Séance du
jeudi 28 janvier 2021 à
17h
2e
législature -
3e
année -
8e
session -
47e
séance
PL 11947-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
Le président. Nous arrivons à notre ordre du jour ordinaire avec deux objets liés, classés en catégorie II, trente minutes. Avant de passer la parole au rapporteur, je vous demande de faire silence, parce que la salle est petite: je vous rappelle que dans les salles plus petites, le brouhaha est plus intense, comme c'était le cas dans les salles 3 et 4 du CICG. Je parle évidemment en l'air, puisque le brouhaha continue... (Commentaires.) Je donnerai le micro au seul rapporteur dans le silence ! (Un instant s'écoule.) Monsieur le rapporteur Christian Flury, vous avez la parole.
M. Christian Flury (MCG), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, «En finir avec le cumul des mandats»: tout un programme, porté par un député indépendant venu expliquer en commission qu'il n'était pas possible de cumuler plusieurs mandats politiques, au risque de trop embrasser et de mal étreindre; le même député qui, alors qu'il se trouvait à la tête d'un parti, était cumulativement président de ce parti, conseiller administratif, administrateur délégué, membre de commissions extraparlementaires CODOF - des délégations qu'il s'était octroyées à lui-même eu égard à leurs retombées économiques. Par la suite, il avait quitté son parti avec perte et fracas, en prenant toutefois le soin de conserver son ou ses postes d'administrateur.
Après avoir déposé ces deux textes, alors que plusieurs de ses camarades de parti étaient dans sa ligne de mire, c'est la bouche en coeur qu'il vint expliquer à la commission qu'il ne s'agissait pas de textes revanchards car, doté d'une extraordinaire capacité de travail, lui avait pu cumuler ses divers mandats; à ses yeux, telle n'était réellement pas la situation de ses successeurs. La brillance de son exposé avait d'ailleurs poussé un député, qui n'est plus en fonction actuellement, à porter le jugement suivant: «Chers collègues, en plus de vingt années de politique, c'est la pire audition à laquelle il m'a été donné d'assister.» Suite à cette présentation, la commission des droits politiques avait pris l'option de ne pas entrer en matière sur ces deux projets de lois, cette décision ne reposant pas tant sur le fond des problèmes soulevés que sur la forme employée par le député signataire.
Notre assemblée dispose maintenant dans son ordre du jour de plusieurs projets de lois traitant de l'incompatibilité entre divers mandats électifs, que ce soit le cumul de la fonction de conseiller administratif en Ville de Genève avec un mandat aux Chambres fédérales ou l'incompatibilité entre les fonctions de conseiller administratif et de député.
Ces autres projets de lois, qui reprennent globalement le corpus des PL 11947 et 11948, ont été soigneusement traités à la commission des droits politiques et certains figurent déjà à notre ordre du jour, notamment aux points 30 et 31 de cette session, soit les PL 12406-A et PL 12422-A.
La majorité de la commission des droits politiques vous recommande dès lors, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre sa décision et de refuser l'entrée en matière sur les PL 11947 et 11948.
M. Pierre Vanek (EAG). Nous allons suivre les conclusions du rapporteur de la commission. En effet, il a relevé l'incongruité du dépôt par Eric Stauffer de ces projets de lois proposant de sanctionner une pratique qu'il a mise en oeuvre lui-même avec beaucoup de persistance. Tout ça est évidemment un peu ridicule !
Sur le fond, l'incompatibilité des mandats, nous sommes pour ! Du côté d'Ensemble à Gauche, nous la pratiquons. Quand j'ai été élu au Conseil national, j'ai démissionné du Grand Conseil; quand j'ai été élu au Grand Conseil étant au Municipal, j'ai démissionné du Municipal ! Nous avons des règles, et on peut se poser la question de savoir si les règles que se donnent les partis sont suffisantes en la matière. Il faudrait probablement légiférer, mais la tentative d'Eric Stauffer en la matière a démontré qu'il n'était pas forcément jurisconsulte: il a proposé de balancer dans la constitution une incompatibilité totale de tout mandat électif en Suisse ou à l'étranger avec la fonction de député au Grand Conseil. Or, il y a évidemment des circonstances particulières, avec des fins de mandat d'un côté, lors de législatures de cinq ans. Par exemple, Rémy Pagani qui est assis à côté de moi s'est présenté au Grand Conseil sachant qu'il allait renoncer à son mandat au Conseil administratif et il n'aurait pas pu se présenter si cette incompatibilité avait été très stricte. L'incompatibilité s'étend aussi aux députés suppléants; si un député suppléant est élu alors qu'il est conseiller municipal dans une petite commune, eh bien, il ne pourrait pas continuer son mandat de conseiller municipal alors qu'il n'y a aucune incompatibilité objective.
