Séance du
vendredi 25 mai 2018 à
16h10
2e
législature -
1re
année -
1re
session -
5e
séance
R 847
Débat
Le président. Nous passons à la R 847. Cet objet est classé en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à Mme la députée Jocelyne Haller.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est sans doute pas la première fois que vous entendez parler de discrimination hommes-femmes. Effectivement, le sujet nous a beaucoup occupés ces derniers temps et vous avez vu aussi quelles tentatives ont été...
Des voix. On n'entend rien !
Le président. Une seconde, Madame ! Je pense qu'il est assez normal et fort civil d'écouter ceux qui présentent des motions ou des résolutions ! Madame Haller, c'est à vous !
Mme Jocelyne Haller. Je vous remercie. Vous avez donc tous constaté quelles ont été les tentatives avortées au niveau fédéral pour inscrire véritablement l'égalité dans les faits. A plus forte raison, vous avez pu mesurer aussi le caractère timoré des mesures du Conseil d'Etat proposées à la commission des affaires sociales et de la santé. En effet, celles-ci préconisaient simplement que les entreprises puissent réaliser en leur sein une enquête sur leurs propres pratiques et en tiennent les personnes informées: aucune mesure contraignante, aucune possibilité de s'assurer que le principe inscrit depuis trente-sept ans dans la Constitution et les dispositions légales existant depuis vingt-trois ans puissent enfin être respectés et réalisés dans les faits ! Alors aujourd'hui, ce que nous demandons, c'est d'user de votre droit de résolution à l'attention de l'Assemblée fédérale et de demander que des mesures dynamiques soient prises, des mesures qui consistent à mettre en place un suivi de l'application de la loi sur l'égalité, mais aussi la possibilité de sanctionner les entreprises qui ne se conforment ni à la Constitution fédérale ni à cette loi.
Nous avons reçu à nos places un amendement proposé par Mme Bocquet qui nous propose de modifier la deuxième invite en supprimant précisément cette possibilité de sanctionner les employeurs. Je suis navrée, mais cette proposition d'amendement vide simplement de sa substance la résolution que nous vous proposons; si la loi sur l'égalité souffre aujourd'hui d'une tare, c'est précisément qu'elle n'est pas contraignante: aujourd'hui, les entreprises sont libres de respecter ou pas le principe de l'égalité hommes-femmes puisqu'elles n'encourent aucune sanction en cas d'infraction à ce principe essentiel. Nous vous appelons donc à refuser l'amendement qui nous est proposé et à accepter le renvoi de cette résolution à l'Assemblée fédérale. (Applaudissements.)
Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, depuis 1981, sous l'égide de l'article 8 de la Constitution fédérale, le droit suisse a été modifié régulièrement en faveur de l'égalité. Des modifications importantes et notoires ont été apportées, mais, évidemment, de nombreuses injustices demeurent et persistent dans notre société, des injustices qu'il faut combattre au quotidien en menant une veille sans relâche dans bien des domaines. L'égalité entre femmes et hommes est loin d'être atteinte et la question de l'égalité salariale est au coeur de ce débat. Les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes; précisément, à Genève, à travail égal, les femmes sont en moyenne payées 7,9% de moins que les hommes - si on fait le calcul sur une année, les femmes doivent travailler jusqu'au 24 février de l'année suivante pour obtenir le salaire annuel moyen des hommes ! Ainsi, chaque année en Suisse, les femmes touchent environ 7 milliards de francs de moins que ce qu'elles devraient toucher. Cet argent manque non seulement dans le porte-monnaie des femmes et des ménages, mais de manière générale dans les caisses des assurances sociales et des impôts. Il ne s'agit donc pas d'un débat de femmes, ni d'un débat féministe, mais du débat d'une société entière, et j'aimerais bien que les hommes aussi s'expriment sur de tels sujets !
La situation ne s'améliore pas avec le temps, quand on voit la dernière décision du Conseil des Etats qui a renvoyé en commission le projet pourtant bien léger du Conseil fédéral qui visait à imposer la transparence salariale aux moyennes et plus grandes entreprises. On se rend compte qu'il y a encore du chemin à parcourir et que cette résolution fait pleinement sens ! De nombreux leviers sont à activer et la question de la résolution est évidemment extrêmement importante, mais d'autres textes sont aussi en préparation ou ont été déposés, notamment pour agir au niveau cantonal et en ce qui concerne le contrôle sur les salaires, avec l'OCIRT; également pour renforcer le bureau de la promotion de l'égalité entre femmes et hommes et de prévention des violences domestiques, qui fait un travail énorme et mérite un soutien accru.
Cette résolution, accompagnée par d'autres textes, est totalement justifiée. Nous vous proposons de la soutenir en refusant l'amendement, qui la vide complètement de son intérêt: accepter cet amendement, c'est rester au statu quo. Or, nous voulons aujourd'hui faire un pas de plus et nous souhaitons évidemment que cette assemblée accepte cette résolution. (Applaudissements.)
M. Charles Selleger (PLR). Que demande ce texte ? Il demande à Berne de permettre à Genève d'appliquer un principe qui semble évident, celui de l'égalité entre les hommes et les femmes en matière de salaire. Je viens personnellement d'une profession où, tant au niveau institutionnel qu'au niveau indépendant, les hommes et les femmes gagnent strictement, au centime près, la même chose pour un travail égal.
