Séance du
jeudi 30 août 2018 à
14h
2e
législature -
1re
année -
2e
session -
16e
séance
IN 160-C et objet(s) lié(s)
Suite du premier débat
Le président. Nous allons continuer la discussion que nous avons entamée ce matin. Il y avait encore trois demandes de parole. Je prie les rapporteurs de bien vouloir venir à la tribune. (Un instant s'écoule.) La parole est à Mme Jocelyne Haller, à qui il reste une minute vingt sur le temps de son groupe.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de deuxième minorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, si j'ai souhaité prendre la parole, c'est simplement pour rectifier un élément avancé par M. Falquet, qui a parlé d'un témoignage de travailleurs sociaux. Il n'en était pas question: les travailleurs sociaux n'ont pas été entendus et M. Thévoz et moi-même, qui sommes précisément travailleurs sociaux, pouvons attester du problème posé par le coût des frais dentaires pour une bonne partie de la population et du poids que cela représente aussi pour les professionnels, dans la mesure où ils doivent rechercher des fonds et faire des démarches de désendettement. Ce qui m'amène à évoquer la question du coût occasionné par les soins dentaires, parce qu'on a beaucoup parlé de la charge que représenterait une assurance dentaire pour l'Etat, mais on n'a pas développé l'idée qu'il vaut mieux être assuré qu'assisté... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...et qu'une assurance permettrait finalement à l'Etat d'épargner certains frais, puisqu'il n'aurait plus besoin d'intervenir pour les prendre en charge, étant donné que l'assurance le ferait. Par ailleurs - et c'est un élément qui a été largement évoqué par M. Thévoz - le fait de pouvoir contrôler et réguler, finalement, les interventions des dentistes permettrait également de contrôler les coûts des prestations de ces derniers, ce qui constitue un point extrêmement important, il ne faut pas s'y tromper. Du reste, dans la signature de l'initiative par les 18 000 personnes que nous avons évoquées tout à l'heure, il y avait aussi cette préoccupation, outre la nécessité de bénéficier d'une assurance dentaire. Merci de votre attention.
Le président. C'est terminé, Madame la députée. Je passe maintenant la parole à M. Sylvain Thévoz pour trois minutes vingt sur le temps de son groupe.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. Je ne demanderai pas à mes collègues députés combien d'entre eux ont pu se laver les dents suite au repas de midi. (Exclamations.) Il est toutefois intéressant, pour ceux qui font l'éloge de la prévention, de voir que les rythmes de travail ou les nouveaux modes de vie plus rapides auxquels nous pousse la modernité ne permettent pas toujours d'avoir une hygiène dentaire exemplaire. Voilà pour cette petite boutade ! Plus sérieusement, j'ai été étonné des positions du PDC, de l'UDC et du MCG sur l'assurance obligatoire, qui remettent finalement en question la LAMal et nous accusent d'en faire l'éloge. Je souhaite donc juste rectifier: la LAMal n'est pas une assurance idéale, mais il n'en demeure pas moins - et c'est l'avis que j'ai exposé tout à l'heure - qu'auparavant il y avait une jungle, avec des assurances totalement privatisées qui pratiquaient des tarifs différenciés. L'instauration de la LAMal a au moins permis à tout le monde d'être assuré. Après, il est évident que le système de la LAMal est perfectible, mais il faudrait rappeler pourquoi à notre avis ce système ne fonctionne pas bien aujourd'hui: c'est avant tout à cause des caisses maladie privées, du lobby qu'elles exercent, de leur manque de transparence, de leurs flux financiers opaques, des publicités et du marketing hyperagressif qu'elles pratiquent, mais aussi du système de franchises complètement inique qui a pour effet que certaines personnes ont des franchises basses tandis que d'autres ne peuvent plus se soigner en raison de franchises trop élevées. Vous comprendrez là mon point de vue, qui n'est pas de dire que l'assurance obligatoire ne fonctionne pas; l'assurance obligatoire fonctionne, mais il se trouve que la LAMal telle qu'elle est aujourd'hui, dans un système de monopole privé avec des caisses maladie au fonctionnement opaque, ne marche pas. Voilà pour l'argument.
