Séance du vendredi 7 juin 2019 à 18h
2e législature - 2e année - 2e session - 9e séance

M 2487-A
Rapport de la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Frédérique Perler, François Lefort, Alessandra Oriolo, Delphine Klopfenstein Broggini, Yves de Matteis, Marjorie de Chastonay, David Martin, Yvan Rochat, Pierre Eckert, Isabelle Pasquier, Jean Rossiaud, Adrienne Sordet, Jocelyne Haller, Olivier Cerutti, Anne Marie von Arx-Vernon, Mathias Buschbeck, Bertrand Buchs, Katia Leonelli, François Lance, Paloma Tschudi pour une prise en charge immédiate des mineurs non accompagnés ne relevant pas de l'asile, dans le respect de la Convention des droits de l'enfant
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XI des 9 et 10 avril 2019.
Rapport de majorité de Mme Céline Zuber-Roy (PLR)
Rapport de minorité de M. Marc Falquet (UDC)

Débat

La présidente. Nous passons au rapport sur la M 2487, dont nous débattons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité est de Mme Céline Zuber-Roy et le rapport de minorité de M. Marc Falquet, que j'invite à monter à la tribune. Je cède immédiatement la parole à Mme la rapporteure de majorité.

Mme Céline Zuber-Roy (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Madame la présidente de séance. La commission des Droits de l'Homme a étudié cette motion lors de trois séances: les 29 novembre et 6 décembre 2018, puis le 7 février 2019. Elle a procédé à trois auditions, d'abord de l'auteure, Mme Frédérique Perler, ensuite de l'association Païdos et du Service social international et, pour finir, de la conseillère d'Etat Anne Emery-Torracinta, accompagnée du directeur du SPMi.

L'invite unique de cet objet demande une prise en charge immédiate et de qualité des mineurs non accompagnés ne relevant pas de l'asile, notamment sur le plan de l'hébergement et de l'accompagnement sociosanitaire, conformément à la Convention des droits de l'homme. A travers les travaux de la commission, nous avons pu voir qu'il est question de mineurs qui traversent l'Europe et sont de passage à Genève. Nous avons vraiment compris qu'ils n'ont pas la volonté de s'installer et encore moins de s'intégrer à Genève; ce sont des jeunes en errance en Europe, sans soutiens familiaux, et dont la prise en charge est très problématique.

Comme l'indiquent la motion et les termes «hors procédure d'asile», il s'agit de jeunes qui n'ont pas déposé une demande d'asile, principalement parce qu'ils ne remplissent pas les conditions et seraient donc immédiatement déboutés. Dans des cas plus rares, ce sont des jeunes qui n'ont pas été orientés vers cette procédure. Le SPMi nous a indiqué qu'il en a dénombré 86 entre avril et décembre 2018, surtout âgés de 15 à 17 ans et originaires d'Afrique du Nord. Le problème de ces jeunes, qui sont principalement à la rue, c'est qu'ils sont très vulnérables. Ils sont notamment sujets à la prostitution, voire à des trafics comme la traite d'êtres humains. Il faut également prendre en compte l'aspect sociétal puisqu'ils risquent de tomber dans la délinquance.

Le temps passe très vite, je vais donc avancer. Au niveau de l'Etat, nous avons vu que le gouvernement est conscient du problème et qu'il a essayé d'y répondre. En hiver 2017, c'étaient les abris PC de la ville qui accueillaient ces mineurs, mais il a été décidé d'y renoncer suite à des problèmes comportementaux. Au moment des auditions, ces jeunes étaient logés à l'hôtel Aïda, à Plainpalais, où il n'y avait pas d'encadrement. Les repas étaient pris en charge: petit-déjeuner à l'hôtel et les HUG s'occupaient du repas du soir. Pendant les midis, une prise en charge était assurée de 10h à 13h par l'association Païdos à travers son programme du Cap. Celle-ci essaie de créer des liens avec ces jeunes, des liens de confiance pour voir quel avenir ils veulent; ce point a vraiment été mis en avant. Il y a de plus un manque de place à l'hôtel Aïda, ce qui fait que le SPMi doit parfois, en toute conscience, accepter que des mineurs dorment dans la rue, ce qui n'est clairement pas conforme au droit des enfants.

