Séance du
vendredi 28 février 2020 à
14h
2e
législature -
2e
année -
10e
session -
54e
séance
P 2071-A
Débat
Le président. Le point suivant, soit la P 2071-A, est classé en catégorie II, trente minutes. La parole est au rapporteur de majorité, M. Sylvain Thévoz.
Une voix. Encore ?!
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Encore, me dit ma voisine de droite... Oui, mais je serai bref ! Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition a été lancée par une famille qui occupe le site de la Bécassière, plus précisément le parking de ce site, un lieu où les forains ont été relogés par l'Etat. Cette famille a bâti un chalet sur un espace non constructible et ne bénéficie pas d'une autorisation de construire. Elle a fait opposition mais a perdu à de nombreuses reprises devant les tribunaux.
L'UDC, pour ne pas la citer, a déposé un projet de loi à ce sujet, le PL 11978. Le Grand Conseil l'a refusé, et maintenant nous sommes saisis d'une pétition. C'est une énième tentative de cette famille - qui est probablement dans une situation humaine difficile - de faire modifier la loi et d'amener le gouvernement à revenir sur une décision qui a été actée tant par les tribunaux que par l'Etat.
Au vu de ce qui précède, la majorité vous invite à refuser cette pétition. Le Grand Conseil s'est déjà prononcé sur la question et il ne s'agit pas ici de changer de position. Merci.
M. Pierre Nicollier (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, le Grand Conseil a voté en 2003 une loi arrêtant une aire d'établissement pour les forains à la Bécassière, où vivent 179 personnes. Cette possibilité n'est pas remise en cause pour ces citoyens. Comme indiqué par mon préopinant, la pétition fait référence à une construction en particulier qui ne respecte pas la loi. Plus précisément, elle ne correspond pas à la volonté du législateur, c'est-à-dire à notre volonté, celle du Grand Conseil. Cela étant, il sera nécessaire de trouver un jour une solution pérenne à l'égard des forains qui se sédentarisent, mais cette question n'est pas l'objet de la pétition. Nous nous prononcerons donc en faveur de son dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Merci.
M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de minorité. La minorité que je représente tient à préciser que son rapport ne vise pas à demander à l'Etat de ne pas respecter la loi. Il s'agit simplement d'arrêter de stigmatiser une famille en particulier en faisant croire qu'elle pose problème avec son habitation. Dans les faits, nous avons affaire ici à une grande famille - un couple marié avec quatre enfants - dont l'Etat voudrait loger séparément les membres dans de petites caravanes. D'autres gens du voyage ont également pu en témoigner. L'Etat a même suggéré à cette famille de démonter sa maison et de prendre deux ou trois caravanes. Voilà ce qu'on a proposé à la famille Walder qui habite ce lieu d'accueil pour gens du voyage ! La deuxième solution serait qu'elle vive simplement dans une cabane de jardin, comme le mentionne en exemple mon rapport de minorité.
La situation de la famille Walder n'est pas exceptionnelle; il ne s'agit pas ici de faire un cas d'exception, mais d'arrêter purement et simplement de la stigmatiser. On a eu connaissance d'une situation où il a été dit à la personne concernée qu'elle était autorisée à rester parce qu'elle avait pu prouver que sa cabane de jardin était démontable. Une photo figure même dans le rapport ! La maison de M. Walder est également démontable, mais l'Etat aimerait qu'elle puisse l'être en cinq jours, ce qui est le cas du petit chalet que je viens d'évoquer. En effet, ce ne sont même pas des cabanes de jardin, en réalité, mais des chalets en bois, il faut bien le comprendre ! L'Etat aimerait donc que la famille Walder puisse démonter sa maison dans un délai relativement bref, ce qui est impossible vu qu'elle comporte un étage. Alors oui, elle est grande, sa surface dépasse les 100 mètres carrés au sol, sur deux niveaux, mais c'est normal puisqu'elle doit accueillir six personnes ! On ne peut pas reprocher à cette famille d'avoir une maison qui correspond à ses besoins, or c'est pourtant aussi ce que lui reproche l'Etat.
La famille Walder est menacée d'expulsion. Comme nous sommes en période hivernale, l'Etat a au moins eu la décence de suspendre son évacuation, mais on ne sait pas jusqu'à quand. La procédure ne devrait pas tarder à reprendre son cours au retour des beaux jours. Ce que demande la minorité, c'est donc d'arrêter de stigmatiser cette famille en particulier et de traiter la communauté des gens du voyage comme des malpropres, ainsi que le fait le département chargé de cette affaire, parce que c'est un vrai scandale. Les membres de cette communauté sont de nationalité suisse, ce sont des citoyens qui ont un travail et qui paient des impôts. Il faut reconnaître les droits de ces gens et de cette famille et les laisser tranquilles.