M. Pierre Vanek a mentionné les rôles de la SUVA; tout le monde loue aujourd'hui l'excellence de la gestion de la SUVA, cette caisse étatique qui permet, dans le domaine des accidents, d'avoir une couverture d'assurance efficace et à bas coût, tout en faisant de la prévention. L'initiative telle qu'elle est formulée - il faut revenir à sa proposition - demande une assurance de soins dentaires obligatoire, ce qui nous semble la base, donc de ne pas sortir les soins dentaires du système de santé, avec un modèle de cotisations analogue à celui de l'assurance-vieillesse et survivants, ainsi qu'une politique sanitaire cantonale en appui. Mais on ne parle pas ici de primes, en aucune manière ! Ceux qui veulent faire l'amalgame avec les dysfonctionnements de la LAMal tiennent donc pour le moins un raisonnement erroné, et ce n'est pas le débat qui est le nôtre aujourd'hui.
On s'étonne par ailleurs du positionnement du PLR, qui prétend que finalement il n'y a pas de souci et qu'il n'existe aucun problème de soins dentaires aujourd'hui à Genève. C'est faux... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...et les HUG le disent: une personne sur cinq a renoncé aux soins dentaires en 2012, il est donc complètement erroné de tout laisser à la liberté individuelle et d'insinuer qu'actuellement chacun est libre d'aller se faire soigner les dents de manière optimale dans notre canton. A notre avis, le PLR fait preuve d'une attitude irresponsable en bottant en touche et en laissant croire que ce problème de santé publique extrêmement important se solutionnera naturellement sans intervention de l'Etat. Merci.
Le président. C'est terminé, Monsieur le député ! Je passe la parole au conseiller d'Etat Mauro Poggia.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat avait déjà eu l'occasion de vous indiquer qu'il ne soutenait pas l'initiative pour le remboursement des soins dentaires par une «assurance-maladie plus», si j'ose l'appeler ainsi, et la majorité de votre Grand Conseil avait également exprimé ce point de vue. Aujourd'hui, nous sommes à nouveau réunis pour débattre de ce sujet et examiner le contreprojet tel qu'il est issu de commission. Il est vrai que l'on peut regretter, sur le plan de la théorie, que notre LAMal n'ait pas intégré les soins dentaires. Bien sûr, les dents font partie du corps humain, mais je vous laisse imaginer ce que seraient nos primes aujourd'hui si tel avait été le cas. Cela dit, ce ne sont pas uniquement des considérations financières qui amènent le Conseil d'Etat à soutenir le contreprojet tel qu'il est sorti de commission, ou en tout cas à y voir beaucoup de qualités.
Tout d'abord, je voudrais rectifier une inexactitude qu'on a pu entendre ici: cette initiative ne vise pas à protéger les plus démunis, car je rappelle qu'à Genève ces derniers sont déjà couverts par des prestations. Chez les jeunes, s'agissant de la prévention et du dépistage, on vous a dit à quel point les bons délivrés sont peu utilisés par les parents en faveur de leurs enfants; c'est évidemment inquiétant et il y a donc un travail de pédagogie à faire pour expliquer non seulement aux enfants, mais parfois aussi aux parents, qu'ils ont un devoir à cet égard. Les personnes âgées de plus de 65 ans qui sont au bénéfice des prestations complémentaires ont également droit à la prise en charge des soins dentaires. De même, les personnes qui sont à l'Hospice général ont droit à la prise en charge de tout ce que la LAMal ne prend pas en considération, ce qui inclut les frais dentaires. En conséquence, disons-le clairement et n'essayons pas de tromper ceux qui nous écoutent, cette initiative a pour but de protéger - et ce but est aussi louable - une certaine catégorie de la population, à savoir cette classe moyenne qui paie tout et qui ne touche rien, et qui effectivement reçoit souvent en plein - si vous me passez l'expression - ces hausses consécutives des primes d'assurance-maladie.
