Séance du
jeudi 31 janvier 2019 à
8h
2e
législature -
1re
année -
8e
session -
49e
séance
La séance est ouverte à 8h, sous la présidence de M. Jean Romain, président.
Assistent à la séance: Mmes et MM. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat, Anne Emery-Torracinta, Serge Dal Busco, Nathalie Fontanet et Thierry Apothéloz, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: MM. Pierre Maudet et Mauro Poggia, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Cyril Aellen, Antoine Barde, Olivier Cerutti, Jennifer Conti, Christian Dandrès, Amanda Gavilanes, Eric Leyvraz, Rémy Pagani, Sandro Pistis, Francine de Planta, Adrienne Sordet, Paloma Tschudi et Stéphanie Valentino, députés.
Députés suppléants présents: Mmes et MM. Olivier Baud, Pierre Bayenet, Natacha Buffet-Desfayes, Patrick Hulliger, Sylvie Jay, Yves de Matteis, Youniss Mussa, Vincent Subilia, Francisco Valentin et Helena Verissimo de Freitas.
Le président. Chers collègues, je vous informe que nous avons reçu la démission de M. Norbert Maendly de son mandat de député suppléant, avec effet à l'issue de cette séance. Je prie Mme Delphine Bachmann de bien vouloir lire le courrier 3818.
Le président. Merci, Madame. Il est pris acte de cette démission.
Le président. Je cède la parole à M. Pierre Eckert, rapporteur.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, chers collègues, la commission des droits politiques s'est réunie le 30 janvier 2019 et a statué sur la compatibilité de Mme Eliane Michaud Ansermet. La commission n'a rien vu qui conduise à l'incompatibilité avec son mandat de députée suppléante. Nous vous recommandons en conséquence de l'accepter dans nos rangs.
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport oral.
Le président. Mme Michaud Ansermet va prêter serment maintenant.
Liens d'intérêts de Mme Eliane Michaud Ansermet (UDC)
Conseil Communal
Conseil d'administration IMAD
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment de Mme Eliane Michaud Ansermet. Je prie le sautier de la faire entrer, et l'assistance de bien vouloir se lever. (Mme Eliane Michaud Ansermet entre dans la salle et se tient debout, face à l'estrade.)
Madame Eliane Michaud Ansermet, vous êtes appelée à prêter serment de vos fonctions de députée suppléante au Grand Conseil. Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- de prendre pour seuls guides dans l'exercice de mes fonctions les intérêts de la République selon les lumières de ma conscience, de rester strictement attachée aux prescriptions de la constitution et de ne jamais perdre de vue que mes attributions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple;
- d'observer tous les devoirs qu'impose notre union à la Confédération suisse et de maintenir l'honneur, l'indépendance et la prospérité de la patrie;
- de garder le secret sur toutes les informations que la loi ne me permet pas de divulguer.»
A prêté serment: Mme Eliane Michaud Ansermet.
Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment. La cérémonie est maintenant terminée, vous pouvez vous retirer. (Applaudissements.)
Correspondance
Le président. L'énoncé de la correspondance reçue par le Grand Conseil vous a été transmis par courrier électronique. Cet énoncé figurera au Mémorial.
Lettre de M. MAENDLY Norbert annonçant sa démission du Grand Conseil pour le jeudi 31 janvier 2019 à 8h00. (C-3818)
Annonces et dépôts
Néant.
Premier débat
Le président. L'ordre du jour appelle l'avant-dernière urgence que nous aurons à traiter durant cette session: il s'agit du PL 12424, catégorie II, quarante minutes. (Un instant s'écoule.) Personne ne se presse pour demander la parole. (Un instant s'écoule.) La parole est à M. le député Pierre Bayenet. Mesdames et Messieurs les députés, je vous redemande de bien mettre vos cartes dans la console de façon que je puisse voir apparaître les noms de ceux qui désirent s'exprimer. C'est à vous, Monsieur Bayenet.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Monsieur le président, Mesdames les députées, Messieurs les députés, ce projet de loi qui est glissé subrepticement parmi les urgences, dont nous allons discuter en quelques minutes - tout le reste de la journée étant consacré à des questions fiscales - n'est rien de moins qu'un coup de couteau dans notre démocratie ! Pourquoi ? Parce que c'est un coup de couteau dans notre constitution... (Commentaires.) ...qui est dépositaire... (Commentaires. L'orateur s'interrompt.)
Des voix. On n'entend pas !
M. Pierre Vanek. Un coup de couteau dans notre démocratie, il a dit ! (Rires.)
M. Pierre Bayenet. Merci. Je ne sais pas si vous m'entendez maintenant ? Je vais essayer de parler plus fort.
Le président. Une seconde, s'il vous plaît. Monsieur Vanek, laissez votre collègue s'exprimer de son propre chef. Et puis je rappelle à ceux qui peinent à entendre qu'ils ont une oreillette. Il y a, sur ce micro, un tout petit effet Larsen: je vous suggère de mettre l'oreillette pour entendre clairement ce que dit notre collègue. C'est à vous, Monsieur le député.
M. Pierre Bayenet. Je vous remercie, Monsieur le président. Je disais donc que ce projet de loi subrepticement glissé dans les urgences par le Conseil d'Etat n'est rien d'autre qu'un coup de couteau dans notre constitution. Et quiconque porte des coups de couteau à notre constitution porte des coups de couteau à notre démocratie puisqu'elle est la dépositaire des droits populaires. Je vous rappelle que le Conseil d'Etat a promis ou juré solennellement «d'être fidèle à la République et canton de Genève, d'observer et de faire observer scrupuleusement la constitution et les lois». Or, en nous présentant ce projet de loi, le Conseil d'Etat ne fait rien moins que fouler aux pieds sa promesse.
Pourquoi est-ce si grave ? C'est grave parce que la loi, incarnée ici par la constitution, est la dépositaire des intentions du peuple. Les intentions du peuple sont gravées dans la constitution, et le peuple a précisé avec beaucoup de soin comment les droits populaires doivent s'exercer. Et on ne peut pas modifier l'exercice des droits populaires par une simple modification législative ! Ça doit impérativement passer par une modification de la constitution !
J'aimerais vous rappeler que l'Assemblée constituante a examiné avec énormément de soin, de minutie, chaque détail de l'exercice des droits populaires. De longues discussions ont eu lieu sur diverses manières d'exercer le référendum et l'initiative. Je ne vous apprends rien, mais il y a eu des discussions sur le référendum constructif, sur le référendum communal, sur le référendum révocatoire, sur la motion populaire, sur le référendum obligatoire en matière de logement, en matière fiscale, en matière d'assainissement financier, sur l'exclusion du référendum en matière de budget, sur la clause d'urgence ! Tout cela a été minutieusement discuté par l'Assemblée constituante.
L'Assemblée constituante a même discuté du référendum avec variante, qui aurait permis au Grand Conseil de soumettre au référendum, en sus de son projet principal, une variante avec question subsidiaire. Cette idée du référendum avec variante, je vous le rappelle, Mesdames les députées, Messieurs les députés, a été rejetée par l'Assemblée constituante. Le Conseil d'Etat tente aujourd'hui d'introduire par la voie législative une idée qui avait été discutée et rejetée par la constituante ! Il est évident que, en procédant de cette manière, on ne fait rien d'autre que fouler aux pieds la volonté du peuple, qui a rejeté l'idée du référendum avec variante !
Je vous rappelle aussi qu'il y a des cantons qui connaissent cette option. Il y en a deux à ma connaissance, dont Berne, qui prévoit cette possibilité dans sa constitution et non dans une loi. Je vous invite à lire l'article 63 de la constitution du canton de Berne, ainsi que les articles 34 et 35 de la constitution du canton de Zurich qui prévoit également le référendum avec variante. Ces idées, en soi, ne doivent pas forcément être rejetées, mais elles doivent être incorporées dans la loi fondamentale de chaque canton, c'est-à-dire dans la constitution. Et c'est ce qu'ont fait Berne et Zurich ! On ne peut pas introduire une nouveauté dans l'exercice des droits populaires par la simple voie législative.
Je vous rappelle par ailleurs qu'il y a déjà eu un tel cas dans l'histoire de notre canton: la votation sur la traversée de la rade. Nous avions à nous exprimer, en 1996, je crois, sur la variante pont ou la variante tunnel. Eh bien il a fallu, à cette époque, inscrire dans la constitution la possibilité de la question subsidiaire. C'était une nécessité constitutionnelle, et la constitution a effectivement été modifiée pour permettre au peuple de répondre à une question subsidiaire. Les juristes dans cette salle peuvent consulter l'arrêt du Tribunal fédéral qui porte sur cette question et dans lequel cette instance avait examiné la possibilité d'introduire un référendum par la voie législative. Le Tribunal fédéral a rejeté cette option ! Cet arrêt porte la référence 121 I 252. (Remarque. Rires.) Le Tribunal fédéral est catégorique et, compte tenu de sa position, il est évident que le groupe Ensemble à Gauche attaquerait ce projet de loi par la voie du recours constitutionnel si notre Grand Conseil devait accepter cette modification législative. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés. (Applaudissements.)
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, chers collègues, c'est toujours un délice de voir le talent de mon collègue Pierre Bayenet - son talent oratoire - mis au service d'une cause aussi noble que la défense des conclusions des travaux de l'Assemblée constituante, qui a, selon les propres termes de Pierre Bayenet, oeuvré avec tant de minutie.
Mesdames et Messieurs, chers collègues, je ne vais pas vous mentir: l'adoption de ce projet de loi du Conseil d'Etat n'est pas dénuée de risques juridiques. Je crois qu'il faut le reconnaître. Simplement, le groupe socialiste le votera en cas de refus de l'amendement qui vous est présenté, comme, finalement, la solution du moindre mal. Certains dans ce parlement ont en effet pensé que voter des textes contradictoires était une bonne chose, mettant ainsi une nouvelle fois notre république dans une situation institutionnelle très compliquée; cela pourrait conduire à l'adoption de textes contradictoires. Nous préférerions évidemment que l'amendement proposé ici soit adopté: il clarifierait la situation juridique, avec un vote sur le PL 12228 uniquement. En cas de refus, eh bien nous pourrions nous prononcer ultérieurement sur la solution proposée par le Conseil d'Etat. Si cet amendement de bon sens est refusé, je l'ai dit, nous voterons le projet de loi du Conseil d'Etat comme un moindre mal - le projet de loi 12424, donc, qui introduit la question subsidiaire.
Il est quand même difficile d'entendre ici qu'on réduit les droits populaires alors qu'on propose, en réalité, un choix au peuple. Si on avait fait les choses correctement, on aurait par exemple pu soumettre au peuple l'initiative et le PL 12404 comme contreprojet. Ce parlement en a malheureusement décidé autrement. Nous avons maintenant deux projets de lois sur la table; laisser le choix au peuple et lui donner la possibilité de trancher par le biais de la question subsidiaire ne nous paraît pas une atteinte aux droits populaires. Malgré les risques juridiques - ils ne sont pas inexistants - nous voterons donc cette solution comme la solution du moindre mal. Nous ne voulons pas faire la politique du pire. Je vous remercie.
