Séance du
vendredi 23 septembre 2022 à
18h20
2e
législature -
5e
année -
4e
session -
27e
séance
PL 12811-A
Premier débat
Le président. Nous passons au PL 12811-A, classé en catégorie II, quarante minutes. Je donne la parole au rapporteur de majorité, M. Diego Esteban.
M. Diego Esteban (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, anticiper et préparer l'avenir en apprenant de notre passé: c'est, en résumé, la vocation du projet de loi que la majorité de la commission vous invite à soutenir aujourd'hui. Et pas besoin de chercher loin: même notre passé récent nous apprend beaucoup de choses sur notre rapport à l'alimentation et entraîne de nombreuses questions sur les troubles de l'alimentation, les pénuries, l'empreinte écologique, le traitement des animaux, la précarité des productrices et producteurs, et j'en passe.
Alors quand en 2020, pour obtenir une aide alimentaire, des milliers de personnes formaient de longues files d'attente sous le soleil des Vernets, c'en était trop. Ce spectacle n'avait pas de quoi inspirer confiance quant à notre capacité à anticiper les défis, alors que le potentiel de notre canton existait bel et bien. Raison pour laquelle ce projet de loi fut déposé par notre ancienne collègue Helena Verissimo de Freitas, dans l'optique de fixer une base constitutionnelle pour le droit à l'alimentation et une véritable politique publique de l'alimentation.
Il existe déjà une politique publique de l'agriculture, c'est le volet de la production. Mais il manque aujourd'hui un équivalent du côté de la consommation, qui permettrait de favoriser une approche globale, de regrouper l'ensemble des protagonistes concernés et d'aller au-delà de la situation actuelle, dans laquelle s'enchaînent des initiatives souvent associatives, sans réelle coordination et à portée variable. Pour la majorité de la commission, il tombe sous le sens que l'Etat favorise une production locale, saine, issue de conditions socialement et écologiquement justes, et mobilise les enceintes scolaires pour effectuer un travail de prévention.
Il ne s'agit aucunement de faire des choix pour autrui, de dicter des habitudes alimentaires ou d'interdire quoi que ce soit. Bien au contraire, une véritable politique publique de l'alimentation devrait encourager, inciter et informer, tout en préservant l'autonomie de chacune et de chacun. La distribution de sacs de vivres ne favorise pas l'autonomie, par exemple, et l'avis de la majorité est que les meilleures solutions ne sont pas prises dans l'urgence. C'est justement cette capacité d'anticipation que ce projet de loi va impulser.
Si cette nouvelle base légale fonde une future politique publique, elle est également érigée en nouveau droit fondamental, un droit à l'alimentation qui serait séparé de l'actuel article 39 sur le droit à un niveau de vie suffisant. C'est finalement ce qui a été fait pour le droit au logement, autrefois inclus dans le droit à un niveau de vie suffisant, mais qui figure maintenant dans une disposition séparée, en raison de l'importance particulière de l'accès au logement pour la population genevoise. Ce nouveau droit à l'alimentation est basé sur des notions connues en droit international; les professeurs Hottelier et Tanquerel ainsi que les associations Slow Food et FIAN, auditionnés par la commission, ont été unanimes sur l'intérêt de l'ajouter dans la constitution.
Mesdames et Messieurs les députés, il est nécessaire d'ajouter à la liste des droits fondamentaux un droit à l'alimentation et de compléter la politique agricole par une politique alimentaire, afin d'assurer à notre canton la capacité de faire face à l'ensemble des défis liés à l'alimentation et de favoriser toujours plus une nourriture locale, saine et juste. La majorité de la commission vous invite à soutenir ce projet de loi.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de minorité ad interim. Pour la minorité, il est inutile d'aller plus loin que ce que nous avons déjà. Nous avons déjà dans la constitution genevoise l'article 39 qui prévoit que toute personne a droit à la couverture de ses besoins vitaux. Est-ce qu'il faut encore ajouter à quel type d'aliment nous devrions avoir droit ? Est-ce que nous devrions ajouter encore dans notre constitution quel type d'alimentation serait le plus adéquat par personne ? Nous pensons que c'est inutile. Je reviendrai plus tard en détail sur notre position. Merci.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, la découverte des longues queues pour l'obtention de sacs de denrées alimentaires dès le printemps 2020 a frappé les esprits. La crise covid a agi comme un révélateur et a provoqué un nécessaire électrochoc. Ce qu'on a qualifié de files d'attente de la honte a mis à jour une réalité trop longtemps occultée: celles-ci ont irrémédiablement mis fin au déni ambiant quant à l'existence d'une terrible précarité et d'une grande pauvreté à Genève, totalement déplacées dans l'un des cantons les plus riches de Suisse.
