Séance du vendredi 25 février 2022 à 14h
2e législature - 4e année - 8e session - 46e séance

P 2124-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition : Pour en finir avec l'instrumentalisation politique genrée de l'espace public, laissons nos rues actuelles en paix
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VII des 27 et 28 janvier 2022.
Rapport de majorité de M. Jean-Marie Voumard (MCG)
Rapport de première minorité de Mme Katia Leonelli (Ve)
Rapport de deuxième minorité de M. Sylvain Thévoz (S)
Rapport de troisième minorité de M. Jean Batou (EAG)

Débat

Le président. Voici la pétition suivante: la P 2124-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Monsieur Jean-Marie Voumard, vous avez la parole.

M. Jean-Marie Voumard (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vais vous citer une partie de la pétition qui est très bien rédigée: «Nous sommes las de constater l'escalade basée sur les questions liées au genre que certain-es élu-es tentent de nous imposer par la force, avec l'instauration de mesures sans réelles discussions démocratiques préalables à l'implantation de ce projet dans l'espace public genevois, qui se traduit notamment par la volonté de rebaptiser nos rues avec des noms de femmes. Pourquoi opposer les femmes et les hommes ? La méthode utilisée n'est pas appropriée, car elle aurait pu être positive avec une dénomination de nouvelles rues ou de nouveaux quartiers. Il y a également plein de rues, de places et lieux-dits avec des noms insipides qui pourraient être remplacés par des noms de femmes ayant fait l'histoire de Genève.» A cette lecture, on comprend bien que les habitants et commerçants tiennent à leurs habitudes et au nom de leur rue.

Nous avons entendu durant nos travaux le président de la commission cantonale de nomenclature, M. Niggler, et le conseiller administratif Gomez, accompagnés de Mme Roman, chargée de projet au département des finances, de l'environnement et du logement. Lors de son audition, M. Niggler a expliqué que modifier le nom des rues était relativement rare par le passé. Je répète: c'était relativement rare par le passé ! Il a ajouté qu'il y a de nos jours une volonté politique de mettre en lumière l'histoire des femmes. Pour ce faire, deux solutions existent: soit baptiser les nouvelles voies avec des noms de femmes, soit débaptiser des rues et leur donner de nouveaux noms de personnalités féminines.

Dans le cadre de sa prise de parole, M. Gomez, conseiller administratif de la Ville de Genève, a remercié la commission et a indiqué ne pouvoir être que d'accord avec la pétition, déclarant que le souhait de la Ville était de se fonder sur des bases objectives et documentées. Je pense que cet aspect est très important. Selon Mme Roman, il faut considérer deux éléments, d'une part l'appellation des nouvelles rues, d'autre part le règlement cantonal qui donne la priorité aux noms de femmes. Elle a également indiqué qu'il serait nécessaire que les communes proposent systématiquement des noms féminins pour que les choses puissent avancer de manière substantielle. Oui, elle a bien dit que les communes doivent proposer des noms féminins ! Toutefois, le nombre de nouvelles rues n'est pas suffisant pour concrétiser cette démarche politique, raison pour laquelle la Ville de Genève a entamé un processus de substitution des noms existants. Questionné à ce sujet, M. Gomez nous a répondu qu'il allait prochainement en parler à l'assemblée de l'ACG.

Je me permets encore de vous informer que les membres de la commission des pétitions ont reçu dernièrement une lettre de la Société coopérative d'habitation envoyée à la maire de Genève et datant du 9 février, qui faisait suite à une pétition signée par plus de 700 personnes. D'autres pétitions sont parvenues à la Ville, nous a informés M. Gomez.

Par ailleurs, un article de presse est paru la semaine passée dans un journal gratuit romand sur les rues à féminiser à Lausanne. Sur 691 rues, 109 font référence à une personnalité, mais seules sept sont des femmes. D'ici à 2026, la Ville de Lausanne compte donner des noms de femmes à trente rues ou espaces publics - choisis, je précise, parmi ceux encore non baptisés.