M. Murat Julian Alder (PLR). Le groupe libéral-radical vous demande de voter ce projet de loi du Conseil d'Etat. Il tient tout d'abord à remercier la direction des affaires juridiques pour le travail de qualité qui a été fait en amont, Mesdames et Messieurs; comme juriste, je tiens à le dire ici. Ce n'était pas un exercice facile, loin de là !
On a en partie entendu M. Bayenet - parce qu'il n'a pas le coffre de M. Vanek - nous expliquer que le Conseil d'Etat est en train de donner un coup de couteau dans le texte de la constitution. Or l'amendement que vous avez sous les yeux, c'est un coup de tronçonneuse dans la LRGC ! Pour défendre cet amendement, on vient nous enfumer avec toute une argumentation juridique sur de prétendues lacunes constitutionnelles, qui concernent une loi n'ayant strictement rien à voir avec l'idée générale d'une question subsidiaire en présence de deux lois contradictoires. Mais surtout, on se moque de ce parlement puisque la semaine dernière, pour rappel, l'urgence a été refusée sur le même projet de loi que nous avons ici sous forme d'amendement. Je trouve donc quelque peu cavalier que l'on vienne dénoncer les méthodes - tout à fait acceptables - du Conseil d'Etat en la matière ! (Exclamations. Commentaires.)
Sur le fond, il est vrai qu'à la constituante, nous avons examiné un certain nombre de propositions en matière de droits populaires, à commencer par le référendum avec variantes. Le référendum avec variantes repose sur l'idée que lorsque différentes réponses peuvent être apportées à un problème, elles sont soumises au peuple simultanément. En règle générale, c'est ce qui arrive lorsque vous avez par exemple un projet qui propose le droit de vote des étrangers au niveau communal et un autre qui propose le droit de vote et l'éligibilité; on laisse ensuite le peuple choisir. Ce mécanisme a déjà été expérimenté en 2005, Mesdames et Messieurs, puisque les électeurs ont été appelés à se prononcer sur l'initiative «J'y vis, j'y vote: l'aînée» et l'initiative «J'y vis, j'y vote: la cadette» ! Elles proposaient l'octroi aux étrangers durablement établis de droits populaires communaux avec une intensité différente. On n'a pas entendu M. Bayenet venir nous expliquer que cette façon de faire était contraire à l'ancienne constitution qu'il chérit tant !
Je m'étonne aussi qu'on nous dise ici qu'il y a une lacune juridique, alors qu'on s'amuse à faire entrer dans le texte constitutionnel toutes sortes de choses qui n'ont strictement rien à y faire. On a par exemple évoqué la semaine dernière les produits phytosanitaires; je ne vois pas ce que ça vient faire dans la constitution - mais ce n'est pas le sujet du débat actuel. Nous ne vous proposons rien d'autre, ici, que de combler une lacune avec un mécanisme simple: nous ne sommes pas en train d'introduire une nouvelle forme de référendum, nous disons juste que le peuple doit pouvoir choisir lorsqu'il y a deux projets de lois contradictoires. Pourquoi ? Parce qu'en règle générale, en présence d'un conflit de normes, on applique soit le principe «lex posterior derogat anteriori»...
Une voix. Ah !
M. Murat Julian Alder. ...autrement dit: la loi la plus récente l'emporte sur la loi précédente, ou alors le principe «lex superior derogat inferiori», autrement dit: la loi de rang supérieur l'emporte sur la loi de rang inférieur. Là, nous ne sommes en présence d'aucun de ces cas de figure; nous avons deux projets de lois de même rang, adoptés le même jour, mais qui sont contradictoires. Et pour lever cette contradiction, il n'y a pas d'autre choix que de permettre au peuple de voter au moyen de cette question subsidiaire. Pour l'ensemble de ces raisons, je vous invite donc à entrer en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Vincent Maitre (PDC). Pierre Bayenet parlait de coup de couteau à la démocratie. En réalité, le seul véritable coup de couteau porté à la démocratie aujourd'hui, c'est tout simplement ne pas reconnaître à ses adversaires, pourtant tout aussi démocratiquement élus, la légitimité de déposer des projets de lois et de les faire valider par la majorité de ce parlement. Le vrai coup de couteau à la démocratie, c'est vouloir par tous les moyens refuser d'affronter le peuple. C'est aussi, par des artifices de procédure parlementaire, empêcher le peuple de faire un réel choix entre deux projets de lois contradictoires que, certes, dans sa grande absence de sagesse, pour le coup, le parlement a décidé de voter.
Je ne comprends réellement pas pourquoi M. Bayenet vient nous dire que ce serait une entrave à la constitution, d'autant plus qu'il se trompe sur le fond. Le député Alder l'a en grande partie rappelé: celle-ci fixe de grandes règles, des règles-cadres, et lorsqu'il s'agit d'en préciser les détails, cela se fait précisément par la voie législative de rang cantonal. En déposant le projet de loi - la modification de loi - dont il est question, le Conseil d'Etat s'attaque à une lacune juridique et non à un silence qualifié; M. Pierre Bayenet se trompe lourdement à ce sujet. De grâce, rendez-nous service: si cette loi devait être votée aujourd'hui, attaquez-la seulement par la voie d'un recours constitutionnel ! Je doute que l'issue... que le verdict que rendra la Cour constitutionnelle soit aussi favorable et joué d'avance que le prétend M. Bayenet.
Puisque vous en appelez systématiquement au peuple, ayez le courage, à Ensemble à Gauche, de lui soumettre les deux questions, les deux projets de lois - même celui qui vous déplaît. Vous aurez ainsi une réponse claire, précise et incontestable ! (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Mathias Buschbeck (Ve). Je suis le premier non-juriste qui s'exprime aujourd'hui sur cette question; on va peut-être faire un peu de politique et pas seulement s'arrêter à des arguties juridiques ! La question subsidiaire est quelque chose d'assez récent dans notre système helvétique puisqu'elle n'a pas existé pendant plus d'un siècle. En Suisse, elle a été introduite en 1987 et utilisée pour la première fois en l'an 2000. A Genève, on l'a dit, c'était en 1996 lors de la votation sur la traversée de la rade. Avant l'introduction de la question subsidiaire, c'était l'objet qui avait le plus de voix qui l'emportait; ça obligeait à des votes tactiques. Les initiants - souvent nous, les minoritaires, soit, dans ce pays, la gauche depuis cent cinquante ans - étaient coincés: ils avaient le choix entre retirer l'initiative et se contenter d'un contreprojet, ou bien la maintenir et courir le risque d'un double non. L'introduction d'une question subsidiaire dans notre système législatif est donc une vraie avancée pour les droits populaires ! Et notamment pour les minoritaires que nous sommes souvent.
Comme je viens de le dire, il s'agit d'un outil relativement jeune et tous les cas de figure n'ont pas encore été prévus par la loi, dont celui qui nous occupe ici. En effet, dans le cadre de la recapitalisation de la CPEG - le plus grand crédit de l'histoire de notre canton - ce Grand Conseil, et notamment les Verts, a voulu laisser le peuple choisir entre deux solutions en votant bien sûr le PL 12228 et en permettant un plan B avec le PL 12404. La possibilité du double oui n'étant pas réglée par la loi, il nous faut donc cette question subsidiaire rendant possible ce double oui - et éloignant le spectre d'un double non aux conséquences catastrophiques.
Nous avons un peu de peine à comprendre cette volonté de soustraire ce choix au peuple... (Remarque.) ...choix pour lequel nos partis militent en récoltant des signatures. J'ai un peu l'impression de me retrouver dans la situation qu'a connue Meyrin il y a quelques années, lorsque les Verts ont fait aboutir un référendum contre le canal végétalisé et pour le lac des Vernes. Le Conseil municipal a annulé un crédit pour que le référendum soit annulé à son tour, et puis il a fait voter droit derrière les mêmes propositions. A l'époque, nous nous en étions offusqués à Meyrin; nous ne voulons pas qu'il arrive la même chose aujourd'hui ! Par respect pour nos partis, par respect pour nos militants, par respect pour tous ceux qui signent nos référendums en demandant une votation, il faut accepter ce projet de loi pour laisser le peuple choisir. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (EAG). Mesdames et Messieurs, ce que je viens d'entendre - ce plaidoyer et ce qu'on vise à introduire dans la loi, soit la possibilité pour le parlement, en toute bonne conscience et dans un cadre légal, de voter deux lois au contenu incompatible - est une absurdité crasse ! C'est une absurdité crasse, et mon préopinant devrait s'en rendre compte à l'effet que ça a eu ! Nous ne prévoyons d'aucune manière de soustraire quoi que ce soit au peuple mais simplement, comme je l'ai proposé la dernière fois, de séquencer un certain nombre de décisions !
Maintenant, le gouvernement aurait bien sûr dû retirer le PL 12404 une fois que le parlement s'était prononcé pour une variante incompatible - le Conseil d'Etat reconnaît qu'elle est incompatible avec son projet de loi. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Murat Julian Alder a dit que cet amendement n'avait rien à voir. C'est absurde ! Cet amendement a tout à voir: il permet une sortie de l'imbroglio dans lequel nous a plongés le Conseil d'Etat. Il permet une sortie démocratique, et il nous évite de voter une réforme importante des droits politiques de ce canton en urgence, en trente minutes, un jeudi matin, sans que la question ait été renvoyée en commission...
Le président. Voilà, c'est terminé, Monsieur le député.
M. Pierre Vanek. ...sans que les juristes de la couronne... (Le micro de l'orateur est coupé. Applaudissements.)
Le président. C'est terminé, je passe la parole à M. François Baertschi. Allez-y, Monsieur Baertschi, c'est à vous.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Nous sommes malheureusement dans une situation délicate, dans une véritable impasse. Celle-ci est due à l'attitude d'un groupe - les Verts - qui n'a pas voulu choisir, qui a quelque part fait un non-vote qui a créé une crise institutionnelle, si je puis dire, de laquelle on essaie de sortir, aussi bien que possible, avec le présent projet de loi. Or ce projet de loi présente un grand risque: comme l'a dit un préopinant, il peut être très facilement attaqué en justice, devant la cour constitutionnelle. C'est le grand risque que nous courons; nous marchons un peu sur des oeufs et il faut en être conscient. C'est la difficulté que nous rencontrons.
Comment peut-on sortir de cette situation ? Un des moyens, qui vaut ce qu'il vaut mais qui est peut-être un des meilleurs - ou un des moins mauvais - est celui proposé par l'amendement déposé. Il va dans le sens d'une abrogation pour faire ce qui aurait dû être fait mais ne l'a malheureusement pas été, par manque de courage et de ligne politique chez certains. Cette indécision met également en péril l'avenir de la CPEG; c'est à cela que nous sommes confrontés. Je crois qu'à un moment, il faut prendre ses responsabilités, et c'est justement notre responsabilité d'agir ainsi. C'est pour cela que le groupe MCG soutiendra cet amendement et qu'ensuite, que l'amendement passe ou pas, il soutiendra le projet de loi tel qu'il nous est proposé, parce que c'est une solution. Ce n'est pas une bonne solution, mais c'est peut-être la moins mauvaise.
