Séance du
jeudi 1 novembre 2018 à
20h30
2e
législature -
1re
année -
5e
session -
29e
séance
R 869
Débat
Le président. Nous en sommes présentement à la R 869 - que nous traitons en catégorie II, trente minutes - et je passe la parole à Mme Caroline Marti.
Mme Caroline Marti (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, on entend malheureusement de plus en plus souvent parler de ce qu'on appelle le crime ou le délit de solidarité. Cela nous préoccupe très fortement, bien sûr, parce que ça signifie que dans toujours plus de régions et de pays on criminalise le fait de défendre des valeurs de solidarité, d'humanisme et d'entraide, qui devraient être universelles. Mais d'un autre côté, on peut également le percevoir comme quelque chose de rassurant, parce que ça veut dire que partout dans le monde il y a des personnes qui résistent et qui s'élèvent contre ces règles iniques, absurdes et injustes. On peut citer les sept de Briançon, mais aussi Cédric Herrou, Lisa Bosia Mirra au Tessin ou Mimmo Lucano en Italie. Et ils ne sont pas seuls; fort heureusement, énormément de personnes connues ou anonymes se battent pour le droit des migrants et le respect des droits fondamentaux.
Mesdames et Messieurs les députés, il n'est pas inutile de rappeler que ces gens-là défendent et soutiennent des personnes qui se trouvent dans une situation d'extrême détresse. Pensez-vous réellement que celles et ceux qui quittent leur pays, qui quittent parfois leurs proches, qui quittent leurs racines, le font simplement par goût du voyage ? Bien sûr que non; ils le font pour fuir des situations de guerre, de violence, de misère. Et ils le font bien souvent au péril de leur vie, comme le montrent hélas quotidiennement les drames que nous vivons en Méditerranée ou plus globalement sur les routes de l'exil.
Aujourd'hui il est impératif d'agir à Genève, parce que nous devons témoigner notre soutien et notre solidarité à l'endroit de toutes celles et ceux qui, en Suisse, à Genève, mais également dans l'ensemble des pays du monde, n'écoutent que leurs principes, leurs valeurs, et qui se retrouvent actuellement pris au piège d'un système juridique et politique aussi injuste que réactionnaire.
Un dernier mot pour vous parler de l'amendement déposé par le parti socialiste. Son objectif est simple, il s'agit d'élargir quelque peu la portée de cette résolution, puisque les cas sont nombreux et qu'ils doivent retenir la même attention de notre part. Nous devons donc défendre l'ensemble des personnes qui s'engagent pour le respect des droits humains. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Madame la députée. Nous nous prononcerons sur l'amendement que vous proposez à la fin du débat. Je passe maintenant la parole à M. le député Julian Murat Alder.
M. Murat Julian Alder (PLR). Je vous remercie, Monsieur le président. Vous avez inversé mes prénoms, mais je ne vous en tiendrai pas rigueur ! Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la résolution dont nous sommes saisis poursuit possiblement un objectif louable, celui d'apporter un soutien à des Genevois et des Genevoises auxquels un pays voisin reproche des faits qui auraient probablement reçu une autre qualification juridique sous l'angle du droit suisse. En effet, si l'aide au franchissement de la frontière est punissable aussi bien en Suisse qu'en France, le traitement d'une telle infraction n'est pas le même dans ces deux Etats. En France, cette infraction est punissable d'une peine de prison de cinq ans au plus et d'une amende d'un maximum de 30 000 euros. En Suisse, la peine-menace n'est que d'une année de prison au plus et, dans les cas de peu de gravité, d'une simple amende. Dans ces deux pays, il existe également une version aggravée de cette infraction, celle de la bande organisée, qui est punie en France d'une peine de prison de dix ans au plus et d'une amende pouvant aller jusqu'à 750 000 euros, alors qu'en Suisse la peine-menace est de cinq années de prison au plus.
