Séance du vendredi 18 octobre 2019 à 14h
2e législature - 2e année - 5e session - 24e séance

M 2486-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Jocelyne Haller, Jean Burgermeister, Pablo Cruchon, Stéphanie Valentino, Pierre Vanek, Christian Zaugg, Olivier Baud, Pierre Bayenet pour une campagne de lutte contre la précarité issue du non-recours
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 12 et 13 septembre 2019.
Rapport de Mme Jocelyne Haller (EAG)

Débat

Le président. L'ordre du jour appelle la M 2486-A. Le rapport est de Mme Jocelyne Haller, à qui je passe la parole.

Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission des affaires sociales a accepté à l'unanimité moins une abstention de prendre en considération la M 2486 et de la renvoyer au Conseil d'Etat. Cela étant, si j'ai souhaité prendre la parole sur ce texte, c'est parce que pendant de nombreuses années on a beaucoup parlé des abus de l'aide sociale, alors qu'en fait ce phénomène ne recouvre qu'une très faible partie de la réalité de l'accès aux prestations et de leur distribution.

En revanche, il est un phénomène dont on n'a pas beaucoup parlé, celui du non-recours, qui implique que certaines personnes ne reçoivent pas les prestations auxquelles elles pourraient légitimement prétendre. Différents motifs mènent à cette situation de non-recours: ce peut être premièrement l'ignorance de l'existence de certaines prestations, ce qui renvoie à la nécessité de fournir une meilleure information, voire de mener des campagnes d'information. Toutefois, de manière générale les autorités se prêtent difficilement à ce genre d'exercice par crainte d'un effet d'appel d'air, alors qu'il est seulement question de donner accès à des prestations auxquelles les gens ont droit. Il ne s'agit pas de créer une situation dans laquelle certaines personnes aspireraient à des prestations de façon infondée, mais simplement de respecter les droits des individus.

Le fait que les gens soient parfois rebutés lorsqu'ils formulent des demandes aux services compétents constitue un deuxième facteur de non-recours, et ils reçoivent une réponse négative soit parce que les procédures administratives sont trop complexes et contraignantes, soit parce que les professionnels sont submergés, n'arrivent pas à faire face aux demandes et pratiquent des reports d'échéance, soit parce qu'on leur refuse simplement l'accès aux prestations. On peut aussi se retrouver dans des situations un peu plus perverses, en un sens, puisqu'on en arrive à ce que les professionnels ou les institutions redéfinissent de nouvelles procédures qui rendent l'accès aux prestations encore plus difficile.

Par ailleurs - c'est le troisième facteur - un certain nombre de personnes renoncent à des prestations pour divers motifs: il se peut qu'elles ne veuillent pas dépendre d'une prestation de l'Etat et qu'elles ressentent une espèce de fierté à ne pas recourir, ou qu'elles se trouvent dans l'impossibilité d'accéder à ces prestations pour d'autres raisons et qu'elles choisissent d'y renoncer. La non-adéquation de certains processus administratifs, par exemple, avec pour effet que les gens préfèrent renoncer à des prestations, est une situation à laquelle on est régulièrement confronté. C'est le cas notamment des prestations complémentaires familiales - PCFam - versées aux familles de travailleurs pauvres, en particulier lorsque les personnes présentent des revenus variables. En effet, les procédures administratives et le logiciel du service des PCFam ne sont absolument pas adaptés à ces circonstances et provoquent des situations inextricables pour les usagers: on leur délivre des prestations sur la base de données périmées dans la mesure où l'on ne peut pas régulièrement adapter les calculs, si bien qu'on génère finalement des indûment perçus qui mettent les bénéficiaires en difficulté, puisqu'ils doivent les rembourser les mois suivants.

