Séance du
jeudi 17 mars 2022 à
20h30
2e
législature -
4e
année -
9e
session -
50e
séance
M 2829
Débat
Le président. Nous abordons l'urgence suivante, soit la M 2829 qui est classée en catégorie II, trente minutes. Pour commencer, la parole va à son auteur, M. Pablo Cruchon.
M. Pablo Cruchon (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, pour rappel, le 2 novembre dernier, des employés de l'entreprise Smood se mettaient en grève à Yverdon, et durant les semaines qui ont suivi, jusqu'au 18 novembre, le conflit gagnait Neuchâtel, le canton de Vaud et Genève. De nombreux collaborateurs de Smood se sont élevés pour protester contre la situation qu'ils vivaient. Pourquoi exactement ? Ils s'insurgeaient contre des conditions de travail moyenâgeuses, indignes d'un employeur dans un pays comme la Suisse.
Les deux sociétés - puisqu'il s'agit à la fois de Smood et de son sous-traitant Simple Pay - ne respectent aucun cadre légal, ni la loi sur le travail ni celle sur le salaire minimum; elles n'ont aucun égard pour les salariés qu'elles traitent comme des moins que rien en les exploitant jusqu'à la moelle pour leurs propres bénéfices.
Ces gens se sont donc mis en grève, perdant de ce fait tous leurs revenus, se voyant congédiés pour certains en représailles de leur mobilisation, comme dans le canton de Vaud. Malgré leur statut extrêmement précaire, ils se sont révoltés afin de réclamer un certain nombre de choses pourtant évidentes. Comme quoi ? Comme le paiement rapide des heures supplémentaires, l'arrêt des pénalités abusives, la rémunération correcte du travail le dimanche, les jours fériés et les soirées, une meilleure planification du temps de travail, une répartition transparente et équitable des pourboires, le défraiement pour l'utilisation du véhicule, etc.
Les pratiques de Smood, quand vous écoutez les employés, sont totalement hallucinantes. Nous avons affaire à des patrons voyous - il n'y a pas d'autre mot - qui enfreignent la loi, qui exploitent le personnel et surtout n'éprouvent aucun remords à le faire. Ils l'ont indiqué eux-mêmes: s'ils voulaient respecter la loi, ils devraient licencier. Face à cela, le soulèvement s'est renforcé, les citoyens ont appuyé les revendications, notamment au travers de pétitions, et Mme Fischer a saisi la CRCT, la Chambre... Je ne me souviens jamais du nom...
Une voix. La Chambre des relations collectives de travail.
M. Pablo Cruchon. La Chambre des relations collectives de travail, merci ! ...pour qu'elle arbitre le conflit. Smood a freiné des quatre fers, n'a pas voulu négocier avec les représentants du personnel, a refusé plusieurs fois de discuter des revendications concrètes. Pour finir, la chambre a statué en formulant des recommandations très claires qui stipulent que l'entreprise doit agir rapidement pour se mettre en conformité avec la loi et que la majorité des conditions de travail sont insupportables. Et pourtant, Smood refuse d'obtempérer, gagne du temps et persiste.
Avec cette proposition de motion, nous souhaitons que le Grand Conseil prenne aujourd'hui position en énonçant que ce genre de pratiques n'a pas à avoir lieu à Genève. Nous ne voulons pas de patrons voyous, nous ne voulons pas de sociétés qui exploitent les travailleuses et travailleurs, il faut mettre un terme à ces agissements. Nous prions le Conseil d'Etat de s'investir pleinement dans ce dossier. Le texte d'origine comporte deux invites: la première demande au gouvernement d'intervenir pour que les recommandations de la CRCT soient respectées, la seconde l'appelle à faire pression sur les actionnaires en convoquant Migros.
Nous avons pris connaissance de l'amendement général déposé par le groupe PDC... Pardon: par le Centre ! (Commentaires.)
Une voix. Le Centre n'existe pas !
Une autre voix. Ça figure dans la LRGC.
M. Pablo Cruchon. Selon la LRGC...
Le président. Un instant, Monsieur le député !
Une voix. C'est l'UDC qui est du centre.
Le président. Monsieur Batou, vous n'avez pas la parole. Poursuivez, Monsieur Cruchon.