La majorité de la commission regrette que des noms d'hommes soient supprimés au profit de noms de femmes alors que ces personnalités n'ont pas démérité. Respectons l'histoire de Genève ! Nous vous demandons de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Je vous remercie.

Mme Katia Leonelli (Ve), rapporteuse de première minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, il suffit d'ouvrir n'importe quel livre d'histoire pour y observer l'écrasante absence des femmes. Beaucoup d'auteurs la considèrent comme le résultat d'un processus de déshistorisation, comme si la condition féminine n'avait pas vraiment eu d'impact sur l'Histoire avec un grand H. Cela s'explique d'une part par le fait que les femmes ont très tôt été reléguées à des rôles sociaux mineurs, ceux dits domestiques ou reproductifs, d'autre part parce que même lorsqu'elles ont fait preuve d'exceptionnalisme, lorsqu'elles ont été bien plus brillantes que leurs homologues masculins, leurs maris ou leurs frères finissaient par récolter la récompense de leur travail.

Une voix. Tu fais référence à Marie Curie ?

Mme Katia Leonelli. Cette invisibilisation historique, Mesdames et Messieurs, a bien sûr des répercussions sur l'espace public: à Genève, seules 41 rues sur 589 portent un nom de femme. Malheureusement, ce manque de représentation nuit à l'égalité des chances, pourtant inscrite dans notre constitution depuis 1981. En effet, laissant croire que seuls les hommes, qui plus est blancs, ont contribué à l'histoire de notre ville et de notre canton, le nom des rues renforce le manque de légitimité que les minorités non représentées peuvent ressentir lorsqu'il s'agit de prendre des responsabilités.

En 2019, l'Escouade, association féministe genevoise, s'est livrée à l'exercice de trouver cent femmes correspondant aux critères officiels pour obtenir une plaque de rue, à savoir qu'il doit s'agir d'une personne ayant marqué de manière pérenne l'histoire de Genève et décédée depuis plus de dix ans. La même année, à la veille de la grève féministe, nous avons voté au sein de ce Grand Conseil la motion 2536 «pour une reconnaissance dans l'espace public du rôle joué par les femmes dans l'histoire genevoise» permettant de pérenniser le projet «100Elles*» de l'Escouade. Plus précisément, ce texte invitait le Conseil d'Etat «à renommer, dans un délai de trois ans [...], au moins cent rues ou places d'importance du canton avec des noms de personnalités féminines ayant marqué l'histoire genevoise».

La pétition 2124 dont il est question aujourd'hui demande au Conseil d'Etat et à la commission cantonale de nomenclature de renoncer à poursuivre ce processus. Cette même pétition a été adressée à la Ville de Genève. Or la démarche actuelle de la Ville de Genève répond à une volonté de notre parlement qui, je le répète, a adopté la M 2536. Nous devrions nous réjouir qu'un objet validé par notre assemblée soit correctement mis en application ! Les pétitionnaires prétendent que le processus de modification des noms de rues n'est pas démocratique; la motion susmentionnée a pourtant fait l'objet d'un débat et d'un vote en bonne et due forme.

Par ailleurs, l'audition de la commission cantonale de nomenclature a convaincu le groupe des Verts de son bon fonctionnement. Composé de collaborateurs de divers services de l'Etat, d'un représentant de la Ville de Genève, de l'ACG et d'un historien, cet organe reçoit les propositions des communes et les instruit. Le président de la CCN nous a expliqué qu'en ce qui concerne les changements, la commission se détermine quant à leur acceptabilité en se positionnant sur la portée historique du nom existant; il a ajouté qu'un débat avait lieu sur la nouvelle personnalité à honorer visant à déterminer si elle avait vraiment un lien avec Genève. Précisons qu'un nom sur trois n'est pas accepté pour des raisons de cette nature ou lorsqu'une autre rue porte déjà un nom similaire. L'entité peut aussi déconseiller une proposition et la renvoyer à la commune en exigeant une alternative. Généralement, le Conseil d'Etat suit sa position. Ainsi, les modifications semblent être opérées en bonne intelligence.

