Séance du vendredi 2 octobre 2020 à 18h05
2e législature - 3e année - 5e session - 27e séance

M 2679
Proposition de motion de Mmes et MM. Françoise Nyffeler, Katia Leonelli, Delphine Bachmann, Badia Luthi, Jocelyne Haller, Salika Wenger, Jean Burgermeister, Christian Zaugg, Jean-Marc Guinchard contre les sanctions concernant les vêtements des élèves genevois-es
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 1er et 2 octobre 2020.

Débat

Le président. L'urgence que nous traitons maintenant est classée en catégorie II, trente minutes de temps de parole. Je donne la parole à Mme Françoise Nyffeler, auteure.

Mme Françoise Nyffeler (EAG), députée suppléante. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous abordons un sujet chaud, dont on parle beaucoup ces jours. Au XVIIIe siècle, les chevilles étaient couvertes et on ne pouvait les montrer; jusque dans les années 60, les pantalons étaient considérés comme obscènes pour les filles et interdits dans les écoles publiques genevoises ! Les t-shirts de la honte, les renvois à la maison et autres punitions, les commentaires sont pratiqués depuis longtemps au CO et dans les écoles; les sanctions varient d'ailleurs beaucoup d'un établissement à l'autre et ne sont pas du tout uniformes.

Quelque chose a changé, ces humiliations et ces mises au pilori d'adolescentes - et dans une moindre mesure d'adolescents - ne sont plus tolérées et sont dénoncées publiquement. Quelque chose a changé, Madame Emery-Torracinta ! Les accusations infamantes et sexistes qui présentent les corps - ou les parties de corps - d'adolescentes souvent très jeunes comme provocants ou indécents sont perçues aujourd'hui comme une validation de l'hypersexualisation du corps des femmes qui règne dans notre société patriarcale. Cela a trop souvent pour conséquence d'accuser les femmes et de leur faire porter la responsabilité du harcèlement et des violences voire des viols dont elles sont victimes. Non, les filles ne sont pas responsables de l'absence de concentration des élèves genevois ! Non, les femmes ne sont jamais responsables du viol qu'elles subissent ! Non, les vêtements des filles ne sont pas coupables: ce sont les regards lubriques et parfois prédateurs de leurs camarades voire de leurs enseignants qui le sont ! Non, leurs vêtements ne sont pas responsables des commentaires ouvertement sexuels qu'elles subissent encore trop souvent dans les établissements scolaires !

Ce sont les élèves et leurs enseignants qui déterminent la concentration des garçons comme des filles en cours. Les filles ne doivent pas apprendre à l'école que tout ce qui concerne leur corps et leur apparence est mis sous contrôle pour ne pas gêner et pour ne pas déchaîner des réactions de violences: ce sont ces idées qui font mûrir la culture du viol ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

L'école devrait non pas valider les regards sexistes sur l'apparence et les vêtements des filles et des femmes, mais au contraire s'efforcer de combattre ce sexisme en proposant des discussions et des réflexions. Quelque chose a changé, les femmes et les filles se sont mises à parler, à dire et à dénoncer; quelque chose a changé, les filles et les femmes parlent et ne sont plus seules; le silence qui recouvrait toutes ces pratiques infamantes et sexistes a cessé, celles-ci sont maintenant révélées !

Le président. Vous parlez sur le temps du groupe.

Mme Françoise Nyffeler. Ce que les victimes pensaient être des problèmes individuels est devenu des problèmes collectifs. Quelque chose a changé le 14 juin 2019 ! Quelque chose s'est passé pour les femmes et les filles de Genève et de la Suisse.

Au nom de celles qui parlent et qui dénoncent, nous vous demandons de voter cette motion qui demande de faire cesser les sanctions, les t-shirts de la honte et les renvois à la maison en raison d'une tenue vestimentaire considérée comme inadéquate, non correcte voire indécente par les établissements scolaires genevois ! (Applaudissements.)

