Séance du
jeudi 31 octobre 2019 à
17h
2e
législature -
2e
année -
6e
session -
27e
séance
PL 12048-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
Le président. L'objet suivant de notre ordre du jour est classé en catégorie II, cinquante minutes. Monsieur Lussi, voulez-vous la parole ? (Remarque.) Je vous la passe.
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas parce que bien du temps est passé qu'il ne faudrait pas qu'on apporte tout le soin nécessaire à l'étude de ce deuxième projet de loi et à la nouvelle étude de la motion, car le problème peut être considéré comme important. Seulement, ce qui s'est passé et que j'ai expliqué dans le rapport, c'est que les organisations syndicales - surtout la commission tripartite - étaient arrivées à un accord en date du 16 septembre 2016; un communiqué de presse a été rédigé, la commission l'a reçu. On s'est aperçu par la suite que ce PL 12048 reprenait ce qui avait été décidé en commission tripartite et qu'une seule chose changeait. Si vous lisez le projet de loi, l'article 12E, lettre b, parle d'un «stage d'orientation, après une première formation finalisée et en vue d'une deuxième formation, sous condition que la nécessité de ce stage soit attestée [...]». Or, la commission tripartite parlait d'«utilité» d'un stage au lieu de «nécessité». En définitive, sur un sujet très important, nous avons travaillé sur la sémantique et non pas en vue d'améliorer quoi que ce soit !
Si vous le souhaitez, le rapport que j'ai rédigé vous donnera les détails, mais qu'est-il arrivé en synthèse ? De manière générale, les intervenants - y compris même le département de Mme Emery-Torracinta - trouvaient que ce projet de loi n'amenait rien de concret pour le moment et, surtout, qu'il entravait une institution et des décisions tripartites que nous aimons beaucoup dans notre canton. Celles-ci doivent vraiment être le fer de lance social qui nous permet d'avancer lorsqu'il y a des problèmes et des difficultés. Il est vrai que les stages pour étudiants ou autres posaient problème, mais cela a été résolu ou, du moins, un travail à ce sujet a été entrepris par le bon bout.
C'est la raison pour laquelle la majorité de la commission a décidé de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. De même, il y a eu divers rebondissements que vous pouvez lire, avec la proposition de motion 2148, antérieure à cet objet et déjà traitée. Un de ses auteurs a absolument insisté pour qu'elle soit traitée; elle a été prise en compte par la commission, mais la majorité de celle-ci a également décidé de la rejeter.
Monsieur le président, je suis prêt à répondre à d'autres questions, mais l'essentiel a été dit: il n'est pas nécessaire d'épiloguer davantage sur une sage solution qui est de refuser un projet de loi déjà entré en vigueur dans les faits par le biais de notre commission tripartite.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Peut-être que le rapporteur de majorité pourra m'éclairer sur un aspect. Si le projet de loi est refusé juste à cause du remplacement du critère d'utilité par le critère de nécessité d'une formation professionnelle ou scolaire dans les normes édictées par le Conseil de surveillance du marché de l'emploi, je dépose tout de suite un amendement si ça permet de faire passer ce texte ! Le rapporteur de majorité pourra répondre après à cette proposition.
Concrètement, ce projet de loi permet de résoudre un problème qui touche très fortement les jeunes aujourd'hui, celui de la prolifération des stages peu ou pas rémunérés. Cela s'est accru ces dernières années, amenant une véritable précarité dans le parcours d'un jeune sortant de formation et qui cherche à entrer dans le monde professionnel. Je vous invite à regarder les offres d'emploi sur le site de la «Tribune» et les autres sites d'offres: vous verrez que la plupart des annonces demandent au moins trois à cinq années d'expérience professionnelle. Comment fait le jeune qui sort d'études ? C'est le serpent qui se mord la queue ! Il sort de formation, il aimerait décrocher un emploi, mais n'y arrive pas parce qu'il lui manque cette fameuse expérience professionnelle minimale qui est demandée. Alors le jeune passe par la case d'une réelle précarité avec ces stages de six mois ou d'une année plus ou moins rémunérés, voire pas du tout, qu'il va enchaîner pendant trois à cinq ans. Nous vivons aujourd'hui une catastrophe sociale pour ces personnes qui sortent de formation, alors que le canton a investi dans une instruction de qualité afin que les jeunes puissent trouver un premier emploi. Là, la loi du marché fait qu'ils n'y parviennent que très difficilement. Nous ne pouvons pas intervenir auprès des entreprises, des employeurs, associations et organisations internationales - hormis les organisations non gouvernementales - qui profitent de ce système pour proposer ces stages très peu voire pas rémunérés. Elles profitent de cette lacune juridique, qui en fait n'en est pas une.