Ces textes se revendiquent d'un principe tout à fait valable, un principe que son auteur n'a toutefois pas su ou pas voulu mettre en pratique pour lui-même. En plus, ils posent des problèmes d'exécution qui nous conduisent à les rejeter.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Monsieur le président, Mesdames les députées, Messieurs les députés... (L'orateur s'interrompt un instant.) Je pensais qu'un moment de silence méprisant pouvait être un bon préambule à ces deux projets de lois, l'un modifiant notre constitution, l'autre la loi portant règlement de notre Conseil. Ils ont été déposés, comme cela a été dit, par un de nos anciens collègues dont les excès verbaux, écrits, voire physiques, ont émaillé bien des séances de notre assemblée plénière, sans compter les nombreux incidents de procédure.
Je n'entends pas ici passer trop de temps à argumenter sur ces projets de lois, manifestement revanchards et aigris, rédigés par un député qui durant son activité parlementaire a été l'un des plus grands cumulards que nous ayons connus, s'adjugeant tant les commissions que les mandats parmi les plus lucratifs au sein des entités de droit public. Partant du principe que toute argumentation supplémentaire serait une perte de temps, le groupe démocrate-chrétien - qui a des règles assez strictes en la matière - vous recommande le rejet sans équivoque de ces deux textes, et si possible à l'unanimité.
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, vous venez d'entendre des réquisitoires qui sont corrects, mon Dieu ! Il n'en demeure pas moins qu'il faut savoir faire la différence entre le fond et la forme. Sur le fond, vous savez que ces affaires de cumul des mandats reviennent régulièrement sur la table en commission, et d'autres textes vont traiter de cette question.
Ce qui se passe avec ces objets, quand même déposés en 2016, c'est qu'ils sont revanchards, comme le dit le rapporteur, puisque M. Stauffer venait de quitter le MCG. Il n'en demeure pas moins que tout le libellé du rapport est peut-être aussi revanchard. Si vous le lisez, à une voix près, nous étions quand même prêts à ouvrir le débat et à accepter l'entrée en matière; non parce que c'était M. Stauffer qui le disait, mais parce que le cumul des mandats est un problème qui mérite d'être discuté un peu plus sur le fond.
Beaucoup de partis - dont le nôtre - ont déjà pris des décisions internes pour essayer de limiter au maximum le cumul des mandats. Dans un autre rapport, nous avions vu que c'était difficile avec les mandats de conseiller administratif dans les petites communes. Mesdames et Messieurs les députés, c'est la raison pour laquelle je n'aurai pas un élan du coeur pour soutenir les conclusions du rapport, qui sont pour moi aussi peu correctes que le projet de loi de cet auteur; mais le groupe UDC acceptera le refus de l'entrée en matière.
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, en partant, Eric Stauffer, auteur de ces textes, a eu un geste de mauvais perdant et a joué la politique de la terre brûlée en déposant un projet de loi visant à rendre impossible le cumul des mandats, notamment pour embêter ses ex-camarades du MCG. C'est assez particulier pour quelqu'un qui n'a eu de cesse de cumuler les mandats ! Il ne s'agit pas de se prononcer sur l'attitude d'Eric Stauffer ou de faire ici son procès: nous devons nous prononcer sur le fond et donc sur le projet de loi. Or, celui-ci est très simple; il vise en effet à mettre fin au cumul de mandats électifs en Suisse et à l'étranger pour les députés. Dans ce sens, le parti socialiste soutient pleinement ce projet de loi.
Pour quelles raisons ? Pour des raisons évidentes pour vous tous, Mesdames et Messieurs les députés ! Lorsque nous siégions à l'Hôtel de Ville, vous avez déjà vu des députés alterner entre les séances du Conseil municipal de la Ville de Genève et des séances de commission du Grand Conseil tout en signant dans les deux entités ! Est-ce que nous pouvons tolérer un tel cumul ? La réponse est non !
Nous avons aussi beaucoup de magistrates et magistrats communaux dans cette enceinte. Nous pouvons nous poser la question du rôle de ce parlement: est-ce que les députés représentent les communes ou est-ce qu'ils défendent plus largement les intérêts du peuple genevois ? Le principe du système proportionnel que nous connaissons n'est pas celui d'une représentation des communes, mais plutôt celui d'une représentation des partis politiques. Là encore, c'est une véritable problématique et nous devons nous positionner. Or, le parti socialiste est absolument droit dans ses bottes puisque ses statuts interdisent le cumul des mandats. Nous souhaitons que cela s'applique à l'entier des représentants politiques pour les raisons que j'ai évoquées juste avant.