Mme Natacha Buffet-Desfayes (PLR). Monsieur le président de séance, pour en revenir strictement au texte qui nous est proposé, nous avons récemment appris qu'un t-shirt portant l'inscription «J'ai une tenue adéquate» était utilisé à Genève pour couvrir les élèves dont la tenue serait jugée inadaptée au cadre scolaire. Une dizaine d'élèves filles auraient ainsi été contraintes depuis la reprise des cours à porter ce t-shirt. Il est évident qu'il est très mal perçu par les élèves et par une bonne partie de la population puisqu'il a très vite été surnommé le «t-shirt de la honte», comme nous l'avons entendu plusieurs fois.

Celui ou celle qui le porte devrait donc avoir honte de ne pas répondre aux attentes. Mais qui définit ces attentes ? Et, surtout, comment définit-on ces attentes ? C'est ce qui intéresse particulièrement le PLR. Réponse du DIP: c'est la loi sur l'instruction publique et les règlements internes des écoles qui en décident. A un sujet de société d'une extrême sensibilité et sur lequel il y a autant d'avis que d'individus, le DIP apporte donc une réponse molle et administrative, laissant penser qu'une inégalité de traitement existe bel et bien entre les filles et les garçons en matière vestimentaire. Là où le PLR et la population genevoise attendaient une réponse claire, ferme et surtout homogène qui garantisse l'égalité de traitement entre les sexes, ils reçoivent une réponse insatisfaisante et dangereuse. Dangereuse parce que, de nouveau, sans réponse stricte, forte et homogène à la question sociale de fond qu'est la tenue vestimentaire en milieu scolaire, il y a fort à parier que les tensions vont continuer à se multiplier et s'intensifier.

A la question sociale de fond, la gauche répond ce soir par la sempiternelle et bien-pensante maxime «il est interdit d'interdire», ne proposant rien de moins que de supprimer les sanctions. Aujourd'hui, c'est l'interdiction de la sanction liée à la tenue vestimentaire; demain, c'est la sanction tout court qui sera interdite par la gauche ! Le PLR rejettera donc avec force cette prétendue solution, nouveau rouage d'un mécanisme déjà bien huilé. Le PLR rejettera avec véhémence une méthode scélérate qui ne résout rien et envenime les tensions, tout cela dans le seul but de mener une politique d'opposition aux interdictions.

Le PLR attend donc du département de la fermeté, de la responsabilité et, surtout, un règlement commun et homogène, seul garant possible d'un ordre nécessaire à la garantie de l'égalité hommes-femmes. Si cela est trop demander, qu'il se tourne vers les deux solutions qui restent, soit la loi de la jungle, soit l'uniforme ! (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Madame la députée. J'aimerais recommander à certains députés - plutôt sur ma gauche - de recourir aux chuchotements et de respecter les interventions de nos collègues. Monsieur Stéphane Florey, c'est à vous.

M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Les propos de la première signataire sont hallucinants et ratent totalement leur cible par rapport à ce qu'elle voulait exprimer ! Ils seraient même à la limite sexiste, à l'inverse, pour les garçons. Parce que les propos que vous venez de tenir ne s'adressent pas qu'à la gent féminine, je suis désolé de vous le dire: ils s'appliquent aussi aux garçons ! Quand un garçon arrive complètement dépenaillé à l'école, avec un froc qui lui tombe à moitié sur les genoux, avec un caleçon qui tient on ne sait pas comment et qu'on lui voit la moitié du derrière, pour moi, je suis désolé, ça rentre exactement dans le même cadre et ça ne respecte pas la LIP ! C'est la première chose.

Par contre, cette motion révèle quelque chose d'assez inquiétant: on s'aperçoit que la LIP n'est pas respectée et que Mme Emery-Torracinta - du moins à ce que j'ai compris de ses déclarations dans les journaux - n'est pas au courant de ce qui se passe dans ses établissements. De plus, elle semble avoir complètement perdu la maîtrise de cette affaire quand on voit le nombre de manifestations qui ont lieu aujourd'hui. Il faut aussi dire que ce débat n'aurait jamais dû avoir lieu et que ce problème n'aurait jamais dû sortir de ce cycle d'orientation.

