Séance du vendredi 26 juin 2020 à 14h
2e législature - 3e année - 3e session - 13e séance

P 2080-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition : Préservation des animaux et de la flore de Genève
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 11 et 12 mai 2020.
Rapport de M. Pierre Nicollier (PLR)

Débat

Le président. Nous passons maintenant aux pétitions avec la P 2080-A dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. La parole revient au rapporteur, M. Pierre Nicollier.

M. Pierre Nicollier (PLR), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous changeons un peu d'atmosphère en traitant la pétition 2080 qui s'intitule «Préservation des animaux et de la flore de Genève». Ce texte formule deux demandes principales: d'une part réaliser une analyse en vue d'une réduction du nombre de feux d'artifice sur le lac, d'autre part développer des alternatives de type feux silencieux ou spectacles de drones.

La raison évoquée est la préservation des animaux, tant de compagnie que sauvages. Les pétitionnaires soutiennent en effet qu'après les Fêtes de Genève, les pêcheurs ramassent dans leurs filets de nombreux poissons morts. Que cela soit dit d'emblée: le service du lac, de la renaturation des cours d'eau et de la pêche, qui fait partie de l'office cantonal de l'eau, n'a jamais reçu de signalements relatifs à une mortalité de poissons consécutive aux feux d'artifice de la part de pêcheurs. Sur ce point-là, la pétition manque quelque peu de substance.

L'association ASPO/BirdLife Suisse nous a en outre indiqué que des études existaient sur les conséquences liées aux feux d'artifice. L'étude la plus récente a été menée à Zurich où des comptages ont été effectués avant et après les feux du Nouvel An sur le lac: si une légère baisse du nombre d'oiseaux a été constatée trois jours après l'événement, dix jours plus tard, en revanche, la situation était revenue à la normale. A ce stade, à nouveau, la pétition semble manquer de matière.

Lors de nos travaux, nous avons appris que les onze feux d'artifice tirés sur la rade en moyenne chaque année - c'était la première demande de la pétition, obtenir une analyse et des statistiques - doivent déjà respecter un cahier des charges très strict. Voici les principaux éléments relevés: toutes les pièces tirées doivent être entièrement conçues avec des matériaux biodégradables pour éviter une dispersion des résidus de tir dans l'environnement, les lanceurs doivent être récupérés immédiatement, l'organisateur a l'obligation d'entreprendre des travaux subaquatiques si des déchets non biodégradables tombent accidentellement à l'eau, les engins pyrotechniques doivent répondre aux exigences fédérales en matière de produits chimiques et de bruit.

La commission a également cherché des alternatives à mettre en place. La Ville de Zurich a organisé un spectacle de 150 drones durant la Züri Fäscht de 2019; nous lui avons donc demandé des informations, et elle nous a expliqué que l'organisation et la réalisation de ces «feux» - je ne suis pas sûr qu'on puisse les appeler «feux», parlons plutôt de «spectacle» - avaient été extrêmement complexes, avec des exigences à la fois cantonales et de l'OFAC, des coûts très élevés et un risque pesant sur l'exécution, car il fallait que les conditions météorologiques...

Le président. Vous parlez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.

M. Pierre Nicollier. ...soient optimales. Je vous remercie ! La Ville de Zurich nous a dit que cela ne pouvait pas être considéré comme une alternative. Nous n'avons pas eu l'occasion d'évaluer l'impact écologique de l'utilisation de drones eu égard à l'énergie nécessaire à leur fabrication, à leur utilisation ou aux pertes dans la nature - plastique, piles, électronique - mais cette option ne nous semble pas viable.

Le nombre annuel de tirs est restreint et les exigences tant cantonales que fédérales concernant la pollution forment un cadre clair. La réflexion de fond sur la problématique est intéressante, mais plutôt en considérant l'impact sur la qualité de l'air, ce qui est hors du champ de cette pétition. Aussi, si l'on parle essentiellement du bruit, nous pouvons conclure que cette pétition fait référence à un problème qui n'est pas avéré et propose des solutions de remplacement qui ne tiennent pas la route. La majorité de la commission vous recommande donc de la déposer sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.

M. Christian Zaugg (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition établit à juste titre une relation entre les feux d'artifice et leur impact sur la faune aviaire, et je vais vous dire pourquoi. Au-delà du plaisir visuel d'un spectacle qui célèbre les Fêtes de Genève ou le 1er août - pour des montants s'échelonnant quand même de 100 000 francs à 1 million ! - il faut constater que les engins pyrotechniques ont un impact déterminant sur l'environnement, en particulier sur la faune aviaire.

En effet, ils envoient dans l'atmosphère non seulement du phosphore qui participe à l'eutrophisation des lacs, mais également des tonnes de CO2 et de poussières fines métalliques entrant dans la fabrication des couleurs, les PM10, qui se précipitent dans les sols et l'eau du lac, ainsi que du charbon, du nitrate de potassium... Par-dessus le marché, ils produisent des nuisances sonores qui affectent les poissons, les insectes et la faune aviaire. Au cours d'un feu d'artifice en Amérique, on a constaté le décès de cinq mille passereaux ! Chaque fois que des feux sont organisés, des oiseaux sont tués par les éclats des bombes ou étouffés par les fumées, et j'en suis le témoin, car j'en ai vu.

