Séance du
vendredi 24 juin 2022 à
14h
2e
législature -
5e
année -
2e
session -
16e
séance
P 2127-A-I
Débat
Le président. A présent, nous traitons la P 2127-A-I, classée en catégorie II, trente minutes. La parole est au rapporteur de majorité.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. La commission des pétitions a traité la pétition «Plus de droits pour les apprentis-e-s !». Lors de la présentation de cette pétition, il nous a été indiqué qu'elle avait été traitée dans plusieurs cantons romands suite à un sondage mené auprès des apprentis. Le premier signataire a constaté que les apprentis ont de la difficulté à se retrouver dans leurs différents droits. Il a expliqué que la pétition propose la création de cours portant sur les droits. En outre, de nombreux abus de la part des employeurs existent, comme des heures supplémentaires ou des tâches non formatives. L'idée serait donc, selon l'auditionné, de créer des contrôles non annoncés, menés par les syndicats.
Suite à cela, la commission a auditionné M. Nicolas Rufener, secrétaire général de la FMB, qui était accompagné. Pour M. Rufener, cette pétition... (Brouhaha. L'orateur s'interrompt.)
Le président. Poursuivez, Monsieur le rapporteur.
M. Sandro Pistis. Merci. ...cette pétition ne reflète pas la réalité, mais évoque plus l'univers de Zola que celui des entreprises. L'auditionné a expliqué que la situation est bonne en Suisse romande, avec très peu de cas dénoncés, et que tous les moyens sont donnés pour lutter contre les situations problématiques: les possibilités de réaction sont nombreuses. M. Rufener a par ailleurs indiqué que la réalité salariale est complètement méconnue des auteurs de cette pétition, puisqu'il a toujours été admis, par toutes les parties, que les salaires des apprentis ne soient pas similaires à ceux des travailleurs confirmés. M. Rufener a déclaré ensuite que la brochure sur les droits des apprentis a été largement remaniée et sera diffusée à partir de la rentrée 2022. Elle prend en compte ces problématiques.
Nous avons également auditionné deux représentants de l'office pour l'orientation, la formation professionnelle et continue. On nous a rappelé que les conseillers en formation sont rattachés à l'OFPC et suivent les jeunes en intervenant de manière systématique dans les centres de formation professionnelle, que des commissaires d'apprentissage effectuent des visites obligatoires sur l'ensemble des cursus, soit deux en première année puis des visites annuelles. Enfin, il nous a été dit que 95% des visites requises sont assurées en première année, qu'elles permettent de faire un point de situation et que l'OCIRT intervient pour permettre aux entreprises d'être formatrices.
Une large majorité des députés de la commission est en faveur du dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. On a argué notamment que les dysfonctionnements peuvent d'ores et déjà être dénoncés, que le travail est réalisé au niveau de la formation professionnelle, que les institutions sont équipées pour répondre à ces problématiques. Dès lors, Mesdames et Messieurs, en qualité de rapporteur de majorité, je vous invite à déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition donne suite à une étude menée par le Groupe d'intérêts Jeunesse d'Unia auprès de huit cents apprentis. Vous trouverez dans mon rapport de minorité le résultat de cette étude, qui est extrêmement alarmant.
33% de ces jeunes disent avoir subi des formes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail, dans leur quotidien professionnel, 34% à l'école et 56% dans leur vie privée. Un certain nombre - une grande majorité - font état de stress et subissent des heures supplémentaires indues dans les entreprises formatrices. Un fort pourcentage également, plus de 54%, parle de surmenage et de mobbing au travail. Vous en conviendrez, le signal d'alarme est fort, inquiétant, et doit être pris au sérieux.