M. Patrick Lussi (UDC). Tout d'abord, l'Union démocratique du centre remercie le Conseil d'Etat pour ce projet de loi; elle le votera. Mesdames et Messieurs les députés, vous savez très bien que l'UDC se bat à longueur d'année pour notre démocratie semi-représentative. Nous tenons, en dernier lieu, à ce que... Lorsque nous - vous, moi, tout le monde - sommes incapables de choisir clairement un projet de loi dans le cadre de notre démocratie représentative, c'est-à-dire basée sur une assemblée élue, si nous n'avons pas toutes les clés pour résoudre un problème, comme la dernière fois, qu'en est-il, Mesdames et Messieurs ? Si vous lisez ce nouvel article 57, alinéa 2, il décrit précisément les incohérences qui ont agité ce parlement: deux projets de lois qui passent la rampe mais sont les deux soumis à référendum, et soumis au peuple.
Mesdames et Messieurs les députés, où est l'erreur ? Où est l'absurdité ? Où est le coup de couteau... (Protestations.) ...lorsqu'on demande simplement au peuple: «Vous avez là deux projets de lois qui ont été acceptés tous les deux; si vous aussi vous acceptez les deux, où va votre préférence ?» Nous le faisons pour les initiatives ! Je ne vois pas vraiment où est l'erreur juridique, où est le coup de canif dans nos institutions ni où notre démocratie est mise en jeu. Au contraire, je pense que ce projet de loi permet de relever une lacune que nous avions jusqu'à présent - un oubli. Un oubli qui était peut-être de notre fait, dû à notre propre incapacité à régler quelque chose. Raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, je pense qu'il est sain pour nos citoyens et pour l'exercice de notre démocratie de voter ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Jean Rossiaud (Ve). Mesdames et Messieurs, j'aimerais apporter une précision d'ordre politique et juridique. Politiquement, notre parlement n'est pas un parlement de groupes mais un parlement d'individus, de députés élus par le peuple. Un parlement peut donc être contradictoire parce que les votes sont contradictoires. Au moment où deux textes contradictoires sont votés, c'est effectivement au gouvernement de ne pas demander le troisième débat sur le deuxième projet de loi. Ce n'est pas le groupe des Verts qui a fait fausse route puisqu'il n'y a pas de vote de groupe ! Il y a des votes individuels, et c'est donc au gouvernement de prendre ses responsabilités. A titre personnel, je voterai cet amendement. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). J'aimerais juste rappeler... (Brouhaha.)
Le président. Une seconde, une seconde ! Un petit peu de silence, s'il vous plaît, Mesdames et Messieurs ! Chacun a le droit de s'exprimer et d'être entendu correctement. Je vous repasse la parole, Monsieur Baertschi.
M. François Baertschi. J'aimerais juste apporter une précision importante: nous ne sommes pas des individus - cent individus - différents ! Notre mode de vote, notre mode de fonctionnement, tel qu'il est indiqué dans la constitution et dans le corpus législatif, fait que nous avons des groupes politiques formés en général d'un parti ou d'un ensemble de partis. Ne pas voir cette réalité, c'est quelque part essayer de trouver une combine, une finesse, ce qui n'est pas à la hauteur des enjeux. Je pense qu'il faut affronter les difficultés, affronter les erreurs commises, et non pas se défausser en disant qu'il s'agit de personnes et d'individus. Il s'agit bien de groupes politiques, qui ont leur responsabilité et qui doivent l'assumer complètement. Merci, Monsieur le président.
M. Alberto Velasco (S). J'aimerais corriger les propos tenus par M. Buschbeck sur ce qui arriverait si le peuple dit deux fois non, Monsieur le président. Lors d'une précédente séance, nous avons justement voté l'initiative 168 sur ce même sujet; si le Conseil d'Etat agit avec la même célérité que pour le PL 12228 et le PL 12404, il devrait en principe la publier dans les jours qui viennent. Elle entrera par conséquent en vigueur et une loi pourra être appliquée. Il n'y aura pas de vide juridique comme l'affirme M. Buschbeck: si le peuple dit deux fois non, l'initiative s'applique ! Voilà, merci.
M. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi vise à introduire dans notre législation, dans la loi sur l'exercice des droits politiques, un dispositif procédural permettant au peuple, lorsque deux objets portant sur la même matière mais proposant des solutions différentes sont soumis au vote, de choisir, d'exprimer sa préférence pour l'un des deux textes en cas de double oui. Cette disposition dite de la question subsidiaire est en réalité bien connue, et certains intervenants l'ont rappelé. Elle existe en effet dans le cadre d'une initiative et d'un contreprojet qui se verraient proposés au peuple le même jour et pourraient tous deux obtenir un oui; ils nécessitent cette question subsidiaire pour que le peuple puisse exprimer sa préférence en cas de double oui. Mesdames et Messieurs, ce projet de loi est là pour concrétiser un principe constitutionnel ! L'article 34 de notre Constitution fédérale, Monsieur Bayenet, indique en effet «l'expression fidèle et sûre» de la volonté populaire. Bien sûr que la situation actuelle, avec l'acceptation de deux lois aux dispositifs en partie contradictoires, suppose d'introduire dans notre législation ce même système de la question subsidiaire pour deux lois votées modifiant une autre loi ! S'agissant du respect de la légalité, le Conseil d'Etat et la direction des affaires juridiques estiment que cette piste est tout à fait envisageable. Nous nous sentirions évidemment plus sereins avec une disposition constitutionnelle mais, en réalité, la Constitution fédérale n'oblige pas les cantons à introduire toute la matière politique au rang constitutionnel.
L'arrêt qu'a cité M. Bayenet, qui concerne d'ailleurs un ancien cas, à Neuchâtel, relatif à une consultation sur les centrales atomiques, porte sur une extension des droits politiques. Il s'agissait du préavis du canton qui était pris, je crois, par le gouvernement. Il y avait là une volonté de permettre à la population de s'exprimer; un élargissement des droits politiques. Ici, il n'y a pas d'extension des droits politiques - il n'y a pas non plus de restriction de ceux-ci - mais un outil procédural qui permet à la population d'exprimer de manière univoque sa préférence entre deux objets contradictoires. Par conséquent, cet outil, qui permet cette clarification, peut tout à fait s'insérer au rang législatif.
La loi sur l'exercice des droits politiques contient toute une série de dispositions qui disent tout simplement... L'une d'entre elles indique que le peuple doit se prononcer par oui ou par non alors que ce n'est pas marqué noir sur blanc dans la constitution. Quelle conclusion doit-on en tirer si l'on suit Me Bayenet ? Qu'on pourrait, en fait, proposer des questions ouvertes: oui, peut-être; oui, à certaines conditions ? Bien sûr que non ! La loi sur l'exercice des droits politiques est un outil majeur dans la concrétisation de ceux-ci; cette disposition, la question subsidiaire, s'insère là sans aucun problème.
Mais revenons peut-être quelques instants sur le fond politique - même si ce n'est pas le sujet - parce que je m'interroge. Je m'interroge sur l'opposition d'un groupe comme Ensemble à Gauche à voir le peuple s'exprimer...
M. Pierre Vanek. Mais non !
M. Antonio Hodgers. ...à voir le peuple s'exprimer sur deux objets. Je m'interroge sur leur menace, déjà brandie, de faire recours auprès de la Chambre constitutionnelle. Des manoeuvres parlementaires, des manoeuvres juridiques pour empêcher quoi, Mesdames et Messieurs ? Pour empêcher une votation populaire ! Une votation populaire sur le projet de loi du Conseil d'Etat en matière de retraites des fonctionnaires. Et pourquoi - à travers des amendements, en déposant à nouveau des projets de lois, à travers des recours d'ores et déjà annoncés - vouloir à tout prix empêcher le peuple de se prononcer sur le projet de loi du Conseil d'Etat en matière de retraites des fonctionnaires ? Parce qu'il faudra aller dans la rue ! (Exclamations.) Il faudra aller dans la rue et expliquer aux gens, qui sont pour la plupart en primauté de cotisations... (Exclamations.) Il faudra expliquer à la classe moyenne et à la classe populaire qu'elles vont devoir payer pour un régime qu'elles-mêmes ne connaissent pas ! (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Antonio Hodgers. Cette situation ne sera pas comprise ! (Applaudissements.) Cette situation est tout à fait incompréhensible pour la population, qui a du respect pour les fonctionnaires, qui a du respect pour le travail effectué... (Remarque.) ...mais qui ne peut pas permettre le glissement vers un régime où une partie des travailleurs, les salariés du domaine public, est traitée d'une manière... (Exclamations.) ...et une autre partie des travailleurs, à savoir la plupart des employés de ce canton, est traitée d'une autre manière. C'est ça, le vrai combat ! C'est ça, la vraie question ! Vu la tradition populaire d'Ensemble à Gauche, eh bien je pense que vous devriez vous réjouir de porter le débat dans la rue, d'avoir un débat populaire et de permettre au peuple de se prononcer de manière souveraine. Dans notre démocratie, c'est lui qui a le dernier mot; ce ne sont ni les juges ni le parlement ! Merci de voter ce projet de loi. (Applaudissements soutenus. Huées.)
Des voix. Bravo !
Le président. Je vous remercie, Monsieur le président. On se croirait à la grande époque, qu'on avait oubliée depuis une année ! (Rires.) Nous allons voter sur l'entrée en matière...
Des voix. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenus ? (Plusieurs mains se lèvent. Commentaires.) Vous l'êtes. (Remarque.) Le vote nominal est acquis.
Mis aux voix, le projet de loi 12424 est adopté en premier débat par 85 oui contre 9 non (vote nominal).
Deuxième débat
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement général de M. Pierre Vanek et consorts. Je vous le lis, bien que vous l'ayez reçu et qu'il soit projeté sur l'écran:
«Titre (nouveau)
Projet de loi abrogeant la loi 12404 modifiant la loi instituant la Caisse de pension de l'Etat de Genève (LCPEG) (B 5 22)
Art. 1 (souligné) Abrogation (nouveau)
La loi 12404 du 14 décembre 2018, modifiant la loi instituant la Caisse de pension de l'Etat de Genève, du 14 septembre 2012 est abrogée.
Art. 2 (souligné) Entrée en vigueur (nouveau)
La présente loi entre en vigueur au lendemain de sa promulgation dans la Feuille d'avis officielle.»
Mis aux voix, cet amendement général est rejeté par 53 non contre 39 oui et 2 abstentions (vote nominal).
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les art. 57, al. 2 (nouveau, les al. 2 et 3 anciens devenant les al. 3 et 4), et 94, al. 2 (nouveau, les al. 2 et 3 anciens devenant les al. 3 et 4).
