Séance du
vendredi 17 janvier 2020 à
14h
2e
législature -
2e
année -
9e
session -
49e
séance
M 2520-B
Débat
Le président. Nous nous penchons maintenant sur la M 2520-B, et je cède la parole à M. Jean Rossiaud.
M. Jean Rossiaud (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il y a exactement une année commençaient les manifestations à Lausanne et à Genève pour dénoncer la crise écologique, des manifestations de jeunes qui se déroulent encore aujourd'hui même. Le 4 février 2019, les Verts déposaient une proposition de motion demandant au Conseil d'Etat de prendre ses responsabilités, et vous en avez accepté l'urgence avant de la renvoyer directement à la commission de l'environnement. Celle-ci l'a traitée également en urgence, et elle nous est revenue, certes un peu transformée, le 18 octobre. Elle a été discutée, à nouveau en urgence, par la plénière de ce parlement qui l'a ensuite approuvée, et le 4 décembre, le Conseil d'Etat nous transmettait sa réponse.
Il faut souligner la célérité avec laquelle nous avons agi: en moins de dix mois, notre Grand Conseil a pris la mesure du réchauffement climatique et de l'urgence qui s'impose. A cet égard, j'aimerais remercier l'ensemble du parlement, les députés de tous les partis qui ont oeuvré à la transformation de ma motion. Bon, je trouve que le texte initial était meilleur que sa version amendée, mais c'est déjà un sacré progrès.
Que nous dit ce rapport ? «[...] le Conseil d'Etat adhère pleinement aux invites de la présente motion» - nous nous en réjouissons. «Il a donc pris la décision de renforcer les objectifs climatiques cantonaux en déclarant l'urgence climatique [...]». Selon nous, il aurait été préférable de déclarer l'état de catastrophe climatique, mais ce n'est pas ce que ce parlement a fait, ce n'est pas ce que la commission a fait; nous le regrettons, mais c'est déjà un pas en avant, le gouvernement a choisi de fortifier son action.
Ainsi, le Conseil d'Etat nous propose de «renfor[cer] les objectifs initialement fixés pour viser une réduction de 60% des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 par rapport à leur niveau en 1990 [...]». C'est bien, c'est un effort conséquent. La motion visait une diminution de 100% d'ici 2030; c'était peut-être un peu trop ambitieux, mais nous restons convaincus qu'il est possible d'aller plus vite que ce qu'on nous suggère ici.
Le gouvernement nous indique ensuite qu'il entend réformer son plan climat cantonal; tant mieux, nous allons l'aider autant que possible dans ce sens. Le plan directeur cantonal de l'énergie est en cours de mise à jour pour que nous puissions atteindre ces objectifs. S'agissant de la neutralité carbone fixée à 2050, nous restons dubitatifs: nous pensons que c'est tard et qu'il faudrait accélérer le mouvement si l'on souhaite vraiment avoir un impact sur le dérèglement climatique.
Le système d'indicateurs que prévoit la motion sera mis en place; bien. Nous souhaiterions simplement qu'il le soit rapidement, parce que ça fait déjà dix mois que l'idée a été lancée, il serait temps d'activer le processus. Il s'agit de procéder, de budget en budget, à une évaluation des ambitions tant du Conseil d'Etat que de ce parlement puis, au moment des comptes, de tirer le bilan des avancées du programme climatique.
Nous apprenons également dans ce rapport qu'une délégation gouvernementale sur le financement de la transition écologique a été instituée, et si nous nous en félicitons, nous attendons des résultats concrets. En effet, nous l'avons déjà dit pour le budget 2020, mais nous le répéterons au moment du budget 2021: les Verts n'accepteront pas un budget qui n'intègre pas structurellement ces changements, nous voulons une refonte du budget qui tienne compte, politique publique par politique publique, du réchauffement climatique.
Parallèlement, comme nous l'avons déjà martelé à plusieurs reprises dans la presse, nous exigeons des investissements majeurs pour la transition énergétique, nous proposons un «Green New Deal». Il convient de renforcer l'emploi dans le domaine des économies d'énergie et de prendre des mesures pour les transports, l'agriculture, etc. Investir massivement pour lutter contre le changement climatique, c'est soutenir les emplois à Genève, des emplois qui ne sont pas délocalisables.
Mesdames et Messieurs du Conseil d'Etat, merci d'avoir pris cette motion au sérieux, merci de continuer à développer le programme de transition. Les Verts, tout comme l'ensemble de ce parlement, je pense, seront très vigilants sur cette question et veilleront à ce que vous mettiez rapidement les mesures en oeuvre. Merci. (Applaudissements.)
