Séance du
vendredi 8 avril 2022 à
16h
2e
législature -
4e
année -
10e
session -
57e
séance
PL 13065-A
Premier débat
Le président. Nous reprenons le programme des urgences avec le PL 13065-A. Je me permets d'anticiper en demandant à l'ensemble des rapporteurs de bien vouloir insérer leur carte dans la console. Nous sommes en catégorie II, quarante minutes. La parole est au rapporteur de majorité, M. Pierre Eckert.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, je représente ici une courte majorité de la commission de l'économie qui a refusé l'entrée en matière sur ce projet de loi. Cette majorité est convaincue que les divers soutiens à ce qu'on appelle les cas de rigueur sont suffisants, aussi pour le domaine de la restauration. Nous en avons d'ailleurs voté la prolongation jusqu'au 31 mars pas plus tard qu'hier.
L'objectif de ce projet de loi est d'attribuer un soutien ponctuel aux établissements de restauration, sur le modèle de ce que nous avions voté en 2020, lorsque les restaurants avaient été fermés. Il consiste à attribuer une somme unique de 100 francs par mètre carré à tous les établissements.
La majorité estime qu'un soutien au secteur de la restauration est certes nécessaire. La situation n'est toutefois pas la même qu'en 2020. La situation qui a prévalu durant l'automne 2021 jusqu'au 16 février 2022 était celle de l'obligation du pass sanitaire. Cette règle a certes conduit à une baisse de fréquentation, mais de façon très diverse d'un établissement à l'autre.
Le projet de loi tel que présenté stipule aussi que l'indemnité est réservée aux établissements «subissant une perte significative de chiffres d'affaires suite à l'arrêté d'application de l'ordonnance fédérale». Non seulement cette condition ressemble bigrement à celle sur l'indemnisation des cas de rigueur, mais en plus cette condition demanderait un contrôle spécifique qui coûterait selon le département dans les 700 000 francs de frais administratifs. Si par contre aucun contrôle n'était effectué et qu'un soutien de type arrosoir était adopté, le coût se monterait à environ 21 millions de francs.
La majorité estime que les lois pour cas de rigueur permettent de soutenir les établissements voués à la restauration de façon plus ciblée, tout en gardant de l'équité par rapport à d'autres secteurs, qui ont aussi eu à subir des baisses significatives de chiffre d'affaires. Le dispositif existant est simple, efficace et proportionné; il n'est donc pas nécessaire de revenir à d'autres types d'aides qui ont pu avoir leur utilité en 2020, mais qui ne l'ont plus à ce jour.
J'ajouterai que les amendements que les deux rapporteurs de minorité vont vous présenter ne corrigent que peu les défauts que je viens d'énumérer et que leurs effets n'ont pas été mesurés en commission. Je vous remercie.
M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de première minorité. On se trouve dans la même situation que lorsqu'on a voté hier le PL 13089 pour les aides aux cas de rigueur, sauf qu'il s'agit là d'une aide spécifique - qui devrait être la dernière - pour les restaurateurs, qui ont été, vous en conviendrez, les plus touchés par la crise sanitaire, dont nous espérons être enfin sortis - sans aucune garantie. Ce sont les restaurateurs qui ont été les plus touchés par toutes les décisions du Conseil fédéral, qui, pour la plupart, prenaient effet le lendemain de leur l'annonce. Les RHT, demandées par beaucoup d'entre eux, ne couvrent cependant pas les vacances; un recours est pendant devant le SECO, mais pour l'instant, il n'y a pas de prise en charge des vacances. L'aide proposée par ce projet de loi serait donc bienvenue, justement au moment où les RHT s'arrêtent et où les restaurateurs vont devoir mettre en vacances le personnel qu'ils emploient. Il en va de même pour toutes les situations de cas contacts qu'ont dû subir les restaurateurs, qui pour beaucoup d'autres entreprises n'ont pas forcément eu lieu: dans des situations où le personnel était cas contact ou devait être mis en isolement, la plupart des restaurateurs concernés ont même été obligés de fermer l'établissement parce qu'ils n'avaient pas de personnel temporaire disponible. Quand le client est là, il faut le servir. Ce n'est pas comme dans une entreprise, ce n'est pas forcément le cas non plus dans un commerce: si une caissière ou un chef de rayon manquent, ce n'est pas très grave, ils peuvent éventuellement être remplacés, ce n'est pas le cas quand vous avez des tables et que vous devez servir les clients.
Une grande partie des petits patrons qui souvent gèrent ces établissements, il faut le savoir, touchent moins que le salaire minimum qu'ils doivent verser à leurs propres employés. Ils vont de plus être soumis maintenant au remboursement des prêts covid - ça commence, ça va être très difficile pour une grande partie de ces restaurateurs, alors même que ce qui est imposé ou est toujours recommandé, et qui est devenu prépondérant aujourd'hui, c'est le télétravail: or c'est ce qui fait qu'on a de la peine à revenir au nombre de clients qu'on connaissait avant le covid. Il y a donc un réel problème de liquidités aujourd'hui pour les restaurateurs, qui, pour certains, ont même mis toutes leurs économies dans l'exploitation commerciale de leur établissement, voire ont utilisé leur deuxième pilier pour créer leur entreprise.