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté.
Le président. La clause d'urgence est activée à l'article 2 souligné. Pour que cet article 2 souligné soit adopté, l'article 142 de la LRGC demande une majorité de deux tiers moins les abstentions, mais au moins 51 oui. Il s'agit donc d'une majorité qualifiée.
Mis aux voix, l'art. 2 (souligné) est adopté par 84 oui contre 11 non (vote nominal). (Commentaires à l'annonce du résultat.)
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 12424 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 84 oui contre 11 non (vote nominal).
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous abordons un train d'objets relatifs à la réforme de la fiscalité des entreprises, il y a donc toute une série de rapporteurs. Comme nous n'avons pas suffisamment d'espace sur l'estrade pour les accueillir, je propose qu'ils restent à leur place. Ceux qui préfèrent s'exprimer assis parce qu'ils ont des dossiers devant eux y sont autorisés, mais cela ne concerne que les rapporteurs: tous les autres députés qui interviennent sont soumis à l'obligation de se lever. Nous sommes en catégorie I, il s'agit d'un débat libre. Pour commencer, je passe la parole à M. Yvan Zweifel, rapporteur de majorité.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, au nom de la commission fiscale, permettez-moi tout d'abord d'adresser un certain nombre de remerciements. Je commencerai par le département des finances ainsi que l'administration fiscale cantonale - profitez-en, ce n'est pas tous les jours que je remercie l'AFC ! - notamment Mme Climonet et M. Leyvraz qui nous ont été particulièrement utiles d'un point de vue technique, mais aussi pour nous soutenir dans nos travaux sur les aspects fiscaux de la réforme. Je remercie également le département de la cohésion sociale, M. Apothéloz et le service de l'assurance-maladie pour le travail extraordinaire réalisé en un temps record s'agissant de l'initiative 170 et du contreprojet qui vous est proposé, c'est-à-dire le projet de loi 12416. Nous sommes reconnaissants au Conseil d'Etat et notamment à Mme Nathalie Fontanet d'avoir repris à bras-le-corps cette réforme, mise à mal devant le peuple en 2017 pour sa partie fédérale. Je remercie son prédécesseur, de même que M. Apothéloz pour ce qui concerne l'initiative 170 et le projet de loi 12416.
Mesdames et Messieurs, je ne reviendrai ni sur le contexte historique ni sur ce qui s'est passé ensuite, tout est relaté dans mon rapport de majorité qui, je l'espère, est le plus clair possible. Je vous laisse vous y référer. Vous l'aurez compris, il s'agit ici de répondre à une pression internationale, celle qui exige que les entreprises soient taxées là où elles exercent réellement leur activité: c'est le fondement même du projet BEPS qui oblige la Suisse à supprimer l'article 28 de la LHID, la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes, c'est-à-dire à supprimer les statuts. Evidemment, pour demeurer compétitifs, nous devons adapter notre législation à la fois au niveau fédéral - c'est le projet RFFA - et au niveau cantonal en gardant sur notre territoire la substance fiscale ainsi que les emplois liés aux entreprises à statut. Je rappelle que les sociétés à statut génèrent dans notre canton 1,6 milliard de recettes fiscales - impôts cantonaux, communaux et fédéraux confondus - 22 000 emplois directs et 39 000 emplois indirects, c'est-à-dire 61 000 postes au total. Il est primordial, pour nos finances publiques comme pour les employés concernés, de se battre afin de garder ces entreprises ici: c'est le but de cette réforme.
Je vais vous parler maintenant de l'accord trouvé à la commission fiscale. On ne peut que se réjouir que, sur un sujet aussi fondamental pour notre canton et notre pays, une majorité composée d'élus de droite et de gauche se retrouve autour d'un projet. Mesdames et Messieurs, quels ont été les objectifs de cette majorité de la commission fiscale ? Tout d'abord, de garantir le succès d'une réforme fondamentale pour Genève, je l'ai dit. Si nous ne la menons pas, nous nous retrouverons avec un taux de 24% alors que tous les autres cantons - tous les autres cantons ! - pratiqueront des taux compris entre 11,5% et 15%. Ce n'est tout simplement pas possible, il faut que nous fassions aboutir cette réforme au niveau cantonal !
Il s'agissait ensuite, je l'ai déjà dit également, de préserver les recettes fiscales et les emplois liés aux sociétés à statut - je ne reviens pas sur les chiffres que j'ai évoqués tout à l'heure, vous pouvez les trouver au début du rapport de majorité. La volonté d'une majorité de la commission fiscale était aussi de minimiser les pertes fiscales. En effet, la situation des finances genevoises n'est pas aussi rose que celle d'autres cantons, et il convenait de minimiser les pertes fiscales statiques - il est évidemment difficile de les estimer d'un point de vue dynamique.
L'objectif était de baser notre réforme cantonale sur ce qui a été fait à l'échelle fédérale: pour un franc mis dans la réforme fiscale, il fallait mettre un franc dans une réforme sociale importante, c'est pourquoi l'initiative 170 et le projet de loi 12416 y sont liés. L'idée était d'intégrer une véritable compensation sociale.
Quels sont les moyens mis en oeuvre et les propositions concrètes qui vous sont faites par la majorité de la commission fiscale ? D'abord, établir un taux d'imposition unique à 13,99%. C'est plus haut que les 13% initialement prévus par le Conseil d'Etat et notamment par l'ancien conseiller d'Etat David Hiler; c'est plus haut que le taux de 13,49% mentionné dans l'application cantonale de la RIE III; c'est plus haut encore que le taux de 13,79% prévu par la modification de cette application proposée par le Conseil d'Etat; c'est plus haut, enfin, que le taux choisi par notre voisin, le canton de Vaud. Si vous jetez un oeil à la comparaison entre cantons qui figure à la page 253 du rapport, vous constaterez que sur les 26 cantons, seuls sept auront un taux plus élevé que celui de Genève fixé à 13,99%, et que, parmi ces sept cantons, six présentent un taux plancher qui sera inférieur à celui de Genève. En l'occurrence, un seul et unique canton, le Tessin, aura à la fois un taux et un taux plancher supérieurs à ceux de notre canton. Il n'y a donc pas de dumping fiscal, contrairement à ce que vous dira tout à l'heure mon estimé collègue Jean Batou. Comme ça, c'est déjà dit !
Il s'agit évidemment de limiter la réduction maximale - c'est le fameux taux plancher dont je parlais - à 9% du bénéfice imposable, ce qui veut dire que si une entreprise taxée au taux de 13,99% peut profiter de l'intégralité des mesures fiscales supplémentaires, celles-ci seront limitées à un taux plancher de 13,48%, elles ne pourront pas descendre en dessous.
Ensuite, l'imputation de l'impôt sur le bénéfice à l'impôt sur le capital se fera par paliers: plafonnée à 8500 F la première année, c'est-à-dire ce qui existe aujourd'hui, ce sera ensuite une imputation partielle de 25% la deuxième année, puis de 50% et de 75%, pour arriver in fine à une imputation totale de 100%. Je me permets de rappeler que c'est ce qui est appliqué notamment par notre voisin vaudois, et j'en profite pour rappeler que l'impôt sur le capital constitue une spécificité suisse qui ne s'applique qu'au niveau cantonal et n'existe pas à l'échelle internationale.
Enfin, il s'agit de traiter l'initiative 170 en lui opposant un contreprojet, le PL 12416, qui permet de limiter le coût des subsides d'assurance-maladie à 186 millions de francs et non pas à 450 millions, voire à un milliard, ainsi que le prévoit l'initiative 170. Un milliard de francs, c'est 12% de notre budget cantonal ! Le contreprojet élargit le cercle des bénéficiaires, règle la problématique des subsides spécifiques - l'article 65, alinéa 1, de la LAMal - et apporte un bol d'air bienvenu aux plus précarisés de notre canton et à sa classe moyenne.
Mesdames et Messieurs, cet accord, c'est l'essence même de la politique en Suisse. Il réduit les pertes fiscales statiques, maintient la majorité des sociétés à statut ici et offre aux plus précarisés de notre canton un bol d'air substantiel grâce aux subsides d'assurance-maladie. Cet accord, Mesdames et Messieurs, est le meilleur qu'on puisse trouver, et je vous invite, au nom de la commission fiscale, à l'accepter à la plus grande majorité possible.
Une voix. Bravo ! (Quelques applaudissements.)
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Monsieur le président, je souhaitais m'exprimer non pas sur mon rapport de minorité, mais en tant que président de la commission fiscale, sur le débat et sur le PL 12006. (Commentaires.) Je tiens à remercier Mme la magistrate Nathalie Fontanet et le département des finances, spécialement Mmes Joëlle Andenmatten et Charlotte Climonet, ainsi que tous les collaborateurs qui ont travaillé sur ces projets de lois de manière très efficace. Je remercie aussi M. le conseiller d'Etat Thierry Apothéloz et spécialement le service de l'assurance-maladie et son efficace directeur, M. Patrick Mazzaferri, qui a fait un travail colossal en très peu de temps. Je remercie en outre les membres de la commission fiscale pour l'excellence de leurs travaux sur le PF17, sur la RFFA ainsi que sur le contreprojet à l'initiative 170. Je remercie encore les rapporteurs pour leur travail efficace et spécialement le rapporteur de majorité, M. Yvan Zweifel, pour le fantastique travail réalisé en fin d'année, durant les fêtes, afin que nous puissions traiter aujourd'hui ce train de projets de lois vital pour Genève et son économie. Je me félicite du travail accompli en commission, auquel nous avons consacré onze séances, du 30 octobre au 18 décembre 2018.
Je me félicite également du compromis trouvé en commission avec une grande majorité des groupes qui sont prêts aujourd'hui à voter ces projets de lois. Il s'agit d'un compromis très helvétique où chacun et chacune a fait un pas vers l'autre; certes, ces lois ne sont pas parfaites, mais elles vont dans le bon sens. Le vote d'un taux d'imposition à 13,99% ainsi que les mesures d'accompagnement auxquelles s'ajoute le contreprojet à l'initiative 170 vont donner un signal fort aux entreprises et à l'économie. Les entreprises ont besoin de visibilité, de stabilité et de sécurité. Tel est le cas avec les textes qui vous sont proposés aujourd'hui. Je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, en tant que président de la commission fiscale, de bien vouloir accepter les projets de lois liés au PF17 et le contreprojet à l'initiative 170, pour Genève et pour son avenir. Dans ce débat vital pour l'avenir de Genève et de nos enfants, il est capital de dépasser nos clivages en faveur de l'intérêt général. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je rappelle à tout le monde que nous traitons tous les points ensemble. Tous les rapporteurs de minorité, quel que soit l'objet sur lequel ils rapportent, sont donc amenés à s'exprimer au début. C'est maintenant le tour de M. Jean Rossiaud.
M. Jean Rossiaud (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les... Mesdames les députées et Messieurs les députés... Je dis ça parce qu'on ne prend pas en compte le langage épicène dans la retranscription. Je le note donc là au moins... (Brouhaha. Rires.)
