Séance du
mercredi 15 mai 2019 à
17h
2e
législature -
2e
année -
1re
session -
3e
séance
P 2060-A
Débat
Le président. Nous passons à la P 2060-A. Le rapport est de M. Alexis Barbey, à qui je cède la parole.
M. Alexis Barbey (PLR), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je prends la parole pour présenter ce rapport, parce que je crois important de montrer le degré d'exaspération atteint par les habitants de la rue de la Coulouvrenière et des alentours en raison du comportement des dealers qui se sont installés dans leur quartier. On fait état de plus d'une centaine de dealers sur une soixantaine de mètres de rue, ce qui paraît considérable, et également du fait que ceux-ci ont tendance à aborder qui que ce soit - y compris des enfants ou des adolescents - pour lui proposer des substances.
Les pétitionnaires demandent que la loi et l'ordre soient rétablis dans leur quartier, et je pense que ce n'est pas une petite demande. Ils sont d'ailleurs excédés au point d'être prêts à engager à leurs frais des milices privées pour faire le travail que la police ne voudrait pas faire. Ce serait quand même assez désespérant d'en arriver là. Voilà pour la présentation de cette pétition, que la commission des pétitions a acceptée par 14 oui et 1 abstention. Je vous engage à en faire de même et vous remercie.
M. Sylvain Thévoz (S). Le parti socialiste soutient également le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat. Nous nous associons pleinement aux propos tenus par M. Barbey. Nous avons été choqués par le récit d'un habitant relatif à la violence, à la virulence des rapports entre les résidents et les personnes qui font le commerce de drogues à cet endroit-là, dans une zone qui semble à risque pour certains habitants. Si, en marge de l'étude de cette pétition, nous avons eu d'autres témoignages qui disent que les choses se passent mieux, il semble quand même qu'il y ait des contacts extrêmement durs entre certains résidents et des dealers, des personnes qui font commerce de la drogue.
Cet état de fait conduit aussi à des situations périlleuses pour des personnes qui, je dirais, passent par là et pourraient être prises pour des dealers alors qu'elles n'en sont pas. Et puis il y a visiblement un problème d'ordre; nous pensons que le Conseil d'Etat doit entendre cela, mais aussi reconnaître l'échec de sa politique du tout répressif, notamment de la politique d'installation de caméras. 24 caméras ont par exemple été posées aux Pâquis en 2014, avec un effet plumeau qui conduit à un déplacement du deal vers d'autres zones; au final, c'est un échec de la chasse aux petits dealers, qui mène à un épuisement des policiers. C'est également ce dont ce pétitionnaire, père d'un policier, fait état: il a parlé à de nombreux gendarmes épuisés, écoeurés de passer beaucoup de temps à traiter un problème qui semble en grande partie insoluble. Nous sommes, au parti socialiste, extrêmement inquiets que des habitants soient prêts à financer des Securitas ou des milices privées. On voit qu'il y a un haut degré d'exaspération, et cela nous inquiète.
Nous regrettons que la droite ait refusé les auditions de l'Usine, de l'association La Barje, qui mène un projet de proximité, et de Mme Bonfanti. S'agissant d'un enjeu aussi important, nous ne comprenons pas pourquoi la droite a refusé d'aller au fond du problème et renvoie la patate chaude. Au parti socialiste, nous sommes prêts à creuser la question, à trouver des solutions innovantes et orientées vers l'avenir. Bien sûr - et des études le montrent - la légalisation du cannabis pourrait être une piste, tout comme le réaménagement du quartier ou un changement des voies d'accès. Peut-être peut-on aussi jouer sur l'éclairage, introduire des médiateurs de nuit. Des villes ont mené des expériences qui ont pu conduire à des résultats. Mais, pour le parti socialiste, amener toujours la même réponse sécuritaire à un problème qui ne semble pas trouver de solution est voué à l'échec. C'est pourquoi nous demandons au Conseil d'Etat d'empoigner ce problème, de le faire vite, et de nous trouver des solutions durables. Merci.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. C'est une question épineuse, et un serpent de mer, la question de ce que je n'appelle pas des dealers, parce que je trouve que ce mot n'a pas sa place dans ce Grand Conseil. Ce sont des commerçants... (Exclamations.) ...de petits commerçants qui font commerce de substances qui nous dérangent, certes... (Commentaires.) ...mais en réalité, ce sont bien des commerçants, quand bien même la substance qu'ils vendent... (Commentaires.) Monsieur le président, je peux vous demander de faire taire les croassements à votre droite, s'il vous plaît ? (Un instant s'écoule.) Je vous remercie. Ceux que j'appelle les petits commerçants dérangent les commerçants licites et les habitants, et je le comprends: ces petits commerçants font un usage accru du domaine public. Car c'est bien sous cet angle qu'il faut aborder la problématique des stupéfiants.
