Séance du vendredi 12 octobre 2018 à 15h30
2e législature - 1re année - 4e session - 26e séance

M 2398-A
Rapport de la commission des affaires communales, régionales et internationales chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. François Baertschi, Nicole Valiquer Grecuccio, Jean-Marie Voumard, Pascal Spuhler, Daniel Sormanni, Henry Rappaz, Christian Flury, Salima Moyard, Patrick Dimier, Roger Deneys, Jean-Charles Rielle, Lydia Schneider Hausser, Romain de Sainte Marie, Marc Falquet, Jean-François Girardet, Sandra Golay, Caroline Marti, Jean Batou : Soutenons nos patrouilleuses et patrouilleurs scolaires : non à la privatisation de la sécurité des enfants !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XIV des 26 et 27 avril 2018.
Rapport de majorité de M. Jean-François Girardet (MCG)
Rapport de minorité de M. Raymond Wicky (PLR)

Débat

Le président. Nous continuons nos urgences avec la M 2398-A, classée en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à M. le député François Baertschi.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le rôle social des patrouilleuses scolaires est important, même s'il est souvent un peu ignoré. Ce sont des personnes qui font partie de notre environnement quotidien, que l'on voit vers les passages piétons à la sortie des écoles. Ce sont très souvent des habitantes de nos diverses communes et de nos quartiers et je crois qu'il faut d'abord leur rendre hommage. Personne ne le conteste, elles font un travail important de prévention et d'accompagnement, un travail humain, et ce sont des personnes qui méritent toute notre considération.

Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi a-t-on déposé cette motion ? Parce qu'un règlement a été édicté qui ouvrait la porte à une privatisation. C'est une privatisation que les signataires ont estimée sournoise parce qu'elle laisse la porte ouverte - comme un cheval de Troie - à une privatisation plus importante; or, il est essentiel dans notre société de laisser ces postes à des personnes. On peut tout à fait trouver des remplaçants en cas de problème ou d'absence pour maladie, c'est quelque chose qui peut se faire, qui doit se faire. C'est vrai qu'il y a des listes d'attente pour les patrouilleuses scolaires. On peut également faire des échanges entre les communes; on peut demander à la police municipale de donner un coup de main quand c'est nécessaire. Ce sont des possibilités qui existent et il n'est pas nécessaire de prévoir l'apport de sociétés privées qui auront une autre philosophie de ce que sont les patrouilleuses scolaires. Je vous demande donc, comme la majorité de la commission, de soutenir la présente motion.

M. Raymond Wicky (PLR), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, chers collègues, en ce qui concerne la minorité de la commission, comme mon préopinant, il est évident que nous saluons le travail des patrouilleuses et des patrouilleurs scolaires qui non seulement assurent la sécurité des enfants du canton sur le chemin de l'école, mais amènent aussi une dimension sociale et un contact humain qui n'est pas à négliger, notamment avec des adultes qui ne font peut-être pas partie de leur environnement direct.

Par contre, j'aimerais apporter une certaine précision: on a quelque peu extrapolé la problématique de la réglementation. Si on regarde celle-ci de façon détaillée, on s'aperçoit tout d'abord qu'un remplacement par une société privée est possible exclusivement à certaines conditions. La première de ces conditions, c'est que ces remplacements soient tout à fait ponctuels et qu'ils ne durent pas. La durée est donc limitée. Bien entendu, ces recours à une société privée pour assurer des remplacements sont entièrement subordonnés à une autorisation du département qui doit évaluer si, effectivement, il y a des risques que certaines communes pratiquent systématiquement ce genre de délégations. Donc, la notion de privatisation latente est largement surestimée et exagérée. En allant dans le sens de la majorité de la commission, on va arriver à des situations dans lesquelles les communes du canton seront privées d'une certaine flexibilité et d'une réelle liberté de manoeuvre dans leur action. Toutes les communes ne sont pas comme Genève, Carouge ou Vernier où, comme l'a dit mon préopinant, il y a des listes d'attente pour accéder à cette fonction qui donne un petit revenu complémentaire à des familles. Dans des communes comme la mienne, avec mille habitants, je peux vous dire que s'il fallait mettre en place un système de patrouilleurs ou de patrouilleuses scolaires, on ne serait pas près d'en voir parce qu'on n'arriverait probablement pas à recruter les personnes nécessaires dans la commune.