Nous sommes donc étonnés qu'une majorité balaie ce constat du revers de la main en disant: «Circulez, y a rien à voir.» C'est un peu ce que nous a dit M. Rufener également. Et la seule explication, c'est, à notre sens, la fierté d'avoir en Suisse un système dual, un système d'apprentissage dont nous sommes évidemment particulièrement contents. Mais en même temps, on ne saurait imaginer que, dans une société, des jeunes soient indemnes. Or, il est possible, premièrement, qu'on ne les prenne pas au sérieux, et deuxièmement, qu'on s'imagine que dans un monde professionnel soumis à pression et représentatif du reste de la population - où il y a du harcèlement, où il y a des formes de mobbing et d'atteinte à l'intégrité sexuelle -, ils en soient indemnes.
Les réponses que nous avons reçues de l'OFPC, l'office pour l'orientation, la formation professionnelle et continue, étaient assez faibles. Il nous a dit en substance: «Oui, vous avez raison; oui, c'est inquiétant; oui, il faut mettre l'accent sur la sensibilisation des formateurs; oui, il y a des craintes de la part des apprentis à l'égard des employeurs; oui, ce qu'on retrouve dans le sondage n'est pas une surprise.» Le monde du travail n'est pas exempt des formes de violence que l'on retrouve dans la société. Il serait étonnant que dans la rue, dans les préaux, mon Dieu ! on se tape dessus et on commette des abus, mais que le monde des entreprises soit rose et magnifique, que l'harmonie y règne. Les huit cents étudiants, huit cents mineurs qui ont été sondés disent clairement: «Il y a un gros problème ! Et s'il vous plaît, relayez cette difficulté au Conseil d'Etat, afin que des actions soient engagées.»
C'est un peu du même ordre que ce qu'il y avait avant «MeToo». Si quelqu'un disait: «Il y a des formes d'abus sexuels dans l'industrie du cinéma, des femmes sont abusées», on lui répondait: «Non non non ! Circulez, y a rien à voir, il ne se passe rien !» Là, vous avez un sondage qui vous dit noir sur blanc que dans le monde de l'entreprise, des mineurs sont en difficulté, subissent des formes de harcèlement; il serait pour le moins étonnant qu'une majorité classe sans autre forme de procès cette pétition dans une poubelle du parlement. Il faut évidemment renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, entendre la magistrate, prendre au sérieux ce sondage et évidemment en faire d'autres, creuser la question, ce que la plupart des intervenants soutenait. Merci beaucoup pour votre attention. (Applaudissements.)
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs, nous sommes saisis d'un sujet qui est peu discuté dans cette enceinte, à savoir la situation des apprentis. Les apprentis, à Genève, sont moins nombreux, beaucoup moins nombreux, en chiffres relatifs, que dans les autres cantons: on a un tiers en moins, non, on a deux tiers d'apprentis en moins que les autres cantons. Cette formation est relativement moins utilisée à Genève que dans le reste de la Suisse.
Et pourtant, dans cette formation, il y a de nombreux problèmes. Deux éclairages nous ont été fournis à l'appui de cette pétition. D'abord l'éclairage qu'a cité le rapporteur de première minorité, à savoir l'enquête faite par Unia, et celle menée par les Jeunes POP. Réalisées dans plusieurs cantons romands, elles sont arrivées aux mêmes conclusions: des travaux non formateurs confiés aux apprentis, des heures supplémentaires ne respectant pas les normes légales et qui devraient être compensées, et le phénomène du harcèlement qu'a aussi cité mon collègue, Sylvain Thévoz. Il y a donc ces trois éléments problématiques.
On a entendu la partie patronale, la partie syndicale et l'OFPC. On s'est rendu compte que certes, des progrès ont été faits, certes, la situation n'est pas totalement désespérée, mais il est faux de dire des personnes entendues qu'elles déclarent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes: on a eu des échos préoccupants, notamment sur la question du harcèlement, de la part du responsable de l'OFPC.
