Séance du
vendredi 8 octobre 2021 à
14h
2e
législature -
4e
année -
4e
session -
25e
séance
M 2730-A
Débat
Le président. L'ordre du jour appelle le traitement de la M 2730-A. A vous la parole, Monsieur Bertrand Buchs.
M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, nous avons pris connaissance de la réponse du Conseil d'Etat qui est très complète, très précise, et nous l'en remercions. Mais l'objectif de la motion votée par notre Grand Conseil, c'était de sortir du cadre des règlements appliqués par Berne, de permettre des décisions exceptionnelles. Ce que nous attendions du gouvernement, c'était qu'il demande au Conseil fédéral de faire venir des familles vivant sur cette île et que le canton de Genève en accueille vingt. Il s'agissait d'accomplir quelque chose d'exceptionnel, qui sorte des lois établies. Il est parfois nécessaire d'agir, par exemple lors de catastrophes humaines, de ne pas chercher à savoir si les gens sont des réfugiés ou des demandeurs d'asile, de faire un effort politique.
Ce serait indispensable aussi pour l'Afghanistan, mais à nouveau, on voit que la Suisse se cache derrière des règlements, derrière sa législation pour justifier le fait qu'il n'est pas possible d'accueillir la population afghane. Seules quatre autorisations ont été accordées sur les je ne sais combien de centaines de requêtes déposées dans les ambassades.
Voilà ce que nous demandions au Conseil d'Etat, c'était simplement de signaler à Berne que Genève souhaitait accueillir des familles, mais sa réponse est d'ordre purement administratif. Par conséquent, je sollicite le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
M. Emmanuel Deonna (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, notre plénum a récemment discuté de la gravité des événements ayant lieu en Afghanistan, il a également été interpellé à plusieurs reprises à propos de la situation dramatique dans les hotspots des îles grecques. Un nouveau camp a été ouvert dernièrement sur l'île de Samos, mais rien ne garantit que les droits humains élémentaires des migrants et des réfugiés y seront respectés.
Comme l'a relevé mon estimé collègue Bertrand Buchs, du parti du Centre, le Conseil d'Etat n'affirme pas de volonté politique claire dans ce rapport, il se contente d'évoquer le soutien de la Suisse à la Grèce en matière d'asile et sous-entend même que le canton de Genève n'a pas vocation à faire appliquer le droit international. Le gouvernement ne présente pas non plus de stratégie concrète pour accueillir vingt familles de réfugiés, ainsi que ce parlement en a décidé à sa majorité au mois de mars dernier. C'est pourquoi le parti socialiste vous recommande très vivement de signifier votre désaccord avec ce rapport en le renvoyant à l'expéditeur. Merci. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Notre groupe ne prendra pas non plus acte de la réponse du Conseil d'Etat. Ce texte, qui indique pourquoi il n'a pas été donné suite à la motion 2730, n'est pas acceptable, il constitue une forme de non-réponse - polie, développée, néanmoins une non-réponse - à une demande claire exprimée par ce parlement, à savoir extraire vingt familles de l'enfer humanitaire du camp de Kara Tepe. On nous explique que les personnes confinées dans ce camp - comme dans d'autres, d'ailleurs - ne sont pas des réfugiés, mais des postulants à l'asile. Au sens strict du terme, sur le plan statutaire, peut-être; il n'en demeure pas moins que ces gens nécessitent une protection.
A noter à ce propos une mention qui interpelle: le texte introduit une brèche dans la vision manichéenne qui sépare les requérants d'asile en deux catégories, ceux dont la situation justifie l'obtention du statut de réfugié et ceux qui ne peuvent y prétendre, car pas précisément exposés, selon les termes de la loi sur l'asile, à de sérieux préjudices en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leur opinion politique. Dans son rapport, le Conseil d'Etat indique que parmi les requérants d'asile, on trouve à la fois des personnes qui seront ultérieurement reconnues comme réfugiées parce qu'elles fuient des persécutions - partant, elles bénéficieront d'une protection - et d'autres qui cherchent un avenir meilleur et qui, malgré la tyrannie subie, n'obtiendront pas l'asile et devront retourner dans leur pays d'origine. Ainsi, le texte confirme que certaines victimes ne bénéficient pas de la protection que justifie leur situation. Cet aveu est scandaleux, il met en lumière une forme inadmissible de déni du droit d'asile et du devoir d'hospitalité.
L'énoncé de ce qui a été entrepris préalablement au dépôt de cette motion par la Confédération au nom de l'aide humanitaire ou de la prise en charge des mineurs non accompagnés est sans doute appréciable, mais à l'évidence pas suffisant au regard de l'ampleur des besoins des personnes parquées dans ces camps de la honte, érigés aux frontières de l'Europe. Rappelons-le: ce qui a été fait ne peut se substituer à ce qui doit encore être fait.
Enfin, je ne saurais conclure cette intervention sans souligner qu'outre la nécessité de faire face à la problématique de l'asile et notre devoir d'y répondre avec humanité et respect des personnes concernées, il nous incombe de remettre en question nos implications politiques et économiques avec les régimes qui génèrent oppression, persécution et exil. La main qui dispense l'asile, aussi parcimonieux soit-il, ne peut feindre d'ignorer ce que fait l'autre main, qui flatte et entretient les régimes totalitaires. C'est pour ces motifs, constatant qu'il n'a pas été donné suite à la motion 2730, que notre groupe vous invite à renvoyer cette réponse au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)
M. Yves de Matteis (Ve). Je serai très bref: le groupe des Verts souscrit aux interventions précédentes. Nous renverrons ce rapport au Conseil d'Etat, rapport qui est manifestement insuffisant. Merci.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous prie de faire preuve d'un minimum de rigueur dans les raisonnements que vous exprimez au sein de ce Grand Conseil. Nous sommes tous touchés par la situation en Afghanistan et par le départ de millions de personnes qui fuient un régime intolérable. Il n'en demeure pas moins que ce que vous appelez une vision manichéenne séparant requérants d'asile et réfugiés constitue le principe même de notre droit fédéral: avant d'être réfugié, on est requérant d'asile, et si l'on remplit les conditions posées par la législation, on est à ce moment-là reconnu comme réfugié et pris en charge.
Il n'appartient pas au canton de demander à la Confédération de modifier les règles de notre droit fédéral dans une situation particulière. Par contre, il est évident que chaque fois que nous pouvons sensibiliser Berne quant à la nécessité de faire ce que la Suisse peut et doit faire dans ce domaine, que ce soit dans les conférences intercantonales ou dans les contacts que nous entretenons sous la coupole, nous n'y manquons pas. Mais ce n'est pas par une motion comme celle-ci que l'on peut changer notre droit fédéral; on ne peut pas être légaliste quand ça nous arrange et exiger de s'écarter de la loi lorsque l'on considère qu'une autre solution doit être choisie. Je vous remercie.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, vous êtes invités à vous prononcer sur la demande de renvoi au Conseil d'Etat.
Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2730 est adopté par 45 oui contre 33 non et 1 abstention.
Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2730 est donc refusé.