Finalement, la solution serait d'autoriser les constructions autres que les simples cabanes de jardin ou les caravanes. Il suffirait de modifier la loi et tout serait réglé, mais pour je ne sais quelle raison l'Etat ne veut pas entrer en matière et continue de menacer cette famille. C'est pour tous ces motifs que je vous recommande de renvoyer la P 2071 au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, en ce qui nous concerne, nous souhaitons également que cette pétition soit renvoyée au Conseil d'Etat. Effectivement, le statut de ce terrain de la Bécassière est totalement hybride. De deux choses l'une: soit on autorise... Je rappelle en effet que, suite à la nécessité pour les forains de quitter leur ancien emplacement, cette aire a été conçue et créée pour qu'ils puissent s'y établir, or maintenant qu'ils y sont ils n'ont pas véritablement la liberté de s'installer comme ils le veulent. On ne parle pas de constructions fixes ! Le statut de ce terrain n'est donc ni fait ni à faire. Soit c'est un parking, soit c'est une aire sur laquelle les gens vivent leur vie. Il s'agit ici de forains, et une bonne partie d'entre eux sont itinérants.
Par conséquent, on comprend mal l'acharnement dont est victime cette famille, d'autant qu'il existe sur ce terrain d'autres constructions qui ne sont pas vraiment non plus des caravanes. Ce sont aussi des «chalets», entre guillemets, démontables, qui ressemblent très fortement à celui qu'a installé la famille Walder. Mais leurs propriétaires, comme par hasard, ne sont pas inquiétés et ont le droit de rester dans leur habitation ! Je crois qu'il y a là une sorte d'inégalité de traitement entre les différentes familles présentes sur ce terrain de la Bécassière, et ça ne va pas. Il faut corriger le tir et trouver des solutions négociées, or ce n'est pas ce qu'a mis en avant le Conseil d'Etat jusqu'à présent, puisqu'il utilise plutôt la force pour essayer de résoudre cette problématique. La raison devrait l'emporter, Mesdames et Messieurs, et je vous invite donc à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Merci.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). En 2003, Mme Véronique Schmied - alors maire PDC de Versoix - a effectivement organisé l'installation des forains et des gens du voyage sur ce terrain, et cela s'est très bien passé, Mesdames et Messieurs les députés ! Il n'y a pas de stigmatisation à l'égard de cette famille de la part du Grand Conseil - et du Conseil d'Etat, je suppose. Seulement celle-ci continue à ne pas respecter ce qui a été demandé aux 179 résidents du site, alors que les autres s'y conforment. Il est aberrant de penser que les partis qui sont les premiers à demander l'égalité de traitement et à mettre en avant le respect de la loi sont ceux qui nous disent aujourd'hui de ne pas la respecter.
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, nous vous recommandons de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Merci beaucoup.
Une voix. Très bien !
M. Charles Selleger (PLR). Cette affaire soulève deux questions principales, la première étant celle d'une famille qui doit se loger et qui a construit un magnifique chalet de 300 mètres carrés au sol. Il est évident qu'on souhaite qu'elle puisse d'une manière ou d'une autre trouver à se loger et vivre tranquillement, mais là n'est pas le problème ! Le problème qui se pose dans ce dossier - dont on n'a pas parlé lors du traitement de la pétition - c'est celui du respect du droit. Le Conseil d'Etat refuse ou plutôt renonce à l'appliquer, parce que la police se voit confrontée à une armée de forains. Cela crée une situation d'inéquité, on l'a dit, mais ce cas n'est pas unique, contrairement à ce que j'ai entendu dans la bouche de ma préopinante. Il a semble-t-il fait des petits ! D'autres personnes présentes sur ce terrain sont également dans une situation de non-droit, ou en tout cas ça risque de devenir le cas. Peut-être M. Dal Busco nous en dira-t-il davantage. J'ai du reste déposé trois questions écrites urgentes pour savoir quand cette affaire allait être réglée. On m'a chaque fois donné une échéance, mais elle n'est jamais respectée. Nous sommes donc dans une situation de non-droit face à laquelle le Conseil d'Etat et les forces de police renoncent à appliquer la loi en raison de l'opposition des forains. Je vous remercie.
Mme Paloma Tschudi (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, les Verts et les Vertes soutiennent le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. En effet, comme l'a dit le rapporteur de majorité, nous avons conclu des différentes auditions qu'il s'agissait surtout d'un enjeu personnel. Si nous sommes désolés et comprenons bien que la situation du logement à Genève est problématique - il semblerait que M. Florey ne soit pas d'accord, mais il défend tout de même cette famille dans le cadre de la pétition - nous pensons toutefois que ce n'est pas le devoir de notre parlement de s'immiscer dans la procédure qui oppose ces personnes au Conseil d'Etat. Je rappelle que ce dernier est là pour faire respecter la loi, et c'est ce qu'il fait dans ce cas, puisque la famille en question a construit un logement inamovible. Le rapporteur de minorité l'a dit: il n'est pas possible de démonter ce chalet ! C'est un logement d'une grande ampleur qui se trouve à cet emplacement, et il va à l'encontre du règlement du terrain mis à disposition par l'Etat, dans la mesure où celui-ci prévoit uniquement l'installation d'habitations mobiles, comme on a déjà pu l'entendre. Les 179 autres résidents et résidentes respectent le contrat qu'ils ont signé, et ils ont droit à l'égalité de traitement.
