Séance du vendredi 20 mai 2022 à 18h05
2e législature - 5e année - 1re session - 5e séance

R 846-A
Rapport de la commission du logement chargée d'étudier la proposition de résolution de MM. Ronald Zacharias, Eric Stauffer, Pascal Spuhler, Carlos Medeiros pour limiter le droit des bailleurs de résilier le contrat de bail dans le cas de personnes âgées de plus de 65 ans (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 28 février et 1er mars 2019.
Rapport de M. Christian Dandrès (S)

Débat

Le président. Nous poursuivons avec la R 846-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Le rapport initialement rédigé par M. Christian Dandrès est repris par M. Alberto Velasco, à qui je donne la parole.

M. Alberto Velasco (S), rapporteur ad interim. Merci, Monsieur le président. Nous sommes ici saisis d'une proposition de résolution dont l'origine est étonnante: l'auteur est M. Zacharias qui, tout à coup, a été pris d'une attitude bienveillante envers les locataires et les personnes âgées de plus de 65 ans. Voici ce que demande cet objet qui a été accepté par une majorité, Mesdames et Messieurs - je le lis:

«[...] vu l'article 156 de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève, du 13 décembre 1985;

considérant:

- la Constitution fédérale, du 18 avril 1999, et plus particulièrement son article 7 relatif à la dignité humaine;

- la loi fédérale complétant le Code civil suisse, du 30 mars 1911, qui règle le droit du bail en ses articles 253 et suivants,

demande à l'Assemblée fédérale

de modifier la loi fédérale complétant le Code civil suisse, dans le sens d'inscrire une interdiction de résilier le contrat de bail d'une personne âgée de plus de 65 ans lorsque cette résiliation intervient uniquement dans le but de pouvoir augmenter le loyer ("congé économique").»

Il me semble que c'est assez clair. Je dois relever le fait que M. Dandrès avait proposé un amendement stipulant que la protection des locataires de plus de 65 ans s'applique hormis en cas de défaut de paiement ou de violation du devoir de diligence. Malheureusement, cette modification a été refusée. Nous avons tout de même voté la proposition de résolution, car elle protège les gens.

Vous savez que bien souvent, à partir de 65 ans, les personnes ont des revenus restreints. Chez nous, certains touchent tout juste 3500 francs avec l'aide complémentaire, et trouver un loyer de 1100 francs aujourd'hui, c'est très difficile. Généralement, quand on résilie le bail de ces locataires, le loyer augmente. Les gens qui arrivent à l'âge de la retraite habitent dans leur logement depuis vingt, trente ans, et il est extrêmement difficile pour eux de voir leur bail résilié pour des raisons économiques. Alors voilà, Mesdames et Messieurs, je vous propose d'accepter ce texte qui demande à l'Assemblée fédérale de modifier le code civil.

Mme Diane Barbier-Mueller (PLR). Ronald Zacharias, Eric Stauffer, Pascal Spuhler et Carlos Medeiros ont élaboré un projet populiste afin de blâmer la Gérance immobilière municipale pour ses pratiques douteuses envers certains de ses locataires. Et la gauche soutient ça. C'est une belle vitrine, bravo, belle alliance - un peu contre nature, mais voilà.

Maintenant, si nous nous intéressons vraiment au fond de ce projet de loi - de cette proposition de résolution, pardon, celle-ci demande au Parlement fédéral d'empêcher toute résiliation de bail s'agissant de locataires de plus de 65 ans. 65 ans ! Certains d'entre vous dans cette salle sont concernés par cette mesure d'âge, et je suis désolée, mais je trouve que vous faites tous encore très jeune. Pour moi, la vision du retraité vulnérable et sans défense est un peu abusive alors que la plupart des personnes de plus de 65 ans sont en pleine force de l'âge et très actives, vous devriez vous sentir offensés, voire insultés.

Une voix. Exactement !

Mme Diane Barbier-Mueller. Outre la porte ouverte aux abus que ce privilège va générer et éventuellement la violation de la liberté économique, le vrai problème de ce texte, c'est la défiance qu'il risque d'engendrer envers les personnes de plus de 65 ans. Un bailleur devant choisir entre un couple de retraités et un autre privilégiera le couple jeune pour éviter de se retrouver avec des locataires dont il ne pourra pas résilier le bail. Cela créera un effet boule de neige: il y aura une cristallisation de la pénurie de logements, les personnes de plus de 65 ans ne quitteront plus leurs appartements, appartements qui seront sous-occupés, et les jeunes familles ne trouveront pas de foyer adapté à leurs besoins, il n'y aura plus que des trois ou quatre-pièces. Sans mentionner le fait que cet objet va alourdir l'ordre du jour de Berne pour absolument rien, puisqu'il sera classé sans suite - c'est en tout cas ce que j'espère. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à refuser cette proposition de résolution pour toutes les raisons que j'ai évoquées. Merci.