Le président. Oui, on n'a rien compris, mais continuez, Monsieur le député ! (Commentaires.)
M. Jean Rossiaud. La retranscription ne prend pas en compte le langage épicène. C'est pour ça que j'ai corrigé avec «Mesdames les députées et Messieurs les députés».
Mme Alessandra Oriolo. Pour le Mémorial !
M. Jean Rossiaud. Pour le Mémorial. En introduction à ces débats, les Verts vous diront simplement une fois de plus que la réforme fiscale qui nous est présentée aujourd'hui est issue d'un compromis sans âme: ce paquet ficelé PLR et socialiste, comme l'a souligné le rapporteur de majorité, ne satisfait personne, même pas eux ! De plus, il procède d'une entourloupe antidémocratique, et c'est là-dessus que j'aimerais d'abord intervenir.
Sous la pression du Conseil d'Etat, la majorité de la commission a toujours voulu coupler le vote sur le projet RFFA fédéral au vote sur la réforme fiscale cantonale. Cette position n'obéit à aucune logique, si ce n'est une logique tactique politicienne fondée sur l'hypothèse qu'il y aurait plus de chance que le peuple vote en faveur de cette double réforme fédérale et cantonale si les deux objets lui étaient présentés en même temps. Pour des raisons tant démocratiques que légistiques, il aurait été bien plus logique de laisser le peuple s'exprimer d'abord sur la réforme fédérale en mai prochain puis, selon le résultat du vote populaire, de commencer le travail législatif cantonal en toute connaissance de cause. Au contraire, la commission a travaillé à l'aveugle et au pas de course: six heures de commission par semaine pour faire aboutir un compromis boiteux avant la fin de l'année 2018. Il fallait laisser le temps au référendum d'aboutir avant la votation populaire. Si le projet RFFA fédéral est refusé par le peuple, ce que les Verts espèrent, tout le travail de ces derniers mois aura été quasiment inutile, et je ne compte pas les frais de jetons de présence ! Prenons le temps de concevoir une bonne réforme et renvoyons ce paquet en commission. Je demande donc le renvoi en commission de l'ensemble de ces projets de lois.
Le président. Je vous remercie. Je donne la parole aux autres rapporteurs. Monsieur Zweifel, c'est à vous.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mon préopinant parlait de compromis boiteux. La seule chose boiteuse ici, c'est son argumentation ! Il a fait partie de cette commission fiscale; comme il l'a dit lui-même, il a travaillé des heures et des heures. Nous avons fait le travail de manière correcte. Pourquoi est-ce qu'on doit aller vite ? Tout simplement parce que les autres cantons ont fait leur réforme. Le canton de Fribourg a accepté son taux, il n'y a pas de référendum; le canton de Bâle a accepté son taux, il n'y a pas de référendum; le canton de Vaud l'a d'ores et déjà voté. Le canton de Genève va être le dernier à faire cette réforme, évidemment ! Quel message donne-t-on aux entreprises ? Celui d'une instabilité politique ! Mais on avait compris que les Verts étaient les spécialistes de l'instabilité politique, et ils l'ont confirmé en matière fiscale. (Exclamations.) Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit ici d'être cohérent; il s'agit de respecter le travail effectué par une majorité de la commission, et ce n'est pas parce qu'un certain groupe - qui n'a même pas voulu participer aux discussions sur un accord potentiel - n'est pas content du compromis trouvé qu'il faut tout renvoyer et jeter le bébé avec l'eau du bain. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à refuser ce renvoi en commission et à respecter le travail de la commission.
Le président. Merci, Monsieur. Est-ce qu'un autre rapporteur de minorité veut s'exprimer ? Je ne vois pas bien parce que tout le monde est là-devant. Oui, Monsieur Batou, c'est à vous !
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Vous ne m'avez pas vu, mais ce n'est pas grave parce que vous me verrez beaucoup aujourd'hui, je me rattraperai ! Bien entendu, notre groupe appuie la demande de retour en commission de ce projet déséquilibré, immature et qui mérite d'amples discussions supplémentaires.
Le président. Je vous remercie. Est-ce qu'un autre rapporteur de minorité veut prendre la parole ? (Remarque.) Tel n'est pas le cas, je passe donc la parole à Mme la conseillère d'Etat Nathalie Fontanet.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, l'argumentaire développé par le député des Verts qui souhaite le renvoi en commission est faux. De deux choses l'une: soit il n'a pas écouté lors des travaux en commission, soit il n'a pas compris; ou encore, je n'ai pas été assez claire, ce qui est aussi possible. Evidemment, même si la réforme fédérale n'aboutissait pas, cela ne remettrait pas en question une réforme cantonale. Sinon, comment aurait fait le canton de Vaud pour mener sa réforme cantonale ? Il l'a d'ores et déjà mise en place depuis le 1er janvier 2019 avec un taux de 13,79%. Cela a été évoqué à la commission fiscale. Je vous ai indiqué que, même si la réforme fédérale n'était pas acceptée, la Confédération serait tenue d'abolir les statuts. Dans ce contexte, on aboutirait rapidement à un projet très simplifié par lequel la Confédération ne ferait qu'une rétrocession aux cantons: la Confédération abolirait les statuts, offrirait une rétrocession aux cantons - probablement du même niveau financier que celle dont ils bénéficient actuellement - pour leur permettre de mettre en place leur réforme au niveau cantonal.
Mesdames et Messieurs les députés, ne vous laissez pas berner par un groupe qui n'a pas envie de soutenir cette réforme parce qu'il préfère rester dans le dogmatisme, parce qu'il préfère voir son canton partir à vau-l'eau et les emplois disparaître ! Ce groupe préfère ne pas favoriser la population et la classe moyenne qui a besoin d'aide. (Exclamations.) Mesdames et Messieurs les députés, il ne faut pas renvoyer ces objets en commission !
Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. (Remarque.) Non, Monsieur Rossiaud, vous n'avez pas la parole ! Je lance le vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 12006, 12007, 12009 et 12013 et la proposition de motion 2502 à la commission fiscale est rejeté par 67 non contre 24 oui.
Le président. Le débat continue, je passe la parole à M. le rapporteur Thomas Wenger.
M. Thomas Wenger (S), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, chers collègues, nous risquons d'avoir un débat fleuve, ce matin. C'est un débat qui va en tout cas être difficile. Je pense que les membres de nos divers groupes sont d'avis partagés, c'est aussi le cas au sein du groupe socialiste. Il y aura beaucoup de commentaires de la part de mes collègues d'Ensemble à Gauche, je les entends déjà. Nous ne serons pas d'accord aujourd'hui et il y aura certainement beaucoup de prises de parole en ce sens. Mais nous faisons face à une situation difficile, qui demande des décisions.
Aujourd'hui, la population genevoise en a marre des blocages perpétuels. La dernière législature a été compliquée parce qu'il y a eu systématiquement des votes de blocs. Absolument rien n'a pu avancer, comme cela a été le cas pour la caisse de pension des fonctionnaires, on n'avait rien pu faire. C'est enfin en train de se débloquer, mais on voit que ce n'est toujours pas très facile. Rien n'a avancé non plus pour la réforme fiscale des entreprises et les votes des budgets ont été extrêmement compliqués. Avec le résultat des dernières élections, je crois que la population a donné un signal: renforcement des partis gouvernementaux, renforcement de la gauche - les Verts, les socialistes - pour arriver à 41 députés de gauche aujourd'hui alors que nous étions moins durant la précédente législature. Ce renforcement de la gauche verte et socialiste et de la droite du centre-droit permet aujourd'hui de faire passer des réformes. Ces réformes sont extrêmement importantes pour notre république, mais elles sont importantes aussi pour l'emploi, pour le social, pour les personnes à revenus modestes et pour la classe moyenne.
Oui, Monsieur le président, il y a deux volets dans cette réforme que nous allons discuter ce matin: l'un fiscal, l'autre social. Je ne vous cacherai pas que, pour les socialistes, le volet fiscal est difficile. Il est le fruit d'un accord, de négociations extrêmement ardues pour aboutir à un volet social qui aidera un tant soit peu les familles modestes et les personnes de la classe moyenne à payer leurs primes d'assurance-maladie - je serai plus enthousiaste tout à l'heure, vous le verrez, Monsieur le président ! Actuellement, les gens sont étranglés par les primes. Il faut agir de suite. Il ne faut pas agir en prétendant qu'on soutient ça, mais qu'on va garder une position dogmatique et que, dans cinq ou dix ans, si on arrive à obtenir une majorité, on arrivera peut-être à faire passer un projet. Non, les gens attendent des décisions d'ici 2020 ! Avec cet accord et avec le contreprojet pour les subsides d'assurance-maladie, d'ici janvier 2020, 140 000 personnes à Genève toucheront un subside qui les aidera à payer leurs primes. Ça, c'est de la politique concrète, c'est une décision concrète que ce Grand Conseil va prendre aujourd'hui.
A un moment donné, il faut faire de la politique en se basant sur un principe de réalité. J'entends dire qu'il faudrait renvoyer ces objets en commission pour négocier - mais ça fait trois ans qu'on négocie ! Ça fait trois ans qu'on négocie: d'abord la RIE III, puis le PF17 et maintenant la RFFA. Ça fait trois ans qu'on négocie aussi des réformes sociales pour aider notre population: où sont ceux qui veulent retourner en commission pour négocier ? Pourquoi n'ont-ils pas négocié avant ? Pourquoi n'ont-ils pas trouvé de majorité ? On va entendre aujourd'hui qu'ils sont en faveur d'un taux de 16% ou de 18%. Pourquoi pas à 24% ? Aujourd'hui, on est à 24% et on en a marre de cette concurrence fiscale intercantonale et internationale ! Les socialistes aussi en ont marre de cette concurrence internationale et intercantonale. Simplement, qu'est-ce que ça fait quand les autres cantons ont des taux beaucoup plus bas que les nôtres ? Imaginez aujourd'hui un taux de 16% ou de 18% ! Mes collègues répondront tout à l'heure, mais ça veut dire quoi, concrètement ? Ça ne veut pas dire qu'on aura zéro perte fiscale ! Parce qu'on sait très bien qu'avec de tels taux, des entreprises quitteront certainement notre canton. Je reviendrai après sur certains chiffres, mais on a eu les chiffres des dix entreprises à statut aujourd'hui.