En réalité, le problème découle de l'usage accru du domaine public - matin, midi, soir, nuit - avec les nuisances qu'il entraîne, avec le trafic motorisé, les bruits, des gens qui s'asseyent, mangent et discutent. (Brouhaha.) Et ce problème ne peut pas se régler par une présence plus agressive de la police telle qu'elle est demandée par les pétitionnaires.
Le président. Un instant, Monsieur Bayenet. Est-ce que du côté droit on peut faire un peu moins de bruit ou sortir ? Je vous remercie.
M. Pierre Bayenet. Le problème de cet usage accru du domaine public provient surtout du fait qu'il induit des nuisances, et c'est ce qu'on veut attaquer. On ne veut pas attaquer l'usage parce que le domaine public est à tout le monde et qu'il est là pour être utilisé, pour être un lieu de rencontre, un lieu de partage, un lieu de promenade. Le problème, ce sont les nuisances que certains causent.
Quand je vois que les pétitionnaires demandent une présence policière accrue, je dis bravo: celle-ci est de nature à amener le calme et à rendre le domaine public paisible. Mais lorsqu'ils ajoutent «accrue et agressive», je ne comprends plus ! On prétend vouloir pacifier le domaine public en demandant à la police d'être agressive ! Or les habitants du quartier savent très bien que l'agressivité déployée par la police est aussi une nuisance car elle incite les dealers à adopter un comportement plus illicite, à se cacher, et elle complique le travail de pacification de l'espace public.
La réalité, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, c'est qu'un certain nombre de personnes, dans cette république, sont des consommateurs de stupéfiants qui vont coûte que coûte se fournir en stupéfiants. Il faut tenir compte de cela et avoir une certaine marge de tolérance. Il ne faut pas repousser les dealers dans les endroits dangereux parce qu'il y a aussi, parmi les consommateurs, des personnes fragiles. Celles-ci ont besoin de pouvoir se fournir en stupéfiants de manière ouverte, dans des endroits qui ne sont pas dangereux.
Je sais que le canton de Genève est à la pointe et prend part à divers projets - on a vu récemment sa volonté de participer à la distribution contrôlée de produits de type cannabique. C'est très bien: il faut étendre le champ d'action, il faut aller de l'avant dans cette direction. Ce n'est pas en envoyant des policiers agressifs dans les rues qu'on va aller de l'avant et régler la question.
En commission, Ensemble à Gauche a soutenu cette pétition du bout des lèvres, parce qu'elle pose un problème. C'est vraiment du bout des lèvres que nous continuons à demander son renvoi, et cela pour que le problème soit examiné et pris à bras-le-corps, mais en aucun cas pour assurer une présence agressive de la police dans la rue comme le demandent les pétitionnaires.
Une voix. Bravo !
M. Marc Falquet (UDC). Le citoyen demande simplement le respect de la loi. Je rappelle qu'il y a une loi sur les stupéfiants et qu'elle doit être appliquée. C'est inadmissible ! On est une honte au niveau international: qu'une petite ville comme Genève n'arrive pas à éradiquer le trafic de drogue sur la voie publique ! C'est une honte, tout le monde le dit. Tous les gens qui viennent sont étonnés de voir ce trafic ouvert sur la voie publique. Dire que ce sont des petits commerçants ! Ok, vous en parlerez aux victimes, aux familles qui sont victimes de consommateurs de drogue et vous verrez la souffrance qu'elles endurent. Peut-être qu'alors vous réviserez votre jugement quant à la conception de ce type de commerce.
Concernant la politique répressive, c'est tout à fait faux d'affirmer qu'elle est un échec. En tant qu'ancien inspecteur de police, je peux vous dire qu'en 1980, on réglait le problème du trafic de drogue sur la voie publique notamment par une présence policière accrue - pas une présence ponctuelle mais des rafles quotidiennes. En faisant des rafles quotidiennes, vous éliminez carrément le trafic sur la voie publique. (Commentaires.) C'est parce qu'on a abandonné cette politique répressive... Il n'y a plus de politique répressive ! Le trafic se fait quasi librement: s'il y avait une réelle répression, ils ne seraient pas cent ou cent cinquante sur la voie publique.
Les méthodes de la police sont donc à réviser, mais c'est à la police qu'il faut demander ce qu'il faut faire et non aux politiciens. Avant, c'était la police qui réglait les problèmes de police et non les politiciens ! Le problème, c'est qu'en perdant le leadership sur la police, les policiers sont malheureusement devenus inefficaces. Voilà ce que je voulais dire.