L'audition de la Ville de Genève a également montré que les rues retenues pour un changement de nom sont celles dont l'appellation fait doublon, celles qui doivent de toute façon être renommées ou dont le nom n'a pas de signification particulière. La Ville a précisé que les habitants et entreprises étaient consultés et que leurs avis étaient transmis à la CCN.

La minorité Verte constate que cette pétition, qui s'oppose au changement de nom des rues, ne compte que 91 signatures; d'un autre côté, la grève féministe représentant plusieurs dizaines de milliers de femmes s'est clairement exprimée en faveur de ce projet. Ainsi, puisqu'une motion a été acceptée par le Grand Conseil, puisque la commission de nomenclature fonctionne correctement et puisqu'une volonté populaire a été manifestée, rien ne laisse supposer que cette démarche serait antidémocratique; au contraire, elle répond à une demande formulée par la population. Pour toutes ces raisons, la première minorité de la commission des pétitions vous encourage à voter le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil ou éventuellement son classement. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, il a été démontré que cette pétition, qui cristallise les peurs et les résistances au changement de quelques personnes, s'oppose à une volonté clairement exprimée par le Grand Conseil, le Conseil municipal, le Conseil administratif de la Ville de Genève, plusieurs associations et notamment le mouvement de la grève des femmes du 14 juin 2019, où plusieurs centaines de milliers de femmes ont demandé plus d'égalité, non seulement salariale mais aussi symbolique, comme l'est la représentation dans l'espace public.

L'audition de la commission cantonale de nomenclature, du magistrat de la Ville de Genève, M. Gomez, ainsi que de sa collaboratrice, Mme Héloïse Roman, a mis en exergue le fait que le travail réalisé pour rendre hommage à des femmes que l'histoire avait jusque-là mises de côté est empirique, scientifique et que tout excès est évité. A ce jour, dix noms ont été modifiés en 2020 et 14 nouveaux noms proposés en 2021. Voilà qui est fort peu de chose au regard des 589 rues portant un nom d'homme contre seulement 41 rues portant un nom de femme. Faites le calcul: 7% des voies genevoises font référence à une personnalité féminine. Il faudrait bien davantage s'inquiéter de la lenteur du processus que de sa rapidité.

Il est pour le moins paradoxal que des députées et députés, au nom de la défense d'un prétendu apolitisme des plaques de rues, voilant de fait à peine celle d'une hégémonie culturelle, renvoient une pétition demandant précisément d'«en finir avec l'instrumentalisation politique genrée de l'espace public». Il revient aux historiennes et aux historiens, à la commission cantonale de nomenclature et aux communes de poursuivre leur travail dont la commission des pétitions a pu mesurer qu'il est sérieux, fiable et raisonnable.

Mesdames et Messieurs, des noms de rues ont déjà été modifiés par le passé à Genève, ce sera encore le cas à l'avenir, il n'y a rien d'extraordinaire à cela. Ce qui est plus inquiétant, c'est la crispation manifestée par certains face au changement de plaques dont, quelques siècles plus tard, plus personne ne se souvient de la raison d'être ni ne trouve d'intérêt à ce qu'elles demeurent en place. Très souvent, elles font même doublon, et ce sont principalement des doublons qui sont aujourd'hui remplacés par des noms de femmes.

Certains hommes ont donné leur nom à des rues de Genève alors qu'ils n'ont jamais eu aucun lien avec la ville ou le canton. C'est un fait, les femmes ont été grandement invisibilisées dans la dénomination des rues jusqu'à présent alors que de nombreuses personnalités féminines ont joué un rôle important dans notre république; leur rendre justice et leur offrir de la place est non seulement raisonnable, mais nécessaire. Les noms retenus proviennent d'ailleurs de plusieurs horizons politiques, de différentes époques et strates sociales; en résumé, ils renforcent plutôt la diversité de Genève en lui rendant hommage.

