Séance du vendredi 28 août 2020 à 10h10
2e législature - 3e année - 4e session - 20e séance

M 2526-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. David Martin, Frédérique Perler, Marjorie de Chastonay, Jean Rossiaud, Isabelle Pasquier, Delphine Klopfenstein Broggini, Alessandra Oriolo, Yvan Rochat, Pierre Eckert, Mathias Buschbeck, Yves de Matteis, Paloma Tschudi, Jean-Marc Guinchard, Bertrand Buchs, Vincent Maitre, Jocelyne Haller, Jacques Blondin, Delphine Bachmann, Anne Marie von Arx-Vernon, Pierre Bayenet, Adrienne Sordet, Jean-Luc Forni, Philippe Poget, Diego Esteban, Léna Strasser, Sylvain Thévoz, Helena Verissimo de Freitas, Jean Batou, Nicole Valiquer Grecuccio, Pablo Cruchon, Katia Leonelli, Olivier Baud, Grégoire Carasso : Faciliter l'insertion professionnelle et l'octroi d'un permis de séjour aux personnes déboutées de l'asile dont le renvoi n'est pas réalisable
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 27 et 28 août 2020.

Débat

Le président. Nous passons à l'étude de la M 2526-B et je cède la parole à M. David Martin.

M. David Martin (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette motion a été soutenue en septembre 2019 par une très large majorité, composée de la gauche, du PDC et du PLR. Notre politique migratoire refuse l'asile à des migrants qui n'ont en réalité aucune possibilité de retourner dans leur pays. Ces personnes déboutées sont ainsi mises dans une impasse totale. Elles sont maintenues des années à l'aide d'urgence, ce qui n'est bon ni pour ces personnes en situation de précarité ni pour les finances cantonales. Parmi elles, on trouve en particulier des jeunes qui cherchent à s'intégrer sur le marché du travail, or cette voie-là est absolument impossible pour eux. Pourtant, les entreprises qui font l'expérience d'embaucher des jeunes migrants motivés ne souhaitent pas les voir partir. On trouve également des adultes bien intégrés socialement, présents à Genève depuis des années, qui pourraient grâce à un permis de séjour travailler et subvenir par eux-mêmes à leurs besoins.

Les échos que nous recevons des milieux de l'asile nous montrent que cette motion a permis d'activer des démarches à travers la délégation à la migration du Conseil d'Etat. Elle a en outre donné la possibilité aux permanences juridiques de Caritas, d'elisa-asile et du CSP de présenter une quinzaine de dossiers à l'OCPM afin que puissent être régularisés des familles, des jeunes souvent arrivés mineurs en Suisse, des hommes seuls. Il semble cependant que les critères de l'OCPM dans ces dossiers soient souvent liés à une appréciation un peu discutable, dans la mesure où celui-ci dispose d'une marge de manoeuvre lors des discussions avec le Service des migrations de la Confédération pour la régularisation de ces cas.

Du chemin a donc été parcouru, les choses bougent, mais pas suffisamment à nos yeux. Nous souhaitons en effet que le gouvernement exploite davantage la marge de manoeuvre dont il dispose dans ses discussions avec la Confédération. Pour toutes ces raisons, nous demandons le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport. Je vous remercie.