Je fais une parenthèse pour bien expliquer cela. Vous avez aujourd'hui des entreprises auxiliaires, c'est-à-dire avec des statuts fiscaux spéciaux qui prévoient un taux moindre, de 11,6% en moyenne. Toutes les autres entreprises paient 24,2%. La difficulté de l'ensemble de cette réforme et d'autres réformes sur la fiscalité, c'est, premièrement, de trouver un taux qui permette de ne pas voir partir des entreprises qui paient environ 11% d'impôts voire moins. Deuxièmement, il faut faire en sorte qu'il n'en résulte pas trop de pertes fiscales, parce que les entreprises ordinaires vont passer de 24,2% à 13,99%, le taux de l'accord. Je prends les chiffres pour les dix sociétés dites à statut qui paient le plus d'impôts aujourd'hui, et parmi eux, ceux d'une entreprise placée au milieu, la cinquième: elle paie aujourd'hui 12,3 millions de francs d'impôts. Avec un taux de 13,49% - le taux prévu initialement - elle paierait 17,9 millions de francs de plus, soit une augmentation d'impôts de 145%. Dans le scénario à 16%, cette entreprise paierait 30 millions de plus. Certes, cette société a un chiffre d'affaires important et elle fait des bénéfices, mais cela représenterait une augmentation d'impôts de 247%. Aujourd'hui, on aboutit à un taux de 13,99%: en moyenne, cela fait 176% d'augmentation d'impôts pour les entreprises à statut installées à Genève actuellement. 176% d'augmentation d'impôts en moyenne ! Je reprendrai la parole tout à l'heure, mais vous pensez vraiment que ces entreprises vont dire: «Ah, ben oui, on reste» ? A côté, dans tous les autres cantons ou dans d'autres pays, le taux est moindre, mais bien entendu, elles vont décider de rester à Genève ! Ce n'est donc pas un cadeau fiscal aux multinationales, vu qu'elles vont voir leur imposition augmenter - fortement - même avec un taux de 13,99%.
Quant aux emplois, Mesdames et Messieurs les députés, le risque est énorme: on parle de 21 000 emplois directs et de plus de 60 000 emplois indirects. Les emplois indirects, ce ne sont pas ceux des traders de multinationales, mais ceux des personnes qui travaillent dans la boulangerie d'à côté, c'est le plombier qui vient faire une réparation, le peintre, etc. Des personnes travaillent pour ces entreprises et nous devons préserver ces emplois, c'est aussi notre responsabilité. Je poursuivrai plus tard avec d'autres arguments. (Applaudissements.)
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, en écoutant parler Thomas Wenger, du parti socialiste, j'ai eu l'impression d'entendre Yvan Zweifel ! Le groupe PLR s'est trompé lui aussi en applaudissant vigoureusement mon collègue socialiste. Il m'aura fallu attendre ce jour pour voir les socialistes se mettre de manière aussi éhontée dans le camp de la droite la plus dure, qui prévoit aujourd'hui une baisse massive d'impôts pour les entreprises qui font le plus de profit et - j'y reviendrai - probablement des baisses de prestations pour la population, voire des hausses d'impôts pour les personnes physiques.
Prenons un peu de hauteur et essayons de parler de la situation économique internationale actuelle: c'est en effet dans ce cadre-là que s'inscrit cette réforme. Est-ce que tout le monde est conscient que nous allons vers une nouvelle récession dont la date est la seule inconnue ? Nous allons vers une nouvelle récession ! J'en veux pour preuve, premièrement, les taux de rendement très bas des actions sur les marchés américains; deuxièmement, un taux de croissance de l'économie chinoise de l'ordre de 2%; enfin, un ralentissement très net de la production industrielle en Allemagne. Ces trois facteurs, plus le fait que l'endettement des entreprises a crû massivement depuis la reprise de 2010, font que nous allons probablement vers une récession majeure. Tous ceux et toutes celles qui pensent que les rythmes de croissance seront dopés par une mesure fiscale cantonale se trompent lourdement. Nous allons au-devant de difficultés qui se solderont par des baisses de recettes, des baisses de prestations et une pression accrue sur les impôts des personnes physiques, en particulier ceux des plus modestes.
J'aimerais aborder la signification de ces réformes fiscales en faveur des entreprises. Vous vous souvenez tous qu'on a commencé par la réforme de l'imposition des entreprises numéro 1, en 1994. Qu'est-ce que cette réforme a introduit ? Elle a supprimé la progressivité de l'imposition des entreprises et elle a introduit un taux réduit à 8,5%. C'était le premier acte. Deuxième acte, la réforme de l'imposition des entreprises numéro 2 a introduit la taxation partielle des dividendes et la possibilité d'imputer l'impôt sur le bénéfice sur l'impôt sur le capital. Dès le lendemain de l'entrée en vigueur de cette réforme de l'imposition des entreprises numéro 2, en 2008, la préparation de la troisième réforme de l'imposition des entreprises a été annoncée. Ce ne sont donc pas les pressions de l'OCDE ou de l'Union européenne, mais la volonté de la droite patronale suisse d'introduire une troisième réforme qui a conduit à la préparation de la RIE III, devenue PF17 puis aujourd'hui RFFA. Or, il s'agit d'un véritable big bang fiscal, comme le disait le fiscaliste Xavier Oberson, ou, pour reprendre Pascal Broulis, de la plus grande réforme fiscale depuis les années 1940. Ceux qui ont aimé la RIE I et la RIE II vont adorer la RIE III ! Ceux qui en ont souffert vont en souffrir encore plus ! Vous vous souvenez des pertes qui ont dépassé tous les pronostics suite à l'introduction de la RIE II ? Eh bien, je prends date, les pertes seront plus importantes que celles calculées par les administrations fiscales pour la RFFA !
En ce qui concerne Genève et les autres cantons suisses, nous avons des taux d'imposition relativement modestes, même avec 24,2%: ces taux restent compétitifs sur le plan international. Il aurait été possible de réduire l'imposition des entreprises à 16% - un pourcentage sans comparaison avec tous les pays voisins ! - en maintenant un résultat fiscalement neutre. Ni la droite ni le parti socialiste n'en ont jamais véritablement voulu. Ils ont été convaincus par les experts de la droite que cela provoquerait le départ des sociétés à statut fiscal privilégié, on a entendu tout à l'heure Thomas Wenger et Yvan Zweifel pleurer à l'unisson pour nous expliquer que ces entreprises partiraient. Mais enfin ! Vous ne pensez pas que ça n'aurait été que justice d'augmenter la fiscalité d'entreprises qui bénéficiaient de statuts fiscaux spéciaux honteux sur le plan international, des statuts qui font qu'elles ne paient pratiquement pas d'impôts ? Elles auraient été amenées à payer un tout petit peu d'impôts, c'est-à-dire 16% ! Les autres n'ont qu'à s'en aller ! Les sociétés boîtes aux lettres qui ne sont ici que pour faire des profits indus n'ont qu'à s'en aller parce qu'elles n'assurent aucune stabilité de l'emploi. Elles ne vivent que de la rapine - de la rapine internationale - en payant ici beaucoup moins que ce qu'elles devraient payer dans leurs pays ! Mesdames les députées, Messieurs les députés, arrêtons donc de pleurnicher sur les sociétés à statuts qui vont voir des privilèges indus abolis: tant mieux ! Ayons la décence de leur fixer un plancher d'imposition de 16% qui est déjà - j'ai presque honte de le défendre - un taux d'imposition extraordinairement bas en comparaison internationale ! (Applaudissements.)
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, le débat sera long aujourd'hui. Vous transmettrez à Jean Batou, mon camarade Jean Batou, que ça m'intéresse de pouvoir expliquer aujourd'hui à Ensemble à Gauche et aux Verts l'intérêt de cette réforme non pas pour les entreprises mais pour le peuple. Ce n'est pas tant à la droite que je souhaite l'expliquer. (Exclamations.) C'est une réforme pour le peuple ! Pourquoi ? Aujourd'hui, pour le parti socialiste, il s'agit de voter un accord qui est le fruit d'un compromis, d'un consensus. Ce n'est pas le meilleur accord qui soit, pour le parti socialiste. De loin pas, c'est certain ! Je ne pense pas non plus qu'il s'agisse du meilleur accord qui soit pour le PLR, qui envisageait des taux d'imposition beaucoup plus bas et pas de mesure sociale compensatoire aussi avantageuse pour les milieux les plus précaires et pour la classe moyenne. Notre canton a en effet besoin d'accords, il a besoin de cette logique de compromis qui manque à Genève, ce dont la population paie les frais aujourd'hui. Ce sont les Genevoises et les Genevois qui subissent cette instabilité politique - pire que ça, ce véritable magma ! On n'avance pas, on vit dans le passé et Genève ne connaît plus aucun développement. Ça devient grave si l'on compare avec les autres cantons suisses, notamment avec notre voisin vaudois.
Je n'entre pas dans la comparaison au sujet de la concurrence fiscale: on le verra après, cette réforme ne fait pas dans la concurrence fiscale avec les autres cantons. On est bien dans une logique où il faudra trouver des accords et faire en sorte que nous puissions avoir une maîtrise de nos politiques publiques à Genève. Et c'est bien cette maîtrise qu'apporte cet accord, il permet de maîtriser les coûts de cette réforme. Au parti socialiste, nous ne souhaitons pas jouer à la roulette russe. J'ai entendu des propos - vous transmettrez à Jean Batou... C'est facile de critiquer cet accord et cette réforme. (Commentaires.) Bien évidemment, en tant que socialiste, je pourrais dire que c'est scandaleux et que nous ne voulons pas de 230 millions de francs de pertes fiscales pour le canton et les communes, dont 186 pour le canton. (Remarque.) C'est vraisemblablement facile, mais s'opposer à cela revient à jouer à la roulette russe. Parce que, si cette réforme et cet accord ne passent pas, c'est le projet de loi du Conseil d'Etat qui passera, appuyé par une majorité de droite, avec 434 millions de francs de pertes fiscales pour le canton et les communes. Le peuple se prononcera et ce sera la roulette russe: 50% de chances que ça passe, 50% de chances que ça ne passe pas. Si ça passe, que fera Ensemble à Gauche pour la population ? Ensemble à Gauche pleurera auprès de la population pour dire: «On s'y est opposés, on est des vrais, on n'est pas des sociaux-traîtres !» Ensemble à Gauche se sera opposé à cette réforme, mais le mal sera fait. Les dégâts pour les prestations publiques seront bien plus élevés qu'avec cette réforme qui est, elle, maîtrisée et présente des avantages pour les prestations à la population.
Je l'ai dit, cette réforme ne s'inscrit pas dans la concurrence fiscale intercantonale, et je pense qu'on peut en être fier. Il suffit de prendre un élément: le taux plancher. C'est le taux minimal auquel les entreprises peuvent être imposées, avec utilisation de tous les outils fiscaux que propose la réforme fédérale pour des allégements, c'est-à-dire la «patent box» et la superdéduction sur les charges en matière de recherche et de développement pour le personnel. Avec cela, nous sommes finalement le canton suisse avec le deuxième taux plancher le plus élevé; le seul canton avec un taux plancher plus élevé sera le Tessin. Je ne pense donc pas que le canton de Genève s'inscrive dans une concurrence fiscale avec les autres cantons. Je rappellerai aux Verts que le premier à avoir jeté un pavé est quand même David Hiler, à l'époque conseiller d'Etat Vert, lorsqu'il avait annoncé un taux de 13% ! En tant que socialistes, il a fallu ramer pour essayer de gagner des dixièmes pour éviter le taux de 13,0%, et ce n'est pas forcément un cadeau qui nous a été fait !
