Séance du
vendredi 10 décembre 2021 à
14h
2e
législature -
4e
année -
6e
session -
37e
séance
PL 12657-A
Premier débat
Le président. Nous poursuivons notre ordre du jour avec l'objet suivant, le PL 12657-A, classé en catégorie II, trente minutes. La parole va à M. le rapporteur de majorité Marc Falquet.
M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, il s'agit d'un projet de loi du groupe Ensemble à Gauche, de M. Bayenet, qui concerne l'application de la loi fédérale sur les résidences secondaires. C'est un texte assez original.
Actuellement, la loi fédérale sur les résidences secondaires limite à 20% le taux de résidences secondaires dans chaque commune. Mais les cantons, s'ils le souhaitent, peuvent descendre en dessous de ce taux de 20%. Ce projet de loi propose de fixer le taux de résidences secondaires à Genève à 10%. Cela permettrait, selon les auteurs du texte, de libérer 15 000 logements. Par exemple, le taux de résidences secondaires en ville de Genève s'élève à 18,3%. Selon l'auteur de ce projet de loi, il y aurait donc théoriquement 30 000 logements inoccupés à Genève.
Présidence de M. Diego Esteban, président
Ce texte veut empêcher les personnes de construire un logement dans l'intention d'en faire une résidence secondaire et obliger les propriétaires à louer leur bien lorsqu'ils déménagent de Genève, ce dans le but, évidemment, d'éviter que les logements ne restent vides. Selon l'auteur de ce projet de loi, cela aurait un double impact: premièrement, cela permettrait de faire en sorte que les résidences secondaires se transforment petit à petit en résidences principales; deuxièmement, cela inciterait les personnes qui ont officiellement une résidence secondaire dans notre canton, mais qui en réalité y habitent toute l'année, à se domicilier officiellement et fiscalement dans le canton de Genève.
Si les arguments des initiants paraissent pertinents, ils n'ont cependant pas convaincu la majorité de la commission du logement. En effet, il a été relevé que la loi fédérale sur les résidences secondaires a été instaurée surtout pour éviter le mitage du territoire dans les zones rurales et touristiques. La loi n'était pas destinée aux zones urbaines. Par exemple, la situation du canton de Genève est différente de celle du Valais, où, dans certaines communes, le taux de résidences secondaires s'élève à 80%.
D'autres arguments plaident un petit peu contre ce projet de loi. Ce texte va plus loin que la loi fédérale, alors que le Tribunal fédéral émet déjà des réserves sur la lex Weber. C'est vrai que les cantons ont la possibilité de réduire le taux de résidences secondaires, mais il n'est pas possible de forcer les propriétaires à vendre ou à louer leur résidence secondaire, car cela violerait les libertés individuelles.
Un autre argument allant à l'encontre de ce projet de loi: cela engendrerait un contrôle de toutes les affectations des logements, soit environ 200 000 logements à contrôler.
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Marc Falquet. Merci, Monsieur le président. Par ailleurs, cette loi s'appliquerait uniquement aux nouveaux logements construits; cela ne changerait rien à la situation actuelle. De plus, on parle de la situation du logement et du fait d'utiliser des logements, des résidences secondaires, qui seraient théoriquement vides. On voit que notamment Cologny connaît un fort taux de résidences secondaires - et la ville de Genève aussi, c'est assez étonnant. Le problème, c'est que bon nombre de ces objets sont des objets coûteux, des objets de luxe qui ne répondent pas forcément aux besoins de la population locale; et ces logements en réalité ne restent pas vides, mais ils sont souvent prêtés à des amis ou à des proches - riches, bien entendu - qui viennent dépenser leur argent à Genève. Pour ce qui est des résidences les plus modestes, les gens n'ont pas les moyens de les laisser vides. Ce sont des objets qui sont donc de toute façon déjà sous-loués actuellement. Il n'y a en fait pas de corrélation entre le nombre de résidences secondaires et le nombre de logements vides.
Par conséquent, au vu de ce qui précède, la majorité de la commission du logement vous propose de refuser ce projet de loi. Merci.
M. Rémy Pagani (EAG), rapporteur de première minorité ad interim. Je trouve que les propos qu'on vient d'entendre ont été tenus un peu à la légère, dans la mesure où nous avons, je vous le rappelle, plus de 150 000 personnes qui déboulent le matin - on a vu ce matin la catastrophe que quelques centimètres de neige provoquent - et qui repartent le soir, plus tous les demandeurs de logement. On est pris en tenaille, puisque la surface d'assolement qui nous est imposée par Berne est intangible, donc les zones à déclasser sont de plus en plus restreintes. Par conséquent, il va falloir qu'on s'attelle sérieusement à ce problème.