Cette inadéquation des processus administratifs et institutionnels est donc inquiétante, et la motion propose un certain nombre d'invites en vue de corriger précisément ces phénomènes. Elle invite notamment le Conseil d'Etat à mettre sur pied une campagne visant à informer la population de l'existence de certaines prestations, à travailler en collaboration avec les communes, à réaliser une brochure informant les personnes de leurs droits sociaux et à la transmettre aux habitants, à sensibiliser les services de l'Etat et des institutions autonomes recevant des usagers à la problématique du non-recours, à améliorer l'information sociale délivrée, dans les services de l'Etat, à l'OCE et à l'Hospice général, aux personnes qui y recourent - notamment aux personnes fragilisées qui se rendent à l'Hospice général, dont un certain nombre ne parviennent pas à accéder à leurs droits - et à s'assurer que les services concernés disposent des moyens adéquats pour réaliser l'entier de leurs missions, et plus particulièrement leurs devoirs d'information et de prévention. C'est là que le bât blesse particulièrement !

La commission a souhaité modifier la première invite qui demandait la mise sur pied d'un institut de veille. Elle demande désormais qu'un suivi de l'évolution quantitative du phénomène du non-recours soit assuré. Moyennant cet amendement, la motion a été adoptée à l'unanimité moins une abstention, raison pour laquelle la majorité de la commission vous recommande de l'accepter en la renvoyant au Conseil d'Etat.

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, je vous rappelle que nous sommes toujours aux extraits ! La parole est à M. Bertrand Buchs.

Une voix. Mais non !

M. Bertrand Buchs (PDC). Mais oui ! Merci, Monsieur le président. Chers collègues, j'aimerais très rapidement mentionner un élément dont Mme Haller n'a pas parlé, à savoir que lorsqu'on ne sert pas des prestations, l'Etat fait des économies. C'est un effet un peu pervers ! On hésite donc souvent à mener des campagnes de prévention, en se disant que l'on table quand même sur certaines économies que l'on va faire pour le budget. Les campagnes de prévention sont pourtant importantes, parce qu'il faut que les gens soient conscients de leurs droits. Merci.

M. Marc Fuhrmann (UDC). J'aimerais juste apporter un complément. J'ai entendu que la fraude était minime, mais je pense que c'est un peu comme le problème de la drogue: si on réduit le nombre d'inspecteurs, on réduit d'autant les chiffres, et on atténue ainsi le problème. Cela dit, en soi, on ne sait pas ! On peut réaliser des estimations, mais la réalité, on ne la connaît pas.

La commission dans son ensemble a effectivement estimé que les personnes qui étaient en droit de recevoir des prestations sociales devaient les obtenir, mais - et c'est l'objet de mon intervention - il ne faut pas que ça devienne un automatisme. C'est le danger ! Il faut toujours qu'il y ait un contact, que la demande soit réfléchie et posée, et qu'elle soit suivie non pas d'une enquête, parce que je n'ai pas envie d'utiliser ce terme, mais en tout cas d'une réflexion, afin que l'on sache si cette aide est accordée à juste titre et si elle se doit d'exister. L'idée est donc que l'on n'automatise pas les choses et que les entités concernées ne servent pas uniquement de distributeur d'aide sociale. Ce n'est vraiment pas le but ! Merci.

Mme Frédérique Perler (Ve). Mesdames et Messieurs, M. Buchs a raison: il y a un effet pervers lié au phénomène de non-recours aux prestations mises en place par une collectivité publique, à savoir l'économie entraînée par la restriction des budgets. Je le remercie de l'avoir rappelé - vous transmettrez, Monsieur le président - même si cette notion était sous-jacente aux propos de la rapporteure.

J'ajouterai très brièvement qu'il est maintenant nécessaire, après les études fouillées et très scientifiques réalisées au sujet de ce phénomène, que le Conseil d'Etat travaille sur ces facteurs - à cet égard les invites de la motion sont très précises - si tant est que ce dernier souhaite éliminer tous les phénomènes de non-recours, atteindre l'objectif lié aux politiques publiques qu'il mène et pouvoir en mesurer le succès auprès de la population, sans quoi il s'agirait de budgets mal orientés et mal investis. Je vous remercie.

M. Sylvain Thévoz (S). Le parti socialiste soutiendra évidemment cette motion. Il faut rappeler que le non-recours à l'aide sociale touche encore un pourcentage important de la population et qu'il est inacceptable aujourd'hui que des citoyens n'exercent pas les droits qui sont les leurs, pour de multiples raisons. Cela peut être parce que les circuits de l'administration sont difficiles à identifier et à pénétrer, ou parce que suivant la commune où vous habitez, certains services existent, alors que dans d'autres communes ils ne sont pas forcément en place. En ville de Genève, par exemple, il y a des points info-services - il s'agit d'un service universel - qui indiquent le chemin à suivre pour demander des aides administratives, tandis que certaines communes plus petites n'offrent pas toujours ce genre d'assistance.