En ce qui concerne la présence de ces gens, si on respectait les lois, ils ne seraient déjà plus sur la voie publique puisque 100% d'entre eux sont en situation irrégulière. Nous sommes donc en présence d'infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et à la loi sur les étrangers: ce sont tous des gens qui ont déposé des demandes d'asile - soit des non-entrées en matière, soit des gens qui font l'objet d'un renvoi de Suisse mais qui refusent de partir ! En plus, souvent, on les subventionne encore en leur donnant une aide minimum. Le but est donc simplement d'appliquer la loi et de donner aux politiques les moyens de poser la question à la police: comment faut-il faire ? Il ne faut pas croire que ce sont les politiciens qui vont régler le problème. Merci.
Une voix. Oui. Très bien !
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition a été prise très au sérieux. Et s'il n'a pas été nécessaire de mener des auditions, c'est tout simplement parce que le même type de pétitions nous parvient depuis des années. Pétitions qui sont prises très au sérieux et renvoyées au Conseil d'Etat ! C'est pour gagner du temps et pour ne pas non plus démultiplier les auditions, qui coûtent des jetons de présence, que nous avons renoncé à certaines d'entre elles. Tout simplement, et de manière pragmatique, nous savons que le Conseil d'Etat prend ça très au sérieux.
S'agissant des critiques émises contre les caméras, je pense au contraire qu'en installer est une des stratégies les plus efficaces - parmi d'autres, comme le fait d'occuper le terrain à la place des dealers. Aux consommateurs, puisqu'il y en a - étant donné qu'il y a des dealers, l'un va avec l'autre - d'aller dans un autre endroit que le centre-ville, peut-être effectivement moins «sécurisé», entre guillemets. Mais je pense que la priorité doit être donnée à la sécurité des habitants et à la convivialité au lieu de dérouler un tapis rouge aux dealers. Je vous remercie.
M. Mathias Buschbeck (Ve). Chères et chers collègues, les Verts voteront également le renvoi de cette pétition. L'exaspération des habitants est légitime, on l'a dit, et ils doivent savoir, comme l'a souligné le rapporteur, que les autorités les entendent. Néanmoins, s'agissant de la politique en matière de drogue, les Verts pensent, comme d'autres, que notre responsabilité va au-delà d'une approche répressive. On peut constater depuis quarante ans que cette politique est un échec. Depuis quarante ans, il y a des pétitions d'habitants; depuis quarante ans, le trafic de drogue se déplace d'un quartier à l'autre; et depuis quarante ans, on voit le Grand Conseil s'offusquer de ce trafic de drogue et de discours un peu abscons, comme celui qu'on a entendu tout à l'heure de la part de l'UDC.
La réalité, c'est que cette politique de répression est un échec - partout, ce n'est pas qu'à Genève. Partout où cette politique est appliquée, on voit qu'elle est un échec puisqu'on ne fait qu'augmenter les tensions et déplacer le trafic. Et partout où on privilégie une approche qui conçoit la drogue comme un problème social et de santé publique, on a de bien meilleurs résultats. Je pense que notre responsabilité en tant que politiques est d'entendre ça et d'aller dans une autre direction plutôt que de toujours tourner en rond et de chasser indéfiniment les dealers d'un quartier à l'autre. Je vous remercie.
M. Vincent Subilia (PLR), député suppléant. Un mot, au nom du PLR, pour dénoncer les propos que l'on vient d'entendre, dans cet hémicycle, de la bouche du député Bayenet, le même qui prétendait aux plus hautes fonctions en matière de répression et qu'on entend assimiler les revendeurs de drogue à de simples commerçants licites ! Je trouve ce discours parfaitement scandaleux, et réduire le deal à un simple usage accru du domaine public est une insulte aux véritables commerçants qui, eux, oeuvrent au bien-être de notre cité.
Le marché de la drogue à ciel ouvert, que nous observons et dénonçons depuis des années, est lui aussi une promotion de l'impunité. Il porte atteinte au sentiment de légalité, sans compter qu'il entre en opposition avec la sécurité légitime à laquelle aspirent les habitants du quartier. Habitants qui ont témoigné à réitérées reprises de leur exaspération; ils doivent être entendus ! Encore une fois - vous transmettrez, Monsieur le président - les propos du député Bayenet, en cautionnant de tels agissements dans les rues de Genève, sont une insulte non seulement en matière de santé publique, mais aussi envers toutes celles et tous ceux qui ont connu le drame de la drogue et envers tous les habitants du quartier, qui subissent ce trafic au quotidien.
Ce n'est pas nier la nécessité de déployer des mesures de prévention - le PLR y souscrit pleinement - que d'appeler de nos voeux une répression ciblée, dans un quartier identifié, pour un problème de santé publique dont chacun ici a conscience. Cette pétition doit être renvoyée au Conseil d'Etat et les mesures nécessaires doivent être prises. Je vous remercie.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci. Nous passons au vote.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2060 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 66 oui et 5 abstentions.