Séance du vendredi 13 mars 2020 à 18h
2e législature - 2e année - 11e session - 61e séance

La séance est ouverte à 18h, sous la présidence de M. Jean-Marie Voumard, président.

Assistent à la séance: MM. Mauro Poggia et Thierry Apothéloz, conseillers d'Etat.

Exhortation

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

Personnes excusées

Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat, Serge Dal Busco, Pierre Maudet, Anne Emery-Torracinta et Nathalie Fontanet, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Anne Marie von Arx-Vernon, Alexis Barbey, Antoine Barde, Jean Batou, Jacques Béné, Beatriz de Candolle, Pablo Cruchon, Edouard Cuendet, Emmanuel Deonna, Amanda Gavilanes, Adrien Genecand, Danièle Magnin, Alessandra Oriolo, Jean-Charles Rielle, Jean Rossiaud, Patrick Saudan, Vincent Subilia, Alberto Velasco et Salika Wenger, députés.

Députés suppléants présents: Mmes et MM. Dilara Bayrak, Natacha Buffet-Desfayes, Boris Calame, Sébastien Desfayes, Joëlle Fiss, Badia Luthi, Patrick Malek-Asghar, Françoise Nyffeler et Francisco Valentin.

Annonces et dépôts

Néant.

Déclaration du Conseil d'Etat relative au COVID-19

Le président. Je cède la parole à M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, dans la mesure où l'épidémie à laquelle nous devons faire face a une prédominance sanitaire évidente, j'ai été invité par le Conseil d'Etat à vous donner quelques informations auxquelles vous avez légitimement droit sur ce qui a été fait, sur ce que nous sommes en train de faire et sur nos craintes pour l'avenir.

Mesdames et Messieurs les députés, Genève - mais pas seulement Genève: la Suisse et une grande partie de l'Europe également - traverse un défi sanitaire majeur. Les faits sont évidemment graves et le temps n'est plus au discours empreint de bonhomie ou lénifiant, qui n'a du reste jamais été celui du Conseil d'Etat de Genève. Aujourd'hui, la gravité de la situation doit être clairement énoncée. Le nombre de cas est en augmentation. Fort heureusement, nos institutions sanitaires font face - et je salue ici l'excellente collaboration avec le secteur privé et les médecins de ville. Rien qu'aujourd'hui, cinquante cas supplémentaires ont été diagnostiqués. Nous avons vingt personnes aux Hôpitaux universitaires de Genève, dont six aux soins intensifs. C'est peu, mais c'est déjà beaucoup. Une personne décédée a été diagnostiquée positive. Rien ne démontre qu'elle soit décédée du covid-19, néanmoins elle avait de graves problèmes respiratoires. C'était une personne jeune, de 32 ans.

Il est grand temps que la population genevoise, même si je pense que le chemin a été largement fait, prenne conscience de la gravité de cette situation. Nous avons martelé - pas seulement à Genève - les règles élémentaires d'hygiène que nous devons toutes et tous absolument respecter. Nous avons rappelé aussi - et la disposition de cette salle en est la concrétisation - la distance sociale qu'il convient de garder entre nous et qui est fixée à environ 1 mètre 50. Nous avons aussi martelé la nécessité de protéger les personnes les plus vulnérables, qui sont nos aînés - et c'est déjà très tôt, puisque à 65 ans, on est considéré comme étant une personne à risque accru - et évidemment toutes les personnes souffrant d'affections annexes qui ne pourraient être qu'aggravées par une baisse du système immunitaire. Nous devons protéger les personnes les plus vulnérables.

C'est sur cette base que des décisions ont été prises par le Conseil d'Etat de Genève il y a quelques jours déjà, qui aujourd'hui sont prises par le Conseil fédéral et sur lesquelles je vais vous donner quelques explications. Je vais ensuite, si vous le permettez, vous expliquer comment Genève s'est préparée et comment elle se prépare encore à affronter ce défi.

Le dispositif ORCA vient d'être déclenché, il va monter en puissance ces prochains jours. Aujourd'hui, ce sont bien sûr essentiellement les structures sanitaires qui seront mises à contribution, mais nous avons la protection civile qui est déjà engagée en renfort et à l'avenir, cela va de soi, nous aurons certainement besoin des autres services feux bleus du canton de Genève pour pouvoir répondre à cette pandémie - c'est en effet ainsi que l'Organisation mondiale de la santé qualifie désormais l'épidémie de covid-19.