Ce projet de loi n'invente rien de nouveau, je pense que la commission ne s'en est pas aperçue, ça a été directement énoncé: le texte reprend directement les termes édictés par le CSME pour faire face à ce problème. Je les résume. Le cadre définit que les stages peuvent être proposés dans deux situations: dans le cadre d'un cursus de formation ou si c'est une nécessité dans l'orientation durant un cursus de formation, ou lors d'une réinsertion socioprofessionnelle. Tout ce qui sort de ces deux cases est considéré comme appartenant au droit du travail. Or, dans le droit du travail, si vous êtes embauché pendant huit mois à zéro franc de l'heure, c'est de la pure sous-enchère salariale qui doit être dénoncée ! Malheureusement, il est encore bien trop fréquent de voir des employeurs embaucher des stagiaires pour huit mois, non pas pour les former dans le cadre d'un cursus de formation ou d'une réinsertion socioprofessionnelle, mais parce que c'est une main-d'oeuvre pas chère voire gratuite qui sert à effectuer des tâches de faible importance. Ce projet de loi souhaite mettre définitivement fin à ce problème. On sait que l'OCIRT était déjà intervenu suite au premier projet de loi déposé par le groupe socialiste et avait fait la promotion de ces conditions-là auprès des employeurs, en répétant que les stages ne peuvent être sauvages. Malheureusement, on voit que les stages sauvages sont encore bien trop nombreux. Il y a trois ou quatre ans, l'OCIRT avait sorti le chiffre de 80% de stages sauvages dans le canton de Genève, ce qui ne laisse qu'une part de 20% de stages qui entrent dans les cursus de formation ou de réinsertion socioprofessionnelle.
Ce projet de loi a le mérite de combler cette lacune juridique en inscrivant dans la loi que les stages doivent appartenir à ces deux catégories-là. En effet, c'est le CSME qui a édicté ces conditions et je ne vois pas en quoi cela pose problème - à moins que le rapporteur de majorité souhaite faire un amendement pour changer. Mesdames et Messieurs les députés, mettons un cadre à cette pratique, parce que si nous continuons de la sorte, nous continuons à précariser les jeunes. C'est pourquoi je vous invite à accepter ce projet de loi.
M. François Lefort (Ve). Monsieur le président, ce projet de loi et cette proposition de motion partent d'un constat réel et inacceptable, d'une situation qui ne s'améliore pas. On parle ici du recours abusif aux stages à la place d'un premier emploi; on parle ici du recours abusif à des stagiaires, sous-payés voire pas payés du tout. Des parents se retrouvent à financer la vie, à financer les stages de leurs enfants diplômés. On parle ici de certaines entreprises qui ont recours à cette aubaine d'une main-d'oeuvre fraîchement diplômée à qui on fera miroiter l'effet bénéfique d'un stage en entreprise pour la qualité de leur curriculum vitae. On parle d'une situation dans laquelle des familles subventionnent des entreprises offrant l'opportunité d'un stage non payé à leurs enfants ! On parle ici d'une situation qui dévalorise gravement les titres des jeunes diplômés et notre système de formation, qui ne serait bon qu'à produire des jeunes diplômés employables seulement comme stagiaires.
Soyons clairs, on ne parle pas ici des stages professionnels encadrés, lors de formations académiques ou professionnelles. On ne parle pas non plus des vrais stages qui sont fournis avec de vrais salaires, des vrais stages encadrés par des CCT ou des contrats types, proposés par des entreprises exemplaires. On parle ici des stages non payés ou sous-payés qui, en plus, détruisent l'emploi; on parle des stages en cascade qui font vivre certaines entreprises qui ainsi ne paient pas de cotisations sociales pour cette main-d'oeuvre gratuite !
Pour en finir avec cette situation, le projet de loi demande un contrôle actif des stages par l'OCIRT. La motion prévoit, elle, une convention cantonale pour les stages hors formation. Pourquoi hors formation ? Parce que les stages effectués durant des formations académiques ou professionnelles font l'objet de conventions bilatérales. La motion propose donc une convention de stage cantonale encadrée par l'OCIRT et qui impose une indemnité de stage minimale, une validation de la qualité formative de ces stages et une durée de stage maximale de douze mois.