M. Pablo Cruchon. Alors le PDC, si vous préférez ! Le groupe PDC a présenté un amendement, et nous vous recommandons de le suivre. Pourquoi ? Parce que cette modification, une fois n'est pas coutume, reconnaissons-le, améliore la motion d'Ensemble à Gauche, ce qui est tout de même rare, je tiens à le souligner. En effet, une nouvelle invite énonce que l'Etat doit veiller à ce que les recommandations de la CRCT soient appliquées dans l'ensemble des entreprises actives dans le secteur de la livraison de repas à domicile. Et évidemment, dans la lutte que nous avons à mener contre l'ubérisation de nos sociétés, contre la précarisation massive des travailleuses et travailleurs de ce canton, cette proposition va dans le bon sens, et nous ne pouvons que nous y rallier. Ainsi, le groupe Ensemble à Gauche vous prie de bien vouloir soutenir cet objet ainsi que l'amendement du PDC. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, nous voici saisis d'une proposition de motion dont les invites ont de quoi surprendre. En effet, le Conseil d'Etat est convié d'une part «à poursuivre et intensifier les efforts afin que Smood se conforme aux recommandations de la CRCT le plus rapidement possible», d'autre part «à contacter et réunir les principaux actionnaires de Smood, dont Migros Genève fait partie, afin de s'assurer de leur engagement dans l'application des recommandations de la CRCT».
En d'autres termes, alors que les auteurs relèvent eux-mêmes dans les considérants que la Chambre des relations collectives de travail a été saisie par la conseillère d'Etat chargée de l'économie et de l'emploi, voilà que notre parlement cantonal est prié non seulement de dire à notre gouvernement d'effectuer son travail, mais également comment il doit le faire. Nous ne pouvons d'ailleurs que nous étonner que plusieurs membres du groupe des Vert, point médian, e, point médian, s... (Rires.) ...aient signé ce texte qui interpelle directement leur propre magistrate. Il nous est très difficile d'entrevoir ne serait-ce qu'un semblant de compatibilité de cet objet avec le principe de la séparation des pouvoirs.
Mais il y a plus. En règle générale, lorsqu'un litige survient entre des parties liées par un rapport de travail, des instances judiciaires sont appelées à le trancher. Et à Genève, la juridiction compétente n'est autre que le Tribunal des prud'hommes et des prud'femmes... (Rires.) ...un organe paritaire dans lequel siègent des juges assesseurs...
Une voix. Et des juges assesseuses !
M. Murat-Julian Alder. ...issus à la fois des syndicats de travailleurs et des associations patronales.
En outre, de par son libellé, la motion tend à trancher cette affaire d'emblée en mettant en cause tant la société Smood que la coopérative Migros, et ce sans même qu'on leur donne l'once d'une possibilité de se défendre, puisque les motionnaires souhaitent qu'elle soit adoptée immédiatement, sans traitement préalable en commission. L'auteur a d'ailleurs réitéré ses accusations parfaitement déplacées il y a quelques instants. L'immunité parlementaire dont nous jouissons ici n'excuse pas tout ! (Exclamations.) Ainsi, ce texte viole à double titre le principe de la séparation des pouvoirs et les droits les plus élémentaires de toute partie défenderesse dans une procédure, à commencer par le droit fondamental d'être entendu. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
Par ailleurs, il a pour effet d'immiscer le Grand Conseil dans le dialogue entre partenaires sociaux et de minimiser de manière infondée et inacceptable le rôle d'ores et déjà joué par le Conseil d'Etat, la CRCT, l'OCIRT et les instances judiciaires compétentes. Quand bien même nous ne pouvons que respecter le combat des salariés concernés et recevoir avec empathie...
Le président. C'est terminé...
M. Murat-Julian Alder. ...et compréhension l'expression de leurs revendications, il ne nous appartient de nous substituer ni au gouvernement...
Le président. Il faut conclure...
M. Murat-Julian Alder. ...ni aux tribunaux.
Une voix. C'est terminé, il faut conclure !
M. Murat-Julian Alder. Merci de votre attention.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Sébastien Desfayes (PDC). Vous le savez, Mesdames et Messieurs, le PDC - Le Centre ! -... (Rire.) ...est attaché au dialogue social, au partenariat social, mais quand ceux-ci ne fonctionnent pas, quand certains acteurs dans un secteur d'activité donné ne jouent pas le jeu, c'est le rôle du politique d'intervenir. Cette proposition de motion a l'immense mérite de jeter un éclairage extrêmement cru sur la précarité des employés des plateformes numériques, en l'occurrence des livreurs de repas à domicile.