Alors que nous demande cette pétition ? Des choses totalement élémentaires, et je ne comprends pas que notre commission et le Grand Conseil ne les soutiennent pas. Elle demande simplement qu'une information sur leurs droits soit donnée aux apprentis, qu'en première année soit donné un enseignement pour les y sensibiliser. Elle demande - cette requête a été formulée par les syndicats dans notre commission et va dans le même sens - que les droits des apprentis soient affichés dans les entreprises qui en engagent. Elle exprime enfin le souhait qu'il y ait une formation autour de la brochure réalisée et distribuée par l'OFPC, qu'on n'a pas pu voir parce qu'elle est en cours de révision et dont on ne sait pas très bien ce qu'elle comprend ni si les apprentis la lisent. Cette brochure devrait donc être un objet d'enseignement destiné aux apprentis pour qu'ils puissent faire valoir leurs droits. Car même s'ils les connaissent, il leur est difficile de les faire valoir - ce sont souvent des mineurs, et ils risquent de perdre leur place d'apprentissage s'ils se plaignent.
Notre groupe appelle donc évidemment à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, la présente pétition vise à mettre en place des mesures afin de mieux protéger les apprentis sur leur lieu de travail. Une première mesure consiste à autoriser des contrôles réguliers et non annoncés des lieux d'apprentissage par le canton et les syndicats. Une seconde mesure vise à mettre en place des formations dispensées en partie par les syndicats afin d'informer les apprentis sur leurs droits.
Cette pétition a fait l'objet de fortes critiques lors des auditions. Elle est peut-être mal formulée ou un peu maladroite, mais elle aborde des questions importantes notamment en matière de harcèlement, comme cela a déjà été dit, et d'heures supplémentaires. Les pétitionnaires ont fait mention d'un sondage de l'Etat selon lequel 40% des apprentis ressentent du surmenage et 70% sont harcelés sexuellement. La CGAS a relevé que la Confédération indiquait que 20% à 25% des contrats d'apprentissage étaient résiliés prématurément, souvent en raison des conditions ou de conflits sociaux. Mesdames et Messieurs les députés, ces chiffres sont effarants. La CGAS a cependant assuré que les contrôles actuels étaient suffisants. Notre groupe, les Vertes et les Verts, soutient la pétition afin d'assurer une pérennisation de ce système.
La CGAS a ensuite assuré que les partenaires sociaux interviennent déjà dans les écoles, lors de la dernière année d'apprentissage, en proposant une formation sur les droits des travailleurs. Selon les Vertes et les Verts, il serait utile d'aller dans le sens de la pétition et de proposer ces formations le plus tôt possible, non pas en dernière année mais en première année d'apprentissage. La pétition aurait aussi pu aller plus loin et demander des sanctions dissuasives à l'encontre des employeurs qui imposeraient des heures supplémentaires et feraient subir du harcèlement à leurs apprentis. Pour l'heure, nous vous invitons à la soutenir en la renvoyant au Conseil d'Etat et donc en refusant son dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Merci.
M. Jean-Charles Lathion (PDC), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, je suis un peu effaré par ce que j'entends, et notamment par les comparaisons faites par M. Thévoz. M. Thévoz a évoqué «MeToo». C'est un grand rassemblement, un grand mouvement. Mais cette pétition et le phénomène «MeToo» n'ont absolument rien à voir. De plus, je pense que nous sommes complètement à côté de la plaque dans la façon dont nous abordons le problème: le sondage n'a pas été réalisé à Genève mais dans les cantons de Vaud, de Fribourg et de Neuchâtel, on n'a pas consulté les apprentis genevois. Bien sûr, certains apprentis ont signé la pétition, mais on peut s'imaginer qu'il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire que de la signer face à la pression de certains syndicalistes d'Unia.
Je vous invite quand même à être attentifs aux propos qu'a évoqués tout à l'heure Mme Marjorie de Chastonay, quand elle se référait à la CGAS. La CGAS, dans son appréciation de la situation, reconnaît que des contrôles sont faits à Genève et qu'elle mène toute une action, aussi avec les syndicats patronaux. Je dirais que la formation professionnelle, dans notre canton, est exemplaire. Oui, moi je suis très fier de cette formation professionnelle ! Elle est exemplaire parce qu'on fonctionne avec un partenariat Etat-syndicats-patronat. Et ça marche. Des efforts énormes ont été faits dans ce secteur, quant à la surveillance; le rapporteur de majorité l'a évoqué.