Voilà quelques pistes pour en finir avec ces stages qui n'en sont pas, qui ne sont finalement qu'une aubaine pour quelques entreprises pas exemplaires du tout pour utiliser gratuitement des jeunes diplômés. Les Verts vous recommandent donc de voter et le projet de loi et la motion. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi propose de définir ce qu'est un stage afin de le distinguer d'un premier emploi. Il s'agit en sus de bien distinguer la formation du perfectionnement professionnel, qui s'effectue, lui, dans le cadre non pas d'un stage mais d'un emploi. Il faut rappeler que ce texte se base sur un accord tripartite conclu entre la CGAS, l'OCIRT et l'UAPG. Il est proposé d'inscrire les modalités de cet accord dans la loi sur l'inspection et les relations du travail, le but étant de renforcer cet accord et de lui donner une assise légale pour mieux protéger les stagiaires et les travailleurs.
Ce texte vise à inscrire dans la loi ce qui en d'autres temps aurait semblé une évidence. La dérégulation sévissant sur le marché du travail et l'usage abusif de la notion de stage nous poussent finalement à renforcer ces notions et à leur donner un cadre beaucoup plus contraignant. Aujourd'hui, les syndicats des travailleurs et les syndicats patronaux sont parvenus à un accord; c'est une bonne chose que nous saluons, mais nous voulons renforcer cet accord. Lutter contre l'exploitation des jeunes travailleurs injustement cantonnés dans des stages est un impératif. Mettre en place un loquet qui ne permettrait plus d'abuser du statut de stagiaire est une obligation pour les pouvoirs publics, sous peine de devoir prendre en charge ces personnes stagiaires et compléter leurs ressources. Surtout, le risque final est de mépriser les droits des travailleurs et d'accepter d'entrer en matière sur une remise en question de leur statut.
Il faut relever les arguments contradictoires des opposants à ce projet de loi au cours des débats de commission; ils accusaient les signataires de vouloir remettre en question le partenariat social et lui porter préjudice. Il est un peu étonnant qu'au moment où nous tentons de renforcer et de solidifier cet accord, on nous accuse de vouloir porter atteinte aux relations de partenariat social; c'est pour le moins troublant ! Nous ne pensons pas qu'il s'agit de cela, c'est pourquoi le groupe Ensemble à Gauche soutiendra ce projet de loi dont il est également signataire et vous invite à faire de même, Mesdames et Messieurs les députés.
Toutefois, nous tenons à exprimer notre insatisfaction, autant à l'égard de l'accord tripartite qu'à l'égard de ce projet de loi qui a repris l'intégralité du contenu de l'accord et manque de précision pour ce qui concerne les stages dans le domaine de l'insertion. Là, on s'est bien gardé de préciser quoi que ce soit, alors que nous savons tous aujourd'hui qu'un certain nombre de personnes au chômage ou à l'aide sociale travaillent soit gratuitement soit pour des indemnités extrêmement réduites bien qu'elles réalisent des tâches absolument indispensables au fonctionnement des services dans lesquels elles sont engagées.
Enfin, nous resterons plus circonspects sur la motion. Non pas que nous soyons en désaccord avec la nécessité de mieux contrôler les stages et de voir l'OCIRT jouer un rôle important en la matière, mais nous restons circonspects sur la notion de stage hors formation, qui nous semble être en contradiction avec la tentative de clarification contenue dans le projet de loi auquel nous vous invitons à souscrire. C'est la raison pour laquelle notre groupe s'abstiendra sur cette motion.
M. André Pfeffer (UDC). La question des stages et de leur contrôle est une préoccupation. Le Conseil d'Etat et le Conseil de surveillance du marché de l'emploi se sont déjà engagés; les partenaires sociaux ont déjà convenu de mesures et appliquent déjà des contrôles. Est-ce que les règles actuelles sont suffisantes ou est-ce qu'elles devraient être changées ? La réponse est essentiellement de la compétence des partenaires sociaux !