Cette aide est donc, comme l'a dit le rapporteur de majorité, assez simple; elle avait déjà été votée à l'unanimité par ce parlement en novembre 2020 - à l'unanimité ! - et avait pu être versée dans les deux à trois semaines qui avaient suivi l'acceptation de ce projet de loi par notre parlement. La seule différence, c'est qu'effectivement, ce n'est pas soumis à conditions - ce qui avait été le cas du projet du mois de novembre 2020. Mais il faut savoir aussi que la grosse différence, c'est que, sur les plus de 700 jours qu'ont duré cette crise, il y a eu 300 jours de fermeture pour les restaurateurs. 300 jours de fermeture ! Et plus de 400 jours avec des restrictions qui font que l'exploitation a été très difficile pour eux.
Il y a donc un intérêt public à soutenir nos restaurateurs et surtout à les remercier pour la résilience dont ils ont fait preuve tout au long de cette crise. On espère qu'ils ne vont pas trop ressentir la poursuite des effets de cette crise, qui, pour eux, n'est malheureusement pas encore terminée. Je vous invite dès lors à accepter ce projet de loi et cette dernière aide qu'on pourrait apporter aux restaurateurs. Je vous remercie.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Pour commencer, j'aimerais rappeler des faits qui sont admis largement par nous tous. Le premier, c'est que la branche de la restauration est sinistrée et a subi d'énormes pertes financières ainsi que d'énormes pertes d'activité. Le deuxième, c'est que ces pertes et ces problèmes sont largement dus aux contraintes, restrictions et interdictions de travailler imposées par l'Etat. A cause de ces deux éléments, ce Grand Conseil avait toujours soutenu les aides et les indemnités aux restaurateurs; certaines d'entre elles ont même été acceptées à l'unanimité.
Pour revenir sur ce projet de loi, je rappelle d'une part qu'il y a un consensus sur le fait que cette aide par mètre carré permettrait à certains restaurateurs de survivre. D'autre part, il est incontestable que toutes les aides réunies, en ajoutant même celle dont nous discutons maintenant, ne compensent absolument pas les pertes que les restaurateurs ont subies.
Maintenant, il faut souligner le problème de ce projet de loi, avec lequel, il faut quand même le relever, nos amis PLR nous proposent un soutien style «grand arrosoir», que même la gauche refuse ! C'est quand même assez extraordinaire ! Le problème de ce projet de loi est qu'il accorde une aide à tous et tout le monde. Il accorde une aide aux restaurateurs sinistrés, mais il accorderait aussi une aide aux restaurants qui ne subissent plus de problème et qui ont retrouvé leur activité d'avant la crise. Il accorderait également une aide à McDonald's, par exemple. Or McDonald's - et c'est très bien pour eux - a même prospéré pendant cette crise. Cette aide, telle qu'elle est proposée actuellement, aiderait également les chaînes de restaurateurs. Celles-ci recevraient donc entre 3500 et 25 000 francs pour chacun de leurs établissements. Pour certains, cela représenterait des dizaines de milliers de francs d'aides, mais peut-être pour deux ou trois, des centaines de milliers de francs. Le projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement n'est donc pas soutenable.
Par contre, ce projet de loi est acceptable à condition qu'on procède à deux ou trois remaniements. Je propose ainsi trois amendements pour corriger les défauts que je viens de relever. Une fois ces trois amendements acceptés, je pense et j'espère que ce Grand Conseil adoptera ces aides à une très très large majorité, voire carrément à l'unanimité, comme nous avons accepté toutes les autres aides et indemnités pour les restaurateurs. Je vous invite donc vraiment à soutenir les trois amendements que j'ai présentés. Merci de votre attention.
M. François Lefort (Ve). Les rapporteurs l'ont rappelé: hier, nous avons étendu au 31 mars le soutien extraordinaire à tous les secteurs économiques. Avec cette proposition, que nous avons étudiée à la commission de l'économie - proposition ultra généreuse -, la minorité - qui va le rester, je l'espère ! - ouvre le tonneau des Danaïdes, c'est le cas de le dire, avec une facture salée évaluée à 21 millions, en sus des aides générales. Le secteur de l'hôtellerie-restauration a déjà bénéficié des aides générales cantonales et fédérales dans le cadre de la pandémie. Il a aussi bénéficié d'aides cantonales spécifiques, comme rappelé par le rapporteur de minorité. Les projections contenues dans l'exposé des motifs du projet de 2021, dans lequel on peut lire qu'il pourrait y avoir jusqu'à 30% de faillites au printemps 2021, ne se sont pas réalisées. Lors des travaux sur ce projet de loi, nous avons pu constater que les faillites en 2020 et en 2021 sont de l'ordre de celles de 2019, voire légèrement inférieures en nombre. Or la minorité argumente de nouveau que le nombre d'entreprises en faillite serait maintenant considérable, alors qu'il y a trois ou quatre mois, ce n'était pas le cas. Mais cela a peut-être changé. Nous sommes évidemment ouverts à écouter ceux qui détiennent les vraies informations et non des considérations de dernière minute.