Alors aujourd'hui, j'imagine que la majorité va rejeter du revers de la main ce projet de loi, comme elle a rejeté les questions climatiques, mais toujours est-il que 30 000 logements, qui sont des résidences secondaires, sont vides. Après, on se gausse en disant: «Oui, Verbier, c'est des lits froids !» Mais, Mesdames et Messieurs, cela vient d'être dit d'ailleurs par le rapporteur de majorité, ces lits froids correspondent à une occupation temporaire par des riches, une fois de plus, alors que la population des travailleurs, ceux que j'ai cités, qui toute l'année font des va-et-vient, plus les demandeurs de logement, elles et eux cherchent des logements pour travailler. Alors la question est la suivante: va-t-on prioriser les lits froids pour quelques super riches qui viendront faire la fête ici à Genève - c'est un positionnement idéologique de la majorité de la droite - ou va-t-on prioriser les besoins de la majorité de la population, à savoir de se loger ? Puisque, je vous le rappelle, dans deux ans et demi, trois ans, il n'y aura plus de terrains disponibles pour construire, pour satisfaire à ce besoin de l'écrasante majorité de la population. Donc, Mesdames et Messieurs, réfléchissez-y bien ! Regardez ce qu'il va se passer, parce que ce phénomène va aller en s'amplifiant et nous devrons à terme, de toute façon, prendre des mesures, comme nous devrons prendre des mesures contre la dégradation climatique. Mais à force d'attendre les accidents, les accidents se produisent; après, on est tout ébaubis de devoir prendre des mesures encore plus drastiques, alors qu'on se trouve aujourd'hui dans une situation à laquelle on pourrait remédier relativement facilement, en abaissant ce taux de 20%. Je vous rappelle que la loi Weber stipule qu'à partir de 20%, on doit prendre des mesures. On y est presque. On y est presque ! On devra donc prendre des mesures, la loi fédérale nous y obligera dans quelque temps. Je vous remercie de votre attention.
Mme Badia Luthi (S), rapporteuse de deuxième minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, nous devons toutes et tous être conscients du fait que le problème du logement est un problème national. Il touche presque l'ensemble de la Suisse, mais la particularité de notre canton, c'est que sa crise du logement est la plus aiguë de tout le pays. L'évolution du parc immobilier ne suit pas l'augmentation de la population. C'est une réalité malheureuse de notre canton: la construction des logements n'est pas en phase avec la croissance de la population sur notre territoire. Pourtant, notre canton a fourni - et continue à le faire - un énorme effort pour faire face à ce problème de pénurie. Depuis 2014, le parc immobilier n'a cessé d'augmenter annuellement de plus de 2000 logements. En 2020, ce parc a atteint 238 935 unités, donc une augmentation notable, mais toujours insuffisante pour absorber toute la demande de logements. Actuellement, 30 000 logements sont inoccupés à Genève. Cela nous interpelle, Mesdames et Messieurs les députés. Et c'est là que la minorité tient à relever la pertinence de ce projet.
Premièrement, il propose une solution contribuant à freiner la crise du logement qui ne cesse de frapper notre canton. D'autant plus que ces habitations existent déjà et peuvent servir à fournir un logement à bon nombre de personnes qui ont beaucoup de peine à en trouver. Deuxièmement, il permet de profiter des habitations déjà existantes en les mettant à disposition pour la location et d'éviter qu'elles restent vides. Troisièmement, il propose de limiter le taux de résidences secondaires à 10% dans chaque commune de notre canton, contre les 20% permis par la Confédération. Cette proposition libère le marché en cédant les 10% de résidences secondaires à la résidence principale.
Nous avons toujours défendu l'intérêt public avant l'intérêt individuel, et le refus de ce projet par la majorité - qui est de droite, malheureusement, comme toujours - ne fait que défendre les intérêts de quelques privilégiés, qui ne rencontrent aucune difficulté à trouver où se loger. La minorité vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de penser aux jeunes qui continuent à habiter chez leurs parents et ne demandent qu'à être indépendants dans leur propre chez-soi; de penser aux familles nombreuses qui habitent dans des logements trop petits et n'offrant aucun confort ni espace suffisant pour permettre à chaque membre de la famille d'avoir toute son intimité.
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.
Mme Badia Luthi. Merci, Monsieur le président. Nous trouvons que ce projet s'inscrit dans une dynamique de réflexion politique. Il apporte des solutions à un problème qui touche bon nombre de citoyennes et de citoyens qui peinent à trouver un logement dans le canton. Il évite l'exode vers le canton de Vaud ou la France voisine. C'est pour toutes ces raisons que la minorité soutient ce projet de loi et vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à en faire de même. Merci, Monsieur le président.