Je dirai encore là-dessus que le problème n'est pas là: on est complètement hors sujet avec ce type de propos. Si on remonte aux années 80, on ne se serait jamais posé la question de savoir qui est bien ou mal habillé et si les jeunes peuvent s'habiller ainsi. La question ne se serait même pas posée, parce que dans les années 80, il y avait quoi ? Il y avait encore le respect et la discipline ! (Exclamations.) Ces deux choses ont aujourd'hui totalement disparu de nos établissements scolaires et c'est pour ça qu'on en vient à perdre notre temps avec ce type d'objets !

Donc nous, l'UDC, nous demandons aujourd'hui de refuser cette proposition de motion et nous demandons également à Mme Emery-Torracinta de rétablir l'ordre et la discipline ainsi que le respect dans nos bâtiments scolaires ! Ça réglera une fois pour toutes cette question complètement débile !

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Présidence de M. François Lefort, président

M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, je suis jeune papa d'une fille de 18 mois qui s'est promenée tout l'été nombril à l'air...

Une voix. 18 mois ?

M. Sylvain Thévoz. 18 mois ! Et j'ai reçu le message aux parents de Pro Juventute dont un chapitre a attiré mon attention: «L'éducation, une tâche difficile mais passionnante». Je vais vous en lire un petit extrait. «En cas de conflit, vous devriez réfléchir également à votre attitude et à vos idéaux. Peut-être une remise en question est-elle nécessaire ? Une famille est une structure en constante évolution, il devrait en être de même des règles et des principes qui la gouvernent.»

Mesdames et Messieurs, le scandale du t-shirt de la honte doit nous inviter à une profonde remise en question; remise en question sur une mesure vexatoire, humiliante, celle de faire porter un t-shirt trop grand, stigmatisant, à des adolescents et des adolescentes qui viendraient à l'école pas exactement habillés de la façon attendue. La remise en question devrait aussi porter sur le fait que ce sont principalement les jeunes filles, les adolescentes, qui héritent de ce t-shirt de la honte. Certaines de ces adolescentes remettent en cause le regard, dénoncé comme sexiste, de certains enseignants, hommes comme femmes d'ailleurs. On leur demande de remonter les bretelles de leur soutien-gorge quand elles ne sont pas bien ajustées; on s'inquiète quand elles viennent à la gym sans soutien-gorge du fait qu'on puisse voir leur poitrine. C'est ce regard adulte sur les adolescentes qui doit nous inviter à une profonde remise en question, pas le fait qu'on voie ou non leur nombril ! Il faut une profonde remise en question aussi de la manière dont ces jeunes se regardent les uns les autres, de la manière dont les jeunes garçons regardent les jeunes filles et peut-être aussi de la manière dont les jeunes filles se regardent entre elles.

C'est cela qui doit nous occuper, c'est cela qui doit nous inquiéter, pas la longueur des jupes, pas le fait que les bretelles soient apparentes ou non ! On s'inquiète à Genève de l'audience quasiment mondiale ou en tout cas européenne de cette affaire, avec des journalistes qui la reprennent et une conseillère d'Etat neuchâteloise qui s'en préoccupe et dit qu'elle va mettre le sujet à l'ordre du jour d'une prochaine réunion intercantonale. L'événement n'est donc pas anodin et il ne peut pas être balayé en disant que ce sera soit la loi de la jungle soit l'uniforme pour toutes et tous. Le sujet demande une réponse éducative, pragmatique et qui évite de sexualiser encore et encore le corps des jeunes adolescentes, une réponse qui évite de faire la promotion par l'école de la culture du viol en désignant le nombril comme indécent à l'école mais en le laissant s'exposer à l'extérieur à un regard encore plus virulent sans aucun souci. Cela doit donc nous inviter, Mesdames et Messieurs les députés, à cette remise en question nécessaire, pour en finir avec les sanctions et réfléchir à des mesures éducatives de réflexion sur cet enjeu.

Le président. Merci, Monsieur le député, c'est terminé.

M. Sylvain Thévoz. Je termine ! Je vous remercie pour votre attention, le parti socialiste soutiendra cette motion. (Applaudissements.)