On sait par ailleurs que le non-recours à l'aide sociale frappe parfois des personnes non francophones, qui rencontrent des problèmes de compréhension, ou des personnes qui ne sont pas connectées. On est à l'ère de l'informatique, mais il y a des gens qui ont de la peine à identifier les moyens administratifs quand ils sont au format numérique. On observe aussi que dans les plus petites communes il existe encore une honte sociale liée au fait de demander de l'aide. On se rend compte, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il y a de fortes inégalités; il est donc évident que le Conseil d'Etat doit s'impliquer avec force ! C'est une question de droits, de respect de la législation et d'équité devant la loi.

D'autre part, le parti socialiste se désole que lorsqu'on parle de non-recours, l'UDC entende «abus social», et que lorsqu'on parle de droits, elle entende «automatisme de la demande». Je pense que c'est une erreur, et une erreur qui coûte cher à la société, car si les gens n'exercent pas leurs droits, ils finissent par péjorer leur situation, que ce soit en termes de santé, d'accès à l'emploi ou simplement de vie en société. Ce sont parfois des personnes âgées - vous transmettrez à M. Fuhrmann, Monsieur le président - qui oublient ou qui ne savent pas qu'elles peuvent demander des prestations complémentaires, ou alors des gens qui travaillent mais qui émargent à l'aide sociale car ils sont sous les barèmes. Ce n'est donc pas lié au fait que l'on soit suisse ou étranger, qu'il y ait un abus social ou non; il s'agit vraiment d'une question de respect de la légalité, et toutes les classes sociales sont touchées, principalement les résidents qui, encore aujourd'hui, ne recourent pas à l'aide sociale parce que l'Etat n'est pas assez clair en ce qui concerne les portails d'entrée et les droits de chacun.

Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat. Merci. (Applaudissements.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). Je prends cette fois-ci la parole au nom de mon groupe, et ce depuis ma place, pour ajouter une précision qui nous a été fournie par Mme Lucas, la responsable de l'étude sur le non-recours. Elle nous a en effet appris que certaines études avaient montré qu'un franc investi rapportait trois francs en retour. Voilà qui conforte les propos de mes collègues qui ont insisté sur la question de l'économie réalisée lorsqu'on investit véritablement pour faire de la prévention.

J'aimerais aussi indiquer à M. Fuhrmann - vous voudrez bien lui transmettre, Monsieur le président - qu'à Genève, contrairement à ce qui se passe dans d'autres cantons, cela fait plusieurs décennies que nous avons un service d'enquête qui intervient précisément auprès des bénéficiaires de prestations pour vérifier la véracité des informations données. Genève s'est donc doté d'un instrument qui lui permet aussi de veiller à diminuer le nombre d'abus éventuels, mais les statistiques révèlent que leur pourcentage est extrêmement faible. Pourtant, on a entendu peu de gens se plaindre du phénomène de non-recours, alors qu'on en a entendu beaucoup gloser sur la problématique des abus - abus qui avaient été totalement surestimés.

Je vais conclure en évoquant la question des moyens. En effet, ce qu'on observe aujourd'hui - et toutes les études le montrent bien, que ce soit le rapport d'Evaluanda sur la LIASI ou d'autres enquêtes - c'est que si les professionnels n'ont pas les moyens de répondre aux besoins des usagers, eh bien la durée d'intervention s'allonge et la facture pour l'Etat s'agrandit considérablement. C'est donc le moment ou jamais, à la veille de nos discussions sur le budget, de prendre conscience de ces phénomènes, parce qu'il y a parfois des économies qui coûtent très cher. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Le président. Merci. La parole n'étant plus demandée, j'appelle l'assemblée à se prononcer sur ce texte.

Mise aux voix, la motion 2486 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 64 oui contre 1 non et 7 abstentions.

Motion 2486