Ce projet de loi est une copie des revendications de la Communauté genevoise d'action syndicale; c'est une irruption politique dans les discussions entre partenaires sociaux. Le Conseil d'Etat et les milieux patronaux ont d'ailleurs exprimé leur mécontentement. Ce projet de loi est très néfaste. D'une part, il représente une ingérence dans le dialogue social, d'autre part, il propose d'inscrire dans la loi des éléments émanant de l'un des partenaires sociaux seul, ce qui est contraire à la raison d'être du partenariat social.
Pour le groupe UDC, notre paix sociale repose sur le partenariat social et cela doit rester ainsi. Le PL 12048 est une ingérence politique et n'apporterait aucune amélioration à la situation actuelle, mais handicaperait fortement le dialogue social. Pour ces raisons, le groupe UDC vous recommande de rejeter ce projet de loi ainsi que cette motion.
M. Jacques Blondin (PDC). Monsieur le président, ce projet de loi se heurte à trois arguments. Le premier est chronologique, le second concerne la responsabilité, le troisième l'efficacité. Concernant la chronologie, on entend bien que le parlement puisse toujours avoir le dernier mot. Cependant, quand un projet de loi est déposé après que le CSME est parvenu à un consensus, on vide de leur substance le rôle et le sens de cette structure. Si le CSME n'arrive pas à mettre d'accord les partenaires sociaux, un projet de loi peut débloquer la situation. Or, ce qui est choquant ici, c'est qu'ils se sont mis d'accord.
Au-delà de la chronologie, le problème de la responsabilisation des acteurs se pose. Les partenaires sociaux, du côté patronal, ont eu de la peine à aboutir à un accord. Il a fallu leur démontrer que certaines de ces pratiques n'étaient pas acceptables. S'ils savent qu'un projet de loi vient figer les éléments qui ont fait l'objet de discussions, ils ne seront plus d'accord de se livrer à cet exercice.
Vient enfin le troisième argument, celui de l'efficacité. Le projet de loi grave un texte dans le marbre. Or, les dispositifs de sanction de la LIRT ont souvent un temps de retard. Il est bien plus profitable que les deux acteurs du partenariat social puissent se mettre d'accord. Les propos d'un député socialiste en commission seraient vrais si la chronologie était celle qu'il laissait entendre en disant que la gauche a déposé un projet de loi parce que les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à se mettre d'accord. Or, tel n'est pas le cas !
Très attaché au partenariat social et bien évidemment aux conditions de travail des apprentis et à tout ce qui les régit, le parti démocrate-chrétien n'entrera pas en matière sur le projet de loi ni sur la motion et vous invite à les refuser.
Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, je vais commencer par répondre à M. Pfeffer; vous voudrez bien lui transmettre, Monsieur le président. Ce projet de loi n'est absolument pas une copie conforme des revendications de la CGAS ! C'est une copie conforme de l'accord conclu sous l'égide du CSME, organisation tripartite qui regroupe aussi les associations patronales, qui regroupe aussi l'OCIRT. Ce sont donc des revendications concertées et admises par l'ensemble de ces partenaires. Cet accord et le présent projet de loi tentent de proposer une solution face à l'explosion du nombre de stages ces dernières années, qui constituent une des formes les plus criantes d'exploitation dans le monde du travail. Des jeunes en majorité - mais pas seulement - se retrouvent à travailler tout simplement sans rémunération alors qu'ils ont une formation pour faire le travail en question ! On a aussi vu certains employeurs utiliser de façon prépondérante des stagiaires pour leurs diverses activités. Ce n'est évidemment pas acceptable, parce que cela plonge ces travailleurs prétendument stagiaires dans une situation de grande précarité: certains d'entre eux travaillent à 100% chez un employeur sans recevoir aucune rémunération pour cela !
De plus, cela crée encore des inégalités entre les jeunes, et c'est aussi ce que nous contestons. Aujourd'hui, la case «stage» est un peu une étape obligatoire pour s'insérer dans le marché du travail. Or, une inégalité s'instaure entre, d'une part, les jeunes qui peuvent être soutenus par leurs parents encore après leurs études et se permettre de passer quelques mois sans salaire et, d'autre part, ceux qui ne sont pas soutenus financièrement et verront leur insertion dans le monde professionnel largement entravée.
Cela instaure aussi une situation de concurrence déloyale entre les entreprises qui jouent le jeu, qui paient leurs employés pour le travail fourni, et les autres entreprises, qui utilisent le travail bon marché que constitue le stage. Pour le parti socialiste, si les coûts de formation doivent bien sûr être assurés par le secteur public et, dans une bien moins grande partie évidemment, par la personne en formation, les coûts de l'acquisition d'expérience et du perfectionnement professionnel doivent être assumés par l'employeur.