C'est dans ce cadre-là que le Conseil d'Etat a voulu mettre en place une procédure qui visait d'abord à identifier ces jeunes et à les héberger au foyer de l'Etoile. Toutefois, il y a eu des problèmes lors des identifications: quand la police prenait leurs empreintes, elle gardait certains d'entre eux vu qu'ils n'avaient pas de papiers, ce qui n'était pas du tout l'idée de base. Le foyer de l'Etoile, géré par l'Hospice général, était par ailleurs réticent à l'idée de les avoir parce que ça posait des problèmes avec les autres résidents.

Pour conclure, la commission a décidé de soutenir cette motion par sept voix pour, une voix contre et une abstention. La volonté de la commission, exprimée par ce vote, est de soutenir les efforts des autorités et des associations pour mettre en oeuvre les droits fondamentaux de ces mineurs. La commission reste cependant consciente des difficultés de la situation actuelle, qui est complexe. Je vous remercie, Madame la présidente de séance.

M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de minorité. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, tout d'abord, de qui parle-t-on ? Qui sont ces mineurs non accompagnés ? Chaque année, plusieurs milliers de Maghrébins quittent leur pays, sûrement pour des raisons de pauvreté, pour essayer peut-être de trouver un avenir meilleur, ou simplement pour visiter l'Europe. Une fois qu'ils n'ont plus les moyens de rester en Europe, deux solutions s'offrent à eux: soit ils retournent dans leur pays d'origine, soit ils décident de rester malgré tout - pour l'exemple, ce sera à Genève ou en Suisse - en vivant de la délinquance.

Alors on parle de personnes vulnérables, de personnes qui s'adonnent à la prostitution, à la délinquance; c'est exact ! Ce sont leurs choix ! Ces gens font le choix de ne pas respecter les règles dans notre pays: de commettre des délits, de ne pas respecter les lois. Ils peuvent bien entendu venir dans notre pays - je crois qu'ils peuvent rester trois mois - puis retourner dans le leur. Mais s'ils viennent ici et s'installent dans la délinquance, je ne pense pas qu'il faille récompenser leur conduite en leur procurant un logement et une assistance socio-éducative.

Ces gens... Bon, pour commencer, on ne sait pas exactement ce qu'ils demandent, mais ce que nous demandons, nous, nous devrions le savoir ! C'est déjà le respect de nos propres lois et également de notre population - et donc qu'ils ne commettent pas de délits. Qu'ils respectent aussi leur pays; ils ont un pays et une famille, et nous demanderions plutôt que l'on puisse contacter leur famille puisqu'ils sont prétendument mineurs. Ce qui n'est pas forcément prouvé, car ils dissimulent, voire déchirent leurs papiers d'identité pour compliquer leur identification.

Au lieu de les installer dans un système social, psychosocial, ce serait déjà plus logique de savoir de quelles aides ils ont besoin. Surtout, ce qui nous serait le plus utile, ce serait de les identifier et de les rapatrier dans leur pays, auprès de leur famille. Entretenir des gens qui sont en errance totale est de la responsabilité de leur propre pays, pas de celle de Genève. Ils devraient effectivement rejoindre leur famille, leurs proches, avec l'aide des autorités de leur propre pays. Pour l'instant, j'en reste là.

La présidente. Je vous remercie, Monsieur le député. Madame la députée Frédérique Perler, vous avez la parole.

Mme Frédérique Perler (Ve). Merci, Madame la présidente de séance. Je suis très heureuse d'entendre une voix féminine en ce jour de veille de célébration de la grève des femmes ! (Applaudissements.) Inutile de vous dire que je suis extrêmement choquée par les propos du rapporteur de minorité. Je remercie par ailleurs la rapporteure de majorité pour son rapport très complet. J'ai néanmoins été assez choquée par les propos tenus par Mme Anne Emery-Torracinta lors de son audition, qui se reflètent tout de même un petit peu dans ceux que vient de tenir M. Falquet - vous transmettrez, Madame la présidente.