M. Rémy Pagani (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, chers collègues, notre groupe n'est pas forcément en faveur d'une «transition». La planète est en train de brûler, et on prend des décisions pour 2030, 2050... Je vous rappelle que l'Amazonie est le poumon d'oxygène de la planète, que l'Australie, bien que les feux soient maîtrisés, subit aujourd'hui encore l'effet du dérèglement climatique. Nous devons agir tout de suite ! On a bien lu le rapport, et pour nous, du point de vue des objectifs du Conseil d'Etat, c'est: peut mieux faire.
Pour mieux faire, il convient d'abord d'analyser très concrètement ce qui est en train de se passer. Parlons des circuits de distribution, par exemple: nous avons un label pour le bois suisse, et puis on s'aperçoit que dans le domaine de la parqueterie, plus aucun professionnel ne conçoit ses parquets ici, ni même en Europe. Le bois helvétique voyage jusqu'en Chine avant de revenir pour être installé dans nos bâtiments. Il s'agit non seulement de mener une réflexion sur les circuits courts - c'est évident, nous ne pouvons pas passer à côté d'une telle piste - mais aussi de prendre des mesures immédiates pour limiter l'impact carbone des circuits longs. J'ai évoqué les parquets, mais il faut aller encore plus loin, je pourrais parler des yogourts, je pourrais parler de toute une série de denrées alimentaires qui font quasiment le tour du monde, il n'y a pas besoin de revenir là-dessus.
Aussi, quand on voit que nos voisins directs, alors que nous avons investi un argent fou dans le ferroviaire, décident de construire une autoroute... C'est un problème de fond dont nous devons discuter au niveau régional, il s'agit de prendre des mesures pour en finir avec ces conceptions des années 50 - et encore, même dans les années 50, selon certains spécialistes, on avait déjà conscience du problème, et on nous a conduits droit dans le mur avec des politiques du «tout à la voiture».
J'entends que le Conseil d'Etat veut faire des efforts, mais il faut qu'il aille jusqu'au bout des choses et mette en place des actions immédiates pour lutter contre la dégradation du climat. On le constate ces derniers jours encore, il y a des périodes de beau extrêmement longues, et même si c'est très sympa d'avoir du soleil quand on sort de chez nous, c'est quand même le signe du dérèglement climatique que nous subissons.
Je le répète, Mesdames et Messieurs: il faut agir tout de suite pour lutter contre les gaz à effet de serre, pour diminuer notre impact carbone. Je me réjouis de constater que l'ensemble de l'Allemagne a décidé de mettre un terme à la production d'électricité à base de charbon, parce que là aussi, il y a un véritable problème: ceux qui exploitent le charbon sont les mêmes qui disent vouloir réduire les émissions de CO2, quel double discours ! En l'occurrence, griller du charbon pour fabriquer du courant électrique, c'est générer du CO2 de manière intensive et industrielle.
Nous devons mener une politique d'isolation des bâtiments, lesquels représentent 35% de notre impact environnemental. Un fonds existe depuis vingt ans, mais malheureusement, il n'y a pas de véritable engouement, si j'ose dire, de la part des propriétaires privés pour puiser dans ce fonds et rénover leurs immeubles. Il ne s'agit pas simplement d'encourager les propriétaires à utiliser cet argent à bon escient, il faut les obliger à isoler leurs bâtiments, il faut les forcer à respecter la loi en les pénalisant s'ils ne le font pas.
Voilà un vrai programme, Mesdames et Messieurs, une véritable feuille de route, un plan climatique fonctionnel qui concerne tout le monde: les collectivités publiques dont les efforts actuels relèvent encore du strict nécessaire, les propriétaires privés, les grandes multinationales qui réalisent des profits en pratiquant des circuits longs, du dumping salarial et du dumping de production tout autour de la planète. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Cyril Aellen (PLR). Monsieur le président, pourriez-vous rappeler aux groupes Ensemble à Gauche, des Verts et socialiste d'une part que nous sommes aux extraits, d'autre part qu'il y a moins de vingt-quatre heures, ils ont voté la résolution 899 qui nous demande précisément de faire preuve de diligence et de parler un peu moins, notamment aux extraits ? (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). En théorie, je serais d'accord avec M. Pagani, mais dans la pratique, pas du tout. Parce qu'il faut arrêter d'abattre des arbres, comme il l'a fait sur la plaine de Plainpalais... (Exclamations.) ...il faut arrêter, dans le cadre des AIMP, d'aller chercher des entreprises à l'étranger ! Beaucoup de gens agissent mal à ce niveau et créent un véritable désastre climatique.
Pensons par exemple à notre salle du Grand Conseil: on rapporte des fenêtres du Portugal, on les préfère aux fenêtres suisses qu'il aurait été possible d'avoir ! Bon, c'est une longue histoire, je ne vais pas entrer dans tous les détails, parce qu'il y en aurait trop, et comme l'a rappelé tout à fait intelligemment le député Cyril Aellen, nous sommes aux extraits, donc de grands débats comme ceux-là ne devraient pas avoir lieu; mais du moment qu'on a commencé, je crois qu'il faut aller jusqu'au bout.