Mesdames et Messieurs les députés, avec cette réforme, on avance quand même considérablement par rapport au projet initial du Conseil d'Etat. Je vais être honnête, pour la première année, en effet, on calcule les choses de façon statique. Comme cela a été expliqué par M. Zweifel, le déficit devrait s'accroître avec l'imputation qui sera ensuite progressive. On espère que cela aura un impact plutôt positif par la suite. Pour la première année, pour le canton de Genève, avec le projet initial du Conseil d'Etat, on estimait les pertes à 340 millions de francs. Avec le projet que nous avons là, ces pertes sont estimées à 186 millions de francs pour le canton. Il y a bien une différence, et je pense qu'on se montre responsable avec cette différence dans la réduction des pertes. C'est un pas en avant pour le canton et les communes qui s'en sortent aussi extrêmement bien. Initialement, avec le projet du Conseil d'Etat, l'estimation était de 434 millions de francs. Avec cet accord, non, ce sont 230 et quelques millions de francs de pertes fiscales pour le canton et les communes.
On voit que le travail en commission a été fait; ce serait une erreur que de retourner en commission, parce que j'ai du mal à voir comment on pourrait mieux travailler. Nous avons travaillé de façon technique, article par article, sur tous les projets de lois de cette réforme, et au final, nous avons peut-être la moins mauvaise des solutions. Elle n'enchante pas le PS, elle n'enchante pas le PLR, mais la population genevoise sera peut-être enchantée d'avoir pour une fois un accord. (Commentaires.) L'exemple de la CPEG est malheureux, on l'a vu ce matin. Finalement, c'est la confrontation, c'est le chaos: on aura une double voire une triple votation. Je pense que les fonctionnaires attendent d'avoir un peu plus de stabilité et souhaitent savoir vers quoi ils se dirigent, quelles seront leurs retraites; ils souhaitent conserver les acquis d'aujourd'hui. Cette réforme permet aux Genevoises et aux Genevois de bénéficier d'éléments sûrs, c'est une réforme maîtrisée. On sait combien cette réforme va nous coûter, ce n'est pas jouer à la roulette russe; c'est avoir une position responsable que de pouvoir dire aux Genevoises et aux Genevois combien elle va nous coûter et qu'ils auront des prestations, notamment en matière de petite enfance, des subsides d'assurance-maladie, dès 2020 ! Ces éléments sont concrets et la population genevoise en a besoin. Le parti socialiste vous invite à voter cette réforme.
M. Vincent Maitre (PDC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, les discours extrémistes ont ceci de curieux qu'ils sont totalement paradoxaux. C'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnaît - voire éventuellement à autre chose, aurait dit Sacha Guitry. Ils sont paradoxaux, comme lorsqu'on entend Jean Batou commencer son intervention en parlant des risques d'une très grave récession qui plombera littéralement l'économie genevoise. Dans la foulée, après avoir copieusement enfumé le terrier, comme on dit en bon français, il nous dit que, si ces horribles sociétés qui font du profit - ces horribles sociétés multinationales - ne sont pas d'accord de payer 16% d'impôts, elles n'ont qu'à s'en aller ! Expliquez-moi comment on peut, à l'aube d'une récession majeure - ce sont de nouveau ses termes - soutenir d'une part qu'il faut tout faire pour limiter les dégâts et d'un autre côté encourager à partir celles qui amènent le plus de substance fiscale à notre canton, je parle évidemment toujours de ces sociétés multinationales ! Rappelons-le, celles-ci paient un milliard de francs d'impôts chaque année à notre canton. A titre de comparaison, c'est déjà un quart de ce qu'il faudra pour recapitaliser la caisse de pension des fonctionnaires selon le projet de loi qu'Ensemble à Gauche a voté, chiffré à 4,2 milliards de francs, sans parler, plus récemment, des 6,2 milliards de son initiative, que le Conseil d'Etat rappelait très justement. Cette politique est totalement suicidaire: elle consiste uniquement à vider avec soin et durablement les caisses de l'Etat et à précipiter la chute de notre canton en chassant précisément ceux qui créent de l'emploi, ceux qui créent de la richesse et ceux qui, grâce à leurs contributions fiscales, permettront de pérenniser cette grande réforme qu'est la réforme de la CPEG.
M. Jean Batou nous parle d'inégalité crasse entre les citoyens et de cadeaux aux multinationales et aux grandes entreprises. En plus d'être un mensonge, c'est évidemment d'une imbécillité absolue. Vous le savez, Thomas Wenger l'a rappelé, la réforme correspond à une augmentation massive des impôts pour les sociétés multinationales et les actuelles sociétés à statut: certaines d'entre elles verront leurs impôts augmenter de plus de 176%. A l'inverse, les petites entreprises, celles qui ne font probablement pas des dizaines ou des centaines de millions de francs de bénéfice par année, profiteront d'un bol d'air salutaire pour investir, se développer, engager et créer de l'emploi. Tout le paradoxe que j'évoquais au début de mon intervention réside dans le fait qu'Ensemble à Gauche soit capable en moins d'une semaine de voter un budget représentant un cadeau de 6,2 milliards de francs pour une infime minorité de 30 000 personnes aux frais du contribuable et de nous dire dans la foulée qu'il y a une inégalité crasse quand 60 000 emplois seront préservés moyennant des baisses fiscales pour les plus petites des sociétés. Très sincèrement, on confine à l'indécence, et surtout à la folie - on appellera ça comme on veut - lorsqu'on prétend siéger dans un parlement et diriger, gouverner et administrer ce canton.
16% d'imposition, c'est ce que souhaite aujourd'hui Ensemble à Gauche pour les multinationales. Ce groupe encourage tous ceux qui ne seraient pas d'accord de se plier à cette augmentation de 256% à quitter le canton: c'est parfaitement irresponsable ! M. Jean Batou souhaitait prendre date, il peut déjà commencer par se retourner et observer ce que l'histoire constate à chaque baisse fiscale que ce canton a pratiquée: chaque fois qu'une baisse fiscale a eu lieu, les recettes ont augmenté à court ou moyen terme ! Il en sera évidemment de même avec la RFFA. Date est donc prise avec Ensemble à Gauche ! Ils en tireront probablement les conclusions qui s'imposeront à ce moment-là, et - comme le dit une formule de circonstance par les temps qui courent - ils prendront leurs responsabilités. (Quelques applaudissements.)
M. Alexandre de Senarclens (PLR). Monsieur le président, très brièvement, j'aimerais aussi remercier le département des finances et celui de la cohésion sociale, ainsi que le rapporteur de majorité pour son brillant travail. La RFFA est un sujet fiscal, certes, mais d'une très grande importance: il s'agit peut-être d'une des plus grandes réformes de ces vingt à cinquante dernières années, mais c'est avant tout une bataille pour l'emploi, qu'un ancien conseiller d'Etat appelait la mère de toutes les batailles. C'est une bataille contre le chômage: il faut rappeler les 61 000 emplois en jeu, 22 000 directs et 39 000 indirects et induits. Quand M. Batou parle de rapine internationale, j'aimerais qu'il ait un peu d'égards pour ces 61 000 travailleurs qui paient leurs impôts à Genève et contribuent justement aux recettes fiscales qui permettent de payer des prestations de qualité pour la population.
J'en viens à mon deuxième point: c'est évidemment une bataille pour les recettes fiscales. Sans recettes fiscales - il faut le rappeler à la gauche qui a de la peine à comprendre ce discours - il n'y a pas de prestations de qualité, il n'y a pas de prestations sociales, il n'y a pas d'hôpitaux, il n'y a pas d'écoles, il n'y a pas de culture, il n'y a pas d'infrastructures publiques ! Cela représente 1,1 milliard de francs pour Genève payé par ces entreprises et 18,1% des recettes fiscales, 600 millions de francs pour l'IFD: c'est absolument colossal ! Fantasmer qu'une augmentation à 24% ne ferait pas fuir ces entreprises revient à vivre dans un monde parallèle. Ces entreprises versent 11,6% de leur bénéfice à l'impôt et elles devraient monter à 24% ? Ce serait une augmentation de plus de 100% ! Au vu de ces éléments, il était important qu'un large consensus se dessine au sein de ce parlement, qu'on en vienne à un esprit bien helvétique, qu'on cesse ces Genferei. Contrairement à d'autres, je ne veux pas dire: vive la Genferei ! Je pense qu'à Genève, on a besoin de cette concorde, on a besoin que l'esprit suisse descende sur le canton. C'est ce qui a prévalu, lors des travaux, de la part de certains membres de la commission, et je tiens à remercier à nouveau le rapporteur de majorité ainsi que Thomas Wenger et Romain de Sainte Marie au PS d'avoir fait ce travail très important pour unir le PS, le PDC, le PLR, l'UDC et le MCG afin d'arriver à ce consensus.
Ce consensus fait mal au PLR, je tiens à le dire. Ce n'est pas le consensus voulu par le PLR. Le propre d'un compromis équilibré, c'est qu'il fait mal à tous les membres de l'accord. A ce titre, je regrette infiniment l'attitude des Verts qui ne le soutiennent pas. Si, en ce qui concerne le groupe Ensemble à Gauche, j'ai envie de dire qu'il ose tout et que c'est bien à cela qu'on le reconnaît - ce n'est pas de Guitry mais d'Audiard, Monsieur le député Vincent Maitre... (Commentaires.) ...j'attendais autre chose de la part des Verts: un sens du compromis, un sens de la négociation. Arrêtez le dogmatisme, arrêtez de vivre dans une espèce de Heidiland où toutes les multinationales seraient par définition mauvaises et toutes les PME mignonnes, gentilles et dignes d'être défendues ! C'est un discours complètement à côté de la plaque, un discours isolationniste, étriqué, absurde, complètement déconnecté des réalités et insultant pour ces entreprises multinationales qui se sont établies en Suisse, en particulier depuis les années 1990. Elles contribuent fortement au développement de Genève et elles contribuent à payer les prestations à la population. J'ai envie de dire: David, si tu nous écoutes, reviens ! (Rires.) Reviens, les Verts, en particulier les jeunes pousses vertes, ont besoin de toi ! Viens éclairer ton parti de ton esprit, toi qui as été le père de cette réforme ! (Applaudissements.)
Quelques mots sur l'initiative 170 et son contreprojet. L'initiative est nocive d'abord parce qu'elle induit des comportements de consommation de prestations de santé; elle ne s'attaque pas aux vrais problèmes, à savoir les coûts de la santé, et donc l'augmentation des primes. Surtout, elle ferait peser une charge supplémentaire de 450 millions de francs la première année, charge qui pourrait s'élever à plus d'un milliard dans quelques années: c'est absolument colossal, l'Etat de Genève ne peut pas se permettre cela. Le PLR ne se réjouit pas de soutenir le contreprojet à cette initiative, car c'est une augmentation des charges importante et qu'il ne s'attaque pas non plus aux racines du mal. Cela étant, il fait partie de ce paquet, il fait partie de ce compromis. Les montants engagés sont connus et peuvent être maîtrisés par le canton. Cela permet d'offrir aux bénéficiaires potentiels, notamment la classe moyenne, des subsides qui pourront aller jusqu'à 230 F. Cela va permettre à la classe moyenne inférieure en particulier de faire face aux coûts colossaux de l'assurance-maladie.