Certes, la crise covid et ses incidences sur l'activité économique ont démultiplié les pertes d'emploi, les suspensions d'activité, les réductions de revenus. Autant de facteurs qui ont placé nombre de personnes en difficulté, notamment pour faire face à leurs besoins essentiels en matière d'alimentation. Dans ce contexte, la nécessité d'introduire un droit à l'alimentation est apparue. D'où cette démarche, qui consiste à inscrire ce droit dans la constitution en y adjoignant la notion d'une «alimentation adéquate» et le droit «d'être à l'abri de la faim».
Evidemment, d'aucuns objecteront, et avec raison, que les magnifiques droits fondamentaux inscrits dans la constitution ne sont pas opposables. C'est là une lacune particulièrement dommageable. Elle est atténuée néanmoins par l'affirmation contenue à l'article 41 de cette même constitution, qui stipule que ces droits «doivent être respectés, protégés et réalisés», et par cette autre mention cruciale, à l'article 43, qui déclare que «l'essence des droits fondamentaux est inviolable». Aussi, en dépit du caractère non opposable des droits fondamentaux, leur mention ne figure pas pour l'amour de l'art dans notre constitution. Elle est le rappel de l'essentialité de ces droits. Leur affirmation constitue un appel à mettre en place des politiques publiques et permet de fonder des prestations de l'Etat.
La crise alimentaire suscitée et accentuée par le covid a généré le besoin de consacrer le droit à une alimentation adéquate. C'est ce qui nous est présenté par ce projet de loi, qui estime nécessaire de mettre un focus particulier sur un besoin certes couvert par l'article 39 prévoyant le droit à un niveau de vie suffisant, mais noyé dans les divers aspects constitutifs de cette nécessité de couvrir les besoins vitaux des personnes en difficulté.
Affirmer le droit à une alimentation adéquate et la nécessité d'être mis à l'abri de la faim peut paraître incongru dans nos contrées, au XXIe siècle. Et pourtant, la réalité est venue bousculer nos certitudes, notre illusoire sentiment de sécurité. Après la crise du covid, la détérioration du pouvoir d'achat, consécutive aux multiples facettes de la crise économique, politique, écologique et sociale que nous connaissons actuellement, fait déjà sentir ses effets et va affecter durablement les budgets des ménages. Dès lors, mettre à l'abri de la faim, comme le revendique le projet de loi 12811, ou prévoir une alimentation suffisante ou appropriée est un impératif auquel nous ne devons pas nous soustraire; c'est une garantie que nous devons assurer à chacun, sans restriction d'origine ou de statut. Les droits fondamentaux, l'humanité, la générosité ne se chipotent pas; ils ne se prêtent pas à la ségrégation.
Pour ces motifs, notre groupe vous invite à accepter le projet de loi 12811. Je vous remercie de votre attention.
M. Yves de Matteis (Ve). Ce projet de loi vise à ancrer le droit à l'alimentation dans notre constitution, au même titre que le droit au logement, par exemple. A notre avis, ce nouvel article constitutionnel permettra à notre texte fondamental cantonal de gagner en complétude et en cohérence.
De même que la santé est caractérisée par l'OMS comme «un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité», le droit à l'alimentation tel que visé par ce projet de loi doit non seulement permettre de faire en sorte que toute personne puisse manger à sa faim, mais il pourrait également avoir pour but de promouvoir une alimentation saine sur notre territoire. Au-delà, c'est aussi une alimentation durable, locale, diversifiée, accessible et produite dans le respect de l'environnement et des personnes qui pourrait être encouragée.
Comme le projet de loi constitutionnelle concernant la sécurité numérique, ce texte pourrait également permettre de jeter les fondements d'une future politique publique de l'alimentation, ce par le biais d'un ou plusieurs projets de lois à rédiger par la suite.
Ce projet de loi constitutionnelle ne concerne donc pas seulement les personnes qu'on a pu voir faire la queue aux Vernets pour obtenir des cartons de provisions, comme certains ont pu le laisser entendre lors des travaux de commission. C'est une problématique qui concerne l'ensemble de la population genevoise, dans un intérêt public bien compris. Cette modification devrait donc rallier tant les bancs de gauche, du centre que de la droite. En effet, une alimentation saine contribue évidemment à une meilleure santé, et donc à terme permettra également de contribuer à juguler les frais exponentiels des assurances-maladie, les frais médicaux en général, mais aussi à épargner les budgets des collectivités publiques.