Je vous engage non seulement à approuver ce rapport de majorité, mais aussi à ne pas renvoyer la pétition au Conseil d'Etat. Mme Torracinta ne pourra en effet qu'admettre que le système de formation professionnelle dans notre canton est performant, qu'il fonctionne et que cette pétition ne concerne pas Genève, qui a sa propre formation et fait bien son travail. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Serge Hiltpold (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, l'intervention du député Thévoz montre qu'il a une méconnaissance crasse du secteur, puisqu'il parle des étudiants. Le terme d'«étudiant» est un terme banni. On parle d'apprentis, d'une transmission du savoir, d'une transmission du métier, et non d'apprenants. Un apprenti n'est pas un étudiant. Ça, c'est une première chose.
Ce que vous préconisez, c'est une insulte, une stigmatisation des entreprises. Cette pétition est une véritable honte ! Le secteur de l'apprentissage est cadré par plusieurs dispositions. La première, c'est le suivi de l'apprentissage, qui implique un commissaire extérieur à l'entreprise. Celui-ci fait le lien entre l'entreprise, l'apprenti et l'Etat. C'est une personne tierce, qui gère cette relation de modération et relève les problèmes s'il y en a. La discussion a donc lieu.
Quant aux heures supplémentaires dans l'entreprise, Madame de Chastonay, j'aimerais que vous soyez consciente de ce qui se passe dans ces métiers. En fait, le problème, c'est que les jeunes arrivent sur un marché du travail. Il y a là le mot «travail». Dans l'apprentissage, on a une acquisition du geste, une acquisition des compétences qui ne vient pas toute seule mais demande un engagement. Et oui, il y a des heures supplémentaires ! Pour participer à des concours professionnels, en Suisse romande ou en Suisse alémanique, on ne travaille pas trente-cinq ou quarante heures dans l'entreprise: le soir, vous faites des heures supplémentaires avec un ouvrier ou un contremaître qui vous donne ce que dans le métier on nomme des «combines». On appelle ça «voler le métier». La majeure partie des gens qui réussissent le font, et ils ne s'en plaignent pas. Ils sont demandeurs, ils ont une activité la semaine, le soir, ou lorsqu'on organise des vendredis après-midi. Ça, ça existe depuis six cents ans ! C'est la tradition du compagnonnage. Je n'ai jamais vu personne critiquer les gens qui ont une connaissance par le travail. Donc vous êtes complètement à côté de la plaque !
Ensuite, s'agissant des plans de formation, ils sont extrêmement régulés. Vous avez des ordonnances fédérales qui demandent des compétences, et ces compétences s'inscrivent dans une grille-horaire, qui est respectée. Lorsqu'il y a un problème, qu'est-ce qui se passe ? Dans les cours interentreprises, on évoque ceux qui ont de la difficulté, et les formateurs mettent l'accent sur les problèmes relevés. Et souvent, oui ! c'est fait en dehors du temps de travail, avec des employés, avec des patrons qui sont d'accord de le faire. Donc n'allez pas chercher les problèmes lorsqu'il n'y en a pas. Je pense que cette pétition va à l'envers du bon sens, à l'envers du partenariat social, à l'encontre des formateurs et à l'encontre de la notion de travail et de transmission du métier. Merci. (Applaudissements.)
M. Thomas Bläsi (UDC). J'ai bien écouté mon collègue formateur, M. Hiltpold, et je dois avouer que j'étais sensible aux arguments qu'il a donnés. Je pense toutefois que les éléments qu'il a mis en avant sont assez spécifiques à sa profession et ne concernent pas forcément tous les apprentissages.
On sait que dans les apprentissages, il peut effectivement y avoir du harcèlement, du mobbing ou des tâches en inadéquation avec la formation. J'en ai déjà rencontré. Les apprentis parlent beaucoup entre eux; quand un patron ou un formateur dysfonctionne - et des patrons qui dysfonctionnent, ça existe -, les autres patrons, ceux qui sont corrects, apprennent la situation par leurs propres apprentis et devraient pouvoir réagir. Seulement, il est assez difficile, dans un milieu professionnel, d'avoir le courage de dénoncer des collègues dont la pratique est inadéquate.