Le Conseil fédéral a décidé que les écoles, crèches et hautes écoles seraient fermées à partir de lundi prochain. Il ne s'agit pas d'un choix: c'est une obligation. Genève doit se plier à cette décision. Face à cette situation, on imagine bien entendu les préoccupations des parents qui doivent trouver des solutions de remplacement. Néanmoins, pour les écoles primaires, le Conseil fédéral laisse la possibilité aux cantons de mettre sur pied des systèmes de prise en charge relais pour celles et ceux qui n'auraient pas la possibilité d'obtenir dans leur cercle proche une aide à cet égard, et j'insiste une fois encore sur le fait que cette aide ne saurait être celle de grands-parents qui, précisément, sont les personnes vulnérables que l'on souhaite protéger. A partir de la dernière année du cycle d'orientation, qui est une année cruciale - on le sait bien, on est à quelques mois de la fin de l'année scolaire - il s'agit de permettre aux élèves genevois d'être orientés pour la suite de leur cursus scolaire. Afin qu'ils puissent accomplir leur scolarité, ils seront particulièrement pris en charge - en tout cas pour le mois concerné par ces décisions - de manière optimale, pour leur permettre de continuer leurs cours à distance avec les devoirs qui leur seront donnés. Pour les classes inférieures, et même si ce n'est pas une fermeture d'école pour partir en vacances, on comprend bien qu'il est plus difficile de prendre en charge à distance les élèves plus jeunes. Bien sûr, pour le postobligatoire secondaire et au-delà, les cours à distance seront mis en place, s'ils ne le sont pas déjà: vous l'avez lu dans la presse, les hautes écoles ont déjà instauré ce mode d'enseignement à distance. Ces mesures sont prévues initialement jusqu'à Pâques, c'est-à-dire jusqu'au début des vacances de Pâques, soit le 8 avril pour Genève. Nous verrons comment évolue la situation d'ici là.

En ce qui concerne la prise en charge des enfants qui ne pourraient pas être gardés par l'entourage proche de leurs parents, il s'agira à partir de lundi, avec les différentes écoles, d'examiner de quelle manière ils pourront l'être. Le canton et le DIP en particulier - dont je remercie tout spécialement les collaborateurs qui ont mis en place ce dispositif - seront à disposition de l'ensemble des parents pour répondre à ce besoin. On se doute que tout n'ira pas aisément et qu'il y aura des jours difficiles bien sûr pour les fonctionnaires chargés de cette politique publique, mais aussi pour les parents qui devront trouver des solutions.

S'agissant des manifestations, nous avions décidé mercredi que toute manifestation au-dessus de cent personnes devait faire l'objet de contrôles particuliers. Nous avions fixé la limite à cent pour que les manifestations en dessous de cent participants soient plus aisées. Le Conseil fédéral rejoint ce chiffre - là, Genève a été précurseur - puisqu'il descend la limite de mille, qu'il avait fixée, à cent. Vous voyez la grandeur du pas qui a été fait et qui est à la hauteur, cela va sans dire, de la gravité de la situation, puisque les manifestations dès cent personnes sont désormais interdites. Seules les manifestations avec un rôle d'intérêt général prépondérant pourront être autorisées. J'imagine que la tenue de séances politiques pourra être permise; qu'il s'agisse de séances de partis ou de réunions législatives, des autorisations pourront être demandées. Ces règles s'appliquent pour toute la Suisse, bien évidemment. Pire encore, pour ce qui est des restaurants, bars, discothèques, la limite est fixée à cinquante. On imagine le coup dur que cela représentera pour notre économie. Ces mesures sont fixées avec un temps de mise en application jusqu'au 30 avril prochain: il s'agit d'une durée conséquente et cela aura de toute évidence des effets sur les secteurs économiques concernés qui seront à la hauteur de cette durée.

En ce qui concerne les Hôpitaux universitaires de Genève, j'en ai parlé tout à l'heure, nos établissements sont évidemment au centre du dispositif. Nous allons organiser dès la semaine prochaine un service de dépistage de la maladie à domicile avec l'IMAD et avec les médecins de ville. Nous avons mis en place une collaboration avec les cliniques privées pour pouvoir bénéficier des soins intensifs qui se trouvent, comme vous le savez, à l'hôpital de La Tour, voire disposer aussi, dans la clinique des Grangettes, de locaux destinés aux soins intensifs. Nous allons naturellement augmenter de manière importante les disponibilités aux soins intensifs. Il n'en demeure pas moins que ce chiffre ne peut pas être étiré indéfiniment. C'est précisément la raison pour laquelle ces mesures sont extrêmement dures: le but est d'éviter des pics de cette maladie qui amèneraient un nombre important de malades vulnérables ayant besoin de soins intensifs, notamment d'assistance respiratoire. Nous voulons pouvoir prendre en charge l'ensemble des patients au fur et à mesure que les besoins s'en feront ressentir. Il sera bien entendu nécessaire de répondre à ces besoins. Il ne faut pas se voiler la face: des personnes seront gravement malades. Des personnes vont aussi décéder.