De plus, nous voulons nous assurer que les places destinées aux gens du voyage et réservées aux installations mobiles continuent d'être disponibles pour les personnes ayant justement choisi ce mode de vie. Dites-moi à quel moment il s'agit de discrimination et de stigmatisation ! Nous souhaitons les protéger.
Enfin, nous aimerions aussi rappeler que les forains et les gens du voyage sont les bienvenus à Genève et qu'ils ont toute leur place ici. D'ailleurs, comme l'a précisé M. Thévoz dans son rapport de majorité, la possibilité pour cette famille de vivre sur son emplacement n'est pas remise en question; le litige porte sur sa maison en bois de 250 mètres carrés qui n'est pas amovible. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci. Je passe la parole à M. Christo Ivanov pour cinquante-quatre secondes.
M. Christo Ivanov (UDC). Merci, Monsieur le président. A ce stade de la discussion j'aimerais apporter deux éléments. Je rappelle d'abord que les forains étaient pendant longtemps nomades mais qu'ils sont aujourd'hui semi-sédentaires en raison de la modification de la loi sur l'instruction publique, puisque désormais l'école est obligatoire jusqu'à 18 ans. La mère est donc bien obligée de rester avec ses enfants lorsqu'ils sont scolarisés dans le primaire ou le secondaire I... (Commentaires.) ...et le cas échéant le père va travailler, éventuellement avec l'un des enfants.
En ce qui concerne la famille dont il est question ici, j'aimerais vous dire que des réunions avec le département ont eu lieu l'an dernier et qu'un accord était prévu... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît !
M. Christo Ivanov. Monsieur le président, ce serait bien qu'on puisse s'exprimer dans le silence au sein de cet hémicycle, je vous remercie ! Je disais donc que des réunions avec des représentants du département avaient eu lieu et que des devis avaient été établis, pour un montant de 120 000 francs. La famille Walder était d'accord de réaliser ces travaux...
Le président. Je vous remercie, Monsieur Ivanov, votre temps est écoulé. La parole est à Mme Danièle Magnin pour quarante-sept secondes.
Mme Danièle Magnin (MCG). Alors je vais être très brève ! Vous avez certainement tous vu de temps à autre l'émission «Rénovation impossible». Aux Etats-Unis, on achète une carcasse, une structure de bois, et ensuite on la complète. Au Suisse Caravan Salon à Berne, on peut voir chaque année ces mobile homes. Ce ne sont pas des camping-cars, mais des éléments mobiles qu'on peut transporter. C'est exactement ce qu'on a là ! Je pense que ces personnes ont trouvé une solution tout à fait adaptée à la situation et qu'il faut les soutenir dans cette vision. Je vous remercie.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de majorité. J'avoue ne pas comprendre la position de l'UDC et du MCG. Il y a quelques minutes, ils ont refusé la construction de 184 logements à Lancy en disant qu'il y en a suffisamment à Genève et que si par hasard il en manque, les habitants n'ont qu'à aller vivre à Martigny ou dans le Jura. Or maintenant ce même axe UDC-MCG mène une défense d'arrière-garde à l'égard d'une construction illégale sur un parking, en prétextant cette fois sans doute le manque de logements pour maintenir cette famille là où elle est. Il est pourtant probable que ce lieu ne soit pas adéquat, car il n'est pas destiné à un usage annuel. Il s'agit d'une zone dédiée aux forains, or ceux-ci se déplacent, certains l'ont dit. Ils ne résident pas là de manière permanente mais sont vraiment de passage. On est donc face à une incohérence crasse: soit vous êtes pour la construction de logements, soit vous vous y opposez, mais vous ne pouvez pas vous positionner sur deux axes contradictoires.
M. Florey a par ailleurs tenu des propos choquants. Voici ce qu'il a dit en substance: «Mais les forains sont suisses, attention ! Ce sont de bons Suisses, il faut donc leur permettre de déroger à la loi.» Je suis désolé, Monsieur Florey, mais il y a une loi, et elle est identique pour toutes et tous, pour les forains et les non-forains, pour les Suisses et les non-Suisses. C'est comme ça en démocratie ! Ce n'est pas parce que vous avez peut-être des liens personnels ou d'amitié avec cette famille en souffrance qu'il faut y déroger. La loi est la même pour toutes et tous et elle doit être appliquée, raison pour laquelle nous sommes en faveur du dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Merci.
Le président. Merci. La parole n'étant plus demandée, je lance le vote sur les conclusions de la majorité, à savoir le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 2071 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 57 oui contre 15 non et 2 abstentions.