Personnellement, je m'attendais à un peu plus de la part du Conseil d'Etat, c'est-à-dire à l'adoption d'une position de principe consistant à dire qu'on ne veut plus de jeunes dans la rue, quelles qu'en soient les raisons. Nous sommes signataires de la Convention relative aux droits de l'enfant, le SPMi - le service de protection des mineurs - est chargé de protéger les enfants qui n'ont pas de parents pour s'occuper d'eux. Le rapport ne nous apprend pas grand-chose de plus, si ce n'est qu'il devait y avoir une réunion le lendemain de l'audition, dixit la magistrate. Depuis, six mois se sont écoulés et nous n'avons aucune information supplémentaire. En attendant - je suis navrée mais c'est la vérité, la réalité crue - la situation est la même qu'il y a six mois: des mineurs dorment dehors alors qu'ils sont en principe sous la responsabilité du service de protection des mineurs.

Cette situation me désole parce qu'il m'est tout récemment venu aux oreilles, par une institution sociale privée, que quelques jeunes ont été mis dehors de ce fameux hôtel Aïda. Au fond, ils n'avaient d'autre possibilité que de rester dans la rue, le SPMi ne voulant pas intervenir. Cela questionne, à plus d'un titre, parce que notre responsabilité est de les protéger, quelle que soit leur origine et quelle que soit leur situation. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, si un de nos enfants âgé de 16 ou 17 ans fait du raffut dans un foyer de la Fondation officielle de la jeunesse, on ne le met pas à la rue ! (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

Ces mineurs non accompagnés ont besoin d'être ailleurs que dans un hôtel miteux, sans encadrement; ce n'est pas le travail d'un hôtelier. Ils ont besoin d'un encadrement sanitaire et ils ont besoin d'un encadrement éducatif ! A Genève, nous avons les moyens. Il faudrait réunir toutes ces associations et les coordonner, et que le service de protection des mineurs prenne ses responsabilités. Le principe de base est toujours le même: protéger ces jeunes. La délinquance est véritablement une conséquence...

La présidente. Il vous faut conclure, Madame la députée.

Mme Frédérique Perler. ...de cette absence de protection. Je m'arrêterai là, Madame la présidente, tout en vous remerciant. (Applaudissements.)

M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, je souhaiterais dénoncer ici le cynisme de la position de l'exécutif. Je pense en effet qu'il y a un certain cynisme dans le statut actuel de ces mineurs qui sont dans la rue. Cynisme qui transparaît d'ailleurs à la lecture des interventions de Mme la conseillère d'Etat lors de son audition. En début d'audition, elle relève que... Peut-être - enfin, j'espère - qu'il y a des erreurs dans la transcription, mais si je me penche sur les interventions de Mme la conseillère d'Etat, je lis qu'«elle observe que ces jeunes commettent donc des délits, que ce soient des vols ou des atteintes à l'intégrité de certaines personnes», et que «ces jeunes mettent à mal le système». Ainsi, on accuse les jeunes de mettre à mal le système au lieu d'accuser le système de ne pas être à même de leur apporter le soutien dont ils ont besoin !

Mme Torracinta indique qu'«au niveau du SPMi, ce n'est pas simple car cela donne un énorme surcroît de travail aux collaborateurs». En fait, ces mineurs nous embêtent non pas parce qu'ils dorment dans la rue mais parce qu'ils donnent du travail au SPMi. La personne qui était à l'époque directeur ad interim de ce service, M. Thorel, «relève que le SPMi se trouve dans une situation très difficile relativement à ces MNA pour les raisons évoquées». De nouveau, qui est-ce qui a des difficultés ? Ce ne sont pas les jeunes, non, non: c'est le SPMi, qui se trouve dans une situation difficile à cause de ces jeunes ! On accuse donc ceux-ci de mettre en danger le SPMi au lieu de mettre en place tous les moyens nécessaires pour leur venir en aide. Cette approche est inadmissible ! Cette approche est scandaleuse !