Un autre aspect est un peu surprenant, quand je vois la majorité qui se dessine. Il n'y a pas eu de rapport de minorité et c'est étrange; il y avait pourtant une minorité assez importante en commission. Peut-être que personne n'a souhaité soutenir le projet de loi d'Eric Stauffer ? Pourtant, nous nous apercevons que la majorité qui soutient le refus de ce projet de loi est issue de partis dont les statuts autorisent le cumul de mandats. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) On peut comprendre leur attitude comme une défense du cumul des mandats par ces partis, mis à part Ensemble à Gauche; je vois Pierre Vanek qui se retourne - malheureusement, à part au Grand Conseil et au Conseil municipal de la Ville de Genève, Ensemble à Gauche n'a pas d'autres mandats, et c'est fort dommage.
Monsieur le président, je terminerai sur un aspect assez piquant: ce sont les mêmes partis qui ont voté l'interdiction du cumul des mandats de député et de membre de commissions officielles dans la LOIDP qui autorisent le cumul des mandats en Suisse ou à l'étranger.
Le président. Il vous faut terminer, Monsieur le député.
M. Romain de Sainte Marie. Le parti socialiste votera ce projet de loi.
Le président. Merci. Votre fin était un peu longue, quand même. La parole va maintenant à M. le député Pierre Eckert.
M. Pierre Eckert (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, je ne vais pas revenir sur une histoire ancienne et sur le moment où ce projet de loi a été déposé. J'aimerais bien qu'on ne s'étende pas trop sur cet objet parce que d'autres projets de lois ont été déposés, cela a été dit. Il y a notamment un texte du parti socialiste, le PL 12422, et j'aimerais plutôt qu'on se penche sur cet objet quand on arrivera au point 31 de l'ordre du jour.
Pour moi, le présent texte est trop restrictif et ne permet pas de souplesse. Il ne traite pas le cas des députés suppléants. Il ne traite pas la possibilité de terminer un mandat municipal comme c'est le cas au parti des Verts. Ce projet de loi est selon moi trop extrême et ne propose pas assez de nuances. Il ne convient pas de le soutenir; je viendrai avec des propositions quand nous traiterons le PL 12422. Pour l'instant, je recommande le refus de cet objet.
M. Pierre Conne (PLR). Monsieur le président, chers collègues, le groupe PLR refusera l'entrée en matière sur ces projets de lois. La commission des droits politiques n'a pas pu faire totalement abstraction de la personnalité du seul signataire de ce texte. Celui-ci demande de manière extrême d'appliquer une totale incompatibilité entre la fonction de député et toute autre fonction élective en Suisse et à l'étranger.
Séparons néanmoins le fond de la forme. Cela a été dit, la question s'est posée en commission; plusieurs groupes soutiennent l'idée - d'une façon évidemment plus articulée, en précisant la nature ou la typologie des fonctions entre lesquelles il faudrait éventuellement prévoir des incompatibilités. La commission des droits politiques s'est demandé s'il fallait voter l'entrée en matière et amender ce projet de loi totalitaire et extrémiste. Vous avez compris, puisque la majorité de la commission refuse l'entrée en matière, que la conclusion a été qu'il ne fallait pas entrer en matière et amender un projet de loi qui, d'une part à cause de la personnalité et de l'histoire de l'initiant et d'autre part parce que la question du tout ou rien est une question pour un étudiant de première année... Cette question a été résolue en disant que des ajustements pouvaient être apportés à des projets de lois qui posent des questions plus spécifiques: comme cela a été dit, nous traiterons au point 30 de notre ordre du jour de la question de l'incompatibilité d'une fonction de conseiller administratif avec un mandat aux Chambres fédérales, et au point 31 de l'incompatibilité des conseillers administratifs et municipaux.
Je reviendrai peut-être tout à l'heure sur la question mais, sur le fond, le groupe PLR est opposé au principe de légiférer sur les incompatibilités, considérant que les partis politiques doivent garder une marge de manoeuvre et que cela relève de la responsabilité des élus concernés. Fort de ces arguments, le groupe PLR vous invite à refuser l'entrée en matière sur ces projets de lois.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, la parole n'étant plus demandée, je vous fais voter l'entrée en matière sur le premier projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 11947 est rejeté en premier débat par 61 non contre 14 oui.
Le président. Je vous fais maintenant voter l'entrée en matière sur le second texte.
Mis aux voix, le projet de loi 11948 est rejeté en premier débat par 63 non contre 13 oui.