Je rappelle que la rade constitue l'un des sites aviaires les plus importants d'Europe et que l'on y dénombre pas moins de 333 espèces d'oiseaux. Les oiseaux nicheurs abandonnent régulièrement leur nid pendant les feux, effrayés par le bruit et les lumières qui zèbrent le ciel. Je vais en citer quelques-uns afin de vous faire connaître les espèces qui sont régulièrement concernées par ce problème: les grèbes huppés, les colverts, les bécasseaux, les harles, les foulques, les mouettes, les cygnes, les goélands, les phalaropes, les martins-pêcheurs, les moineaux; autant d'oiseaux qui disparaissent, abandonnent leur nid, sont blessés ou meurent pendant les spectacles pyrotechniques.

Alors, chers collègues, si vous avez à coeur de protéger l'air, l'eau, les sols et la faune de notre canton, renoncez à l'organisation de feux d'artifice à Genève et renvoyez cette pétition au Conseil d'Etat afin qu'il mette un terme à une pratique qui, au même titre que la corrida, est totalement dépassée ! Et je demande l'appel nominal ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Etes-vous soutenu pour le vote nominal ?

M. Romain de Sainte Marie. L'appel nominal !

Le président. Je traduis, Monsieur de Sainte Marie, je traduis ! (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, c'est bon. La parole va maintenant à Mme la députée Dilara Bayrak.

Mme Dilara Bayrak (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, contrairement à d'autres groupes, les Verts estiment que cette pétition soulève une question intéressante et qu'elle a le mérite de ne pas seulement pointer du doigt un phénomène, mais aussi de proposer des alternatives aux feux d'artifice actuels. Si certains et certaines jugent l'exposé des motifs quelque peu exagéré, les invites, quant à elles, sont pour le moins modérées, et in fine, c'est bien sur celles-ci que nous devons nous prononcer.

Il convient de rappeler qu'au niveau suisse, les feux d'artifice représentent 2% des particules polluantes, émises uniquement pour notre plaisir. Cela constitue également des sources de stress importantes pour les oiseaux du lac, surtout en période de nidification - autrement dit durant l'été - et probablement aussi pour tous les autres groupes faunistiques qui n'ont pas été étudiés, allant des amphibiens aux insectes en passant par les chiroptères. Là encore, sachant que les feux d'artifice sont réalisés pour notre seul plaisir, notre responsabilité vis-à-vis de la biodiversité devrait primer.

J'entends déjà certaines personnes s'exclamer: «Ah, encore les Verts qui veulent nous priver de tout, les Verts et leur politique d'austérité, mais ils et elles ne râlent pas quand ils vont voir les feux d'artifice !» Eh bien permettez-moi de profiter de la fenêtre qui m'est offerte pour répondre à ces personnes, mais surtout pour interpeller l'ensemble du parlement: certes, il est évident que nous ne nous sauverons pas des conséquences liées au changement climatique en interdisant trois pauvres feux d'artifice, mais l'austérité ou la privation seront bien plus fortes et dures si nous n'entreprenons pas de réels changements de paradigme maintenant. Pour ceux et celles qui disent, par exemple dans le cadre de ce débat, que les drones au lithium ne sont pas plus écologiques: c'est vrai, mais votre bonne action écologique, en disant cela, n'est pas réalisée.

Je vous attends et je défie tout ce Grand Conseil, mon groupe y compris, de répondre à la problématique du climat. Votez des textes qui permettent réellement de lutter contre le changement climatique, instaurez une souveraineté alimentaire et renforcez notre agriculture de proximité ! Arrêtons de surconsommer, désinvestissons des énergies fossiles, arrêtons de dérouler le tapis rouge à des multinationales irresponsables, investissons massivement dans la rénovation énergétique, dans les transports publics, dans la protection de notre biodiversité ! Bref, remettons-nous un peu en question ! Si nous ne sommes pas prêts et prêtes à revoir notre système, si pour cette toute petite proposition, notre parlement refuse d'entrer en matière, alors quel sera le monde de demain ? Nous voterons contre le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Stéphane Florey (UDC). Cette pétition ne demande pas grand-chose. En effet, elle n'interdit pas les feux d'artifice, elle cherche simplement des alternatives à ces spectacles tels qu'on les connaît aujourd'hui. Mais surtout, elle dénonce quand même, il faut l'admettre ici, un certain nombre de problèmes. C'est évident pour tout le monde, même pour le moins écolo que je suis dans cette assemblée... (L'orateur rit.) Non, mais il faut le dire ! Les feux d'artifice polluent, c'est une évidence, ça n'a jamais été nié. (Applaudissements.) A l'UDC, on ne veut pas interdire toute manifestation avec des feux, on soutient le fait, et on a insisté là-dessus en commission, qu'un certain nombre d'alternatives sont possibles et qu'il serait bon de les étudier.

