Séance du
jeudi 4 mars 2021 à
17h
2e
législature -
3e
année -
9e
session -
54e
séance
PL 11302-A
Premier débat
Le président. L'ordre du jour appelle le traitement du PL 11302-A dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole au rapporteur de majorité, M. Pierre Eckert.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Oui, merci, Monsieur le président. (Un instant s'écoule.) Il faut juste que je retrouve mon texte... (L'orateur cherche dans son ordinateur. Commentaires.) Une petite minute, s'il vous plaît. (Un instant s'écoule.)
Le président. Monsieur Eckert ?
M. Pierre Eckert. Voilà, c'est bon, on y va. L'origine de ce projet de loi remonte à 2013: les magistrats de la Cour des comptes avaient décidé, de leur propre chef, de procéder à la location de nouveaux locaux, essentiellement pour préserver la confidentialité de leurs auditions. Je précise qu'on ne parle ici que du fonctionnement administratif de la juridiction et en aucun cas des aspects liés à ses audits. Cet événement, venu s'ajouter à d'autres qui avaient défrayé la chronique à l'époque, a conduit le parlement à mettre sur pied une commission d'enquête parlementaire qui a formulé plusieurs recommandations, dont deux ont été adressées au Bureau du Grand Conseil.
La principale recommandation porte sur l'introduction d'un mécanisme d'application de la haute surveillance que le Grand Conseil exerce sur la Cour des comptes. Sa mise en oeuvre a pris du temps, mais la commission a finalement adopté un projet de loi, le PL 11286, qui sera prochainement soumis au vote de notre plénière. Parallèlement, le MCG avait déposé le texte dont il est question ici et qui prévoit un dispositif de révocation des magistrates et magistrats de la Cour des comptes par le Grand Conseil.
La majorité de la commission estime que le PL 11286 suffit à remplir l'objectif de surveillance formelle des activités de la Cour des comptes; elle trouve exagéré d'instaurer un système de destitution qui risquerait de mettre en danger l'autonomie de cette institution sur le fond, des recommandations impopulaires de sa part pouvant être attaquées par une majorité du parlement. Le concept de «violation grave de leurs devoirs», qui permettrait de justifier un processus de révocation, est par ailleurs sujet à des interprétations subjectives. Enfin, il n'est pas concevable que le Grand Conseil puisse seul se doter du pouvoir de défaire une élection populaire - il faut en effet rappeler que les magistrats sont élus par le peuple. Par conséquent, à la fin des travaux, les commissaires ont rejeté l'entrée en matière sur le projet de loi 11302 par treize non contre deux oui.
M. Christian Flury (MCG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, en 2013, le MCG avait déposé ce projet de loi qui a entre autres pour objectif de donner au Grand Conseil la compétence de révoquer des magistrats de la Cour des comptes en cas de violation grave des devoirs liés à leur fonction. La Cour des comptes sortait en effet d'une période troublée par des dysfonctionnements et des conflits de personnes à l'interne; elle s'était octroyé la liberté de conclure un bail à loyer afin de déménager dans de nouveaux locaux, car les services de l'Etat tardaient à lui en accorder. Ce faisant, elle avait passé outre à une injonction écrite du Conseil d'Etat de ne pas le faire.
Certes, la Cour des comptes doit jouir de sa pleine liberté de fonctionnement et de travail. En revanche, bien qu'autonome, cette juridiction dépend des services de l'Etat sur le plan tant administratif que logistique et, partant, est soumise à leurs règles de fonctionnement. Les magistrats et collaborateurs de la Cour des comptes sont liés à l'administration par des conventions de travail de droit privé. De ce fait, ils sont affranchis de l'éventail des mesures correctives de l'Etat. La révocation d'un magistrat qui aurait gravement violé ses devoirs constitue une mesure ultime à laquelle on ne devrait recourir qu'exceptionnellement, mais des dérapages ou dysfonctionnements de gravité moindre, par exemple l'histoire des seaux d'eau, devraient faire l'objet de sanctions moins contraignantes telles que l'avertissement ou le blâme, qui figurent parmi les outils visant les collaborateurs de la fonction publique.