La réponse, on la connaît. Le Conseil d'Etat a fait un effort louable dans son rapport, mais la seule réponse véritablement efficace, c'est quoi ? C'est engager local et mandater des entreprises locales. Voilà la réponse, c'est protéger les habitants et les entreprises de notre canton.
Une voix. Bravo !
M. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il est vrai que nous sommes aux extraits. En même temps, le sujet de cette proposition de motion qui fait l'objet d'un consensus, du moins sur le principe, est d'importance structurelle pour l'avenir de notre société. Il faut admettre qu'avoir voté ce texte - et, pour le Conseil d'Etat, y avoir répondu - constituait la partie la plus simple; il ne s'agit que de mots, l'essentiel reste à venir.
L'essentiel, c'est atteindre la neutralité carbone en 2050, avec une étape marquante, un objectif intermédiaire - c'est le changement voulu par le Conseil d'Etat en réponse à cette motion - à savoir une réduction de 60% des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, alors que jusqu'à maintenant, cet objectif était fixé à 40%. Cela implique une réorganisation majeure de notre société.
Une réorganisation de notre économie, d'abord: comme plusieurs intervenants l'ont rappelé, il faudra déglobaliser un certain nombre d'activités qui, ces dernières décennies, ont été par trop libéralisées, il faudra en revenir à une localisation, sans quoi nous ne parviendrons pas à diminuer les échanges de marchandises extrêmement importants qui sont aujourd'hui le lot du commerce international, qu'il soit alimentaire ou pas.
Nous devrons également revoir notre organisation territoriale. Ces vingt dernières années, Genève n'a fait qu'exporter sa crise du logement avec pour conséquence que ses actifs traversent la frontière, pour la plupart en voiture. Même si, grâce au Léman Express, nous parvenons à réduire quelque peu la part de l'automobile, cette situation engendre évidemment une quantité énorme de CO2. A vrai dire, l'aviation représente 20% des émissions à Genève, tandis que l'organisation territoriale, le bâti et la mobilité en produisent 60%. Ainsi, c'est l'habitat - le type des logements, la dispersion de notre aménagement, le fait qu'on ne construise pas la ville des courtes distances - qui constitue finalement la première source de pollution sur notre territoire.
Ce sera aussi une réorganisation - voire une révolution ! - culturelle, et c'est là que la jeunesse a son rôle d'aiguillon à jouer. Parlons de la consommation, des choix que l'on fait pour la nourriture, l'habillement, les vacances, l'organisation familiale: j'espère qu'en tant qu'élus d'esprit libéral, nous laisserons cette responsabilité individuelle aux citoyennes et citoyens. En effet, atteindre des objectifs écologiques ambitieux tout en préservant les libertés implique un très grand sens de la responsabilité individuelle, il faut que le mode de consommation s'oriente par lui-même vers une consommation vertueuse. Que se passera-t-il si la somme des libertés individuelles nous empêche d'atteindre ce résultat global qu'est la neutralité carbone ? Eh bien nous devrons mener des discussions avec les générations actuelles - ce ne sont même plus les générations futures, mais celles qui émergent maintenant - pour trouver un équilibre entre responsabilité environnementale et préservation des libertés individuelles.
On parle d'urgence climatique; l'urgence climatique est là, Mesdames et Messieurs les députés. J'ai eu des conversations intéressantes avec des jeunes dans la rue qui me demandaient en substance de suspendre l'Etat de droit pour prendre des mesures d'autorité; j'ai expliqué qu'il est hors de question, autant pour l'Etat que pour moi-même, de passer outre le temps de la démocratie, la construction de majorités. Cela implique pour nous, élus au gouvernement et au parlement, pour les partis politiques, pour les organisations économiques, syndicales et environnementales, une prise de responsabilité.
Le Conseil d'Etat vous proposera cette année une révision du plan climat cantonal, mais l'essentiel des compétences se trouvent à Berne, voire à l'échelle internationale. Nous avons délégué à des instances non gouvernementales, à commencer par l'Organisation mondiale du commerce, un certain nombre de compétences. S'agissant de l'action locale, il faudra des décisions courageuses en matière d'organisation territoriale et de mobilité, il faudra des investissements massifs en matière d'infrastructures, il faudra des incitations en matière de consommation.
Voilà, Mesdames et Messieurs, la seule voie qui nous permettra non seulement de voter des textes pour dire ce qu'il faut faire, mais de le faire effectivement; c'est collectivement, à travers notre culture du consensus, parce qu'il ne sera pas possible d'imposer cette révolution sociétale qu'est la transition vers une société neutre en carbone qui préserve à la fois les libertés et les solidarités, que nous y parviendrons. Petite motion aux extraits, énorme projet pour la génération qui est la nôtre. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie.
Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2520.