Pendant un certain temps, le monde politique a fait preuve d'une certaine naïveté à l'égard des plateformes digitales, on en vantait l'innovation. Toutefois, quand on regarde les choses de plus près, il n'y a pas d'innovation, mais seulement l'exploitation des gens par un petit nombre de protagonistes économiques. Peut-on tolérer que la loi sur le salaire minimum ne soit pas appliquée ? Peut-on accepter que le défraiement des frais professionnels ne soit pas respecté ? Peut-on consentir à ce que certaines heures de travail, dont celles d'attente, ne soient pas rémunérées ? Il est évident que non. Nous nous montrerions intraitables si un employeur classique violait ces obligations impératives du droit du travail, et pourtant, on fait preuve d'une certaine tolérance pour les plateformes numériques. Cela doit cesser.
L'exemple de Smood est significatif, mais cette société ne doit pas servir de bouc émissaire, car d'autres acteurs dans le même domaine de la livraison à domicile sont concernés. A cet égard, je vais vous lire un extrait d'un entretien avec M. Marc Aeschlimann, président du conseil d'administration de Smood, paru dans «Le Temps» du 11 février: «Une entreprise» - je ne vais pas citer son nom - «ne respecte pas la loi et organise un vaste marché noir en employant des gens qui ne déclarent pas leur revenu. Mais elle ne fait l'objet, par laxisme, d'aucun contrôle de la part du politique ni d'aucune protestation syndicale.»
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement général. Smood ne doit pas être le seul employeur visé, toutes les compagnies actives dans le secteur de la livraison à domicile doivent respecter le droit. Innovation, disruption ne signifient pas violation du droit du travail suisse et de certains acquis obtenus après des années de lutte syndicale. Merci. (Applaudissements.)
M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, Smood est une société active dans l'ensemble de la Suisse qui livre à domicile des plats provenant de divers restaurants ou des courses réalisées dans différents magasins. Migros est un important actionnaire de Smood de même que l'un de ses principaux clients.
Une voix. Migros, Coop, Denner et compagnie.
M. Pierre Eckert. Je peux faire de la publicité, ou bien ?
Une voix. Arrêtez d'interrompre !
Le président. Un instant, s'il vous plaît ! Monsieur Florey, je vous donne volontiers la parole si vous la demandez à votre place, mais sinon vous n'êtes pas autorisé à parler.
Une voix. Et c'est un membre du Bureau, en plus !
Le président. Continuez, Monsieur Eckert.
M. Pierre Eckert. Je continue, Monsieur le président, merci. Smood exploite le même créneau qu'un certain nombre de multinationales ubérisées qui opèrent dans le domaine de la livraison à domicile.
Ces dernières développent des méthodes de gestion du personnel très discutables, prétendant que les employés n'en sont pas et qu'il s'agit dans cette activité de bons rapports de voisinage consistant à apporter des pizzas en contrepartie de quelques piécettes glissées dans la poche ou de cryptomonnaies créditées dans l'éther. Le fonctionnement de ces entités constitue un problème en soi, et à cet égard, nous acceptons très volontiers l'amendement général déposé par le groupe PDC.
Tel n'est pas le cas de Smood, du moins pour l'instant: le personnel est réellement salarié dans l'entreprise, mais celle-ci essaie tout de même d'imiter les sociétés ubérisées que je viens d'évoquer. La loi fédérale sur le travail devrait au minimum être respectée, mais ce n'est pas le cas. Par exemple, seules les heures effectives de livraison sont comptées, cela a été dit, et pas le temps d'attente; le travail réalisé le dimanche et les jours fériés n'est pas rétribué selon les standards en vigueur; il n'y a pas de minimum garanti d'heures de fonction, si bien qu'il est possible de se retrouver à la fin du mois avec un revenu nul.