M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, vous connaissez bien sûr Genève: son lac, sa plage, ses montagnes, mon chalet à Plainpalais ou aux Eaux-Vives... Soyons sérieux ! 30 000 appartements de loisir à Genève ? Meyrin, sa station balnéaire ? C'est bien de ça que nous sommes en train de parler ? Moi, je pense qu'on a un problème assez grave. Alors soit ce sont de fausses résidences secondaires et de vraies résidences primaires, avec un domicile ailleurs pour des raisons fiscales, et on a là un gros problème d'équité et de fiscalité qui doit être résolu. Soit effectivement, nous avons 30 000 logements vides et des lits froids. Toutes les communes de montagne vous le diront: c'est une catastrophe pour l'économie. A ce moment-là, il faut qu'on développe des résidences hôtelières ou des hôtels pour que ces personnes qui viennent en villégiature à Genève puissent se loger et libérer des logements, ce qui leur coûterait d'ailleurs moins cher, avec certainement un confort supérieur.
Ce projet de loi nous semble donc essentiel. Soit nous devons régler un problème de fiscalité et d'évasion fiscale, très clairement, soit nous avons un autre problème à régler, à savoir: comment va-t-on aménager notre territoire ? Oui, 150 000 personnes viennent tous les jours à Genève pour y travailler sans résider dans le canton. C'est phénoménal de se rendre compte de cela. Nous avons une économie qui certes est florissante, mais si nous gaspillons 30 000 logements, il faut vraiment que, dans ce parlement, nous nous interrogions. Merci.
Mme Diane Barbier-Mueller (PLR). Je ne me permettrai pas de relever l'aspect ironique de ce projet de loi, notamment en lien avec la situation personnelle du premier signataire, puisqu'il ne siège plus dans ce parlement - ce ne serait pas correct de ma part.
Pour ce qui est du fond, ce projet de loi plaît évidemment à nos chers députés de gauche. Mais, comme M. Bavarel l'a relevé - puisque apparemment cette fois-ci, il a appris à lire le rapport, contrairement à tout à l'heure; je n'étais pas sûre qu'il sache lire correctement -, ce n'est pas le caractère inoccupé des logements qui pose problème. D'ailleurs, le premier signataire, lors de son audition, se contredit. Il commence par aborder l'aspect idéologique de son projet de loi. Il y a aujourd'hui un taux de logements inoccupés à Genève qui est problématique; il faut résoudre ce problème. Puis, rapidement, il en vient au fait que son projet de loi n'apporte aujourd'hui pas de solution au problème de ces logements inhabités, puisque les résidences secondaires concerneraient plutôt des personnes domiciliées hors du canton et qui vivraient la majorité de la semaine à Genève. Par conséquent, contrairement à ce qu'a indiqué Mme Luthi, ce n'est pas cette catégorie-là qui est visée: ce ne sont pas des logements vides, ce sont bien des logements habités.
Par ailleurs, à Genève - puisque c'est la commune la plus concernée - le taux de résidences secondaires est de 18,3%. C'est un taux préoccupant, mais le peuple a accepté au niveau fédéral un taux de 20% pour préserver l'environnement naturel. Genève est magnifique, mais il n'y a effectivement pas de patrimoine environnemental à protéger. Ce serait donc plutôt pour viser les personnes qui feraient des trajets journaliers comme, disons, de Genève-ville à Bardonnex. Je pense que la problématique de l'évasion fiscale n'est pas du tout résolue par ce projet de loi. Par conséquent, la majorité et le PLR vous invitent à le refuser. Merci.
M. Sébastien Desfayes (PDC). J'ai entendu Christian Bavarel parler du Valais. Je me vois donc dans l'obligation de répondre à sa comparaison, à son interpellation. La situation à Genève n'a rien à voir avec celle du Valais, en particulier des régions valaisannes qu'il a citées. C'est un projet de loi qui rate sa cible d'abord et qui est anticonstitutionnel ensuite.
Il y a un certain nombre de résidences secondaires à Genève. Mais est-ce que ce sont, comme en Valais, à Verbier par exemple ou encore à Crans-Montana, des résidences secondaires qui sont vides ? Non. Tout simplement parce que, mis à part certaines résidences secondaires réservées aux ultra-riches, les propriétaires d'une résidence secondaire à Genève vont la mettre en location, de sorte qu'il ne s'agira pas d'un bien qui va quitter le marché du logement. Dire que l'on va créer une offre de 15 000 logements supplémentaires relève donc du pur fantasme.