Au vu des éléments d'appréciation de la situation que nous avons en notre possession, je doute fortement que ceux que l'on appelle les sept de Briançon puissent être assimilés à une bande organisée ou à des passeurs. Il y a certainement une volonté politique de certaines autorités françaises d'en faire un exemple dans le cadre de leur politique de lutte contre l'immigration clandestine. Le mobile des sept de Briançon est altruiste. Il se fonde sur une vision du monde et des migrations que le PLR ne partage pas, mais qu'il peut respecter. Nous ne sommes toutefois guère convaincus que ce soit leur rendre service que de leur apporter un soutien politique officiel comme proposé ce jour par la gauche. En effet, la Suisse comme la France sont tenues de respecter le principe de la séparation des pouvoirs et celui de ne pas interférer dans les affaires internes d'un Etat tiers. Ce n'est le rôle ni du Grand Conseil ni du Conseil d'Etat de défendre des prévenus genevois face aux tribunaux français. Au contraire, c'est le travail de leurs avocats français, professionnellement qualifiés, de plaider leur cause avec courage et vigueur. Et c'est le travail des diplomates suisses de faire preuve de toute la finesse nécessaire dans de pareilles circonstances pour sensibiliser leurs homologues français aux différences importantes qui existent entre la Suisse et la France dans la manière de réprimer l'aide au franchissement de la frontière.
Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous invitons à refuser cette résolution qui part d'un bon sentiment dans son contenu, mais qui s'avère contre-productive à la forme. Je vous remercie de votre attention.
M. Jean Burgermeister (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, la situation des sept de Briançon révèle l'absurdité à laquelle nous a conduits la gestion ultra-répressive de la migration en Europe et en Suisse. Les accords de Dublin ont engendré une situation intenable; les migrantes et les migrants sont systématiquement renvoyés en Italie ou en Grèce, où les conditions d'accueil minimales ne peuvent plus être garanties. Embourbés dans une crise humanitaire majeure, les Etats européens s'enferment dans une course en avant vers une militarisation de l'accueil aussi inefficace que meurtrière. Après avoir transformé la Méditerranée en cimetière, les pays européens s'appuient désormais sur les Etats les plus totalitaires et les plus violents de la région pour endiguer les flux migratoires, et comme ce n'est toujours pas suffisant, c'est aujourd'hui la solidarité sous toutes ses formes que l'on criminalise. Les sept de Briançon en sont un exemple éclatant. Ils sont accusés d'avoir franchi la frontière avec des migrantes et des migrants dans le cadre d'une marche de solidarité et ont subi une répression totalement injustifiée et arbitraire. Leur action faisait d'ailleurs suite à une provocation d'une organisation d'extrême droite qui avait bloqué cette même frontière et répandu un discours ouvertement xénophobe. Or, malgré l'illégalité de leur action, ces militants d'extrême droite n'ont pas été inquiétés par la justice.
Ce principe de deux poids, deux mesures révèle clairement l'aspect politique du procès et en réalité, à travers la persécution judiciaire des sept de Briançon, c'est l'ensemble de la solidarité envers les migrantes et les migrants qui est attaquée et que l'on tente de décourager. Cette criminalisation a un but clair: empêcher tout contact entre les migrants et les populations locales afin de maintenir une séparation stricte, car là où le contact se noue, les solidarités se forgent, et il est difficile de rester de marbre face à des personnes qui fuient la guerre et la misère. C'est cette même logique d'isolement, de séparation entre migrants et population locale qui pousse aujourd'hui les autorités cantonales à construire une gigantesque prison pour innocents, prison qui sera destinée à accueillir des personnes qui ont pour seul tort d'être entrées sur le territoire sans détenir les bons papiers. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Et cette politique de la haine, ce racisme d'Etat ont engendré le terreau sur lequel l'extrême droite fleurit aujourd'hui. Il est donc temps d'envoyer un message clair: les droits humains ne sont pas négociables, et la solidarité aussi bien que la misère ne sont pas des crimes. Je vous invite dès lors à accepter cette proposition de résolution telle qu'amendée par le parti socialiste, car en l'état elle ne contrevient pas du tout au principe de la séparation des pouvoirs. Le PLR ne devrait donc pas la critiquer sous cet angle, mais la voter. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Stéphane Florey (UDC). Pour le groupe UDC, cette proposition de résolution pose problème, car à nos yeux elle constitue clairement un encouragement à aller perpétrer des actes illicites selon la justice de nos pays voisins, ce que nous ne pouvons bien évidemment pas accepter. L'autre problème que nous relevons, c'est que comme l'a souligné notre collègue Murat Julian Alder, il ne nous appartient pas de dire ici si ces personnes sont coupables ou non. Nous n'avons aucun moyen de le savoir et il n'y a aucune preuve indiquant qu'elles sont coupables ou non. C'est le premier élément que l'UDC constate s'agissant de ce qui vient d'être dit. Le second, c'est que c'est la justice qui devra précisément se déterminer sur ces questions. Pour ces deux raisons, nous vous invitons à refuser ce texte ainsi que l'amendement qui l'accompagne. Je vous remercie.