M. Christian Flury (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce même plénum a refusé hier un projet de loi instituant une tenue correcte pour les plénières du Grand Conseil. Vous voudriez maintenant que nous légiférions sur la tenue des enfants au cycle ? Pourquoi pas ! Une seule certitude, amis de la gauche, nous nous opposerons fermement à toute dérive visant à obliger les jeunes filles à porter des tenues du genre burka ou assimilées ! Mais nous soutiendrons le projet de Thierry Cerutti visant à uniformiser quelque peu la tenue des étudiants, à l'image de ce qui se passe dans le monde anglophone.

Cela étant précisé, si le règlement sur les tenues scolaires existe, il doit être porté à la connaissance des parents et des élèves et les sanctions prises pour non-respect doivent être maintenues. Nous rejetterons donc cette proposition de motion.

Une voix. Très bien !

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est maintenant à M. le député Thierry Cerutti pour deux minutes.

M. Thierry Cerutti. Merci, Monsieur le président. Je renonce pour laisser ces deux minutes à ma collègue Danièle Magnin.

Le président. Merci beaucoup. La parole est à Mme la députée Delphine Bachmann.

Mme Delphine Bachmann (PDC). Monsieur le président, il est clair que les sanctions pour des tenues considérées comme inadéquates ou indécentes ne sont pas une question qui touche uniquement les femmes ou les jeunes filles. Ce n'est pas une question exclusivement sexiste, même s'il est vrai que ce sont plutôt des jeunes filles qui ont récemment été concernées par ce t-shirt de la honte. Mais enfin, je vous rassure, il existe aussi des tenues parfaitement inadéquates chez les garçons et un pantalon de la honte pourrait aussi se trouver dans les placards de certaines écoles.

Il est évident qu'une réflexion doit être menée: au final, qu'est-ce qui est inadéquat ? Qu'est-ce qui est indécent ? Est-ce que nous avons dans ce parlement un avis unanime sur la question ? Certainement pas ! Surtout quand on a affaire à une population adolescente, je le rappelle, cherchant en permanence à tester les limites, à provoquer, parce que c'est une période de la vie où on cherche à affirmer son identité par le biais d'un style vestimentaire, comme avec un style musical ou un style de sorties ou de paroles.

Dans toute cette affaire, nous devrions essayer de faire preuve d'un peu de bon sens, car ce qui permet de résoudre ces situations, c'est d'abord le dialogue et le fait d'impliquer les parents. Combien d'élèves se changent entre le départ de la maison et l'arrivée à l'école ? En tant que parent, je n'apprécierais certainement pas que ma fille rentre en portant un t-shirt de la honte; j'apprécierais plutôt qu'un enseignant me lance un coup de fil pour me dire qu'il faudrait peut-être que je revoie les tenues qui sortent de la maison. Est-ce que l'uniforme est une solution ? Je n'en suis pas sûre: on peut lui enlever des boutons, on peut le raccourcir. De nouveau, nous sommes là avec une population qui va chercher, quelles que soient les règles qu'on lui impose, à les tester.

Le débat doit exister, c'est une évidence, et on voit qu'il émerge dans les établissements scolaires. Probablement, cela questionne aussi bon nombre d'enseignants. Le PDC trouve que la méthode du t-shirt de la honte n'est certainement pas la bonne. Je doute d'ailleurs que quiconque ici estime que ce soit une méthode constructive dans l'approche de la gestion des habillements de nos adolescents. Cependant, si on veut sortir de ce débat émotionnel et faire quelque chose de constructif, je propose que ce texte soit traité de manière conjointe avec les autres qui ont été déposés, à la commission de l'enseignement. Ce n'est pas que je souhaite particulièrement nier le problème, mais je crois que c'est une façon d'aller au-delà du simple message politique de condamnation du t-shirt et de la forme de la sanction. Si on veut avoir un vrai débat constructif, il doit avoir lieu en commission, en collaboration avec les milieux concernés. Je propose donc de renvoyer ce texte à la commission de l'enseignement. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Monsieur Emmanuel Deonna, le parti socialiste n'a plus de temps de parole. Je passe la parole à Mme Danièle Magnin pour deux minutes.