Enfin, une autre chose un peu surprenante est de demander un report sur la police municipale. Il me semble que la police municipale - à qui on confie de plus en plus de missions - n'est pas seulement là pour faire traverser la rue à des enfants. Forte de ces considérations, la minorité de la commission vous demande de refuser cette motion qui est trop carrée par rapport à la problématique qu'elle entend traiter.

Le président. Je vous remercie. J'ai une demande d'un ou d'une députée portant le numéro 63, mais j'aimerais bien qu'on mette la carte afin que je puisse repérer le nom. Je pense qu'il s'agit de Mme Delphine Bachmann, à qui je passe la parole.

Mme Delphine Bachmann (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le parti démocrate-chrétien rejoint l'avis du rapporteur de minorité. Sous couvert de dire que la sécurité de nos enfants serait en danger, on est en train de vouloir expliquer aux communes comment elles doivent travailler, comment elles doivent gérer les patrouilleurs et patrouilleuses scolaires. Je crois que, dans la plupart d'entre elles, cela se passe très bien avec le statut actuel. Nous pensons qu'il vaut mieux leur laisser la liberté de s'organiser, notamment pour les raisons citées précédemment: de petites municipalités peuvent avoir de la peine à s'organiser pour cela avec les employés municipaux. Nous estimons que ce n'est pas au canton d'imposer dans toutes les communes une manière de faire généralisée. C'est une atteinte à la liberté d'organisation de celles-ci. L'organisation des patrouilleuses scolaires est vraiment une compétence qui doit rester au niveau communal.

M. Jean Batou (EAG). Chers collègues, pour le groupe Ensemble à Gauche, ça ne fait aucun doute, il faut défendre de manière extrêmement ferme le rôle social, citoyen et de proximité des patrouilleuses scolaires et il ne faut pas sous-estimer les risques de privatisation de toutes les tâches de sécurité dans ce canton. Je vous rappelle qu'en Suisse, aujourd'hui, il y a 20 000 agents de sécurité privée, c'est-à-dire plus que tous les effectifs des police qui appartiennent aux collectivités publiques. On sait aussi que des géants de la sécurité comme Securitas occupent de plus en plus de place lors de missions publiques sous-traitées à des entreprises privées. A quand des patrouilleuses scolaires Securitas dans nos rues ? J'espère qu'on ne connaîtra jamais une évolution de ce type! Je le dis d'autant plus que le département de la sécurité est très prompt à privatiser des tâches de sécurité, comme on l'a vu lors de l'homérique bataille sur le convoyage des détenus. Nous avons toutes les raisons de nous méfier de ces exceptions qui deviennent progressivement la règle. Vous le savez tous également, dans la privatisation des tâches de sécurité, il y a toujours un dumping au niveau de la formation, des conditions de travail et des salaires des employés des entreprises de sécurité privée. C'est pourquoi notre groupe vous appelle instamment à soutenir cette motion.

Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Nous connaissons toutes et tous les dangers de la circulation routière pour nos enfants sur le chemin de l'école. On l'a dit à plusieurs reprises, les patrouilleurs et patrouilleuses jouent un rôle central pour la sécurité de nos enfants. On devrait d'ailleurs les multiplier dans certains quartiers parce que le chemin de l'école n'est souvent pas encore suffisamment sécurisé. Les patrouilleurs et patrouilleuses sont des acteurs et actrices de la commune et il est important pour les Verts que cette activité reste communale, notamment pour permettre une vision d'ensemble et un travail étroit avec la police municipale. Pour les Verts, il est important de ne pas prêter le flanc à une potentielle privatisation et de ne pas mettre le pied dans la porte, même si la porte est ici à peine ouverte: nous le reconnaissons, on parle plus d'exceptions. Quoi qu'il en soit, ne faisons pas de cette exception une règle, et c'est pour cette raison que les Verts soutiennent cette motion.

Je voudrais encore dire ici que même si les patrouilleurs et patrouilleuses jouent un rôle important en matière de sécurité, il y a d'autres leviers à activer, qu'on ne peut pas se passer de citer ici; on en a d'ailleurs parlé à la dernière session. Il s'agit de la sécurité de manière générale sur le chemin de l'école. Les Verts ont déposé une motion sur les plans de mobilité scolaire, les PMS, pour que ces outils soient largement valorisés dans les communes. J'aimerais faire un appel au Conseil d'Etat pour qu'il mette en place le plus rapidement possible ces plans de mobilité scolaire, de manière que la sécurité sur le chemin de l'école soit effective.

