nettoyeur ou pour le serveur ou la serveuse qui vous sert votre café le matin. Il n'est pas acceptable à Genève de travailler à 100% pour un salaire de 3500 ou 3600 francs. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi au Conseil d'Etat; je la mets aux voix.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2829 est adopté par 58 oui contre 19 non et 3 abstentions.

Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2829 est donc rejeté.