Viser une meilleure représentation de la moitié de notre population dans l'appellation des espaces publics constitue une évidence, une belle manière de retravailler notre histoire comme quelque chose de dynamique et de créatif. Il est étonnant de constater que certains groupes, au nom de la lutte contre l'égalité, déclenchent une tempête dans un verre d'eau. La modification des noms de rues est un acte mineur, son impact est pour le moins limité, et c'est pourquoi la deuxième minorité vous invite à refuser cette pétition en prononçant son dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Merci.

M. Jean Batou (EAG), rapporteur de troisième minorité. Tout d'abord, cette pétition aurait pu porter le titre suivant: «pour préserver l'instrumentalisation politique genrée de l'espace public aux dépens des femmes», car c'est bien de ça qu'il est question. En réalité, comme cela a déjà été souligné et répété à plusieurs reprises, dans notre canton, très peu de rues ou de places portent un nom de femme. C'est l'héritage d'un effacement séculaire de la contribution des femmes à l'histoire de Genève.

Alors vous me direz, on est dans le domaine des symboles; oui, c'est vrai, on est dans le domaine des symboles. Il faudrait aussi agir dans les champs bien réels de l'égalité des salaires et des retraites, des services publics utiles à la prise en charge des tâches domestiques, des violences faites aux femmes. Nous devons empoigner ces réalités au jour le jour et nous nous battons dans ce sens ici, au Grand Conseil, et lors des mobilisations sociales. Mais les symboles revêtent une importance bien plus grande qu'on ne peut l'imaginer. Pourquoi ?

Parce que les femmes qui parcourent les rues de Genève réalisent que leur mère, leurs grands-mères, leurs arrière-grands-mères n'ont joué aucun rôle dans la mémoire officielle, et il est tout à fait juste d'affirmer que le fait d'appartenir à un genre qui n'a joué aucun rôle dans la mémoire officielle vous destine à n'en jouer aucun dans le présent. Or cette violence symbolique infligée aux femmes pourrait être réparée de manière homéopathique par la démarche de la Ville de Genève.

Certains arguments concrets ont été avancés, du type: «Mais, et les services d'urgence ?» On a répondu que les services d'urgence sont informés des modifications de noms, que celles-ci sont prises en charge automatiquement, que l'ancienne plaque de rue figure en dessous de la nouvelle. Tout cela, c'est du cinéma pour infliger une défaite symbolique à la mobilisation historique des femmes de juin 2019, à laquelle personne ici n'avait osé s'opposer.

Personne n'avait osé s'opposer non plus à la motion demandant la féminisation du nom des rues - il y avait eu cinq petits non dans ce Grand Conseil - et invitant la Ville de Genève à entreprendre une action dans cette direction. La Ville s'y est attelée, et aujourd'hui, une majorité de la commission des pétitions conteste la proposition que l'écrasante majorité du parlement avait faite aux communes. Décidément, on n'y comprend plus rien.

Je vais vous donner un exemple du passé, parce que je suis historien. Il y avait eu à Genève un grand débat sur le changement de nom d'un boulevard que vous connaissez tous, le boulevard Georges-Favon. Avant 1903, il s'appelait boulevard de Plainpalais. Le Conseil municipal de la Ville de Genève avait proposé de le renommer boulevard Georges-Favon. L'organe officieux du parti démocratique d'alors - le parti libéral d'aujourd'hui -, c'est-à-dire le «Journal de Genève», publiait le 25 juin 1903 un article évoquant une pétition de commerçants: «Nous voulons espérer que l'autorité municipale reviendra sur son arrêté, le préjudice qui en résulterait serait important pour les négociants du boulevard qui ont fait d'énormes efforts pour faire connaître leur adresse», etc. Bon.

Quel était l'enjeu ? Aujourd'hui, c'est la mobilisation des femmes pour l'égalité. A l'époque, c'était Georges Favon, le dernier des grands radicals, réformateur social...