De manière plus précise, ce projet de loi constitutionnelle pourrait encore davantage légitimer ou ancrer la promotion, dès l'école primaire, d'une alimentation saine, laquelle pourrait être encore encouragée dans les écoles, de manière appropriée aux différents ordres d'enseignement. Il est également impératif de revaloriser une alimentation de qualité, de proximité, et de retisser les liens entre la population locale qui consomme ces biens et le monde agricole; cela permettrait aussi dans le futur de souligner l'importance des métiers de la terre et le soutien nécessaire aux 388 exploitations, en 2021, du canton de Genève, en constante baisse depuis soixante ans. Je souligne en passant les conditions de travail difficiles au sein du monde agricole, avec notamment un salaire minimum fixé à 17,10 francs de l'heure pour les entreprises agricoles.
Pour toutes ces raisons, notre groupe approuvera, et même avec enthousiasme, ce projet de loi constitutionnelle, tout comme il acceptera un amendement déposé par le parti socialiste. Merci, Monsieur le président.
Mme Christina Meissner (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, je me souviens d'un débat fort lointain et pourtant toujours actuel, le 24 septembre 2010: il s'agissait de déclasser les terres agricoles des Cherpines pour y bâtir du logement. Il nous était demandé de choisir entre deux droits fondamentaux: le logement et l'alimentation. Ces deux droits ne peuvent être et ne devraient jamais être opposables; c'est le «choix de Sophie» - d'ailleurs je conseille à celles et ceux qui ne savent pas à quoi je me réfère de voir ou revoir ce film bouleversant d'Alan Pakula, avec Meryl Streep face à un choix impossible.
Dès lors que le droit au logement a été inscrit au niveau constitutionnel, le droit à l'alimentation doit aussi l'être. «Le droit à l'alimentation est garanti. Toute personne a droit à une alimentation adéquate, ainsi que d'être à l'abri de la faim.» Evidemment, le terme «adéquate» doit être explicité. Pour le PDC, cette alimentation adéquate est une alimentation digne, issue d'une production saine et locale. Pour nous, il est important de le souligner. Il faut attirer l'attention sur la santé avant tout, car une alimentation se doit d'être saine, tant pour celui qui la consomme que pour celui qui la produit, et tant dans le mode de production que pour la terre et pour les animaux qui y contribuent directement ou indirectement.
Entre ce que l'on nous propose sur les étals et la saine volonté du PDC, il y a de la marge ! Inscrire cette volonté au niveau constitutionnel n'est pas anodin. Une alimentation saine est la seule à même de nous garantir à long terme notre qualité de vie et notre survie. Moins de sucre, plus de goût, plus de variété, de diversité et de biodiversité: au PDC, nous avons à coeur de défendre la qualité de vie des habitants à travers une alimentation saine, produite dans des conditions respectueuses des agriculteurs, de la nature et de notre futur. Le droit à l'alimentation ne peut être à géométrie variable; les adjectifs qui l'accompagnent sont des qualificatifs indispensables. Nous voterons avec enthousiasme ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, chers collègues, je donnerai quelques précisions pour le groupe socialiste, parce que beaucoup a déjà été dit par notre rapporteur de majorité. Je vais donc essayer de ne pas répéter ses propos.
Je ferai quand même une remarque par rapport à la justiciabilité des droits fondamentaux. Sur ce point, je ne peux pas souscrire aux propos tenus par Jocelyne Haller précédemment, dans la mesure où, comme elle l'a dit elle-même, il y a un article 41 qui stipule clairement que quiconque assume une tâche publique est tenu de respecter, de protéger et de réaliser les droits fondamentaux. Le siège de la justiciabilité des droits fondamentaux se situe précisément dans l'article 41, ainsi que dans la précision de la formulation que nous avons choisie en commission - déjà sur la base du projet originel bien sûr, mais que nous avons précisée... (Brouhaha.) Si je peux me permettre de continuer ! Si je ne dérange personne, hein !
Le président. Un instant, Monsieur le député ! (Le président marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) Poursuivez.
M. Cyril Mizrahi. Je disais donc qu'effectivement, nous avons une formulation très précise; il ne s'agit pas seulement d'un principe. Evidemment que tout droit fondamental comporte une composante programmatique, et celui-là également. Mais il y a aussi une composante de droit fondamental que nous avons décrite avec précision quand nous parlons d'alimentation adéquate. Il est clair que c'est important, ce n'est pas juste le droit d'être nourri: c'est le droit à une alimentation correcte et le droit d'être à l'abri de la faim. Nous savons donc que nous avons le soutien des associations spécialisées, comme FIAN Suisse, qui est vraiment l'association spécialiste de ces questions de droit à l'alimentation.