Mme Danièle Magnin (MCG). Merci, Monsieur le président. J'aimerais effectivement dire que la distinction entre ce qui est décent et ce qui est indécent est difficile à établir. C'est quelque chose d'extrêmement variable suivant les cultures. Je me rappelle avoir séjourné au Congo quand j'avais une douzaine d'années; les femmes africaines ne couvraient pas leur torse, avaient des jupes jusqu'aux chevilles et elles se moquaient de nous qui avions des jupes courtes et qui couvrions le haut de notre corps ! Oui, c'est difficile: où est la limite de ce qui est attentatoire à la pudeur ? Où est la limite aussi dans la concurrence et dans les dépenses que les parents doivent faire pour habiller leurs enfants ? Les moins jeunes ici se rappellent certainement les bagarres qu'il y avait à Genève entre les «Benett'» et les «anti-Benett'», «Benett'» signifiant «Benetton». Toujours en ce qui concerne ces effets-là, ce que je soutiendrai, si un projet de loi est finalement accepté en ce sens, c'est le fait que tout le monde porte l'uniforme jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire. Et nous ne soutiendrons en aucun cas le texte de la motion qui vient de vous être proposée.

Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. le député Vincent Subilia pour trente-huit secondes.

M. Vincent Subilia (PLR). Monsieur le président, on me dit qu'il me reste trente-huit secondes pour des propos conclusifs du PLR. (Commentaires.) Pas maintenant ! Le premier dira simplement que nul dans cet hémicycle ne nie l'importance sociétale que revêt le débat qui nous réunit ce soir. En revanche, ce que nous observons aussi, c'est que nous sommes aujourd'hui confrontés à des enjeux majeurs sur le plan sanitaire et économique, et même si la politique doit nous permettre de nous projeter, il nous apparaît que l'argent du contribuable pourrait être utilisé différemment qu'en poursuivant indéfiniment ces palabres ! Raison pour laquelle je vais m'arrêter ici.

La deuxième observation que je fais ici, c'est que si les propos à gauche de l'échiquier ont été tenus majoritairement par des mâles, ce sont des femmes de droite qui se sont exprimées ce soir. Je crois qu'il fallait le souligner aussi ! (Commentaires.)

Mme Katia Leonelli (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, «c'était il n'y a même pas trois semaines au CO de Pinchat, le deuxième jour de la rentrée. Il y avait les doyens et secrétaires qui attendaient devant les portes pour juger si nos tenues étaient adéquates, comme ils disent. Ils nous ont mis de côté, nous faisant donc manquer le début de notre première heure pour nous faire mettre le t-shirt de la honte. J'étais habillée d'un col roulé blanc et on voyait deux centimètres de mon ventre. Ils ont trouvé ça inadéquat car on voyait légèrement mon soutien-gorge blanc en dessous et aussi le peu de peau qu'on voyait au niveau de mon nombril.» Mesdames et Messieurs les députés, cette pratique est l'épitome du patriarcat et de la culture du viol. (Protestations.) Entre 12 et 14 ans, on apprend aux jeunes filles que le problème, c'est elles... (Commentaires. Le président agite la cloche.)

Le président. S'il vous plaît, laissez l'intervenante s'exprimer !

Mme Katia Leonelli. On apprend que, je cite, si elles portent des shorts aussi courts, c'est normal qu'on leur mette les mains aux fesses. Entre 12 et 14 ans, on condamne et on humilie la victime et on tolère les regards qu'on sait pertinemment être inconvenants. Entre 12 et 14 ans, on sexualise - déjà - le corps des jeunes filles et on leur fait comprendre qu'il ne doit pas être montré, sous peine de provoquer d'inévitables et incontrôlables réactions de la part des hommes de tous âges. Ça, Mesdames et Messieurs les députés, ça s'appelle la culture du viol. Cette culture est entretenue par ce type de pratiques institutionnelles qui fait le constat du danger du harcèlement et de ses dérives et qui y trouve une solution qui ne règle en rien le problème et a même tendance à l'aggraver. Je trouve parfaitement aberrant que les jeunes de notre canton soient forcés d'étudier dans des établissements dans lesquels il y a eu des cas avérés de harcèlement et qu'aucune sanction ne soit prise contre les coupables, mais qu'il en soit pris contre les potentielles victimes. Face à la problématique du harcèlement sexuel, il est honteux que la seule solution que trouvent les institutions soit d'imprimer des t-shirts. Il s'agit d'une problématique qui doit être véritablement empoignée par le Conseil d'Etat et par le DIP. Pour protéger les jeunes de notre canton, il faut enfin instaurer de vrais cours de sensibilisation et d'éducation sur le sexisme et le harcèlement sexuel, et surtout, il faut sanctionner les comportements déplacés et les cas avérés de harcèlement.