Mme Xhevrie Osmani (S). Mesdames et Messieurs les députés, notre groupe soutient cette motion qui vise à empêcher la privatisation de la sécurité des enfants, car elle permet d'éviter une généralisation ou un recours automatique à des sociétés privées par les communes éprouvant des difficultés à recruter des patrouilleuses et patrouilleurs scolaires. La modification réglementaire en question visant à autoriser le recours à des sociétés privées de manière exceptionnelle, quand il y a un manque de personnel, est en soi une chose que nous pouvons concevoir. Cependant, avec cette modification, le risque est que cette pratique devienne une habitude et l'exception la règle. Les patrouilleuses scolaires seraient progressivement mises à l'écart et on ferait l'impasse sur l'importance de la tâche de proximité assurée par ce personnel ainsi que sur le lien social que cette tâche préserve. Cela contribuerait à fragiliser le métier et les conditions de travail, alors qu'il s'agit d'un service très souvent assuré par des femmes pour qui cette rémunération intervient en complément d'un revenu généralement faible. Nous savons que l'externalisation d'une tâche se veut accompagnée d'économies, mais il ne faut pas oublier qu'une externalisation serait lourde, et si celle-ci devait être considérée comme une mesure d'économies, elle se ferait au détriment des conditions de travail des patrouilleuses.

Comme nous l'avons défendu en commission, nous estimons qu'il est important que toutes les solutions envisageables soient épuisées avant de recourir à une privatisation même partielle. Cette situation serait dommageable et regrettable, bien que nous comprenions qu'il s'agit d'un cas marginal à l'heure actuelle, celui de Collex-Bossy; le caractère urgent est peut-être un peu exagéré. Malgré tout, nous sommes d'accord avec le fond de ce texte, et c'est pour cette raison que nous appelons les autres députés à l'adopter. (Applaudissements.)

Mme Simone de Montmollin (PLR). Chers collègues, j'entends chez mes préopinants le souci d'une privatisation générale, mais ce n'est absolument pas de cela qu'il s'agit ! Lisez le règlement sur les patrouilleurs et patrouilleuses scolaires et vous pourrez vous en convaincre vous-mêmes. Cette modification a été introduite dans ce règlement suite à la difficulté rencontrée par de petites communes à trouver les forces vives en leur sein pour assurer ce rôle de patrouilleuses ou patrouilleurs. Parfois, il n'était pas possible de les trouver sur leur territoire ni dans des communes voisines ou encore auprès de la police municipale qui, on doit l'avouer, a certainement autre chose à faire que de s'occuper de ces tâches-là. L'avantage d'une telle modification, c'est qu'elle encadre les conditions dans lesquelles ce travail peut être fait, en exigeant exactement la même chose de ces sociétés privées que des patrouilleuses qui doivent être formées et doivent obtenir l'agrément du Conseil d'Etat. Ce cadre est fixé pour précisément éviter des débordements ou une généralisation de la pratique. Je vous invite à lire l'alinéa 3 de l'article 3 du règlement: «A titre exceptionnel et sur présentation de justificatifs, les communes qui rencontrent des difficultés momentanées en matière de recrutement ou de gestion des patrouilleuses peuvent demander au département l'autorisation de mandater [...]» Il ne s'agit donc pas de généraliser, il s'agit de prévoir une certaine flexibilité, de nouveau, pour les petites communes qui n'ont parfois pas d'autre choix que de recourir à de la main-d'oeuvre extérieure à la commune pour assurer momentanément la sécurité des enfants sur le trajet menant à l'école.

C'est pour ça que le PLR ne soutiendra pas cette proposition, il estime que les garde-fous sont suffisants et qu'il faut donner cette possibilité aux communes qui en ont besoin pour ne pas les laisser se retrouver momentanément sans solution. Nous vous remercions donc de ne pas soutenir cette motion.