M. Yvan Rochat (Ve). Genève, son Grand Conseil et, nous l'espérons, son Conseil d'Etat ne peuvent pas rester indifférents aux actes profondément humains et de solidarité pour lesquels se sont engagés les sept de Briançon. Comme cette proposition de résolution le souligne, ils ont été arrêtés à l'issue d'une marche de solidarité, et le prétexte d'une entrée illégale de migrants sur le sol français ne peut en aucun cas cacher la détestable volonté de l'Etat français de criminaliser la solidarité, c'est-à-dire, dans les faits, d'exercer une pression et d'organiser la répression de citoyennes et citoyens engagés et courageux qui tiennent tête aux groupuscules d'extrême droite. Genève, dépositaire des conventions des droits de l'homme, ne peut pas et ne doit pas rester insensible au destin de celles et ceux qui tentent de protéger les êtres humains migrants sans aucun droit contre des groupuscules violents et racistes tels que Génération Identitaire. Genève, patrie des réfugiés huguenots chassés par les pogroms du royaume de France, Genève, patrie des habitants de Soral et d'autres villages frontaliers dont bon nombre d'habitants n'hésitèrent pas à enfreindre les lois de l'époque pour donner refuge aux juifs qui fuyaient les persécutions nazies et fascistes, Genève et sa représentation populaire, le Grand Conseil, fier de son histoire humaniste, se doivent aujourd'hui de soutenir cette proposition de résolution telle qu'amendée par le parti socialiste, car elle rappelle l'humanisme de l'esprit de Genève et se situe dans la droite ligne de ce que firent avec honneur nos ancêtres. Merci. (Applaudissements.)
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, il est bien évident qu'on ne peut pas s'ingérer dans la politique d'un pays voisin, mais on ne peut pas pour autant faire semblant de ne pas voir ce qui se passe, et sans vouloir faire de parallèle historique réducteur, on ne peut pas s'empêcher de penser aux Justes qui, lors de la Seconde Guerre mondiale, se sont retrouvés en prison pour avoir hébergé des juifs ou les avoir protégés des dangers qu'ils couraient. Alors c'est peut-être déclamatoire, certes, mais si nous soutenons ce texte - et le parti démocrate-chrétien aura la liberté de vote - c'est parce que malgré le caractère symbolique et déclamatoire de la démarche, cela montre que nous ne pouvons pas faire semblant de ne pas voir ce qui se passe à nos portes. Des Suisses sont impliqués, nous sommes donc concernés et devons absolument - c'est du moins l'avis d'une partie du groupe PDC - soutenir la résolution avec son amendement. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Je serai d'accord avec le député Jean Burgermeister sur deux points. Effectivement, il y a le cri du coeur de deux idéalistes genevois qui sont allés au bout de ce qu'ils voulaient faire; ça, je le comprends. Je ne partage pas leur analyse de la situation, mais je comprends leur enthousiasme. C'est vrai que face à la misère humaine, nous avons en quelque sorte un devoir de compatissance. Je le comprends également s'agissant de la politique migratoire, car ça ne fonctionne pas, effectivement. Cela dit, je ne fais pas la même analyse que lui des problèmes actuels de la politique migratoire; je ne pense pas que c'est en détruisant les frontières qu'on arrivera à obtenir un résultat.