On a parlé de cet accord trouvé entre les associations patronales, les syndicats et l'Etat, qui propose une solution novatrice, étant donné qu'on ne peut pas régir la rémunération d'un stage en tant que telle puisqu'il s'agit d'une compétence fédérale. Eh bien, les associations patronales, syndicales et l'Etat ont décidé d'agir sur la définition de ce qu'est un stage - une définition assez stricte, mais qui répond véritablement à ce qu'on entend que soit un stage au sens propre du terme: il doit se faire dans le cadre d'une formation certifiante, ou pour accéder à une formation certifiante, ou dans le but d'une réinsertion professionnelle. C'est un dispositif qui doit être inscrit dans une loi fédérale ou cantonale. C'est tout ! Tous les autres types d'engagements doivent être considérés comme des emplois et non comme des stages ! Cela veut dire qu'un jeune qui sort de formation, qui cherche un emploi et à qui l'on propose systématiquement des stages non rémunérés ou payés 1000 ou 2000 francs par mois subit tout simplement du dumping salarial, et qu'il faut attaquer cela comme tel.
Aujourd'hui, cet accord est sur la table. Un accord, c'est bien; malheureusement, on le sait, on le voit de temps en temps, un accord peut être dénoncé par un des partenaires. Or, comme il s'agit d'un bon accord, qui fait vraiment un pas dans la bonne direction, qui répond à une problématique évidente, qui répond à une préoccupation majeure de la population, nous avons aujourd'hui une chance à saisir. Cette chance est d'avoir la possibilité de pérenniser cet accord, de l'inscrire dans la loi et d'agir de manière efficace pour lutter contre l'exploitation des stagiaires et l'expansion de ce qu'on appelle désormais les stages bidon. Raison pour laquelle nous vous remercions d'accepter ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Jacques Béné (PLR). Monsieur le président, je crois qu'on est à peu près tous d'accord. Le titre du projet de loi est clair, les premiers emplois ne sont pas des stages, mais ce qu'on peut dire aussi, c'est que les stages ne sont pas forcément des premiers emplois. J'en veux pour preuve que le Conseil de surveillance du marché de l'emploi a effectivement validé des critères permettant de définir si un stage est bien un stage, ce qui s'est fait dans le cadre de négociations tripartites, comme on l'a relevé, justement parce qu'on arrive encore à être exemplaire en matière de partenariat social dans ce canton.
Mesdames et Messieurs, si on inscrit à chaque fois dans la loi un accord conclu entre partenaires sociaux, le risque est que les négociations ne pourront plus se dérouler dans la sérénité: les partenaires sauront que l'accord sera fixé dans la législation genevoise, alors que la plupart des accords sont modifiables dans le temps, en fonction de la modification des conditions-cadres. Ce n'est pas pour rien que les conventions collectives de travail ont une durée déterminée: cela permet de les renégocier si jamais quelque chose se passe mal.
Donc, le CSME fait son travail, l'OCIRT aussi, en cadrant les bonnes pratiques. J'aimerais ajouter que s'il y a quelque chose à faire, ce serait déjà à l'Etat d'agir, et je vais vous donner un exemple. Dans le domaine de la petite enfance, pour travailler dans une crèche, il faut avoir suivi une formation. Toutefois, pour s'inscrire à cette formation, il faut avoir effectué 800 heures de stage. 800 heures de stage, Mesdames et Messieurs ! Ce sont donc vingt semaines de travail dans une crèche, la plupart du temps non payées, pour ensuite éventuellement obtenir une place à l'école de la petite enfance, ce qui n'est même pas garanti. Cependant, pour vous inscrire, il faut avoir fait les 800 heures de stage ! Donc, je pense qu'en matière d'exemplarité, l'Etat devrait montrer ce qu'il sait faire !
Mesdames et Messieurs, il n'y a aucun intérêt à légiférer; ça remettrait en cause le partenariat social. Si l'OCIRT et le CSME ne faisaient pas leur travail, on pourrait encore discuter, mais ce n'est de loin pas le cas. Je vous invite donc à rejeter ces deux textes.