Deux visites d'apprentissage par année peuvent être très insuffisantes, c'est certain. Je connais des apprenties qui ne sont jamais sorties, la première année, de la cave de l'entreprise dans laquelle elles travaillaient, parce qu'on leur réservait les tâches - entre guillemets - «désagréables». Elles apprenaient à faire la commande, elles apprenaient à ranger des choses, elles apprenaient ceci, elles apprenaient cela. On a à Genève quelques spécialistes de ces pratiques, ils sont connus ! Ils sont connus de l'OFPC, des commissaires d'apprentissage, de tout le monde. Mais on continue de leur confier des apprentis, dont la parole est continuellement mise en doute.
Tout ça existe, mais à mon sens, c'est rare. Le système est donc bon - comme l'a dit M. Lathion, on peut en être fier -, mais il est très certainement perfectible. Et si l'on veut vraiment assurer la protection des apprentis présents dans nos entreprises, et peut-être susciter des vocations, je pense qu'il faut déposer cette pétition. Elle est, selon moi, mal formulée et effectivement insultante. Par contre, il est nécessaire de relancer un processus parlementaire - une motion, un projet de loi - auquel vous associeriez des formateurs, M. Hiltpold par exemple, ou d'autres qui par ailleurs se trouvent dans notre parlement. Je pense que l'on ferait un travail efficace. Je vous suggère donc de déposer cette pétition mais de ne pas délaisser le sujet, bien au contraire: je vous propose de l'aborder d'une manière peut-être plus pragmatique, plus intelligente et surtout plus efficace. Merci beaucoup, Monsieur le président.
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Je suis un peu inquiet de l'attitude de M. Lathion et de M. Hiltpold - vous transmettrez -, qui disent que tout va bien dans le meilleur des mondes. Non, jamais tout ne va bien dans le meilleur des mondes. C'est une cécité volontaire pour ne pas regarder des problèmes peut-être pas majoritaires, probablement isolés, mais qui sont reconnus. Quand il est venu au nom de la FMB à la commission des pétitions, M. Rufener a déclaré: «Il y a des problèmes, mais des efforts ont été faits.» M. Sandoz, de l'OFPC, nous a dit: «Cette pétition vient conforter l'office dans sa conviction qu'il reste du chemin à faire.» Bon. Il a noté aussi que l'abus des heures supplémentaires et les mauvaises conditions de travail sont les principaux motifs des visites non annoncées. Il existe donc des problèmes. Arrêtez de dire ici qu'il n'y en a pas ! Et ce n'est pas parce que les personnes qui déposent une pétition sont des apprentis qu'il faut exprimer dans ce parlement un tel mépris pour la parole de ces jeunes.
Ensuite, l'Etat a des responsabilités. Selon la loi, il doit exercer la surveillance de l'apprentissage, qu'il peut déléguer aux partenaires sociaux. Mais nous avons appris en commission que la partie syndicale n'avait pas les moyens de le faire aux côtés de la partie patronale, et que donc, dans l'essentiel du travail, c'est cette dernière qui est chargée de la surveillance. Il appartient donc à l'Etat, à mon avis, de faire le bilan de ce déséquilibre et d'exercer, selon son rôle, le contrôle des conditions d'apprentissage comme la loi le prévoit.
Pour finir, on a appris qu'une visite sur seize était non annoncée, ce qui n'est pas grand-chose, et que bien entendu, il y a du harcèlement, bien entendu, il y a des abus. Ne fermez donc pas les yeux, écoutez ce que vous disent les apprentis ! Cette pétition va évidemment être déposée par la majorité de droite sur le bureau du Grand Conseil, mais je remercie M. Bläsi - vous lui transmettrez - d'avoir au moins eu l'honnêteté de dire qu'il y a des problèmes et que nous devrions nous en saisir.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de première minorité. Je prends brièvement la parole pour dire que je regrette le ton de M. Hiltpold, qui se permet de lancer à Mme de Chastonay: «Vous êtes complètement à côté de la plaque.» (Protestations.)