Ce projet de loi peut paraître suranné, mais il conserve toute sa pertinence au moment où le législateur met sous toit des projets de lois qui permettront la destitution de conseillers d'Etat. «Ce que le peuple a créé, seul le peuple peut le défaire.» Nous regrettons que la commission des droits politiques ait rejeté l'entrée en matière sur ce projet de loi. Il aurait été possible, par le biais d'amendements appropriés, de prévoir qu'en cas de grave violation des devoirs, l'électeur genevois puisse également destituer un magistrat du Pouvoir judiciaire ou de la Cour des comptes.
Le groupe MCG vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir le PL 11302 pour tenir compte de l'évolution des positions en ce qui concerne le Conseil d'Etat. En effet, il serait pour le moins anachronique que dans le même corpus législatif, il soit possible de démettre un ou plusieurs membres de l'exécutif en raison de leur comportement tandis que les magistrats, supposés être exemplaires, n'encourent aucune sanction pour des motifs similaires. Il y aurait une inégalité de traitement peu compatible avec la volonté affichée de notre Grand Conseil de se montrer particulièrement pointilleux - et à juste titre ! - sur ce point. Nous ne manquerons pas d'y revenir en temps opportun en fonction de l'évolution des projets de lois de destitution du Conseil d'Etat et nous vous remercions de votre soutien. J'ai terminé, Monsieur le président, je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur. (Brouhaha. Un instant s'écoule.) Il y a un brouhaha très agréable qui me monte aux oreilles et qui me berce... Plus sérieusement, Mesdames et Messieurs, si vous avez des réunions importantes à tenir, merci de le faire à l'extérieur de la salle ! La parole va maintenant à M. le député Jean-Marc Guinchard.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Merci, Monsieur le président. Je n'ai pas grand-chose à ajouter à l'excellent rapport présenté par le rapporteur de majorité. Je me contenterai de souligner avec lui que les critères invoqués par le MCG pour justifier une révocation des magistrats de la Cour des comptes demeurent assez flous et sujets à des interprétations pouvant s'avérer extrêmement extensives. D'autre part, notre Grand Conseil ne peut pas défaire ce que le peuple a fait, puisque les membres de la Cour des comptes sont élus par les citoyens genevois. Il est à préciser que le projet de loi 11286, quant à lui, qui consiste en la mise en application des recommandations de la CEP à l'intention du Bureau, a été adopté à la commission des droits politiques à l'unanimité des commissaires présents.
Les moyens d'intervention de notre parlement sont extrêmement limités étant donné que la Cour des comptes, il faut le rappeler de temps en temps, est une entité indépendante et externe à l'Etat. Si nous souhaitions étendre nos possibilités d'action, il faudrait effectivement modifier la constitution, car l'indépendance de la Cour des comptes y est consacrée et garantie. Je ne peux donc que vous recommander, Mesdames les députées, Messieurs les députés, au nom du groupe démocrate-chrétien, de rejeter ce projet de loi avec la même majorité qu'en commission. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (EAG). Deux mots sur ce projet de loi. J'ai entendu notre collègue Christian Flury parler d'intervention populaire dans ce dossier, mais le texte qui nous est proposé prévoit une révocation purement parlementaire, sauf erreur, des magistrats de la Cour des comptes ! Il y a un problème ici, peut-être pas de séparation des pouvoirs, comme j'allais dire, puisque la Cour des comptes n'est pas un pouvoir à proprement parler, mais il s'agit à tout le moins d'une instance dont l'indépendance est capitale et qui verrait ses magistrats soumis à une potentielle destitution par un vote de cette assemblée à la majorité des deux tiers, le tout pour des motifs qui ne sont pas précisés dans le texte. Il n'y aurait pas de recours à un scrutin populaire alors que les projets de lois pour démettre le Conseil d'Etat qui sont dans le tube, eux, prévoient un passage par le Grand Conseil avec des majorités conséquentes avant que l'affaire soit soumise au souverain, c'est-à-dire au vote populaire.
Ici, ça ne va pas. On parle d'une révocation purement parlementaire, motivée par le Bureau; je n'ose pas imaginer le type de manoeuvres auxquelles cela pousserait ce parlement, probablement serions-nous constamment saisis de propositions qui n'atteindraient pas la majorité des deux tiers, mais qui nous amèneraient à débattre de la pertinence des interventions de la Cour des comptes. Non seulement la haute surveillance sur la Cour des comptes fait l'objet d'un autre projet de loi, mais surtout cette instance ne fait que rendre des rapports - avec lesquels on peut ne pas être d'accord, certes - et ne prend aucune espèce de décision matérielle. De ce point de vue là, l'artillerie présentée dans le texte est parfaitement antidémocratique: elle soustrait au peuple un vote en dernière instance sur des magistrats qu'il a lui-même élus.