M. Patrick Dimier (MCG). La république de Genève a pour tradition de s'appuyer sur un liant social fort, sur un maillage qu'un de ses plus grands philosophes, Jean-Jacques Rousseau, a appelé le contrat social. Ce contrat social impose - ou exige - que chacun des participants à ce contrat puisse compter sur l'autre, s'appuyer sur l'autre. L'intérêt des patrouilleuses scolaires - cela m'est démontré tous les matins dans le quartier où j'ai mon bureau - est qu'elles sont au contact direct avec les enfants, lorsque les parents ne sont pas là ou ont confié leurs enfants à des tiers. Les patrouilleuses scolaires savent très bien que les adultes qui accompagnent ces enfants ont la confiance des parents. Comment pensez-vous qu'il soit possible que des entreprises commerciales puissent remplir un tel rôle ? C'est tout simplement mission impossible. Comme l'a extrêmement bien souligné le rapporteur François Baertschi, on ne peut que soutenir ce fonctionnement qui implique chacun d'entre nous, chacune d'entre nous, pour constituer un contrat social solide et efficace.

M. François Lance (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, je vais répéter encore une fois ce qui a été dit. A l'heure actuelle, les communes n'ont pas d'intérêt à déléguer cette tâche à des entreprises privées ! Les patrouilleuses et patrouilleurs scolaires assurent la sécurité des enfants de la commune, mais ont surtout un rôle social important, étant en contact avec les enfants et surtout les parents. Cette délégation à une entreprise privée pourrait être comprise lors d'indisponibilité d'une patrouilleuse ou d'un patrouilleur, en cas d'absence pour cause de maladie ou d'accident sans possibilité de remplacement par un agent de police municipale, en particulier dans les petites communes. Laissons cette possibilité de dernier recours aux communes ! Merci donc de refuser cette motion !

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Daniel Sormanni pour une minute quatorze.

M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Ce sera très rapide. Mon préopinant vient de dire que les communes n'auraient pas intérêt à privatiser cette activité et qu'il faudrait leur laisser le choix. Si ce règlement cantonal n'avait pas été changé, cette motion n'aurait pas été déposée, c'est aussi simple que ça ! Ne laissons pas la porte ouverte à cette possibilité, parce qu'aujourd'hui, c'est une possibilité, et demain ce sera privatisé ! Ce serait une grave erreur, avec une rupture du lien social et de confiance entre les parents et ceux qui font traverser nos enfants aux passages piétons. Par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à voter cette motion.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est maintenant à M. le député François Baertschi pour quarante secondes.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur de majorité ad interim. Monsieur le président, elle ne sera pas si exceptionnelle que ça, cette délégation privée ! Il faut savoir que les sociétés privées devront financer la formation de leurs agents. Elles ne pourront donc pas intervenir pour une période trop limitée, elles auront tout intérêt à faire durer la délégation. Elles ne pourront pas échapper à cette durée de délégation.

Autre élément inquiétant, on entend déjà que des grandes communes suburbaines seraient prêtes à recourir à cette délégation - même la Ville de Genève, il paraît ! Mais ce sont des communes où on a la possibilité de trouver des personnes pour cette fonction ! Actuellement, il semble qu'il y ait la tentation dans certaines de ces communes de déléguer. Le danger est donc bel et bien là, à mon avis, et cette motion est tout à fait utile comme avertissement et signal d'alarme... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...ainsi que pour demander un soutien et donner une reconnaissance aux patrouilleuses scolaires qui ne sont pas toujours reconnues comme elles devraient l'être par certaines communes, malheureusement...

Le président. Voilà, Monsieur le député, c'est terminé !

M. François Baertschi. Merci, Monsieur le président.

Le président. Je passe la parole à M. le député Raymond Wicky pour quarante-cinq secondes.

M. Raymond Wicky (PLR), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Très rapidement, je crois qu'on s'emploie à peindre le diable sur la muraille là où il n'y a pas de diable ! Je ne veux pas répéter ce qu'a dit Mme de Montmollin, mais le règlement est absolument clair en la matière et vous savez très bien qu'on pourra toujours influencer le Conseil d'Etat s'il y avait des dérives en la matière. Enfin, on ne parle pas des grandes communes; le problème n'est pas lié à celles-ci, mais aux petites communes qui, de surcroît, encore une fois, se trouvent parfois totalement isolées dans notre campagne et n'ont pas forcément la possibilité de trouver des ressources dans les communes voisines. Donc, je vous invite encore une fois à refuser cette motion !

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. J'invite l'assemblée à voter sur ce que préconise la majorité, à savoir le renvoi de la motion au Conseil d'Etat.

Mise aux voix, la motion 2398 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 52 oui contre 34 non.

Motion 2398