Une voix. Oh, ça va !
Une autre voix. Mais ça suffit ! (Rire.)
M. Sylvain Thévoz. Oui, je regrette que dans un parlement, un député dise à une autre députée: «Vous êtes complètement à côté de la plaque» !
Une voix. Elle est à côté de la plaque ! (Rire.)
Le président. Monsieur le député !
Une voix. Vous ne savez pas ce que c'est d'être un apprenti !
Le président. S'il vous plaît, laissez parler le rapporteur de minorité.
M. Sylvain Thévoz. Comme sont certainement à côté de la plaque les huit cents apprentis dont 33% disent avoir subi du harcèlement sexuel dans leur quotidien professionnel, 34% dans le cadre scolaire... (Remarque.) ...et 56% dans leur vie privée. (Remarque.) Oui, cette étude a aussi été menée à Genève, c'est celle des Jeunes POP qui ne l'a pas été. (Rire.) Vous allez nous faire croire, comme autrefois vous nous faisiez croire que le nuage de Tchernobyl s'était arrêté à nos frontières, que le harcèlement sexuel à l'école, ou dans un cadre professionnel, s'arrête aux frontières du canton de Vaud et de Neuchâtel. (Remarque.) A Genève, tout va bien, rassurez-vous, les apprentis, les mineurs sont en pleine forme ! (Remarque.) Et M. Hiltpold nous a certainement convaincus que le monde du travail... Il a quand même dit: «C'est un monde brutal, on fait des heures supplémentaires; c'est le vrai monde... (Remarque.) ...c'est le monde réel. Il faut lutter, c'est normal qu'il y ait du stress. Mais attention, il n'y a pas de mobbing ni de harcèlement !» En matière de difficulté du travail, la frontière se situe donc évidemment juste à la limite entre des heures supplémentaires et la souffrance au travail, mais elle ne va pas jusqu'au mobbing.
Mesdames et Messieurs, je crois qu'en écoutant attentivement les propos de M. Sormanni, de M. Hiltpold et de M. Lathion, on constate du déni. Et comme l'a relevé, je crois, Mme de Chastonay ou M. Batou, quand une parole est portée par des personnes mineures ou racisées... (Commentaires.) ...ou par des femmes, on entend dans ce parlement: «Hooo ! Nooon ! Heuuu ! Hééé !», parce que ces paroles sont déconsidérées, sont moins prises au sérieux et sont balayées. C'est de cette manière que des inégalités sociales, des discriminations peuvent, en toute bonne foi peut-être, à l'ombre et dans le silence, se poursuivre.
Il y a là un sondage extrêmement clair, qui constitue un signal d'alarme. Vous le voyez ou vous ne le voyez pas - tristement, la majorité du parlement semble vouloir ne pas le voir. Il faut évidemment, comme l'a rappelé M. Bläsi - que je remercie pour son intervention -, reprendre cette question et y revenir. Et nous reviendrons avec une motion, une résolution, un autre objet, afin que la réalité, qui est plus tenace que les a priori de certains, puisse apparaître. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Jean-Charles Lathion pour trente secondes.
M. Jean-Charles Lathion (PDC), député suppléant. Oui, merci, Monsieur le président. Je ne méconnais pas les problèmes des apprentis, que, dans mon passé professionnel, j'ai eu à traiter, Monsieur Batou, comme vous le savez. Par contre, ce que je dis, c'est que le système de formation professionnelle est performant. Alors s'il y a des problèmes, je pense qu'il y a des maîtres d'apprentissage dans la salle, il y a des syndicalistes dans la salle, il y a des représentants de la CGAS dans la salle également: c'est à eux de se mettre d'accord pour traiter ces problèmes. Voilà ce que je voulais dire.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme la députée Marjorie de Chastonay.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Merci, Monsieur le président. Je regarde les secondes puisqu'on nous en a mangé tout à l'heure, mais ça va.