Mesdames et Messieurs, cet objet encombre l'ordre du jour de notre parlement; c'était un texte de circonstance, qui a été déposé avec le talent qu'on lui connaissait par Eric Stauffer, mais qui doit rester lettre morte, et je vous propose de ne pas y donner suite aujourd'hui.
M. Patrick Dimier (MCG). Dieu sait si j'apprécie mon préopinant, mais nous allons tout de même soutenir ce projet de loi. J'aimerais revenir sur ce qu'il vient de dire, cela me paraît vraiment important. Dans une république, il est évident qu'aucun pouvoir ne doit être indéboulonnable; cela ne peut pas exister, faute de quoi un très mauvais signal est donné. Nous sommes en train de travailler sur la question de l'exécutif et il va falloir revenir sur celle de la Cour des comptes. Je m'inscris dans la filiation de ceux qui pensent que seul le peuple défait ce qu'il a fait. Nous devons mettre en place un mécanisme permettant de destituer ou de déplacer - non, de destituer - un membre de la Cour des comptes si tout ne fonctionne pas comme cela doit fonctionner. Certes, le compte est bon, mais tout de même ! Il n'appartient pas au parlement, en ce qui concerne la Cour des comptes, d'être le garde des «seaux». Merci.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Nous avons tous apprécié votre trait d'humour et souri à l'évocation de cette péripétie ! La parole échoit maintenant à M. le député Patrick Lussi.
M. Patrick Lussi (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, il ne sert à rien d'épiloguer plus longtemps sur ce PL 11302 «Pour une véritable haute surveillance de la Cour des comptes». On a vu que, tel qu'il est présenté, ça ne joue pas. De plus, comme l'a souligné l'un de mes préopinants, le PL 11286 qui vise à établir une haute surveillance sur la Cour des comptes a été accepté en commission et sera bientôt soumis à notre plénum. C'est la raison pour laquelle il est inutile de babiller davantage. Le groupe UDC refusera l'entrée en matière et vous enjoint de faire de même. Merci.
Une voix. Très bien.
Le président. Je vous remercie. (Brouhaha.) Mesdames et Messieurs, il s'est à peine écoulé une heure depuis le début de la session. Je répète que vous devez absolument tenir vos réunions à l'extérieur de cette salle qui est très petite. Monsieur Pierre Conne, vous avez la parole.
M. Pierre Conne (PLR). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, le groupe PLR vous invite à rejeter ce projet de loi pour les raisons suivantes. Tout d'abord, il a été lancé en réaction à un incident, c'est-à-dire que la Cour des comptes avait pris l'initiative de conclure un bail à loyer. Or cette anomalie a été corrigée: le Bureau a demandé un avis de droit qui a conclu que seul l'Etat est compétent pour signer un bail, et la Cour des comptes s'y est instantanément conformée. Il s'agit d'un non-événement qui a été réglé sur le moment, et le Grand Conseil a parfaitement fonctionné en exerçant son devoir de haute surveillance sur cette autorité indépendante qu'est la Cour des comptes.
Un autre argument qui plaide en faveur du refus de cet objet, c'est que si on souhaite réellement remplir une fonction de haute surveillance, celle-ci ne doit pas se réduire à la seule révocation de magistrats, mais également viser un accompagnement. Je rappelle que cette mission ne s'exerce pas sur le contenu des audits de la Cour des comptes, laquelle est parfaitement indépendante et libre de décider comment elle procède, mais uniquement sur de potentielles anomalies de gestion d'ordre administratif et financier.
Enfin, cela a été indiqué plus tôt, le Bureau du Grand Conseil a suivi les recommandations de la commission d'enquête parlementaire et proposé le projet de loi 11286 dont l'examen est maintenant terminé: le rapport a été rendu, il figure à l'ordre du jour de notre parlement. Vous verrez à l'occasion de son traitement que ce texte définit de manière précise et complète la manière dont ce parlement doit exercer son devoir de haute surveillance sur la Cour des comptes. Forts de ce raisonnement, Mesdames et Messieurs, nous vous recommandons de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi. Merci.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Nous procédons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 11302 est rejeté en premier débat par 78 non contre 10 oui.