Une voix. Très bien !

M. André Pfeffer (UDC). Cette proposition de résolution est louable, mais je rappelle que M. Ronald Zacharias, avocat, spécialiste de l'immobilier et auteur du texte, n'a pas pu répondre à un commissaire qui demandait s'il avait opéré un examen de conformité avec le droit fédéral. Cet élément est important et devrait au minimum être réglé avant l'envoi d'un objet à Berne. Par ailleurs, je m'étonne de l'absence d'auditions et de discussions, voire d'évaluations, au sein de la commission du logement.

Comme vient de le relever notre collègue Barbier-Mueller, une telle proposition de résolution pourrait avoir des effets négatifs. Le renforcement de la protection d'une catégorie de personnes pourrait inciter les bailleurs à prendre plus de garanties envers ces mêmes locataires.

En ce qui concerne l'invite, indépendamment de l'âge qui y est indiqué, je pose une question au Conseil d'Etat: j'aimerais savoir si l'interdiction de résilier un bail uniquement pour pouvoir augmenter le loyer n'est pas déjà en vigueur à Genève. Vu l'absence d'étude approfondie de ce texte, je trouve qu'il serait très peu sérieux de le renvoyer à Berne. Pour cette raison, le groupe UDC le rejettera. Merci.

M. Rémy Pagani (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, quelques mots pour vous dire que je vais reprendre l'amendement de M. Dandrès tel qu'il avait été formulé en commission.

Cette proposition de résolution part d'une bonne intention: elle vise, je le répète, à ce que les résiliations de bail dans le but d'augmenter le loyer soient interdites pour les personnes âgées de plus de 65 ans, que celles-ci ne puissent pas être expulsées. Les retraités ont moins de revenus, c'est une évidence.

Je vous rappelle que toute cette affaire est partie du fait que certains se voyaient résilier leur bail parce que leurs enfants quittaient la maison et qu'ils n'avaient plus le droit d'occuper leur logement, notamment ceux de la Ville de Genève, que leurs revenus «dépassaient», entre guillemets, le taux d'effort et le taux d'occupation. C'est un pur scandale de voir des gens de plus de 65 ans se faire mettre dehors pour ces raisons alors qu'ils s'acquittent de leur loyer depuis des années, qu'ils ont complètement rentabilisé les appartements en payant des loyers surfaits, oui, surfaits, car le taux hypothécaire n'a pas été abaissé comme il se doit. Et soudain, on leur dit: «Ah, mais votre pécule ne vous permet plus d'habiter dans des logements de la Ville de Genève.» Celle-ci a mis un terme à cette pratique, elle a interdit la résiliation de bail des personnes de plus de 65 ans, et c'est bien.

Avec cet amendement, nous proposons de faire de même. Il s'agit d'inviter les Chambres fédérales à faire en sorte que, sauf exception - comme je l'explique dans la demande, l'exception étant le défaut de paiement, parce que dans ce cas-là, on n'y peut pas grand-chose -, la résiliation de bail soit purement et simplement interdite s'agissant des retraités, qui l'ont bien mérité, parce qu'ils ont travaillé toute leur vie, qu'ils ont payé leur loyer régulièrement, bien souvent pendant quarante ans, qu'ils ont complètement rentabilisé le logement que leur propriétaire, qu'il soit public ou privé, a mis à leur disposition, propriétaire qui est totalement rentré dans ses frais... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...par rapport à son investissement de départ. Il n'y a pas de raison de ne pas interdire cette pratique comme le proposent certains, en l'occurrence M. Zacharias...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur...

M. Rémy Pagani. Merci beaucoup.

Une voix. Il dit toujours ça au moment où on conclut, c'est agaçant !

M. Daniel Sormanni (MCG). Effectivement, Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de résolution part d'une bonne intention et ce n'est que justice de la voter telle qu'elle est sortie de commission. Un certain nombre de cas ont défrayé la chronique au sein de la Gérance immobilière municipale, mais une très large majorité - sauf erreur même l'unanimité - du Conseil municipal de l'époque a amendé son règlement afin de mettre fin à ces pratiques.

Et heureusement, car certaines personnes ne correspondaient plus aux conditions légales prévues par le règlement, et il arrivait qu'elles reçoivent leur congé sans autre forme de procès, si je peux le formuler ainsi, avec tous les problèmes que cela peut engendrer s'agissant de personnes d'un certain âge. Il y a même eu des gens de plus de 70 ans, voire 75 ans, qui ont vu leur bail résilié, et il a fallu intervenir individuellement sur le règlement de la GIM pour éviter cela.