Pour l'heure, je vous invite à accepter cette proposition de motion minimaliste afin de mettre fin à la pratique barbare du t-shirt de la honte. Laissez les filles tranquilles et arrêtez de penser qu'on a envie de recevoir des conseils vestimentaires de la part de pingouins qui n'ont aucun style et aucun sens de la mode ! (Exclamations. Vifs applaudissements.)

Une voix. C'est méchant pour les pingouins !

Le président. Merci, Madame la députée. Vous avez visiblement eu du succès. Je passe la parole à Mme la députée Françoise Nyffeler pour deux minutes dix-huit.

Mme Françoise Nyffeler (EAG), députée suppléante. Merci, Monsieur le président. Je ne crois pas que la solution soit que l'école genevoise ait comme objectif de retourner à une école de répression, à une école où c'est l'ordre qui domine, comme disait M. Fleury. (Commentaires.) Nous sommes dans une école qui doit développer l'esprit critique ! (Commentaires. Huée.)

Le président. S'il vous plaît, laissez l'intervenante s'exprimer !

Mme Françoise Nyffeler. Nous sommes dans une école qui développe... (Brouhaha.)

Le président. Madame Nyffeler, s'il vous plaît, attendez un peu !

Mme Françoise Nyffeler. Est-ce que je peux avoir le silence pour parler ? (Commentaires.) Nous sommes dans une école qui a pour but de former, de faire réfléchir, d'instruire les élèves. Dans ce cadre, il est vraiment important qu'on supprime ces sanctions pour discuter, pour réfléchir sur ces questions-là, notamment sur celle de l'égalité, dans un cadre de respect mutuel et non dans un cadre de répression. Le but de l'école est celui-ci et la LIP le dit. Donc, arrêtons les sanctions dans l'immédiat et ouvrons la réflexion, le questionnement et l'information. C'est ça que l'école genevoise et la LIP proposent. Nous refusons le renvoi en commission et demandons le vote immédiat. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est maintenant à M. le député Christian Flury pour quarante-sept secondes. Je vous prie de laisser les intervenants s'exprimer dans le silence. Monsieur Flury, attendez le silence ! (Un instant s'écoule.) Monsieur Flury, vous avez la parole.

M. Christian Flury (MCG). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, je veux juste réagir au fait que l'école instruit les personnes et que les sanctions prononcées à l'école poursuivent un but éducatif, de manière que les apprenants puissent faire mieux après.

J'aimerais aussi expliquer à Mme Nyffeler que mon nom n'a pas de «e»: c'est «Flu» et pas «Fleu» ! Je vous remercie, Monsieur le président, j'en ai terminé. (Commentaires.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe maintenant la parole à Mme la conseillère d'Etat Anne Emery-Torracinta, j'espère que vous allez l'accueillir dans le silence également.

Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. L'intensité du débat de ce soir montre bien qu'on a affaire à un véritable sujet de société, qui passionne et qu'il faut traiter, mais peut-être avec une certaine sérénité ! Avant de revenir sur ce qu'est le cadre scolaire et la question de la tenue vestimentaire à l'école, permettez-moi de vous rappeler une ou deux choses concernant ce qui s'est passé au cycle d'orientation de Pinchat.

Le paradoxe de l'histoire de Pinchat, c'est que ce t-shirt de la honte avait été discuté, non seulement avec l'association de parents, mais aussi avec les élèves ! Ce sont même les élèves qui avaient proposé l'idée du slogan sur le t-shirt, en 2014 ! C'est vous dire si les moeurs évoluent, si la société change, et effectivement, on peut parfois s'interroger. Cela dit, j'aimerais aussi rappeler que dès qu'il a su ce qui s'était passé au cycle de Pinchat, le département a reconnu que le but de l'école est effectivement d'éduquer par la discussion et non pas de stigmatiser. Porter un t-shirt avec une inscription peut en effet être compris comme quelque chose de stigmatisant, voire d'humiliant pour l'élève qui va devoir le revêtir.