Cette proposition de motion que nous soutenons représente un signal politique de la part du parlement genevois ainsi qu'un message de soutien au Conseil d'Etat. Contrairement à ce qui a été prétendu, ce n'est pas un signe de défiance vis-à-vis du gouvernement, c'est une déclaration de soutien à notre magistrate afin que le Conseil d'Etat poursuive ses efforts pour faire respecter les droits du personnel et se montre ferme face à la direction de Smood, à ses actionnaires et à toutes les plateformes numériques actives dans la même branche. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC). Tout le monde regrette bien entendu ce litige social ainsi que ses effets sur les salariés. Toutefois, les auteurs de la proposition de motion refusent de reconnaître notre cadre légal et notre pratique, qui reposent essentiellement sur le partenariat social. Pour rappel, c'est l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail qui fixe les conditions-cadres et effectue le contrôle, et non la Chambre des relations collectives de travail, comme le voudraient les motionnaires.
Les deux invites d'origine sont contraires aux pratiques de ce pays, surtout celle qui demande au Conseil d'Etat de s'assurer que Smood applique les recommandations de la Chambre des relations collectives de travail. A ce jour, la société a accepté sept des neuf recommandations, notamment la rémunération, le paiement des jours fériés, les indemnités pour véhicules privés, la transparence pour les pourboires, la visibilité pour les bonus, une meilleure planification.
D'autre part, je rappelle que Smood est active dans un domaine hautement concurrentiel. Les livraisons de courte distance sont rémunérées en moyenne à hauteur de seulement 3 francs la course. De plus, certains concurrents comme Uber Eats, qui considère ses livreurs comme des indépendants et les rétribue exclusivement à la tâche, représentent un énorme handicap pour l'entreprise qui, elle, a un mode de fonctionnement basé sur le salariat.
Les amendements ne nous conviennent pas. L'ingérence de l'Etat reste trop importante et surtout, ce n'est pas à lui d'imposer des règles de fonctionnement à une branche professionnelle. Amendé ou pas, ce texte constitue une entrave au partenariat social et au bon fonctionnement de l'économie. Le groupe UDC souhaite que le projet soit renvoyé en commission afin que nous auditionnions tous les acteurs et que nous l'étudiions correctement. Merci de votre attention.
Le président. Il est pris bonne note de votre requête, Monsieur le député, nous la traiterons à la fin du débat. Je donne maintenant la parole à M. François Baertschi.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Une fois de plus, nous nous retrouvons face au problème des plateformes numériques de livraison à domicile, un véritable scandale qui donne lieu à une nouvelle exploitation des gens, lesquels échappent aux législations ordinaires, avec des entreprises qui bénéficient d'avantages concurrentiels indécents dans le cadre d'un système qui s'apparente à la loi de la jungle. On a déjà vu ça auparavant avec Uber et Uber Eats, et le magistrat Poggia a obtenu des résultats devant les tribunaux. Comme quoi le travail de l'Etat, contrairement à ce que soutient l'UDC, est nécessaire: l'Etat doit être là pour faire respecter le cadre légal, faute de quoi c'est la loi de la jungle et les plus faibles, les résidents genevois sont menacés. Voilà le genre de libéralisme que visent le PLR et l'UDC !
Nous, le MCG, sommes opposés à cette vision du monde, parce qu'elle crée la misère et ne contribue pas du tout à la prospérité. (Rires.) Là, nous faisons face à quelque chose... Je constate que ça en fait rire certains quand on parle de la pauvreté de la population ! Il y a eu une belle unanimité tout à l'heure pour lutter contre les conditions de détresse en Ukraine, mais lorsque ça concerne Genève, d'aucuns rient et plaisantent ! On dirait que ça leur fait plaisir qu'il y ait de la misère dans notre canton. (Exclamations.) Je trouve ça triste...
Une voix. Mais comment est-ce qu'on peut raconter des conneries pareilles ?!
M. François Baertschi. Je trouve ça triste, certains députés ont vraiment une vision dégradante des Genevois et de l'être humain en général, et je les plains beaucoup.
Je les plains beaucoup tout comme je dénonce Migros, société coopérative à l'origine, qui devrait théoriquement appartenir à ses coopérateurs, mais qui est devenue une sorte de monstre capitaliste - enfin, capitaliste social, on ne sait pas trop ce que c'est -, qui exploite le personnel local, emploie des frontaliers sous-payés... (Commentaires.) Je vois que certains ici défendent le travail des frontaliers, trouvent ça normal, on le voit à droite, à l'UDC et au PLR, c'est leur politique.