L'exécutif s'est même posé la question d'ouvrir un abri PC pour héberger les mineurs non accompagnés. Comme si un abri PC, comme si un hébergement d'urgence était ce dont ils ont besoin. Ils ont besoin d'un hébergement, d'une prise en charge intégrée, et c'est pourquoi l'arrêté du Conseil d'Etat du 28 mars 2018, qui est actuellement en vigueur, n'est pas du tout suffisant: il propose uniquement un hébergement d'urgence de nuit plus une structure d'accueil de jour permettant d'accompagner les mineurs dans leurs démarches.

La motion propose quant à elle - elle demande, exige - une prise en charge immédiate et de qualité des mineurs non accompagnés. C'est bien cela qu'il faut ! Parce qu'on découvre à la page 20 du rapport établi sur mandat du Conseil d'Etat ce que fait à l'heure actuelle le SPMi lorsqu'il reçoit un mineur non accompagné. Je vous le lis: «les mineurs ne relevant pas de l'asile sont informés de leurs droits (ou de leur absence de droit sur le territoire suisse)». La première mission du SPMi face à un mineur non accompagné est donc de lui dire s'il a des droits ou pas. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Ensuite, ils «peuvent téléphoner à leurs parents» - deuxième service extrêmement précieux fourni par le SPMi - et, troisièmement, ils sont «orientés vers le pays d'origine ou un Etat tiers dans lequel ils disposent de droits». En résumé, on ne fait rien puisque ces trois services offerts aux jeunes ne servent à rien !

J'entends dire que ces mineurs auraient fait le choix de venir à Genève. Mais ce sont des adolescents, des jeunes ! Est-ce qu'à leur âge nous avons, nous, vraiment toujours fait les bons choix ? Probablement pas, mais nous avions des parents qui nous ont aidés et soutenus, qui nous ont peut-être aidés à rebondir pour faire les bons choix après que nous en avons fait de mauvais.

La présidente. C'est terminé, Monsieur le député.

M. Pierre Bayenet. Ces jeunes-là n'ont pas cette chance; nous devons jouer un rôle social et leur venir en aide. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

La présidente. Je vous remercie. Madame la députée Patricia Bidaux, vous avez la parole.

Mme Patricia Bidaux (PDC). Merci, Madame la présidente... de séance - j'apprends ! Mesdames les députées, Messieurs les députés, cette motion ne traite ni du manque d'informations ni de la volonté des mineurs non accompagnés ne relevant pas de l'asile, et je le dis avec des guillemets, d'échapper aux contraintes liées à une demande d'asile.

Cet objet place notre gouvernement face à ses responsabilités envers des jeunes de 15 à 17 ans exposés à la rue. Certains, comme le relève le rapport de majorité, sont devenus ceux dont «personne ne veut». Ce n'est pas sans raison; c'est peut-être, qui plus est, pour des raisons qui leur incombent directement. Cependant, cela ne peut nous autoriser à reprendre cette étiquette, ceux dont «personne ne veut», pour y ajouter «pas même notre gouvernement» !

Les détecter, leur offrir un hébergement, un accès aux soins: voilà ce que demande ce texte. Reconnaître qu'ils sont présents dans nos rues, c'est leur redonner un visage, une humanité. C'est leur offrir une possibilité d'échapper à la délinquance et à la prostitution, qu'il s'agisse de jeunes garçons ou d'adolescentes. Voilà ce que demande cette motion. Le PDC la soutiendra et vous est reconnaissant de faire de même. (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie, Madame la députée. La parole est à M. le député Patrick Saudan pour une minute quatorze.

M. Patrick Saudan (PLR). Je serai bref, merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, le PLR fera siennes les conclusions de la rapporteure de majorité. Pour nous, il y a un vrai intérêt à s'occuper de ces jeunes, ne serait-ce que pour simplement essayer de les protéger d'eux-mêmes et diminuer le risque qu'ils tombent dans la délinquance ou dans la prostitution.