Pour vérifier s'il y a réellement une augmentation rapide et récente du nombre de faillites, la meilleure solution est de renvoyer ce projet de loi en commission. C'est ce que vous proposent les Verts maintenant, de façon que nous soyons sûrs d'apporter une aide adéquate, pour autant que ce soit nécessaire.
Le président. Merci, Monsieur le député. Les rapporteurs souhaitent-ils s'exprimer sur cette demande ? Monsieur André Pfeffer, rapporteur de deuxième minorité, c'est à vous.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Je rappelle que cette aide n'a de sens et d'utilité que si elle est rapide et immédiate. Hier, nous avons voté une prolongation des aides aux cas de rigueur pour trois mois, ce qui est bien. Mais il faut rappeler que, pour ces cas de rigueur, le département devra analyser les dossiers et chaque bilan pour déterminer si les charges sont couvertes ou non suite à la chute du chiffre d'affaires, ce qui prendra du temps. Là, nous avons la possibilité d'accorder à nos restaurateurs une aide immédiate, et elle n'a de sens que si elle est accordée rapidement. Pour ces raisons, je propose de refuser le retour en commission. Merci.
M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de première minorité. Bien évidemment qu'il faut refuser ce renvoi. S'agissant de ce qui a été dit tout à l'heure par rapport aux faillites, c'est justement pour éviter les faillites qu'il faut maintenant donner de l'argent. Je ne dis pas que c'est ce qui va éviter toutes les faillites qui pourraient survenir, mais vous connaissez tous des restaurants qui ont mis la clé sous la porte entre la fin de l'année et aujourd'hui, malheureusement. Toutes ces structures ont été maintenues sous perfusion grâce aux RHT et aux prêts covid. Tout cela est maintenant terminé. Ce projet de loi a été déposé le 24 janvier: il a fallu presque trois mois pour le traiter et arriver enfin à le voter. Si c'est pour verser des aides au mois de septembre, cela ne vaut absolument pas la peine. C'est aujourd'hui que les restaurateurs ont besoin de ces aides. Il ne faut pas renvoyer ce projet de loi en commission. Je vous remercie.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Comme l'a dit M. Lefort, on ne dispose pas vraiment de chiffres très récents sur l'évolution du secteur de la restauration. Par ailleurs, pour ce qui est des amendements qui nous sont proposés par un des rapporteurs de minorité, on n'en connaît absolument pas les effets, et c'est pour moi extrêmement dangereux de les voter sur le siège. Je soutiens le renvoi en commission.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Madame la conseillère d'Etat Fabienne Fischer, vous avez la parole sur le renvoi en commission.
Mme Fabienne Fischer, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Bonjour, Mesdames et Messieurs les députés. Je crois que le renvoi en commission serait la voie de la sagesse concernant ce projet de loi. Pourquoi ? Parce qu'en l'état, tant le projet de loi que les amendements qui vous sont soumis par le rapporteur de deuxième minorité contiennent des notions juridiques indéterminées qu'il conviendrait de pouvoir cerner d'un peu plus près avant de savoir s'ils sont simplement fonctionnels dans le cadre de l'application d'une loi.
Ensuite, effectivement, le coût de 21 millions que représenterait ce projet de loi est une estimation, mais il ne me semblerait pas inutile de procéder à un examen plus attentif du montant effectif des dépenses que cela représenterait. Je rappellerai également qu'à ce jour, 1217 entreprises de la restauration ont déjà obtenu des aides et que ce sont sans doute celles qui pourront avoir accès le plus facilement et le plus complètement aux aides votées hier dans le cadre du dispositif pour cas de rigueur.
Enfin, un des amendements proposés aujourd'hui impliquerait une nouvelle procédure, puisqu'il conviendrait d'établir que les établissements ont subi une perte. J'attire votre attention sur le fait que ce serait dans ce cas-là une nouvelle procédure à mettre en place, donc un travail administratif conséquent, et pas mal de confusion pour les entreprises qui ont maintenant bien pris le pli des aides pour cas de rigueur et des dossiers à fournir, qui disposent déjà d'un certain nombre de documents établis pouvant être utilisés dans le cadre de la nouvelle demande. Là, on se trouverait avec une procédure complètement nouvelle qu'il faudrait formater. Je crois que le risque de confusion est grand, raison pour laquelle il me semble important que vous puissiez examiner le projet de loi et les amendements proposés en commission avant de revenir devant la plénière. Je vous remercie de votre attention.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous votons donc sur le renvoi de cet objet à la commission de l'économie.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13065 à la commission de l'économie est adopté par 44 oui contre 37 non et 1 abstention.