Une voix. Radicaux.

M. Jean Batou. Oui, radicaux ! ...le dernier des grands radicaux, réformateur social, qui avait tenu le premier discours du 1er mai en 1890, qui s'était opposé à l'expulsion du savant anarchiste Kropotkine, qui entretenait une correspondance avec des exilés de la Commune. Aux yeux du patriciat genevois, ce bonhomme-là n'avait pas le droit d'avoir un boulevard à son nom. Albert Picot, ancien conseiller d'Etat libéral, raconte dans ses mémoires en 1963 que son oncle, qui possédait un cabinet de notaire au boulevard de Plainpalais, avait refusé toute sa vie de changer son papier à lettres, il envoyait toujours ses courriers avec l'adresse du boulevard de Plainpalais. Eh bien si quelques esprits chagrins souhaitent absolument garder le nom d'homme d'une rue qui aurait été rebaptisée d'un nom de femme, nous ne nous choquerons pas; nous ne nous choquerons pas si quelques vieux notaires s'obstinent à conserver dans leur en-tête le nom masculin d'une rue qui aurait été rebaptisée en l'honneur d'une personnalité féminine.

Dernier argument: il est quelques hommes dont le patronyme pourrait être avantageusement... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...supprimé des plaques de notre ville: des partisans du racisme, des adeptes du fascisme, quelques patriciens bien nés qui n'ont à peu près rien fait...

Le président. Merci...

M. Jean Batou. ...sinon être issus d'une bonne famille genevoise.

Le président. Il vous faut conclure.

M. Jean Batou. Tous ces gens-là céderaient volontiers leur place, à mon avis, à une femme ayant joué un rôle important dans notre république. (Applaudissements.)

M. Stéphane Florey (UDC). Ce qui est piquant, dans cette affaire, c'est que c'est une femme qui a lancé la pétition, une femme que cette instrumentalisation - car c'est bien de cela qu'il s'agit - dérange, et il est quand même intéressant de le souligner. Elle n'a pas manqué de nous faire remarquer qu'il y avait un dogmatisme là derrière, et en ce qui nous concerne, nous sommes complètement d'accord.

Maintenant, Mesdames et Messieurs, laissez-moi vous parler des désagréments que génère un changement de nom de rue. Je prends l'exemple du chemin Colladon, au Petit-Saconnex: on a embêté plusieurs centaines d'habitants, on a déstabilisé une maison de retraite entière, parce que les personnes âgées sont perturbées par une telle modification, il y a eu zéro concertation. La direction de l'établissement a écrit à la Ville pour marquer son étonnement, rien n'y a fait. Quand la décision est prise, c'est terminé, les avis des uns et des autres passent carrément à la trappe.

Plutôt que de s'acharner sur le chemin Colladon, on aurait pu rebaptiser la rue d'à côté, à savoir le chemin de la Tourelle, dont le nom est moins connoté, qui ne fait pas référence à une personne. Mais non, il fallait absolument faire tomber un homme, parce que quelques mouvements d'excitées de gauche... (Exclamation.) ...voulaient à tout prix marquer le coup avec la motion qu'elles ont fait passer, voilà.

Je vous donne un autre exemple: on aurait très bien pu, s'il s'agissait de se faire M. Colladon, débaptiser la rue Colladon, qui se trouve dans la Vieille-Ville et ne comprend que deux numéros, l'impact aurait été moindre. Non, il fallait coûte que coûte remplacer le nom du chemin Colladon et enquiquiner par là même une bonne partie de la population. Pour ces raisons, pour tous les inconvénients causés par la création d'un nouveau nom de rue, nous sommes d'avis qu'il faut renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat afin qu'il y réponde et que des solutions soient trouvées. Je vous remercie.