En plus, la Migros refuse de vendre du lait GRTA, donc elle nuit aux agriculteurs locaux. La boucle est bouclée, on est dans un système de fous. Est-ce vraiment ce que nous voulons pour Genève ? Non, pour ma part, je m'oppose à la «smoodisation» de notre société, je défends une Genève libre, républicaine et démocratique.
Mme Léna Strasser (S). Mesdames et Messieurs les députés, d'un côté, une entreprise, Smood, qui vante sur son site internet pour ses employés - je cite: «Des horaires libres et des revenus complémentaires rapides et significatifs !» De l'autre, des livreuses et livreurs qui triment et revendiquent l'application de la loi sur le travail ainsi qu'un salaire convenable, le respect de leurs prestations et de leur dignité en tant qu'employés. Deux visions opposées qui n'ont pas réussi à être conciliées devant la Chambre des relations collectives de travail.
Notre parlement ne peut pas rester muet face à la précarisation de ces emplois, il doit soutenir la reprise des négociations et les efforts pour que Smood et ses actionnaires se conforment aux recommandations. Nous saluons l'amendement général qui permet d'élargir le point de vue. Le parti socialiste soutiendra cette proposition de motion, laquelle met en lumière les nouvelles pratiques professionnelles intolérables qui se glissent dans les interstices de la digitalisation de notre société. (Applaudissements.)
Le président. Merci bien. La parole retourne à M. Pablo Cruchon pour une minute vingt-quatre.
M. Pablo Cruchon (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, j'aimerais réagir aux propos de M. Murat Alder, qui inverse complètement la tendance en s'exclamant: «Ce pauvre employeur qui ne peut pas être entendu, lui qu'on accuse à tort !» C'est risible ! Ce même employeur a refusé de discuter avec les syndicats, a refusé de s'exprimer devant la CRCT, a refusé des rendez-vous avec Mme la conseillère d'Etat Fischer ! Tout cela est proprement inadmissible quand on sait que des gens violent allégrement la loi et ont des comportements parfaitement intolérables.
Aujourd'hui, il ne s'agit pas d'apporter un soutien au Conseil d'Etat ou d'exprimer une défiance à son égard, nous voulons envoyer un message clair sur le fait que nous condamnons ces pratiques et défendons une économie qui ne tolère pas des patrons voyous exploitant éhontément les employés, ne leur permettant pas de vivre dignement de leur travail. Voilà le signal politique qui doit être transmis ce soir au gouvernement; ce n'est ni un soutien ni une critique, c'est un signe pour que dans notre canton, les employeurs se comportent correctement et surtout que les personnes puissent vivre de manière décente.
J'aimerais conclure en citant un exemple: les livreurs de Smood, sur le piquet de grève, me racontaient: «Parfois, nous patientons six heures à côté de la borne avant d'obtenir une course et nous ne sommes pas payés le moindre franc pour ces longues périodes d'attente.» C'est tout simplement inadmissible ! Merci. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Il ne reste plus de temps au groupe PLR.
Une voix. J'ai été mis en cause ! (Exclamations.)
Le président. Non, Monsieur Alder, vous n'avez pas été mis en cause. Madame la conseillère d'Etat Fabienne Fischer, vous avez la parole.
Mme Fabienne Fischer, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais tout d'abord vous remercier pour cette proposition de motion dont l'objectif croise les intentions du Conseil d'Etat telles que le département de l'économie et de l'emploi a eu l'occasion de les porter depuis le début du conflit social chez Smood. Vos préoccupations sont vraiment en phase avec celles qu'il me tient à coeur de faire valoir.
La ligne rouge, je l'affirme d'emblée, c'est le cadre de la loi. Le respect de la législation est une règle qui s'applique à tout un chacun, à toute une chacune - pour faire un petit clin d'oeil au débat précédent -, et dans cette perspective, il convient avant tout de s'assurer que les employeurs assument les responsabilités fondamentales qui leur incombent. Je commencerai par relever qu'une entreprise doit payer le temps pendant lequel le collaborateur ou la collaboratrice est à sa disposition pour travailler. Selon la Chambre des relations collectives de travail, que j'ai moi-même saisie - plusieurs d'entre vous l'ont rappelé - afin d'obtenir son avis sur un certain nombre de problèmes que la situation chez Smood pose sous l'angle du droit du travail, quand un salarié ou une salariée est sous la responsabilité de son employeur, clairement, le salaire est dû.