Il est évident que ces scènes de distribution de sacs alimentaires auxquelles nous avons assisté ne conviennent pas du tout du point de vue de... Bien sûr, c'est mieux que rien, mais le droit à une alimentation dans le respect de la dignité, ce n'est pas ça; c'est que chacun, sans devoir patienter dans une file d'attente, accède à une alimentation de qualité et soit à l'abri de la faim.
Je précise encore, par rapport à l'intervention de mon collègue de Matteis, que nous n'allons pas déposer d'amendement. Nous allons voter le texte tel qu'il est sorti de commission et je vous encourage à en faire de même. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Patrick Saudan pour deux minutes.
M. Patrick Saudan (HP). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, évidemment, on ne peut qu'être d'accord avec les buts de ce projet de loi et avec le fait d'inscrire ce droit à une alimentation adéquate dans notre constitution. Mais moi, je n'ai qu'un seul souhait: c'est que cela permette, par le biais de politiques publiques incitatives, de modifier les habitudes alimentaires de notre population. Parce que notre plus grand problème, ce n'est pas du tout l'insécurité alimentaire: c'est l'obésité, c'est la suralimentation - en particulier de malbouffe ! Il ne faut pas se tromper de cible: deux tiers de la population masculine adulte à Genève sont en surpoids. L'obésité est le plus gros problème de santé publique à l'heure actuelle partout, sous toutes les latitudes. Alors oui, inscrivons ce droit à une alimentation adéquate dans notre constitution, mais ne nous trompons pas de cible !
Une voix. Bravo !
M. François Baertschi (MCG). Je crois qu'un gros mélange se fait entre beaucoup d'éléments. Ne pas laisser les gens mourir de faim, c'est ce que dit déjà notre Constitution fédérale, qui, depuis quelques décennies, donne l'obligation à l'Etat de garantir le minimum vital. C'est le principe de base, un principe de la Constitution fédérale, qui, quelque part, doit s'appliquer.
Maintenant, je vois qu'on veut étendre ce principe par un droit à l'alimentation. Mais il y a quand même quelque chose de dangereux. Vouloir le bien de la population, vouloir que les gens se nourrissent le mieux possible et aient certaines règles de vie favorables, d'accord. Mais est-ce à l'Etat de s'occuper de cela ? Est-ce l'Etat qui doit dire, par exemple, «ne mangez pas de viande !» ou «mangez moins de viande !» ? (Commentaires.) Est-ce à l'Etat de le dire ?
Je sais qu'il y a un parti dans cet hémicycle qui a fait ce débat, avec des interdictions de consommer tel type d'aliments. Jusqu'où ira-t-on pour le bien de la personne ? On a vu beaucoup de régimes - non pas des régimes alimentaires, mais des régimes politiques - qui cherchaient justement le bien de l'individu, et parfois, comme on le dit, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Quelque part, ce qu'on est en train de nous préparer ici, c'est la suite d'une certaine tendance sociétale, à savoir la création d'une société qui va dans une direction où l'on enlève la liberté individuelle, la liberté humaine. On amène des contraintes pour le bien de la population.
C'est ce que sera ce droit, parce que ce ne sera finalement plus un droit, mais cela va devenir un devoir ! Et on l'a très bien vu avec la discussion tout à fait symptomatique, dans un caucus, sur l'interdiction de la viande, qui peut paraître anecdotique, mais qui est tout à fait révélatrice d'une certaine tendance, d'un certain penchant, pourrait-on dire, vers des attitudes au final liberticides. C'est cela que nous devons combattre. C'est ce que nous ne devons pas accepter.