Au-delà de cette question, j'aimerais qu'on réfléchisse au cadre qu'il est nécessaire d'avoir dans une école. Aucune société humaine ne peut vivre sans règles et sans cadre; toutes les collectivités humaines mettent en place un certain nombre de cadres pour assurer le vivre-ensemble. Il est d'autant plus nécessaire que ce soit le cas à l'école, la députée Bachmann l'a très bien rappelé. Les enfants ont besoin d'un cadre pour grandir; tous les psychologues de l'éducation vous diront que les enfants ont besoin de cohérence et d'un cadre clair auquel ils puissent se confronter, auquel ils puissent parfois s'opposer, quitte à modifier ce cadre une fois adultes.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Mme Anne Emery-Torracinta. Malheureusement, en tant que cheffe du DIP, je vois ce que donnent parfois chez les enfants des situations familiales où le cadre n'est pas suffisant.

Le rôle de l'école, c'est aussi préparer les élèves à leur future vie dans la société: qu'on le veuille ou non, la société a émis des règles concernant les tenues vestimentaires. Chacun s'accordera à dire qu'on ne s'habille pas partout de la même manière: on ne s'habille pas de la même manière quand on va au travail, en vacances ou le week-end à la maison. Qu'auriez-vous dit si vous m'aviez vue arriver aujourd'hui en jeans et en baskets ? Vous auriez dit: c'est quand même un peu étonnant pour une conseillère d'Etat !

Une voix. Pas du tout !

Mme Anne Emery-Torracinta. A tort ou à raison, le jeans et les baskets, ce n'est peut-être pas l'uniforme des conseillers d'Etat !

Une voix. Non, non ! (Commentaires. Rires. Le président agite la cloche.)

Mme Anne Emery-Torracinta. Le respect, c'est aussi d'écouter !

Le président. Laissez la conseillère d'Etat s'exprimer, s'il vous plaît !

Une voix.  Ça aussi, c'est du respect !

Mme Anne Emery-Torracinta. Donc, l'école doit donner un cadre aux élèves et des règles en matière vestimentaire, même si, bien évidemment, celles-ci évoluent avec le temps. Elles doivent bien évidemment être discutées et expliquées aux élèves, explicitées et construites avec eux. Quand on va à l'école et qu'on est élève, on doit se mettre en position d'aller apprendre; on n'est pas avec ses potes et le prof n'est pas un copain ! On doit faire ce cheminement qui est de partir de la maison et de laisser son habillement usuel pour porter celui du cadre scolaire.

Une voix. Bravo !

Mme Anne Emery-Torracinta. L'école devrait éviter au maximum que le vêtement devienne un objet de conflit. Et j'ai lu avec intérêt dans la proposition de motion que les signataires s'intéressaient au training - un vêtement plutôt porté par les garçons - en parlant de stigmatisation de vêtements masculins rattachés à certaines cultures ou milieux sociaux qui renforcent les discriminations largement présentes dans la société. Savez-vous que, très souvent, les écoles recommandent de ne pas porter de training ? Pourquoi ? Parce que le training, chez les adolescents, a un sens bien particulier: c'est en général le signe qu'on appartient à une bande. (Exclamations.) Et l'école ne doit pas devenir le lieu où des bandes s'affrontent ! (Exclamations. Le président agite la cloche.)

Le président. S'il vous plaît, encore une fois, laissez la conseillère d'Etat s'exprimer !

Une voix. Un peu de respect ! (Commentaires.)

Mme Anne Emery-Torracinta. Les enseignants demandent que les règles soient claires. Vous avez peut-être entendu ce que le président de la société suisse des enseignants disait en matière de cadre et de réglementation concernant les vêtements et l'école: il faut un cadre ! Quel que soit ce cadre, il en faut un.