S'agissant du personnel soignant qui est naturellement au centre de tout ce dispositif, la préoccupation qui était la nôtre était liée à la fermeture des écoles: plus de cinq mille soignants aux HUG ont des enfants, et ces enfants devront peut-être rester à la maison. Certains sont grands et pourront rester seuls; d'autres pourront bénéficier d'une prise en charge. Je peux vous dire que, des deux côtés de la frontière, on s'organise. Nous le savons depuis hier soir, puisque M. le président Macron avait fait cette déclaration pour le territoire français. Des dispositions ont donc immédiatement été prises pour s'organiser, même si nous avions anticipé cela depuis plus d'une semaine. Mais depuis aujourd'hui, le Conseil fédéral s'aligne. Le canton de Vaud a fait de même. Je dois dire d'ailleurs que si le Conseil fédéral n'avait pas fermé les écoles, il aurait été politiquement intenable pour Genève, entre la France et le canton de Vaud, de rester avec des écoles ouvertes. C'est un sujet éminemment émotionnel, même si du point de vue épidémiologique, il n'y a aucune évidence suggérant que les enfants soient plus en sécurité chez eux que dans les écoles. Je le dis parce que je le pense; je le dis parce que l'ensemble des spécialistes qui entourent le Conseil d'Etat de leur appui le pensent également. Néanmoins, comme je l'ai dit, il s'agit d'une décision que nous allons appliquer le mieux possible. Il est évident que ce personnel soignant des HUG, mais aussi de l'IMAD et des EMS, doit pouvoir être soutenu, et c'est là que les dispositions sont mises en place par les différents employeurs, ainsi que par les communes françaises - que je salue - qui organisent des prises en charge. Pour vous rassurer, parce que c'est une idée qui court dans la république: que se passerait-il si la France - parce qu'évidemment, la crise est des deux côtés de la frontière - fermait les frontières ou réquisitionnait le personnel soignant ? Que se passerait-il si le personnel soignant dont Genève a besoin ne pouvait plus venir sur le territoire genevois ? Je vous rassure, pour l'instant, nous avons toujours un accord de 2011 entre la République française et le Conseil fédéral qui est en vigueur, dont l'article 3 est parfaitement clair, je cite: «En cas de pandémie grippale, les deux Parties coordonnent leur politique sanitaire aux frontières. Elles veillent à ce que ces politiques ne diffèrent pas de celles qu'elles suivent en temps normal, en particulier en ce qui concerne les mouvements transfrontaliers du personnel de santé. [...]» Il y a donc une prise de conscience véritable de la région, sachant que les HUG ne sont pas recroquevillés sur eux-mêmes. Ces hôpitaux sont ouverts à la région et n'ont jamais renoncé, s'il le fallait, à prendre en charge des patients qui se présenteraient en provenance de l'autre côté de la frontière. Tout cela pour vous dire que cette préoccupation est un défi majeur auquel nous allons devoir faire face, à savoir le manque possible de personnel soignant, si des réponses adéquates ne sont pas données à ces hommes et femmes qui ont des enfants dont ils devront s'occuper puisqu'ils ne pourront pas être pris en charge, le cas échéant, par des structures scolaires.