Le texte part donc d'un bon sentiment, et je pense qu'on peut tout à fait aller de l'avant avec cette proposition de résolution, ce que je vous invite à faire. Par contre, nous n'entrerons pas en matière sur l'amendement, qui avait déjà été présenté en commission et que la majorité avait refusé. A mon sens, l'invite de base est suffisante et nous vous recommandons de la soutenir. Merci.

Le président. Je vous remercie. Monsieur André Pfeffer, il vous reste une minute treize.

M. André Pfeffer (UDC). Merci, Monsieur le président. J'aimerais préciser ceci: l'invite telle qu'elle a été votée en commission spécifie que l'interdiction de résilier un bail s'applique uniquement lorsqu'il s'agit d'augmenter le loyer. J'ai déjà posé la question au Conseil d'Etat; à mon avis, renvoyer cette proposition de résolution telle quelle n'a aucun sens, parce que cette condition est déjà en vigueur à Genève. Maintenant, M. Pagani propose un amendement qui, lui, est très clair: il stipule qu'il est interdit de résilier le bail de toute personne âgée de plus de 65 ans excepté lors de non-paiement du loyer et autre. Cela étant, j'attire l'attention de cette assemblée sur le fait qu'il faut vraiment garder l'invite telle qu'elle est sortie des travaux de commission. Merci.

Le président. Merci bien. Je repasse la parole à M. Alberto Velasco pour trois minutes trente.

M. Alberto Velasco (S), rapporteur ad interim. Pour combien de temps, Monsieur le président ?

Le président. Trois minutes trente.

M. Alberto Velasco. Oh ! Magnifique ! D'abord, Mesdames et Messieurs, il s'agit d'une proposition de résolution, n'est-ce pas, avec tout ce que cela implique, ce n'est pas un projet de loi qui, lui, serait impératif. Le texte demande simplement aux Chambres fédérales de procéder à des changements, voyez-vous, et connaissant le Parlement fédéral, les chances sont plutôt minces. Mais enfin quand même, Genève pourrait s'enorgueillir de faire un geste envers les personnes âgées de plus de 65 ans !

Il ne faut pas croire que tous ceux qui arrivent à la retraite perçoivent des rentes confortables. Il y a énormément de gens qui, à l'époque, n'avaient pas de deuxième pilier et touchent juste l'AVS. L'AVS, vous savez que c'est 2300 francs au maximum, et ils doivent ensuite aller à l'aide complémentaire. A l'aide complémentaire, certes, le loyer est pris en charge, mais à condition qu'il ne dépasse pas un certain montant. Or aujourd'hui, les loyers que ces personnes doivent payer sont bien au-delà de ce que le complément de retraite englobe. Cette proposition de résolution est importante, parce que si ces gens-là viennent à voir leur bail résilié, sur le marché actuel de Genève, je les vois difficilement trouver un logement correspondant à leurs revenus.

Vous me direz qu'ils peuvent s'adresser à l'aide sociale, mais quand on sait que 8000 personnes attendent actuellement un logement social, j'ai de la peine à voir comment ils pourraient s'en sortir. Pour les locataires qui reçoivent une résiliation de bail pour les raisons qui ont été relevées ici, c'est l'angoisse, une angoisse terrible ! Terrible ! Ces gens me téléphonent parfois, puisque je suis président de l'ASLOCA, en pleurant, ils ne savent pas que faire, vous comprenez, c'est compliqué. Alors on les reçoit, on leur dit qu'on va essayer de les défendre.

Ce que je veux dire par là, c'est qu'on se trouve ici devant une catégorie de la population qui a très peu de moyens de s'en sortir ou de se défendre. Toutes les personnes qui sont à la retraite, je le répète, ne disposent pas de rentes à un niveau qui leur permet d'affronter pareille situation. Chers collègues, il ne s'agit que d'une proposition de résolution qui invite Berne à prendre ce cas en charge, voilà tout, et je vous demande à vous, députés genevois, d'ouvrir votre coeur et de la voter. Merci.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Nous procédons maintenant au vote de l'amendement qui nous a été soumis par M. Rémy Pagani et que je vous lis:

«Nouvelle invite

- d'interdire la résiliation du contrat de bail d'une personne âgée de plus de 65 ans hormis dans l'un des cas visés à l'article 271a, al. 3, du code des obligations.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 51 non contre 35 oui.

Mise aux voix, la résolution 846 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 45 oui contre 39 non et 3 abstentions (vote nominal).

Résolution 846 Vote nominal