Aujourd'hui, Genève fait déjà beaucoup. Doit-il faire davantage ? Nous sommes quant à nous convaincus que ce n'est pas par une assurance que la question doit être réglée. J'ai écouté avec attention Mme le rapporteur de minorité nous dire que la carie est l'un des grands fléaux après les maladies cardiovasculaires, les cancers et le HIV. Permettez-moi tout de même d'établir une hiérarchie de la souffrance et de considérer que la carie n'a pas à être mise au même niveau que le HIV ou le cancer. Cela ne veut évidemment pas dire que cela ne doit pas susciter notre préoccupation, mais je pense quand même qu'il faut savoir raison garder.
Le Conseil d'Etat considère que la prévention et l'éducation sont des actions qui doivent être renforcées, et ce dans tous les domaines, pas seulement au niveau dentaire. Prenez l'exemple, qui a été pionnier dans ce secteur, du cancer du sein. Considère-t-on que les femmes de condition modeste sont plus sujettes au cancer du sein que les femmes aisées ? Certainement pas. En revanche, je veux bien croire que dans les pays qui ne font rien, les femmes de condition modeste en décèdent davantage, tout simplement parce que le dépistage ne se fait pas, ou plus tardivement, si bien que lorsqu'on découvre la maladie, il est trop tard. Heureusement, à Genève nous avons passablement avancé dans ce domaine, et dès cette année nous le faisons pour le cancer du côlon, parce que nous considérons qu'effectivement plus tôt le diagnostic est posé, plus rapidement les soins peuvent être administrés, et donc la vie peut être sauvée. Il en va de même, toutes proportions gardées, pour les problèmes dentaires. Il y a une question d'éducation, d'hygiène de vie en général, mais aussi de dépistage, et je pense que nous devons, que nous pouvons faire mieux en matière de dépistage. C'est ce que propose ce contreprojet, qui est balayé d'un revers de main par certaines personnes qui voudraient finalement qu'il y ait une assurance qui couvre tout. Mais quel est ce tout, d'ailleurs ? Personne n'a réussi à le dire clairement. S'agit-il des soins pratiqués par un hygiéniste une fois par année pour un coût de 120 F ? S'agit-il d'implants ? Vous imaginez à quel point la palette des coûts peut être fort divergente.
Le Conseil d'Etat estime donc, pour des raisons économiques, bien sûr, mais aussi pour des questions d'efficacité... On a cité l'exemple de l'Allemagne, où l'on se rend bien compte qu'une assurance obligatoire n'a pas réellement amélioré la santé bucco-dentaire de la population, parce qu'il y a un travail à effectuer en amont; il ne suffit pas de soigner, il faut aussi faire en sorte que les personnes prennent leurs responsabilités. Je ne suis pas de ceux qui considèrent que la responsabilité personnelle est la reine des solutions, je pense également que nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie et qu'il existe effectivement des problèmes génétiques qui entrent en ligne de compte dans la carie, mais nous avons néanmoins tous la responsabilité personnelle de faire en sorte que ce type d'affection soit rapidement diagnostiquée et de ne pas l'aggraver par une hygiène bucco-dentaire inefficace. Voilà la position du Conseil d'Etat. Il vivra avec ce contreprojet s'il est accepté par le peuple, mais notre canton vivra certainement très mal avec l'initiative si elle est adoptée. J'espère donc que les Genevois seront aussi sages que les Vaudois, qui l'ont clairement refusée en mars dernier. Je vous remercie.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons maintenant nous prononcer sur le PL 12369, c'est-à-dire le contreprojet à l'IN 160.
Mis aux voix, le projet de loi 12369 est adopté en premier débat par 49 oui contre 38 non.
Le projet de loi 12369 est adopté article par article en deuxième débat.
Mis aux voix, le projet de loi 12369 est rejeté en troisième débat dans son ensemble par 64 non contre 29 oui.
Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 160-C.