Le canton de Genève se veut à cet égard un canton qui donne l'exemple. Bien sûr, je sais que nous pourrons compter sur l'ensemble des employeurs genevois pour qu'ils se montrent compréhensifs, si une problématique liée à la prise en charge des enfants doit véritablement survenir. Le canton a décidé que si les enfants ne sont pas malades, les collaborateurs et les collaboratrices sont tenus en principe de chercher une solution de garde. S'ils n'ont pas de solution de garde, nous ferons en sorte qu'ils puissent travailler depuis leur domicile. En ce qui concerne les conséquences de cette absence, bien sûr, des plans de continuité des activités de l'Etat sont mis en place aussi bien pour le petit que pour le grand Etat. Les jours d'absence seront comptabilisés en déduction des dix jours qui sont les jours accordés exceptionnellement, selon les dispositions qui s'appliquent au personnel de l'Etat. Au-delà de dix jours, ce sont le solde d'heures positives et, pour les cadres, le solde d'heures supplémentaires qui sont pris en considération. Quoi qu'il en soit, il sera fait preuve de compréhension, mais nous attendons de chacun un comportement responsable, et non pas seulement de la part des collaboratrices et collaborateurs de l'Etat, mais de la collectivité tout entière. Si l'Etat ne peut pas être solidaire dans des situations comme celle-ci, il ne pourra jamais l'être, vous l'avez bien compris.

Voilà, Mesdames et Messieurs, pour ce qui est mis en place aujourd'hui par le canton de Genève. Les choses sérieuses - si vous me passez l'expression - au DIP commenceront véritablement lundi. Nous aurions évidemment souhaité quelques jours supplémentaires pour pouvoir organiser cette prise en charge et l'information aux parents: tous ne sont pas sur internet ou devant leur télévision. Des gens se présenteront peut-être lundi matin avec leurs enfants et se verront répondre qu'il n'y a pas cours ce jour-là. Il faudra trouver des réponses sur le tas - si vous me passez l'expression. Il n'en demeure pas moins que nous avons avec nous, je dois dire, des collaborateurs exceptionnels dans le domaine sanitaire, mais aussi dans tous les autres domaines. Cela fait maintenant quinze jours que nous travaillons pratiquement jour et nuit sur cette problématique pour faire en sorte d'être prêts pour ce que nous savions déjà et qui allait devenir un pic. Aujourd'hui, la Confédération a décidé de frapper particulièrement fort contre cette pandémie. Je pense que la raison a prévalu. Nous ne pouvons pas nous contenter de demi-mesures. J'ai été quelque peu réservé sur la fermeture des écoles, mais au-delà de cela, je pense que nous ne pouvons que saluer les décisions courageuses et fermes prises par l'Office fédéral de la santé publique et par le Conseil fédéral.

En ce qui concerne les frontières, vous le verrez aussi, il y a des décisions de contrôle aux frontières pour les pays qui sont considérés comme étant à risque. Aujourd'hui, seule l'Italie est considérée comme étant à risque, avec la fermeture de certaines frontières et un contrôle à l'entrée en Suisse: ne pourront entrer en Suisse que les personnes qui traversent le pays, qui y résident ou qui y travaillent, bien sûr. On voit à quel point cela impliquera des contrôles importants aux frontières. Si demain la France devait entrer dans la catégorie des pays à risque - on l'a vu en Allemagne à l'égard de la France, au nord de la Suisse - cela impliquerait également pour Genève de mettre en place des contrôles extrêmement stricts à ses frontières. Là, nous aurions besoin à la fois de la Confédération - peut-être de l'armée - et en tout cas de notre police.

Voilà, Mesdames et Messieurs, je ne veux pas être trop long. Il y aurait beaucoup à dire, je pense que vous verrez dans vos médias tous ces sujets largement abordés. Je voudrais vous remercier d'avoir soutenu hier notre économie. Je voudrais aussi remercier le Conseil fédéral d'avoir fait un geste supplémentaire en mettant à disposition 10 milliards pour notre économie, ce qui montre la gravité de la situation. Nous allons faire en sorte que rapidement, les conditions de mise à disposition de ce soutien soient mises en place, parce qu'il est important d'agir vite si nous ne voulons pas que le dommage soit irréversible. Je vous remercie, en mon nom, mais aussi au nom du Conseil d'Etat, de votre soutien et de votre écoute. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vais maintenant vous donner quelques informations. Le Bureau se réunira la semaine prochaine afin de faire le point sur la situation et de prévoir les conditions adéquates pour la tenue des commissions dans les semaines à venir. Il va de soi que nous vous adresserons une communication dès que nous aurons pris une décision.

Au vu des événements d'aujourd'hui, le Bureau a décidé de lever la séance. M. le sautier ainsi que son équipe restent à votre disposition pour tout renseignement complémentaire. Ils continueront à travailler comme ils l'ont toujours fait jusqu'à maintenant.

Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais vous remercier pour votre compréhension et le travail effectué ces deux jours malgré le stress. Je vous souhaite une bonne soirée et un bon week-end ! (Applaudissements.)

La séance est levée à 18h25.