Pour ces raisons, le PLR soutiendra le paquet qui est ficelé aujourd'hui devant vous, parce qu'il préserve les emplois, parce qu'il préserve les recettes fiscales qui permettent justement de faire du social, parce qu'il apporte un supplément de prestations sociales avec l'augmentation des subsides d'assurance-maladie. Surtout, ce paquet permet une visibilité aux entreprises, de sorte que Genève puisse reste attractive et attire des emplois à haute valeur ajoutée. Je vous invite donc à accepter le compromis et à refuser tous les amendements. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. La parole est à M. Stéphane Florey... (Un instant s'écoule.) Monsieur Florey, à force de parler avec vos voisins, vous ne m'entendez plus !
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Bon, globalement, oui, il y a eu un accord, mais il faut quand même dire la vérité: c'est un accord un peu bancal sur certains points ! Tout d'abord, l'UDC déplore que le taux ait beaucoup fluctué avant de finir à 13,99%. Cela rend quand même notre canton beaucoup moins compétitif que prévu. Sur le fond, nous sommes inquiets de voir que le taux plancher est le deuxième le plus élevé de Suisse. En plus subsiste la taxe professionnelle que je n'ai pas vue ressortir dans les débats en lisant le rapport. C'est un point important: à 13,99% plus la taxe professionnelle, eh bien, on est encore moins compétitifs que le reste des cantons ! Genève risque bel et bien d'être le canton le moins compétitif du pays. Nous soutiendrons ce projet de loi, mais d'une manière très mesurée.
Nous ne soutiendrons pas le PL 12007 sur le frein à l'endettement, pour une raison essentielle. Le canton connaîtra des pertes prévisibles les premières années: comment l'Etat va-t-il se réformer ? Et nous aimerions qu'il le fasse ! Depuis que l'UDC est au parlement, elle a toujours appuyé de vraies réformes structurelles, et ce n'est pas en levant le frein à l'endettement pendant huit ans qu'on va forcer l'Etat à se restructurer ! Non, on va finalement assister à une explosion de la dette. On a voulu doubler la durée de la suspension du frein à l'endettement par rapport à ce qui était initialement prévu, mais une durée de huit ans est exagérée ! C'est pour cette raison que l'UDC ne soutiendra pas ce projet de loi.
Sur la compensation des communes, le risque avéré d'un manque à gagner pour les communes est même ressorti à l'échelle nationale. C'est du reste un des arguments qui a entraîné le refus de la RIE III par le peuple, à cause du risque pour lui de devoir payer les pertes fiscales par le biais de potentielles augmentations d'impôts notamment communaux. Ce risque existe toujours ! Nous avions déposé la M 2502 qui demandait que l'Etat négocie avec les communes pour que celles-ci n'augmentent pas leurs centimes additionnels pendant une période de cinq ans. Cette motion a malheureusement été refusée. C'est pour ça que nous avons déposé un amendement à ce projet de loi. Je reviendrai dessus plus précisément, mais il demande de compenser totalement les pertes pour les communes, en écartant ainsi le risque pour les contribuables de voir leurs impôts communaux fortement augmenter. D'autant plus que certaines communes ont déjà dans l'idée de proposer des augmentations des centimes additionnels ces prochaines années; elles l'ont même déjà plus ou moins annoncé. Cela prouve bel et bien que l'UDC avait parfaitement raison d'argumenter que le risque est réel et que la population n'a pas à payer les pertes fiscales dues à cette réforme. Il est évident que si l'amendement proposé est adopté, nous soutiendrons le projet de loi concernant la compensation des communes.
Deux mots sur l'initiative et son contreprojet: pour l'UDC, ce sera clairement deux fois non. Nous ne soutenons pas l'initiative parce que nous ne voulons pas voir une explosion des charges sociales pour notre canton. Concernant le contreprojet, nous ne le soutiendrons pas non plus, parce qu'il s'agit d'une initiative bis aux effets amoindris. (Commentaires. Rires.) Ce que nous ne voulons surtout pas, c'est pousser 80 000 personnes supplémentaires à l'aide sociale: or, c'est exactement ce qu'on est en train de faire avec ce contreprojet. Aujourd'hui, il y a 53 000 bénéficiaires; on nous dit qu'on va monter à 146 000 bénéficiaires, cela fait grosso modo 80 000 personnes en plus à l'aide sociale ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Il y a quand même un problème: on passe complètement sur le fait qu'on ne résout en rien la problématique des coûts de la santé, et il y a un effet pervers à cela. D'un côté, on dit que les gens vont toucher des subsides, mais d'un autre, on pourra potentiellement subir une augmentation d'impôts à cause de ces subsides...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député, je vous remercie !
M. Stéphane Florey. Je reprendrai la parole !
M. Jean Rossiaud (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Pour revenir au fondement de notre position, selon les Verts, ces diminutions de rentrées fiscales accentuent les risques environnementaux et sociaux que Genève et la Suisse courent actuellement et qui s'avéreront toujours plus importants dans les années à venir.
J'aimerais revenir sur ce que disait la conseillère d'Etat: Madame, je vous ai écoutée, je vous ai comprise, ce n'est pas que vous n'ayez pas été claire, mais je ne suis simplement pas d'accord avec votre analyse des risques ! Je ne vous manquerai pas de respect maintenant en pensant que vous n'avez pas bien écouté ce que j'ai dit en commission: vous avez bien compris, mais peut-être est-ce moi qui n'ai pas été clair, et j'aimerais m'expliquer à nouveau. Il y a deux risques planétaires aujourd'hui, non seulement pour Genève et pour la Suisse, mais pour l'ensemble des pays du monde: le risque climatique et celui de crise financière. Votre projet, négocié avec le parti socialiste, accentue ces deux risques ! C'est pour ça que les Verts ne le soutiendront pas ! Ce n'est pas parce que nous sommes figés dans une position dogmatique, mais parce que nous faisons une autre analyse des risques sociétaux et environnementaux que vous ! C'est peut-être pour ça que les Verts disaient au début n'être ni de gauche ni de droite ! (Commentaires.) Cette position partagée et consensuelle entre le parti libéral-radical et le parti socialiste qui vise toujours plus de croissance, les Verts n'en veulent pas !
Pourtant, s'il existe un bel instrument pour renforcer notre résilience, c'est bien celui de la fiscalité. Nous avons besoin d'une fiscalité écologique, mais, en commission, tout était plié d'avance, il était quasiment impossible de revenir sur quelque proposition que ce soit. Nous avons voté sur le taux de 16%, mais ça a évidemment été balayé ! Madame la conseillère d'Etat, les Verts demandent au gouvernement de faire une proposition de fiscalité écologique, et nous y travaillerons. Une fiscalité écologique est une fiscalité qui favorise les entreprises et les individus qui ont des comportements responsables en matière sociale et environnementale; c'est une fiscalité qui pénalise fortement la production de biens et services nuisibles à la santé, à la cohésion sociale, à la biodiversité et à l'environnement urbain et naturel; c'est une fiscalité qui pénalise le gaspillage des ressources naturelles. Au contraire, et c'est là que vous êtes dogmatique, Madame la conseillère d'Etat, sur le plan fédéral comme à Genève, le seul critère qui préside actuellement à la fiscalité des entreprises est celui de l'attractivité ! C'est le mot magique, l'at-trac-ti-vi-té ! On l'a retrouvé dans la bouche du parti socialiste, on le retrouve dans les rangs de droite: l'attractivité des entreprises, c'est-à-dire la compétitivité sur le plan international pour maintenir la croissance. Or, cette croissance repose sur le bon vouloir des entreprises multinationales qui représentent 40% du PIB - elles se sont vantées de ça, je les en remercie, mais 40% du PIB, cela veut dire que ce n'est absolument pas résilient pour Genève !
Il y a donc un consensus entre une partie de la gauche et la droite sur le fait qu'il faut continuer à favoriser l'attractivité, la compétitivité et la croissance. Pour les Verts, maîtriser la croissance est une nécessité écologique et économique: c'est retrouver notre souveraineté sur notre territoire, même si celui-ci est aujourd'hui transfrontalier. C'est arrêter la fuite en avant pour faire la part belle à la qualité de la vie.
La Suisse a trop longtemps vécu de l'argent des autres, de l'argent de l'évasion fiscale, de l'argent des multinationales, qui s'installent ici non parce que nous avons un joli jet d'eau, mais parce que nous leur offrons les conditions d'un paradis fiscal. Dans une Suisse qui croyait rester au-dessus de tout soupçon, les statuts fiscaux spéciaux permettaient à notre pays et à Genève d'être bien placés dans la concurrence fiscale, d'attirer un maximum d'entreprises, notamment les multinationales, les «hedge funds», quels que soient leur moralité et leur impact social et environnemental, selon le magnifique principe de neutralité éthique qui professe que l'argent n'a pas d'odeur. Or, l'OCDE et l'Union européenne ont forcé la Suisse à renoncer aux statuts spéciaux et à mettre toutes les entreprises à la même enseigne. Les Verts ont applaudi et s'en félicitent, mais pour que la Suisse et Genève restent compétitives, il a fallu baisser globalement la fiscalité sur le bénéfice des entreprises et passer d'un taux de 24% à 13,9%, ce qui occasionnera des pertes très importantes alors que nous avons besoin de ces rentrées fiscales pour assumer notre responsabilité sociale et environnementale. Moins de prestations sociales et augmentation de la dette: je reviendrai sur ce chapitre plus tard ! Cette politique qui fragilise notre tissu social va à l'envers du bon sens, et vous ne faites pas une bonne estimation des risques !
Les Verts restent fidèles à leurs principes et continuent à soutenir l'initiative «Zéro pertes». Pour reprendre ce que disait M. de Sainte Marie, au moment où le parti socialiste soutenait cette initiative, il ne parlait pas de roulette russe ! L'ambition était de faire aboutir une réforme fiscale sans perte de revenus, en maintenant d'importantes rentrées fiscales pour assumer notre responsabilité sociale et environnementale ! On aurait pu se mettre d'accord sur un taux de 15,5% ou de 16%, mais ces chiffres étaient hors de question dans la composition actuelle de la commission. C'est pour ça que les Verts refuseront le paquet ficelé fédéral RFFA, et j'espère que nous aurons gain de cause en votation. Les Verts refuseront aussi le paquet ficelé genevois, qui est tout autant contre nature, si ce n'est encore plus ! Je reviendrai plus tard sur ces points.
Le président. Merci, Monsieur le député.
Deuxième partie du débat: Séance du jeudi 31 janvier 2019 à 10h
Le président. Je lève la séance. Nous reprendrons à 10h.
La séance est levée à 9h45.