Le président. Il vous en reste cinquante.
Mme Marjorie de Chastonay. J'ai entendu que j'étais complètement à côté de la plaque. Alors j'aimerais savoir si je suis complètement à côté de la plaque parce que je ne travaille pas dans le même milieu que vous - vous transmettrez, Monsieur le président, à M. Hiltpold, bien évidemment -, ou parce que je suis enseignante aujourd'hui. Peut-être que j'ai eu d'autres expériences auparavant, d'autres formations - peut-être que je dois dérouler mon curriculum vitae ?! Est-ce que vous mettez tout le monde dans des cases, dans des boîtes ? Est-ce que c'est parce que je suis une femme ? (Protestations.) Est-ce que c'est parce que ce sont des jeunes qui s'expriment et qu'on ne veut pas écouter la parole des jeunes ? Au fond, pourquoi est-ce que je suis à côté de la plaque ? Parce que je n'ai pas la même opinion que vous.
Oui, les Vertes et les Verts écoutent la parole des jeunes, en tiennent compte et essaient de trouver des solutions qui résultent de compromis. Et ce sont des solutions qui sont raisonnables. C'est pour ça que je soutiens le renvoi au Conseil d'Etat. Merci. (Applaudissements.)
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je crois que le monde parfait n'existe pas, et n'existera jamais. Il faut relever le système de formation professionnelle tripartite qui existe à Genève, dans lequel sont présents les patrons, l'Etat et les syndicats.
J'ai été commissaire d'apprentissage pendant vingt ans. Et on allait dans les entreprises ! Je pense que ça se fait toujours. On allait contrôler les conditions de formation et veiller au bien-être des apprentis. C'est un boulot ! C'est un vrai boulot, pas payé, d'ailleurs, bénévole ! Et heureusement ! Parce que c'est ça, l'équilibre, à Genève, et c'est hors pair. Ça n'existe qu'à Genève, à ce point, comme l'a relevé M. Lathion. Et je crois qu'il faut sortir de l'idée que, à chaque fois, c'est terrible, que tout le monde est méchant, que tout le monde est harcelé, que tout le monde est racisé. Bientôt, on va nous dire que c'est le racisme anti-Noirs, j'en passe et des meilleures.
Si l'enquête montre des problématiques qui ne concernent pas Genève, alors évidemment on dit: «Comme ça se passe ailleurs, ça se passe certainement aussi à Genève.» Mais revenez un peu sur terre ! Et améliorez le système ! Je pense que c'est aux partenaires sociaux associés à l'Etat de le faire - ils le font déjà. S'il y a des problèmes, amenez-les sur la table à ce niveau-là, pour améliorer encore, autant que faire se peut, les contrôles dans les entreprises.
C'est unique à Genève, ce qui se passe, ça n'existe pas dans les autres cantons. Par conséquent, prenez-en de la graine. Je crois que cette pétition ne concerne pas véritablement Genève et son système, qui est exemplaire, je le redis. Il faut déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Hiltpold, vous n'avez plus de temps de parole et vous n'avez pas été vraiment mis en cause personnellement. Je passe donc la parole à Mme la conseillère d'Etat Anne Emery-Torracinta.
Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, on n'est certainement pas dans un monde parfait, et je reconnais qu'il y a certainement des situations, à Genève comme ailleurs, d'abus ou inadéquates. Mais je ne peux pas laisser dire au député Bläsi des choses aussi graves. Monsieur Bläsi, je vous demanderai de me les prouver en m'écrivant, en me donnant les éléments que vous avez en votre possession. Quand vous dites que l'OFPC serait au courant de situations d'abus, de maltraitance ou autres sur des apprentis, c'est extrêmement grave, comme il est extrêmement grave de dire que l'OFPC ne ferait rien. C'est peut-être le cas, j'attends donc de votre part des éléments précis. Il est évident que si j'apprends l'existence de situations dans lesquelles l'Etat n'agirait pas, je me permettrai d'intervenir aussi personnellement.