Je tiens à dire que j'ai trouvé extrêmement biaisées et trop critiques les remarques de mes préopinantes concernant l'action du Conseil d'Etat. Si le PLR soutient cette motion, c'est pour mettre en évidence que la situation est extrêmement difficile et qu'énormément d'associations, tant étatiques que non étatiques, essaient de s'occuper de ces jeunes. Je pense que le procès qu'on fait à l'Etat en disant qu'il s'est mal occupé d'eux est malvenu. Certains de ces jeunes, il faut le dire, ne veulent pas s'intégrer, ne veulent pas collaborer, et le renvoi dans leur pays d'origine est illusoire. Les bonnes paroles n'engagent que ceux qui les profèrent; je vous propose de faire preuve d'un peu plus d'humilité et de reconnaître que c'est une situation très difficile et qu'il faut aider le gouvernement à la gérer. Merci. (Applaudissements.)

M. François Baertschi (MCG). Certes, Genève doit se montrer humaine, ce qui est le cas actuellement. Mais il ne faut pas en faire trop ! (Rires.)

Une voix. Ah !

M. François Baertschi. Il ne faut pas en faire trop... (Remarque.) ...et c'est pourquoi le MCG refusera le présent texte. (Rires. Un instant s'écoule. Commentaires.) Je pense que certaines remarques ne sont pas dignes du sujet, mais enfin, elles proviennent de personnes qui se livrent à certaines gamineries dans cette enceinte.

Il faudrait aussi se demander s'il s'agit bien de jeunes mineurs, ce qui souvent n'est pas avéré. Un certain nombre d'adultes se font en effet passer pour des mineurs et il n'y a absolument pas de contrôle. Il faut donc se méfier de ne pas avoir... Comment dire ? De ne pas abuser, quelque part, l'opinion publique sur ce sujet. Néanmoins, l'humanité existe et en douter serait faire preuve d'un certain aveuglement, d'un aveuglement dogmatique, qui est bien connu. Nous pensons que cet objet est tout à fait superfétatoire et c'est pour ça que nous ne le voterons pas.

Mme Léna Strasser (S). La motion que nous traitons ici n'a qu'un seul but: protéger des enfants. Des enfants victimes de situations de vie qu'ils et elles n'ont au départ pas choisies, contrairement à ce qu'a pu dire l'un de mes préopinants. Des enfants ayant vécu, quelle qu'en soit la raison, la déscolarisation, la désaffiliation, l'évasion d'un quotidien sans avenir imaginable pour eux. Puis le départ pour la liberté, vers un ailleurs, et l'engrenage pour la survie: l'errance, la discrimination, l'illégalité, la mendicité, des délits peut-être. Difficile de faire autrement quand on n'a pas de place dans la société. Certains se retrouvent en outre happés dans les filets de réseaux liés à la prostitution, à la criminalité organisée, à la drogue.

Ces parcours d'enfance décousus affectent les ressources psychosociales de ces jeunes, les exposant à des difficultés à respecter les règles et à se socialiser. Pourtant, bien qu'ils n'aient pas, dans leur grande majorité, de projet migratoire précis et commettent des délits, il s'agit toujours d'enfants, Mesdames et Messieurs les députés ! Des enfants qu'il faut reconnaître comme des mineurs ayant des droits et faire entrer dans le cadre légal de la protection de l'enfance, malgré l'absence de statut juridique. Les contraintes de leurs errances les amènent à s'affranchir des règles et des cadres; leur mobilité rapide dans toute l'Europe, leur recherche de liberté révèlent l'inadaptation des dispositifs actuels pour répondre à leurs besoins d'enfants.

En Catalogne, les éducateurs soulignent la nécessité d'un encadrement strict opéré par des professionnels expérimentés, capables de faire accepter un cadre a priori rejeté et de se mesurer aux débordements des jeunes, tout en maintenant intacte une posture bienveillante à leur égard. En Suède, ce sont souvent des centres spécifiques qui répondent aux besoins propres à ces jeunes et où ils peuvent bénéficier de soins, de formations et d'un encadrement adéquat, prenant en compte les questions de sécurité, la psychologie de l'enfant et son insertion dans la société.