Vous avez beaucoup discuté de la question des femmes, de la question des filles. Moi, je partage avec les motionnaires l'opinion qu'une femme, dans sa vie, doit pouvoir s'habiller comme elle l'entend. Je partage aussi l'idée que ce n'est pas parce qu'une femme est peut-être légèrement dévêtue qu'on doit croire que tout est permis. (Commentaires.) Je pense aussi qu'on doit travailler dans la société, en général, aussi avec les élèves, sur la question du consentement. Ce sont des questions importantes, mais ça n'exclut pas qu'on ait des règles en matière vestimentaire aussi bien pour les garçons que pour les filles, et ces règles existent aujourd'hui ! (Le siège d'un député se casse. Brouhaha.)

Une voix. Il y a un problème ! Est-ce qu'il y a un médecin ?

Le président. Un instant !

Des voix. Sabotage ! Thévoz, t'es où ?

Le président. Madame la conseillère d'Etat, nous suspendons une minute votre intervention en raison d'un petit problème, visiblement... (Brouhaha.) S'il vous plaît, faites silence, un de vos collègues ne se sent pas bien !

Des voix. C'est une chaise cassée ! (Commentaires. Brouhaha.)

Le président. Monsieur Barbey, est-ce que vous nous confirmez que nous pouvons reprendre ? (Remarque.)

M. Yvan Zweifel. Le PLR a failli perdre un siège ! (Rires.)

Le président. Très bien. Madame la conseillère d'Etat, vous avez la parole !

Mme Anne Emery-Torracinta. Je disais que les règlements à l'école touchent aussi bien les garçons que les filles. Au fond, c'est la mode qui fait qu'à un moment donné, les filles sont plus touchées par tel ou tel règlement. Quand j'étais enseignante, il y a encore sept ans, j'entendais régulièrement demander aux garçons d'enlever leurs casquettes. Ceux-ci rétorquaient: «Mais, Madame, pourquoi c'est toujours nous, les garçons, qui sommes visés, et jamais les filles ?» Parce qu'à l'époque, effectivement, c'était plutôt la casquette qui était à la mode et qu'on faisait enlever dans les écoles.

En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, je vous redirai qu'il faut bien un cadre à l'école. Oui, la tenue vestimentaire à l'école n'est pas celle des vacances. Dans la vie professionnelle, la tenue n'est pas la même qu'à la maison. Mais ce cadre doit être discuté, il doit être expliqué et, bien évidemment, il doit être en phase avec l'époque. C'est pourquoi le département a décidé d'interpeller tous les établissements scolaires pour reprendre la discussion en leur sein, avec les directions générales, avec les enseignants, avec les associations de parents et aussi avec les élèves. Vous savez qu'on a - dans toutes les écoles ou à peu près - des conseils d'élèves et des instances participatives: ce sera le lieu où on pourra discuter de ces questions. C'est effectivement par la discussion et par le débat, en expliquant quel est le sens d'avoir une tenue un peu différente à l'école de celle qu'on peut avoir à la maison ou avec ses copains, qu'on pourra probablement arriver à quelque chose qui tiendra la route.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à sortir de l'émotionnel dans ce débat. Dans la mesure où plusieurs objets concernant ce thème ont déjà été déposés ou sont annoncés dans les prochains jours, la logique voudrait que ces textes soient travaillés sereinement en commission et que vous ayez aussi la possibilité d'entendre les acteurs. Parce que, dans ces affaires-là, on entend bien peu les enseignants qui, eux, nous réclament justement un cadre clair auquel les adolescents pourront se confronter. Je vous remercie de votre attention. (Vifs applaudissements.)

Des voix. Bravo !

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission de l'enseignement, que je mets aux voix.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2679 à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport est rejeté par 48 non contre 28 oui et 1 abstention.

Le président. La parole est demandée par M. le député Murat-Julian Alder.

M. Murat-Julian Alder. C'est une erreur, Monsieur le président !

Le président. Une erreur agréable. A cette heure-là ! N'y voyez aucun jugement de valeur ! Mesdames et Messieurs les députés, vous avez refusé le renvoi à la commission de l'enseignement, nous allons maintenant voter la prise en considération pour un renvoi au Conseil d'Etat.

Des voix. Vote nominal !

Le président. Etes-vous suivis ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, nous passons donc au vote nominal.

Mise aux voix, la proposition de motion 2679 est rejetée par 44 non contre 39 oui et 2 abstentions (vote nominal).

Vote nominal