Mme Léna Strasser (S). Le rapport du Conseil d'Etat montre en effet que la motion 2526 a eu quelques impacts, et nous nous en réjouissons. Aux yeux du parti socialiste, cette réponse manque pourtant de données un peu plus concrètes et chiffrées. Combien de personnes ont obtenu des dérogations pour poursuivre une formation ou un emploi ? Est-ce qu'un permis leur a été octroyé, ne serait-ce qu'une admission provisoire ? Le Conseil d'Etat peut-il nous dire combien de personnes se trouvent dans cette situation ? Les associations disposent de quelques chiffres, mais selon nous il serait intéressant de connaître la position du Conseil d'Etat. Et finalement, qu'en est-il des jeunes qui n'ont pas encore trouvé un apprentissage, qui ne sont pas encore en emploi ? C'est l'une des populations les plus fragiles et les plus enclines à opter pour des comportements à risque, lorsque l'espoir de pouvoir vivre quelque part s'évapore. Je pense notamment à une catégorie de personnes dont le traitement est plus délicat, comme l'indique le rapport, à savoir les requérants d'asile déboutés qui ne sont pas ou plus au bénéfice d'une admission provisoire, mais qui ne peuvent pas être renvoyés chez eux par la contrainte. Est-il possible d'arriver à des solutions pour ces personnes, par exemple un retour à une admission provisoire ? Cela leur permettrait de vivre ici avec quelques perspectives d'avenir: un retour au pays avec une formation, lorsque celui-ci sera possible, un avenir ici avec un emploi ou une formation et la possibilité d'envisager un changement de permis ou une intégration à long terme par la suite. Actuellement, ces personnes se trouvent dans un no man's land administratif, et nous le déplorons. A notre sens, ces questions restent en suspens. Nous souhaiterions obtenir des réponses, raison pour laquelle nous soutiendrons le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport.

M. Bertrand Buchs (PDC). Le parti démocrate-chrétien demandera lui aussi le renvoi au Conseil d'Etat, parce qu'il s'agit d'une problématique fondamentale et que nous voulons des réponses beaucoup plus claires. Il est essentiel de savoir ce que l'on fait avec ces personnes ! C'est aussi une question de sécurité pour le canton, car ces jeunes qui se retrouvent sans emploi, à la rue, ont des comportements à risque qui peuvent être graves pour la population. Il est donc clair qu'il faut les encadrer et les soutenir. Ils doivent pouvoir suivre une formation, car c'est un gain pour l'avenir. Il faut faire un maximum pour eux, et je pense qu'on n'attend pas seulement des chiffres du Conseil d'Etat, mais une véritable volonté d'intégration de ces jeunes. Je vous remercie.

M. Stéphane Florey (UDC). Bien que ce rapport soit insatisfaisant, on s'en contentera. Pour notre part, contrairement à certains ici, c'est plutôt en ce qui concerne les mesures qui devraient être mises en place pour aider les personnes frappées d'une décision de non-entrée en matière à rentrer chez elles qu'on regrette la mauvaise orientation de cette réponse. En effet, mis à part les quelques plaintes qu'on a entendues jusqu'à présent quant au fait qu'il faut aider ces gens... Mais on sait à peu près combien ils sont ! Un débat a eu lieu suite à un projet de loi déposé par l'UDC sur les personnes frappées d'une décision de non-entrée en matière, et selon les chiffres du département elles sont au nombre de 98, tous âges confondus, je le précise, parce que certains disent qu'il s'agit d'enfants, mais ce n'est absolument pas vrai ! Actuellement, il y a 98 personnes en tout - enfants, adultes et personnes âgées - frappées d'une telle décision et admises provisoirement pour divers motifs, le principal étant qu'on ne peut justement pas les renvoyer chez elles. Mais le revers de la médaille, c'est que comme ces personnes se trouvent chez nous et ne veulent pas retourner dans leur pays pour différentes raisons, eh bien elles jouent aussi avec ces statuts un peu hybrides, et finalement elles arrivent à se satisfaire de ces situations.