Tout le problème des abus, de la maltraitance en général dans les écoles, dans les entreprises ou ailleurs, c'est le silence. Quand on connaît une situation de maltraitance, quelle qu'elle soit, c'est de notre devoir, à tout un chacun, de la dénoncer. Donc si vous apprenez que dans une entreprise ou dans une école, quelque chose se passe, dites-le. Mais le savoir sans rien faire, c'est se rendre complice, par sa passivité, de la maltraitance elle-même.
Je reviens sur le dispositif de surveillance de l'apprentissage à Genève. Effectivement, le dispositif n'est peut-être pas parfait, mais il est quand même relativement performant, parce qu'il a plusieurs portes d'entrée. La première, c'est bien évidemment le fait qu'en cas de signalement, l'office intervient et va voir ce qui se passe dans l'entreprise. Les visites sont faites régulièrement par les commissaires d'apprentissage, elles sont obligatoires. Elles sont annoncées car on veut s'assurer de la présence de l'apprenti ainsi que du maître d'apprentissage. Mais en cas de soupçon, ou lorsqu'il y a quelque chose dont on n'est pas sûr, des visites inopinées peuvent bien sûr avoir lieu. A cela, on peut ajouter le fait que depuis quelques années, le taux de réalisation des visites, qui sont déjà obligatoires, a largement augmenté. Ce n'est peut-être pas encore suffisant, mais c'est en tout cas relativement bien fait.
Des visites spécifiques sont effectuées quand on apprend quelque chose ou que l'on a un doute. Lors de l'année 2020-2021, dont j'ai les chiffres - je n'ai pas encore ceux de l'année actuelle -, 393 visites spécifiques ont été organisées en raison d'éléments qui avaient été remontés au département. Depuis 2015, une ordonnance sur la protection des jeunes travailleurs a été mise en oeuvre et permet de renforcer aussi la protection.
A propos de l'autorisation de former, des mesures d'accompagnement ont également été prises. Et il arrive parfois qu'on refuse des autorisations de former, notamment lorsque nous estimons que le cadre n'est pas conforme. Quant aux salaires, des vérifications sont faites au moment de la signature du contrat. Un travail de suivi des maltraitances a été entamé, avec notamment Le deuxième Observatoire, que vous connaissez certainement. Depuis 2022, les formateurs en entreprise seront sensibilisés à la prévention de la maltraitance et à la manière de percevoir une éventuelle situation de maltraitance dans l'entreprise. Cette action est menée notamment grâce à une capsule vidéo montée en collaboration avec le service écoles-médias et Le deuxième Observatoire, je l'ai dit. Cette capsule vidéo et cet élément-là seront également contenus dans la formation obligatoire des formateurs d'apprentis.
Dans la direction de l'OFPC, une personne a été désignée pour suivre toutes les questions de harcèlement de type sexuel ou autres, qui est formée à l'écoute et à qui les apprentis peuvent s'adresser. En outre, il existe cette fameuse brochure d'information sur le droit des travailleurs, le droit des jeunes travailleurs, le droit des apprentis. Elle a été refaite de manière paritaire avec la CGAS, avec l'union patronale, l'UAPG, etc., et sera transmise à tous les apprentis - elle a d'ailleurs déjà été transmise en 2022.
En conclusion, je dirais que le système n'est certainement pas parfait, parce que la nature elle-même est ce qu'elle est. Mais ce que nous pouvons faire au mieux, c'est d'encourager les personnes concernées à parler, que ce soient les apprentis ou leurs proches. Et bien évidemment, nous pouvons encourager celles et ceux qui seraient au courant de situations de maltraitance à les dénoncer et à ne pas les garder pour eux, ce qui revient à être complice par passivité. Merci.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vais vous faire voter sur les conclusions de la majorité de la commission, à savoir le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 2127 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 52 oui contre 39 non (vote nominal).