Ensuite, pour ce qui est des autres défauts de ce projet de loi, le procureur... Non, pardon, excusez-moi ! (Commentaires.) ...M. Bayenet n'a pas été capable de nous expliquer comment effectuer ce contrôle. Est-ce que des fonctionnaires, chaque année, vont vérifier l'affectation et l'occupation de 200 000 logements ? Bien entendu, cela n'a aucun sens.
Enfin, il y a aussi un grave problème de garantie du droit de propriété, parce qu'en droit suisse, on ne peut tout simplement pas contraindre une personne à vendre un bien immobilier pour la seule raison qu'elle ne l'occupe pas. Par conséquent, comme l'a relevé le rapporteur de minorité, il convient de balayer d'un revers de main ce mauvais projet de loi. Merci.
M. Alberto Velasco (S). Chaque fois qu'il y a un projet de loi qui intéresse les citoyens et citoyennes genevois, chaque fois qu'on propose des procédures inhabituelles, etc., on nous répond: «Oui, mais le droit suisse protège la propriété privée, etc., etc.» C'est la Bible. Mais enfin, cela ne va quand même pas nous empêcher de déposer des projets de lois ! Un jour peut-être, cela changera !
Le fait que, dans ce canton riche, se loger devient un problème dramatique, le fait qu'il y ait des personnes - en effet, malheureusement - sans papiers qui sont exploitées pour payer 1500 ou 2000 francs pour une pièce, et le fait qu'il y ait 30 000 personnes qui se permettent d'avoir des résidences superbes en ne venant pratiquement jamais dans ce canton... Il y a quand même là des questions à se poser du point de vue éthique - je ne dis pas moral, je dis même éthique.
Par ailleurs, nos amis, nos collègues de droite estiment que c'est normal. Si au moins vous disiez que ces personnes paient des impôts ! Mais en plus, elles ne paient même pas d'impôts ! C'est-à-dire qu'elles possèdent une résidence, elles possèdent des terrains, elles empêchent les Genevois de se loger, et en plus, elles ne paient pas d'impôts dans ce canton. C'est quand même extraordinaire ! Et vous trouvez que c'est très bien ! Alors là, je ne vous comprends plus. Parce que si elles payaient des impôts de manière démesurée, je comprendrais, mais ce n'est même pas ça !
Le rapporteur de majorité nous dit qu'il s'agit d'objets de luxe et que ça ne convient pas pour loger, pas des pauvres, mais disons la classe moyenne. Je ne vois pas pourquoi des gens de la classe moyenne ou même des pauvres ne peuvent pas être logés dans des objets de luxe ! Vous pensez qu'ils ne savent pas vivre dans des objets de luxe, qu'ils n'ont pas le pedigree pour pouvoir vivre dans des objets de luxe ? (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) On pourrait très très bien y faire loger des personnes. Voyez-vous, mon collègue et ami Batou me disait que ce serait une belle initiative que pourrait lancer l'ASLOCA, pour qu'enfin...
Le président. Merci.
M. Alberto Velasco. ...il n'y ait que 10% de propriétés secondaires. On y réfléchit ! Merci, Monsieur le président. (Commentaires.)
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je dirai quelques mots seulement. Je ne crois pas qu'il y ait autant de ces soi-disant résidences secondaires qualifiées de lits froids qui sont vides dans ce canton - ce chiffre n'a pas du tout été réellement confirmé. Soit ces logements sont loués - probablement à des prix qui ne seraient pas accessibles à une grande partie de la population... Je ne crois pas que ces logements soient véritablement vides. On est loin de cette évidence. Rien n'a été prouvé s'agissant du fait qu'on pourrait mettre à disposition tout de suite 15 000 logements. C'est vraiment du fantasme absolu ! Je ne crois pas que c'est avec ce type de projet de loi qu'on va régler... S'il y avait un problème de ce genre, on n'est pas du tout dans le cadre... Genève n'est pas une station de ski ou un endroit où les gens vont se promener en été. C'est un canton, une ville, dans laquelle les gens habitent, vivent et, pour l'essentiel, mènent une activité économique. Je ne pense pas qu'on se trouve dans une situation telle qu'elle a été décrite tout à l'heure par un député et qu'on puisse la comparer à celle du canton du Valais et de certaines stations, très prisées des Genevois d'ailleurs. Ce projet de loi ne résoudrait rien, même s'il devait être voté. Je ne vois pas comment une armée de fonctionnaires irait frapper à toutes les portes dans le canton pour résoudre cela. Je vous invite donc à rejeter ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur le député.