En réalité, le MCG s'opposera à ce texte pour deux raisons importantes. En premier lieu, nous ne pouvons pas être complices d'un trafic d'êtres humains. En effet, il faut quand même être conscient que ce qui se passe actuellement dans la Méditerranée ou en direction du Proche-Orient, c'est un trafic d'êtres humains de grande ampleur, avec toutes ses vilenies, toutes ses horreurs, et donc le fait d'être compatissants, qu'on le veuille ou non, nous amène également à être complices de ces vilenies, même si c'est à notre corps défendant.
D'autre part, je voudrais quand même remercier le groupe décrié par M. Burgermeister qui a bloqué la frontière. Je ne suis pas du tout dans la mouvance identitaire, il y a beaucoup d'analyses que je ne partage pas avec eux, mais il faut leur reconnaître le mérite d'avoir réussi à bloquer l'accès de ces réseaux de voyous, parce que ce sont effectivement des réseaux de voyous, des criminels qui manipulent tout cela et qui sont là derrière. Je pense donc qu'il faut quand même être reconnaissant à ce groupe d'avoir permis de bloquer cette misère humaine. En conclusion, le groupe MCG refusera bien évidemment cette proposition de résolution et son amendement.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe maintenant la parole à M. Jean Burgermeister pour trente secondes.
M. Jean Burgermeister (EAG). Je n'ai pas le temps du groupe en plus de celui qui revient à l'auteur, Monsieur le président ?
Le président. Oui, pardon ! Comme vous êtes l'auteur de ce texte, vous disposez de trois minutes.
M. Jean Burgermeister. Je vous remercie, Monsieur le président. Je voudrais quand même répondre à mon préopinant. Pour commencer, je trouve qu'il est scandaleux de féliciter des groupes fascistes ou fascisants qui ont répandu ouvertement un discours raciste et haineux à l'encontre des migrantes et des migrants. Je rappelle ensuite que ce qui fait le lit des réseaux mafieux de passeurs, eh bien ce sont justement ces politiques migratoires ultra-sécuritaires. C'est parce qu'on a cadenassé l'Europe qu'aujourd'hui les personnes en sont réduites à dépenser toutes leurs économies... (Commentaires.) ...pour pouvoir entrer par des voies détournées, parce qu'on ne les accueille plus... (Applaudissements. Huées. Les propos de l'orateur sont couverts par le bruit.) Et il est honteux d'associer...
Le président. Une seconde, Monsieur le député ! (Un instant s'écoule. Le silence revient.) Voilà, vous pouvez reprendre.
M. Jean Burgermeister. Il est honteux d'associer la migration de manière générale à des réseaux mafieux. Ce sont des gens qui fuient la guerre et la misère ! En outre, les personnes qui seront jugées la semaine prochaine en France défendent les droits humains les plus fondamentaux, des droits qui sont bafoués quotidiennement par des pays qui se gargarisent tous les jours d'être les dépositaires de telle ou telle convention, d'être les Etats historiques des droits de l'homme. Alors ayez un peu de courage, Mesdames et Messieurs, vous qui avez tous déclaré que cette proposition de résolution soulevait des problèmes justes, des préoccupations importantes, et qu'il fallait faire preuve d'un peu de compassion. Je vous invite donc réellement à l'accepter, ainsi que l'amendement socialiste, sachant qu'elle ne contrevient pas du tout au principe de la séparation des pouvoirs. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, je vais mettre aux voix l'amendement du groupe socialiste qui annule et remplace l'invite unique. En voici la teneur: «à prendre position contre la criminalisation de l'action de défenseur-euse-s des droits humains».
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 66 oui contre 27 non.
Le président. Nous nous prononçons maintenant sur la proposition de résolution ainsi amendée.
Une voix. Vote nominal !
Le président. C'est trop tard, nous sommes en procédure de vote.
Mise aux voix, la proposition de résolution 869 ainsi amendée recueille 47 oui, 47 non et 1 abstention. (Exclamations à l'annonce du résultat.)
Le président. Je tranche en faveur du rejet de ce texte.
La proposition de résolution 869 ainsi amendée est donc rejetée par 48 non contre 47 oui et 1 abstention.