Mme Christina Meissner (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, modifier le nom des rues était très rare par le passé alors que de nos jours, une politique volontariste a été instituée afin de mettre en lumière l'histoire des femmes. Tant mieux. Pour ce faire, deux solutions existent: soit baptiser les nouvelles voies avec des noms de femmes, soit débaptiser des rues existantes et remplacer leur nom par celui d'une personnalité féminine. Considérant que la mise en avant des femmes ne pouvait pas attendre qu'une centaine de nouvelles rues voient le jour à Genève, la Ville a choisi de renommer des plaques existantes.

Supprimer des noms de fleurs ou de paysages disparus depuis belle lurette - sous la densification ! - ne porte guère à conséquence; en revanche, rayer de la carte des noms de personnalités masculines qui font sens dans l'histoire de Genève, d'hommes qui n'ont pas démérité est choquant, voire tout aussi discriminatoire que l'avait été en son temps le choix d'un nom d'homme plutôt que celui d'une femme. Gagner sa place dans l'histoire en faisant disparaître le passé ? A quand la réécriture systématique de l'histoire pour effacer notre mémoire et nous rendre plus malléables ? Cela me rappelle un roman de George Orwell... Aucune autre commune genevoise n'a procédé de la sorte. Cette guerre des sexes par panneaux interposés ne changera pas l'histoire. N'aurait-il pas plutôt fallu l'expliquer, cette histoire, en complétant les plaques existantes d'informations plus exhaustives ?

Par ailleurs, la méthode utilisée par la Ville de Genève pose problème, car elle ne prend pas en considération les habitants. Ceux-ci reçoivent simplement une lettre indiquant que le nom de leur rue va changer et qu'ils doivent payer les modifications administratives inhérentes à la nouvelle appellation. Pourquoi la Ville n'a-t-elle pas, comme le stipule le règlement, posé la question aux citoyens afin de s'assurer que ses choix étaient partagés et acceptés ? Quant aux coûts induits pour les personnes physiques et morales concernées par ces changements... (Brouhaha.)

Le président. Un instant, s'il vous plaît. (Le président marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) Poursuivez, s'il vous plaît.

Mme Christina Meissner. Quant aux coûts induits pour les personnes physiques et morales concernées par ces changements, la moindre des choses serait que les autorités communales les prennent en charge. Le gouvernement serait bien inspiré d'ajouter cette disposition dans le règlement. Pour toutes ces raisons, le groupe PDC votera le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat. Je vous remercie.

Mme Léna Strasser (S). Je rappelle en préambule que l'égalité entre hommes et femmes constitue un droit selon l'article 8 de la Constitution fédérale et qu'elle ne pourra être concrétisée qu'en changeant certains paradigmes; la représentation des femmes dans l'espace et la vie publics en est un parmi de nombreux autres. Comme l'un des rapporteurs de minorité l'a mentionné, dans notre canton, 7% des rues portent un nom de femme, 7% seulement alors que les femmes représentent plus de la moitié de la population.

L'initiative «100Elles*» permet de valoriser des personnalités féminines importantes de notre canton dans l'espace public. Il ne s'agit ni d'opposer les genres, ni de les mettre en concurrence, ni d'effacer l'histoire, mais de faire en sorte que petit à petit, nous - nos filles, nos soeurs - nous sentions également représentées.

La motion que notre assemblée a acceptée est tout à fait raisonnable, et sa mise en oeuvre permet d'opérer un changement graduel qui n'oppose aucunement hommes et femmes, mais cherche à faire évoluer notre société. Pour nous, il est clair que nous devons déposer la pétition dont il est question sur le bureau du Grand Conseil, et je me permets, Monsieur le président, de solliciter le vote nominal. (Commentaires.)

Le président. Il est pris note de cette requête, Madame la députée. Etes-vous appuyée ? (Plusieurs mains se lèvent. Commentaires.) Oui, vous l'êtes.

Des voix. C'est automatique !

Le président. Ah oui, on me rappelle que le vote nominal se fait désormais automatiquement, et je devrais le savoir, étant donné que j'étais signataire des deux projets de lois qui ont rendu ce système possible ! La parole va à M. Daniel Sormanni pour deux minutes et huit secondes.