Il est urgent, à Genève, d'inventer pour ces enfants une prise en charge de proximité et de qualité, coordonnée par l'Etat, et de s'appuyer pour cela sur les expériences déjà faites ici mais également sur celles d'autres pays confrontés aux mêmes questionnements. Ces jeunes, en errance à travers l'Europe, bougent et leur nombre a fortement augmenté ces dernières années. De ce fait, le groupe socialiste soutiendra cette motion. (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie, Madame la députée. Madame la députée Anne Marie von Arx-Vernon, vous avez la parole pour une minute trente-huit.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, il faut quand même rectifier quelques points et parler de la réalité, s'agissant de la délinquance et de la prostitution de ces migrants mineurs non accompagnés. Pensez-vous que vos filles et vos fils, en situation de migration, seraient joyeux et enthousiastes s'ils devenaient les proies de trafiquants d'êtres humains ? Ils seraient contents ? Formidable - ils font exprès d'être exploités !

Vous savez, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, la seule chose à leur apporter, c'est un quotidien digne fait de soins, de sensibilité sociale et de formation. De formation, Mesdames et Messieurs ! Le seul moyen de faire sortir un migrant mineur de sa dépendance à des adultes qui l'exploitent, c'est de lui apporter une formation ! Sinon on en fait, au pire, une bombe à retardement, au mieux, un être humain sacrifié. Alors oui à cette motion ! Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de minorité. Je rappelle pourquoi ces jeunes ne demandent pas l'asile: ils veulent être libres et ne veulent surtout pas être identifiés. Ils ne veulent surtout pas être identifiés pour qu'on ne puisse pas les rapatrier dans le pays où ils ont demandé l'asile. C'est la seule raison pour laquelle ils ne le demandent pas en Suisse. Alors je souhaite bonne chance aux services sociaux pour trouver des solutions pour ces jeunes !

Je rappelle que l'immense majorité des gens respecte les lois: les mineurs respectent les lois, les gens qui viennent chez nous respectent les lois. Il s'agit ici d'une petite minorité de voyous qui ne respecte rien ! S'adonner à la prostitution en tant que mineur, je m'excuse, c'est très grave ! Ce sont des gens... Alors je suis d'accord pour qu'on leur donne une formation - pour commencer, une formation sur les valeurs à respecter, mais je doute que les services sociaux les leur inculquent.

Je rappelle que la Suisse a été accusée de placements forcés de dizaines de milliers d'enfants par les services sociaux - qui ont abusé - pendant septante ans. Et nous assistons aujourd'hui à l'acte II de ces placements forcés: 800 enfants sont actuellement en foyer alors que leurs parents n'ont commis aucun délit ! C'est donc ça votre politique sociale, et c'est ça que vous voulez encore amplifier: manipuler et prendre la main sur des mineurs dont vous n'arriverez à faire absolument rien vu leur mentalité ! Ce qu'il faut, c'est les rapatrier, les rendre à leurs parents... (Exclamations. Huées.) ...les rendre à leurs familles... (Huées.)

La présidente. Monsieur le député, je vous prie de vous adresser à moi !

M. Marc Falquet. Ce n'est pas à Genève de gérer ces mineurs étrangers, mais à leurs familles ! Nous devons rendre ces enfants à leurs familles... (Huées.)

La présidente. Monsieur Falquet !

M. Marc Falquet. ...et non pas les confisquer ! Merci ! (Huées.)

La présidente. Chers collègues, laissons la diversité des opinions s'exprimer dans notre Conseil. (Exclamations.) Mme la députée Céline Zuber-Roy va déployer des talents de concision en dix secondes.

Mme Céline Zuber-Roy (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Madame la présidente de séance. Je voulais surtout souligner la complexité de la situation: il n'y a pas de solution facile d'un côté ou de l'autre. Le but ici est de soutenir les efforts du Conseil d'Etat. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Madame la présidente de séance, Mesdames et Messieurs les députés, il ne faut certes pas être angélique dans ce dossier. Cependant, le Conseil d'Etat ne peut en aucun cas soutenir les propos du rapporteur de minorité, qui vont à mon sens beaucoup trop loin.