M. François Baertschi (MCG). Monsieur le président, pour le groupe MCG, autant le projet de loi que la motion sont de mauvaises propositions qui vont causer du tort aux habitants de notre canton. Les autorités compétentes ont déjà mis en place un dispositif qui permet de s'attaquer efficacement aux abus en matière de stages. Aller plus loin serait dangereux: cela fermerait la porte à de futurs employés qui veulent être engagés et qui peuvent, grâce à ces stages, trouver une introduction efficace dans leur futur emploi. De plus, il est certain que le projet de loi autant que la motion auraient un effet collatéral sur l'emploi abusif de travailleurs frontaliers. En effet, en fermant la porte à des résidents locaux qui veulent accéder au marché du travail, on ira irrémédiablement chercher des travailleurs frontaliers. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) On sait que ces travailleurs frontaliers sont cherchés de plus en plus loin: à Lille, à Marseille ou encore bien plus loin. (Brouhaha.)
Le président. Un instant, Monsieur Baertschi, un instant ! (Un instant s'écoule.) Voilà, je vous laisse continuer.
M. François Baertschi. Je voudrais juste rappeler un chiffre mentionné lors de l'étude d'un des textes précédents: le chômage réel est de plus de 11% à Genève selon les chiffres du BIT. Nous sommes dans une situation délicate et tous les moyens doivent être utilisés pour que les résidents genevois puissent trouver un emploi. C'est véritablement le combat actuel. C'est la société que nous souhaitons, une société solidaire où chacun trouve sa place.
Quand on parle de stages abusifs, je n'y comprends rien. On a quand même obtenu des informations de quelques intervenants en commission; notamment, on nous a indiqué que le CSME, un organisme qui intègre à la fois les employeurs et les syndicats, mène actuellement un travail contre les abus dans les stages.
On a voulu réinventer la roue pour des questions politiciennes, mais en réinventant la roue, qu'est-ce qu'on fait ? On augmente les dépenses pour l'Etat de Genève et on réduit l'accès au marché du travail pour de nombreux Genevois ! On mène une politique irresponsable ! Un article de presse a révélé qu'une personne engagée par les organisations internationales ne gagnait pour ainsi dire rien, des clopinettes ou des bouts de ficelle. En apprenant ce genre de choses, la classe politique genevoise et les médias se sont énervés et ont commencé à déposer des textes qui ne correspondent pas à la réalité. Actuellement, un travail est fait par les partenaires sociaux. C'est une tâche que le législateur doit laisser faire: il faut à tout prix ne pas vouloir intervenir pour tout et pour rien en légiférant de manière inutile, parce qu'on cause ainsi un tort considérable à la population genevoise. C'est le grand danger de ce type de textes qui viennent détruire le travail des partenaires sociaux. Je vous recommande donc de voter résolument non à ce projet de loi et à cette motion, avec le groupe MCG.
Le président. Merci. C'est marrant comme il y a du silence, tout à coup ! Je passe la parole au député Serge Hiltpold.
M. Serge Hiltpold (PLR). Merci, Monsieur le président. Encore quelques commentaires sur cette motion et ce projet de loi. J'aimerais attirer votre attention sur le fait que le Conseil de surveillance du marché de l'emploi est l'organe le plus compétent pour traiter cette thématique. Pourquoi ? Parce que vous traitez ces sujets avec des délégués qui viennent du terrain, qui ont des compétences qu'ils ont acquises eux-mêmes. Je ne trouve pas normal que ce parlement veuille sans arrêt s'immiscer dans le partenariat social. J'ai le plus grand respect pour Mme Marti, mais à un moment donné, il faut connaître un peu les structures. Ces problèmes ont été identifiés par l'Etat, par les syndicats, par les associations patronales. Il existe des mesures correctrices, des mesures de surveillance, des mesures pragmatiques, et il faut garder cette souplesse. Pour légiférer en la matière, malgré toutes les compétences que nous avons les uns les autres, nous n'avons pas ces compétences métier, ces compétences de terrain et cette flexibilité. Je crois que c'est fondamental.
Je vais prendre l'exemple très concret de la fameuse loi sur les heures d'ouverture des magasins, avec une convention collective de travail étendue: c'est ce qui a bloqué, c'est ce qui fait qu'il ne s'est rien passé pendant trois ans et qu'on vient de renvoyer les projets de lois en commission - pourquoi ? Parce que cette fois, il faut que les partenaires sociaux trouvent une solution ! Alors faites-leur confiance et ne soyez pas à géométrie variable ! Sur l'inspection paritaire des entreprises, ils ont fait le boulot, le parlement a voté ça à l'unanimité. On ne peut pas vouloir s'approprier des compétences qu'on n'a pas et, surtout, faire les mauvais choix.