Maintenant, parlons de l'incidence sur la faune. Suite aux courriers envoyés par la commission, que j'avais moi-même sollicités, l'association BirdLife, qui a mené l'étude la plus parlante à ce sujet - il n'y a pas vraiment d'étude plus approfondie à l'échelle nationale - a relevé plusieurs éléments essentiels. D'abord, les feux ont bel et bien un impact sur les animaux, même s'il n'est pas directement visible. Bon, contrairement à ce que dit M. Zaugg, ce n'est pas non plus l'hécatombe chez les poissons... Oui, il y a quelques spécimens morts, mais leur nombre n'est pas énorme. Par contre, en ce qui concerne les oiseaux, deux problèmes majeurs se posent: lors de la mue - ce n'est pas extrêmement grave non plus, ils perdront simplement un peu plus de plumes d'un seul coup - mais surtout au niveau des nichées. Voilà le réel problème des feux d'artifice, ils ont des conséquences bien plus graves sur les nichées.

Partant du principe que cette pétition ne constitue pas une révolution, qu'elle ne demande pas grand-chose, je vous invite à la soutenir et à la renvoyer au Conseil d'Etat pour qu'il puisse proposer des alternatives aux feux tels qu'on les connaît et que l'on continuera sans doute à les connaître par la suite. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Sylvain Thévoz (S). Le parti socialiste ne soutiendra pas cette pétition. Après un examen attentif en commission, nous estimons que les considérants sont excessifs. Les experts nous ont indiqué qu'il n'y avait pas de mort massive de poissons, d'extinction d'oiseaux ou d'avortement de nichées aviaires en lien avec les spectacles pyrotechniques. Quant aux invites, elles ne vont tout simplement pas assez loin; si véritablement les feux d'artifice constituent une menace contre laquelle il faut lutter, alors il s'agit tout bonnement de les interdire et non pas de se contenter d'inviter le Conseil d'Etat à évaluer leur nombre.

Les experts auditionnés ont mis en avant une certaine innocuité des feux d'artifice sur l'environnement. Pour le parti socialiste, il nous semble qu'incriminer ces spectacles revient à faire diversion face à d'autres sources de nuisances bien plus importantes en ville de Genève et dans notre canton; nous pensons bien entendu au trafic motorisé, à l'aviation, à diverses activités humaines telles que concerts, manifestations sonores ou matchs de football qui sont bien plus nocives. Pointer du doigt les feux, c'est mettre un cache-sexe à diverses sources de pollution, et nous ne voulons pas entrer là-dedans.

De plus, il y a des traditions du feu d'artifice en Suisse et à Genève - nous pensons par exemple au 1er août - qui sont importantes pour la population, qui constituent des moments festifs pour toutes les générations, qui sont des événements gratuits, rassembleurs et qui permettent aux gens de faire la fête sans nuisances sur le plan écologique. Pour ces raisons et après avoir étudié attentivement cette pétition, Mesdames et Messieurs, le parti socialiste vous recommande son dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Merci.

Mme Patricia Bidaux (PDC). Après avoir reçu la pétition 2080 qui fait part au Grand Conseil de la crainte des pétitionnaires quant aux conséquences des feux d'artifice sur la faune et la flore genevoises, la commission des pétitions a auditionné des spécialistes. Les experts de la faune, pour autant qu'on daigne les écouter, ne relèvent pas de lien de causalité entre feux d'artifice et mortalité des animaux. En termes de concentration, le retour à la normale après les spectacles se fait rapidement. Quant à la deuxième partie du titre qui concerne la préservation de la flore, rien n'a été rapporté, parce qu'il n'y a aucune incidence.

Je rappelle que les feux d'artifice sont soumis à autorisation des communes, de Skyguide, des services du feu et de la police de la navigation lorsque cela concerne la rade. Les alternatives envisagées, par exemple un spectacle son et lumière de nuit grâce à l'utilisation de drones, semblent de prime abord fort intéressantes, mais il convient d'aller un peu plus loin: quels matériaux sont utilisés et qui les construit ? Rien n'est simple, et au vu de ce qui précède, le PDC votera le dépôt de ce texte sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame la députée. Mesdames et Messieurs, je vous prie de vous exprimer sur le renvoi de cet objet au Conseil d'Etat.

Mis aux voix, le renvoi de la pétition 2080 au Conseil d'Etat est rejeté par 42 non contre 29 oui et 2 abstentions.  (Commentaires durant la procédure de vote.)

Le président. Excusez-moi, j'ai fait une erreur quant à la procédure de vote: j'aurais dû vous faire voter d'abord les conclusions de la commission des pétitions, à savoir le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Si celui-ci est refusé, alors nous nous prononcerons sur la demande de renvoi au Conseil d'Etat.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 2080 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 44 oui contre 27 non et 1 abstention (vote nominal).

Vote nominal