C'est un dossier complexe et je ne peux que regretter que le PV de commission ait été un peu réducteur quant à mes propos. J'avais essayé d'expliquer qu'il ne faut pas être angélique et penser que ce sont de pauvres enfants qui sont dans la rue, qu'il suffit de s'en occuper avec bienveillance, de leur donner un toit pour que la solution soit trouvée. En réalité, et c'est cela qui est très triste, nous avons affaire à des dizaines de jeunes qui sont en errance - j'ai envie de dire en déshérence - à travers toute l'Europe. Ils passent quelques semaines ici, quelques semaines à Marseille, à Paris, à Bruxelles et dans d'autres régions d'Europe. Et tristement - c'est cela que je voulais dire, Monsieur le député d'Ensemble à Gauche - ce sont des jeunes dont personne ne veut.

Vous savez, on se doute bien qu'on a un problème quand on reçoit une lettre de la grande commune qui accueille ces jeunes dans un abri PC, qui vous annonce du jour au lendemain: «Nous ne les prendrons plus !» Pourquoi est-ce que la commune en question a décidé de ne plus les héberger ? Parce que, justement, il n'y a pas de solution facile ! Que trouver pour des jeunes qui, pour la majorité d'entre eux - ça ne veut bien sûr pas dire tous - ne rentrent très souvent pas dans un cadre ?

Ce dossier concerne à vrai dire plusieurs départements. Celui que je préside est chargé de la protection des mineurs, et le rôle du SPMi est de leur trouver un lieu d'accueil. Mais si ce lieu n'existe pas ? Le DIP ne gère pas de foyers de jeunes, de lieux pour héberger ces jeunes, nous devons donc collaborer avec d'autres départements. Toutefois, lorsque nous travaillons avec le DCS et l'Hospice général, ce dernier nous dit, à juste titre, qu'il s'occupe de l'asile ! Et ces jeunes-là ne relèvent pas de l'asile.

Et puis il y a quand même toute la question de la sécurité. Si un jeune en déshérence, un jeune qui ne va pas bien n'a pas de solution, il va peut-être aussi être amené par la force des choses à commettre des délits. Si je disais tout à l'heure qu'il ne faut pas être angélique, c'est que certains jeunes ont été identifiés ici sous un nom, une date de naissance, alors qu'on sait par leurs empreintes qu'ils l'ont été sous un autre nom et une autre date de naissance ailleurs en Europe. Ça complique un peu les choses.

Voilà néanmoins plus d'une année que le Conseil d'Etat s'est saisi de ce dossier à mon instigation. Cela a abouti, après plusieurs tentatives - nous n'avons pas trouvé immédiatement la solution - à la création d'une délégation aux migrations qui s'est réunie à deux reprises, dont la dernière fois il y a deux jours. Et nous étudions actuellement la possibilité de mettre en place un dispositif d'urgence pour ces jeunes: l'idée est qu'il faut peut-être un tel dispositif pendant quelques semaines. Puis, s'ils restent plus longtemps, on passerait à quelque chose de plus conséquent.

Cela dit, la première difficulté sur laquelle nous butons, c'est le lieu, Mesdames et Messieurs les députés. Il n'est pas simple de trouver un lieu à disposition pour des mineurs - il y a des règles pour le placement des mineurs en matière de sécurité, etc. - qui ne soit pas un abri PC ou qu'un propriétaire, par hypothèse, veuille bien nous louer. Mais sachez que le Conseil d'Etat a beaucoup de compassion au regard de cette situation, à laquelle il convient de trouver rapidement une solution, ce à quoi il oeuvre quotidiennement. Je vous remercie de votre attention.

La présidente. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Nous sommes au terme du débat et nous entrons dans la procédure de vote.

Mise aux voix, la motion 2487 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 67 oui contre 11 non et 2 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Motion 2487

La présidente. Je laisse notre bien-aimé président reprendre sa place.