Non, la seule solution qui serait crédible à nos yeux consiste justement à accentuer, avec l'aide de la Confédération... En effet, n'en déplaise à certains, le droit fédéral est là et des accords doivent être trouvés avec la Confédération et les pays concernés pour que ces personnes puissent rentrer chez elles, tout simplement. C'est sur ce point qu'on peut regretter l'orientation du rapport du Conseil d'Etat, mais nous en prendrons quand même acte. Je vous remercie.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Ensemble à Gauche soutiendra le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport pour que l'on obtienne un complément d'information. Cela étant, je ne peux pas manquer de réagir aux propos de M. Florey - vous voudrez bien lui transmettre, Monsieur le président. Le titre de ce texte le dit clairement, il est question de personnes déboutées dont le renvoi n'est pas réalisable, et s'il ne l'est pas, c'est bien souvent parce que les régimes politiques des pays dont elles sont issues ne permettent pas de garantir leur sécurité. Ainsi, convenir avec ces Etats de conditions pour qu'elles puissent retourner chez elles est simplement un non-sens. Un certain nombre de personnes déboutées ont été renvoyées dans leur pays et on a vu ce qui s'est passé: elles étaient attendues à leur descente d'avion et ont fait l'objet d'arrestations et de tortures inimaginables, inacceptables, alors qu'en principe leur renvoi avait été dûment négocié et leur sécurité garantie. Nous estimons par conséquent que les propos de M. Florey fleurent une certaine xénophobie à l'égard de ces requérants d'asile, et nous ne pouvons pas y souscrire. Ces personnes sont ici et elles ne jouent avec aucun dispositif; ces conditions leur sont malheureusement imposées. Quant à leur statut, c'est celui dans lequel elles doivent se débattre pour pouvoir subvenir à leurs besoins dans notre pays et, croyez-moi, elles voudraient bien pouvoir s'intégrer le plus simplement possible, mais on ne leur offre pas les conditions pour le faire.

Pour tous ces motifs, non seulement nous soutiendrons le renvoi au Conseil d'Etat, mais nous vous demandons en outre de considérer la situation de ces personnes avec un peu plus de réalisme et d'humanité. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

M. François Baertschi (MCG). Le groupe MCG est tout à fait satisfait du rapport du Conseil d'Etat sur cette question, qui n'est clairement pas évidente à résoudre. Un effort est réalisé à l'égard de ces personnes, quoi qu'en disent certains dans cette enceinte, mais personnellement ce qui m'étonne, ce qui me choque beaucoup, c'est qu'on dépense une énergie folle pour les défendre, bien plus grande que pour défendre les résidents genevois... (Commentaires. Huées. Applaudissements.) ...c'est-à-dire les enfants de permis C, les enfants de personnes reçues régulièrement en qualité de réfugiées, mais aussi les enfants de citoyens suisses. Ces jeunes vont souffrir ces prochains mois en raison de la difficulté du marché de l'emploi, ils auront de la peine à trouver une formation professionnelle, beaucoup vont zoner dans la rue, et nous aurons un certain nombre de problèmes sociaux à régler. Ces questions-là doivent être prioritaires !

On ne peut pas demander à l'administration de passer un temps considérable sur cette problématique, d'autant plus qu'une partie des difficultés de ces personnes et de ces jeunes qu'on n'arrive pas à renvoyer provient également du fait que dans les années 90 Genève a accueilli comme requérants d'asile - de façon tout à fait abusive à mon sens - des islamistes algériens. Ainsi, l'Algérie nous en veut aujourd'hui et refuse de recevoir toutes ces personnes qui devraient être renvoyées chez elles. On a donc créé un problème suite à une sorte d'angélisme stupide, qui nous a conduits à défendre des gens qui à mes yeux ne méritaient pas d'être accueillis à l'époque, parce qu'il s'agissait quand même, je le rappelle, de terroristes. On a causé le désastre que l'on vit actuellement ! Nous ne réglons pas les problèmes; au contraire, nous en créons de nouveaux, alors arrêtons de perdre du temps ainsi et essayons déjà de résoudre les soucis à la fois des jeunes de parents étrangers et de parents suisses. Essayons également de régler la question de ces renvois de la façon la plus pragmatique qui soit, ou, quand ce n'est pas possible, parce qu'il y a aussi des cas réels vraiment extrêmes, du mieux que l'on peut, mais ne perdons pas de temps à faire de la politique politicienne sur ces sujets.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, je soumets à l'assemblée le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2526 est adopté par 44 oui contre 31 non. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2526 est donc refusé.