Ensuite, j'aimerais réagir sur l'obligation de faire des stages pour trouver un travail, évoquée par Mme Marti. Ce n'est pas vrai ! Si vous suivez une filière traditionnelle, vous n'êtes pas obligé de faire un stage pour avoir du travail ! Si vous faites une formation initiale duale dans une entreprise et une HES, vous n'avez aucun stage à faire, vous êtes en adéquation avec le monde du travail. Le problème des stages survient quand vous allez d'une passerelle à l'autre, après une maturité gymnasiale pour aller ensuite dans une HES. Oui, vous effectuerez une année non rémunérée. Mais c'est heureux, parce que vous donnez la possibilité aux gens qui sont en formation duale de ne pas faire cette année - c'est pour ça que les HES ont été faites. Donc ne dites pas n'importe quoi ! Il y a des règles et il n'est pas normal non plus qu'un jeune porteur d'une maturité gymnasiale soit rémunéré durant une année sans aucun papier pour entrer dans une HES alors que les personnes qui font des CFC sont en adéquation.
Le président. Il vous faut terminer !
M. Serge Hiltpold. Il ne faut pas tout mélanger et il faut laisser ces compétences aux commissions précitées ! Merci. (Applaudissements.)
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Je rappellerai juste à M. Baertschi que la «Tribune de Genève» a relayé qu'une entreprise avait engagé 600 stagiaires non rémunérés en douze ans. C'est quand même joli ! Enfin, ce soir j'observe quelque chose qui ne m'étonne malheureusement pas de la part de la droite: lorsqu'il n'y a pas d'accord entre les partenaires sociaux, il ne faut surtout pas légiférer, et lorsqu'il y a un accord entre les partenaires sociaux, il ne faut pas légiférer non plus. Bref, la droite ne veut jamais que nous légiférions pour améliorer les conditions de travail des travailleurs dans ce canton ! (Applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de majorité. Chers collègues, le débat a été animé et divers aspects ont été présentés. Malheureusement, beaucoup ont exprimé des convictions personnelles ou demandé des améliorations totalement étrangères à l'essence de ce projet de loi. Mais une synthèse a été faite: lors de la séance du 11 septembre 2017 - mentionnée à la page 16 de mon rapport - nous avons auditionné l'OCIRT et sa directrice a expliqué ce qui s'est passé exactement. Il a fallu deux ans au CSME pour arriver à se définir et à conclure cet accord. Au bout de ces deux ans, il a confirmé qu'il n'y avait aucune divergence, aucun antagonisme au sujet de l'accord. Par contre, il est vrai que la dissension porte sur la question suivante: faut-il ou ne faut-il pas inscrire dans la LIRT cet accord durement négocié ?
En définitive, ce qui a dirigé la position de la majorité de la commission, c'est que tout était fait, bien que M. de Sainte Marie me dise qu'il veut reprendre le texte point par point. On peut faire ça, mais ce projet de loi n'amène rien. Il s'agit d'une question politique, on discutera dans cette enceinte de savoir s'il est nécessaire que chaque accord tripartite figure dans la LIRT. La réponse est non, on a bien vu que le travail a été fait. Et surtout, il ne s'agirait pas d'améliorer l'accord trouvé; il s'agirait de fixer cet accord dans le marbre avec la rigidité que cela implique et peut-être, sur le long terme, les inconvénients évoqués.
Donc, Mesdames et Messieurs les députés, revenons à l'essence, ce que ce projet de loi a voulu figer dans le marbre et qui a été largement discuté en près de deux ans dans une commission tripartite. Je crois que la volonté générale - tant du côté des travailleurs que du côté des entreprises - est que cette commission puisse perdurer et produire le résultat qu'un député nous a bien décrit. Je ne peux que vous encourager à refuser ce projet de loi et cette motion, car ils vont à l'encontre des larges principes de réussite que nous avons actuellement dans notre canton de Genève.
Le président. Merci, nous allons voter sur ces deux objets.
Mis aux voix, le projet de loi 12048 est rejeté en premier débat par 53 non contre 39 oui.
Mise aux voix, la proposition de motion 2148 est rejetée par 54 non contre 34 oui et 5 abstentions.