C'est la raison pour laquelle le groupe MCG ne pourra pas soutenir cette norme constitutionnelle, parce que nous pensons que le respect des droits des citoyens doit primer toute chose, et si on veut améliorer les conditions de vie et améliorer l'alimentation générale, cela doit passer par l'information, par des suggestions, par quelque chose qui n'est pas obligatoire. Nous allons directement vers des obligations et vers un système contraignant, et cela, le MCG le refuse. Nous vous demandons donc de rejeter ce projet de loi. Merci.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Jean-Marc Guinchard pour une minute trente.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Merci, Monsieur le président. Je n'utiliserai pas tout ce temps. Je voulais simplement rappeler à M. Baertschi que l'Etat est garant et responsable, institutionnellement et constitutionnellement, de la santé publique. Je vous remercie.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de minorité ad interim. Je répète: la constitution genevoise, en son article 39, prévoit déjà que toute personne a droit à la couverture de ses besoins vitaux. Rajouter dans notre constitution que toute personne a droit à une alimentation adéquate pose des problèmes d'interprétation: comment définir et appliquer un droit à une alimentation adéquate ? L'intention est louable, mais le sens peut toutefois varier. Ce qui est adéquat pour les uns ne l'est pas forcément pour les autres. Pour les uns, le prix des aliments sera peut-être le seul critère adéquat. Pour les autres, une nourriture adéquate devrait prioritairement comporter des critères liés à l'équilibre de la santé et au renforcement du système immunitaire. D'autres critères comme le mode de culture, les conditions de travail, la production de proximité, le véganisme, peuvent être considérés comme adéquats pour d'autres encore.
Ce rajout est une intention louable, mais difficilement appréciable et difficile à mettre en oeuvre. Ce texte créerait plus de doutes et de divergences d'interprétation qu'autre chose. Encore une fois, l'article 39 de notre constitution genevoise est suffisant. Pour ces raisons, la minorité vous propose de refuser ce texte inutile, flou et difficilement applicable. Merci de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Monsieur le rapporteur de majorité, il vous reste deux minutes.
M. Diego Esteban (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Beaucoup de choses ont été dites, mais je rappelle que ce projet de loi a été pensé pour permettre à tout le monde d'avoir accès à une alimentation adéquate et à des informations liées à cette alimentation. N'est-ce pas un renforcement de la liberté individuelle que de confier à toute personne les outils qui lui permettront de l'exercer en toute connaissance de cause ? Concernant le rôle de l'Etat, le souci pour la majorité de la commission est de permettre une intervention bien avant l'arrivée d'une crise. Enfin, je rappelle que si la constitution cantonale reprend plusieurs éléments du droit fédéral dans son texte, c'est parce qu'une constitution n'est pas qu'un instrument juridique, c'est un code des principes et valeurs de notre société. L'accès à une alimentation adéquate en fait, au sens de la majorité de la commission, éminemment partie. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés, de soutenir ce projet de loi.
Une voix. Bravo !
M. Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat. J'interviendrai rapidement, Monsieur le président, Mesdames les députées, Messieurs les députés, pour vous dire que cet article constitutionnel a son importance, puisqu'il nous permet de décliner ensuite ce droit à une alimentation adéquate - «adéquate» veut aussi dire «saine». Introduire le droit de bénéficier d'une alimentation saine et d'en avoir les moyens est en effet une modification nécessaire.
Nous devons constater que plus de 6548 personnes bénéficient encore aujourd'hui de colis alimentaires à Genève. Avant la crise covid, nous étions à environ 3500, selon les chiffres de Colis du coeur. Il y a donc un problème non seulement dans l'accès à l'alimentation, mais également dans la qualité de celle-ci; il s'agit de voir de quelle façon on peut l'améliorer. Nous avons à ce titre un intérêt tout particulier à ce que les politiques publiques concernées, en particulier celles du département du territoire et du département de la cohésion sociale, mettent en oeuvre cette disposition.
Le département de la cohésion sociale a assuré la coordination, après la Ville de Genève, de la distribution alimentaire, en pleine collaboration avec les communes et les associations, ce dont nous nous sommes réjouis. Néanmoins, cela a révélé en mars 2020 une crise alimentaire ainsi qu'un certain nombre de problématiques qu'il nous faut traiter.
Par ailleurs, le canton, grâce à votre soutien, a également appuyé une collaboration avec la Fondation Partage, la banque alimentaire, qui n'a jamais autant connu de besoins qu'aujourd'hui. Comme je l'ai dit, les départements concernés sont par exemple celui de la santé, celui du territoire pour ce qui est de l'agriculture, mais également celui de la cohésion sociale, puisque l'objectif est de mener une réflexion globale et interdépartementale s'agissant de la stratégie à mettre en oeuvre pour garantir une alimentation adéquate.
Nous estimons que ce droit à l'alimentation procède d'un enseignement que nous avons tiré et fait partie d'une évolution nécessaire que nous devons permettre à l'égard de celles et ceux qui, encore aujourd'hui, ne bénéficient d'une alimentation suffisante ni en quantité ni en qualité. Merci de votre soutien. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote d'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 12811 est adopté en premier débat par 49 oui contre 43 non.
Le projet de loi 12811 est adopté article par article en deuxième débat.
Mise aux voix, la loi 12811 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 52 oui contre 43 non (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)