M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition a tout son sens. Pourquoi ? Parce que les pétitionnaires ne s'opposent pas aux noms de rues féminins, mais il se trouve que suffisamment de nouveaux quartiers sont aménagés chaque année pour qu'on puisse baptiser des rues. Or aujourd'hui, on remplace des noms de personnalités qui n'ont pas démérité, par exemple la plaque de la rue Rousseau. Il me semble que Jean-Jacques Rousseau n'a pas démérité, ou bien est-ce que je me trompe ? On l'aime ou on ne l'aime pas, mais il reste une personnalité. Et des exemples, il y en a tout plein d'autres.

Oui, un certain nombre de femmes souhaitent accélérer le mouvement, mais d'autres préfèrent qu'on nomme les rues d'après des noms de femmes seulement lorsqu'on crée de nouvelles voies, et avec tous les PLQ que nous votons ici, il y en a passablement. A mon sens, c'est amplement suffisant.

Par ailleurs, la méthode n'est pas la bonne. On nous dit que la commission cantonale de nomenclature fonctionne; eh bien non, je pense pour ma part qu'elle ne fonctionne pas, qu'elle fonctionne mal, il n'y a pas de voies de recours possibles. Les communes qui entendent modifier des noms de rues doivent consulter les habitants, mais ce n'est jamais le cas ! C'est inscrit dans le règlement du Conseil d'Etat, on doit demander l'avis des résidents et obtenir une large approbation. C'est inscrit noir sur blanc dans le règlement, mais ce n'est jamais appliqué ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

On nous répond: «Ah, mais on a écrit aux gens et la proposition figure sur le site internet de la commune.» Ça ne suffit pas, Mesdames et Messieurs, et ce n'est surtout pas la bonne technique. On peut procéder de manière parfaitement régulière. Comme l'a signalé tout à l'heure une députée, il existe une série de rues portant des noms de fleurs, de poissons et autres qui pourraient tout à fait être débaptisées sans que cela pose problème, sans qu'on pénalise des hommes qui ont marqué l'histoire...

Le président. Merci...

M. Daniel Sormanni. C'est la raison pour laquelle je vous invite, Mesdames et Messieurs, à accepter cette pétition...

Le président. Merci, Monsieur le député...

M. Daniel Sormanni. ...en la renvoyant au Conseil d'Etat pour qu'il intervienne.

Le président. Il en est pris bonne note. Madame Wenger, Monsieur Pagani, il ne reste plus de temps au groupe Ensemble à Gauche.

Une voix. Tant mieux !

Le président. Sans autre demande de parole, je cède le micro à M. le conseiller d'Etat Antonio Hodgers.

M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, lorsqu'il s'agit d'identité, de genre, de représentation symbolique, on observe bien souvent des postures plus idéologiques, peut-être plus offensives. Mais l'un des principes clés que le Conseil d'Etat tient à rappeler ici, c'est que contrairement à ce qui a été indiqué, l'égalité hommes-femmes n'est pas le combat des femmes; c'est un combat de société, un combat des institutions à travers une obligation qui a été introduite par le peuple dans la Constitution fédérale et dans notre charte cantonale. A partir de là, les positions ne sont pas celles des hommes ou des femmes - il n'y a pas de guerre des sexes -, mais s'expriment dans les dispositions que nous prenons, dans les aménagements que nous effectuons, dans les représentations, y compris symboliques comme sur ce sujet-ci, que nous véhiculons.

Les décisions que rend le Conseil d'Etat - je vous annonce déjà qu'il y en aura une nouvelle prochainement - font suite à une motion que vous avez votée, cela a été souligné, de manière quasi unanime. Le Conseil d'Etat met en application une orientation donnée par votre Grand Conseil. Il a été question de savoir s'il fallait attendre l'avènement de nouvelles rues, de nouvelles places à la faveur de l'aménagement de notre canton, ou aller plus vite et entamer une réflexion sur certaines dénominations historiques; eh bien vous avez répondu, et le Conseil d'Etat est d'accord avec vous, que nous devons faire les deux. Nous opérons de manière précise, documentée, scientifique. Pragmatique, aussi.