D'autres questions liées à l'application de la loi sur le travail sont soulevées par ce litige social, par exemple la rémunération au salaire minimum, le défraiement des frais et, de manière plus générale, les conditions de travail des livreurs et des livreuses. Les interrogations que vous soulevez, au-delà de l'exécution de la loi, révèlent une mutation dans le monde professionnel que nous devons accompagner. De mon point de vue et surtout de celui de la Chambre des relations collectives de travail, l'arsenal législatif actuel, en particulier la loi sur le travail et le code des obligations, permet de répondre aux enjeux et de préserver la dignité des travailleuses et des travailleurs dans le contexte d'une économie de plateforme. C'est précisément l'objectif que poursuit aujourd'hui le Conseil d'Etat, il s'agit de mettre en oeuvre les recommandations formulées par la Chambre des relations collectives de travail.
J'aimerais rassurer celles et ceux qui estiment que certaines des parties en présence n'auraient pas pu exercer leur droit d'être entendues: un nombre conséquent d'auditions ont eu lieu devant la Chambre des relations collectives de travail, de multiples témoins ont été entendus, des débats longs et approfondis ont été menés qui ont permis non seulement d'aboutir à plusieurs points de convergence, mais surtout de constater que sur un certain nombre de points, la loi n'était, en l'état, pas respectée et qu'il fallait y remédier, ce à quoi le Conseil d'Etat ne peut bien entendu que souscrire.
La question que pose l'avènement des plateformes numériques est la suivante: pouvons-nous accepter que ces mutations qui sont d'une part d'ordre technologique, mais s'insinuent d'autre part dans nos habitudes de consommation - il nous arrive sans doute à tous et à toutes de nous faire livrer des repas de temps à autre -, passent par la précarisation des personnes qui travaillent, la précarisation sous l'angle salarial ? En effet, bas revenu plus temps de travail restreint égale pas de moyens pour assurer ses obligations - paiement du loyer et des assurances sociales, prise en charge de sa vie. Aujourd'hui, il est important que les emplois que nous offrons à Genève soient de qualité, permettent aux travailleurs, aux travailleuses de vivre dignement.
Le dernier point que je tiens à relever est abordé dans l'amendement général déposé par le PDC. Il me semble juste d'insister sur le fait que les biais de l'économie de plateforme ne concernent pas uniquement Smood, mais d'autres entreprises également. En revanche, je m'inscris en faux contre celles et ceux qui soutiennent que nous aurions fait preuve de laxisme. Vous le savez, un autre conflit est en cours, mais il fait l'objet d'une procédure judiciaire dans laquelle l'effet suspensif a été demandé; la cause est actuellement pendante devant le Tribunal fédéral, et aussi longtemps qu'un jugement n'aura pas été rendu par celui-ci, eh bien nous n'avons tout simplement pas les moyens d'agir et il ne s'agit en aucun cas de laxisme.
En résumé, le Conseil d'Etat, je le répète, partage les préoccupations des motionnaires tout comme celles formulées dans l'amendement général du PDC. Les efforts que je déploie, au nom du département de l'économie et de l'emploi et pour le compte du Conseil d'Etat, depuis le début du litige, je vais m'employer à les poursuivre et vous ferai rapport si votre assemblée décide de renvoyer cet objet au Conseil d'Etat. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous avons été saisis d'une proposition de renvoi à la commission de l'économie; je la mets aux voix.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2829 à la commission de l'économie est rejeté par 56 non contre 33 oui.
Le président. Nous procédons dès lors au vote sur l'amendement général présenté par M. Sébastien Desfayes qui remplace les deux invites actuelles par la teneur suivante:
«Invites (nouvelle teneur)
invite le Conseil d'Etat
- à poursuivre et intensifier les efforts pour que Smood SA se conforme à l'ensemble des recommandations de la CRCT le plus rapidement possible;
- à fournir les efforts nécessaires afin que toutes les sociétés actives dans le secteur de la livraison de repas à domicile se conforment à l'ensemble des recommandations de la CRCT le plus rapidement possible.»
Mis aux voix, cet amendement général est adopté par 72 oui contre 14 non et 1 abstention.
Mise aux voix, la motion 2829 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 60 oui contre 28 non et 2 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)