Les doublons actuels représentent une confusion pour les services d'urgence, tout comme les situations d'incohérence engendrées par certaines rues qui, d'un point de vue géographique, ne se situent pas vraiment dans une continuité, mais portent le même nom. Cela crée le désarroi pour tout un chacun, pour les visiteurs ou, encore une fois, pour les services d'urgence.

Nous avons demandé à la Ville de Genève - et celle-ci a accepté, contrairement à ce qui a été avancé - qu'elle prenne en charge l'ensemble des coûts dans le cas d'une modification de nom. Ainsi, les personnes qui voient leur adresse changer - d'un point de vue administratif, cela équivaut à un déménagement - ne doivent payer aucuns frais. Si vous avez connaissance de cas particuliers où cette formalité n'a pas été respectée, Madame la députée, je vous prie de me les transmettre, parce qu'il s'agissait d'une exigence du Conseil d'Etat que la Ville de Genève a acceptée.

Restent alors tous ces noms que nous questionnons. Mesdames et Messieurs, quand j'apprends que pour certaines rues qui sont aujourd'hui très habitées, les historiens et historiennes ne parviennent pas à déterminer ce qu'a fait ce monsieur et qu'il s'agit d'une voie importante... On se rend compte que dans l'histoire de la nomenclature, la notion «a contribué grandement à la vie de la cité ou du canton» constitue une vision très relative.

Nous n'avons par exemple aucune trace historique de David Dufour, dont le nom figure sur la plaque de rue où se situent les locaux du DT, nous ne savons pas vraiment ce qu'a fait cette personne. C'était un maraîcher, paraît-il; alors c'est très bien, mais qu'a fait cet homme de particulier ? Eh bien nous l'ignorons. Lorsque les historiens n'arrivent pas à documenter ce type de patronyme, comment, d'un point de vue symbolique, peut-on justifier d'attendre des décennies et des décennies pour établir un semblant d'équilibre ? Cela a été indiqué: sur l'ensemble de notre voirie, on trouve 7% de noms féminins contre 93% de noms masculins.

Voici un autre exemple qui me semble révélateur: William Favre, nom prestigieux, grand donateur de la Croix-Rouge. C'est sa principale qualité. Mais sa soeur, Alice, n'avait pas hérité; si, comme son frère, elle avait bénéficié d'un héritage, n'y aurait-il pas eu une grande donatrice pour la Croix-Rouge ? Bien sûr que si. Voilà le regard sur l'histoire que nous pouvons mettre en exergue... (Commentaires.) Alice Favre, philanthrope, femme de culture, pas juste un nom comme cela, mais voyez-vous, il se trouve que c'est son frère qui possédait l'argent, c'est son frère qui a fait la donation. Renommer cette rue du nom d'Alice et William Favre, c'est revenir sur l'histoire, sur la contribution de ces deux personnalités à la Croix-Rouge et donc à l'identité de notre canton et, par là même, souligner que les femmes ont bien sûr joué un rôle historique, mais que celui-ci a souvent été minimisé, pour ne pas dire éclipsé.

Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat suit une ligne très claire en matière d'égalité: celle de l'article 8 de la Constitution fédérale. Dans une autre affaire soulevée lors des débats en Ville de Genève, ma collègue Nathalie Fontanet a eu l'occasion de rappeler que le Conseil d'Etat défend inconditionnellement l'article 8, notamment en ce qui concerne l'égalité de l'accès à la culture et au sport, et pour le même motif, le Conseil d'Etat soutient la féminisation des noms de rues effectuée de manière précise, documentée d'un point de vue historique. Merci dès lors de refuser cette pétition. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous passons au vote sur le préavis de la majorité de la commission, à savoir le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.

Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2124 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 48 oui contre 36 non et 4 abstentions (vote nominal).

Vote nominal