Je pense que cette résolution s'adressant à Berne ne souffre pas d'opposition; personnellement, je la soutiendrai. Par contre, si tant est que le parlement désire la renvoyer en commission, je ne m'y opposerai pas, mais je ne voterai pas le renvoi. A l'interne, cette résolution a fait l'objet de discussions assez importantes. Voilà mon point de vue, j'espère que mon groupe me suivra.
Mme Claude Bocquet (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, la proposition d'amendement ne vise pas du tout à enlever de sa substance à cette résolution, mais plutôt à faire en sorte que plus de monde soit d'accord de la voter afin qu'elle ait une chance d'arriver à Berne. Nous avons en effet remarqué que le mot «sanctionner» provoquait une réaction épidermique et amenait à un refus de nombreux députés. J'aimerais beaucoup qu'on obtienne l'égalité et le groupe des femmes PDC a aussi mis ça à l'ordre du jour. Je pense que nous pouvons utiliser la carotte au lieu du bâton. Bientôt, il y aura le PF 17; un excellent moyen de pousser les gens et les entreprises à mettre en place l'égalité salariale est par exemple de proposer un taux d'imposition différent pour les entreprises qui pratiquent l'égalité salariale, je sais que ce n'est pas à l'ordre du jour... J'aimerais dire que l'égalité salariale, pour moi, n'est pas une question de gauche ou de droite, c'est juste la nécessité de rendre justice aux femmes et à leur travail. C'est pourquoi je vous demande, par respect pour les femmes, d'adopter cet amendement qui permettra une plus large acceptation de cette résolution - j'espère que tout le monde pourra être d'accord - et ensuite son adoption. (Applaudissements.)
Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, que s'est-il passé depuis 1981, quand a été adopté l'article constitutionnel sur l'égalité salariale, et 1995 avec l'adoption de la loi sur l'égalité ? Malheureusement, force est de constater que la situation ne s'est que très peu améliorée: comme l'a rappelé ma collègue Delphine Klopfenstein, aujourd'hui, à Genève, on constate un écart salarial de près de 8% entre les hommes et les femmes. De plus, 40% de ces écarts et inégalités salariales entre hommes et femmes ne s'expliquent par aucun critère objectif et sont imputables exclusivement à la question du sexe de l'employé ou de l'employée. Par ailleurs, les études montrent que les écarts salariaux se réduisent de 0,3% par année. Mesdames et Messieurs les députés, à ce rythme-là, nous devrons attendre 2045 avant d'obtenir l'égalité salariale, soit soixante-cinq ans après l'adoption de l'article constitutionnel ! Et ça, Mesdames et Messieurs les députés, c'est si tout va bien ! Si on progresse effectivement très légèrement vers l'égalité année après année, on a pu constater qu'entre 2010 et 2012, les écarts salariaux ont de nouveau augmenté.
Face à ce constat, nos autorités fédérales ont pris les choses en main en proposant une réforme de la loi sur l'égalité, sans prévoir ni contrôle ni sanction mais en misant sur l'incitation et l'autocontrôle. Or, Mesdames et Messieurs les députés, combien de temps devrons-nous encore attendre avant que nos autorités fédérales et la majorité bourgeoise et conservatrice comprennent que ça ne fonctionne pas ? L'autocontrôle et les règles d'incitation ne marchent pas, parce que ça ne marche qu'avec les entreprises qui sont de bonne volonté - il y en a. Or, ce n'est pas au sein de ces entreprises-là qu'on rencontre des problèmes d'inégalités salariales ! Ça ne fonctionne pas non plus parce que c'est sur les femmes que repose le fardeau de porter les affaires en justice, d'aller devant les tribunaux pour faire constater un cas d'inégalité salariale. C'est un fardeau que beaucoup de femmes n'arrivent pas à porter par peur de représailles si elles se lancent dans ce type d'actions judiciaires. Aujourd'hui, nous faisons face à l'immobilisme des Chambres fédérales et de nos autorités, et cette résolution revendique tout simplement pour le canton de Genève le droit d'être exemplaire et pionnier en la matière; elle revendique tout simplement le droit de faire appliquer un article constitutionnel vieux de trente-cinq ans. Pour ces raisons, le groupe socialiste vous invite à accepter ce texte. (Applaudissements.)
Mme Françoise Sapin (MCG). Bien que sa portée reste un peu illusoire, la proposition de résolution 847 du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale est une bonne chose. En effet, l'égalité des salaires pour les postes similaires à compétences égales doit enfin être mise en vigueur. Il existe une loi fédérale depuis 1995, mais elle n'est tout simplement pas appliquée. D'une manière générale, comme cela a déjà été relevé par mes préopinants, les salaires des femmes sont encore et toujours à peu près 20% inférieurs aux salaires des hommes. Cela veut dire que nous vivons en 2018 une discrimination de sexe, en l'occurrence une discrimination de sexe envers les femmes. Je suis très contente d'apprendre par M. Selleger que les médecins du canton de Genève gagnent la même chose. En ce qui me concerne, dans ma vie professionnelle, j'ai vécu à plusieurs reprises des discriminations pour des postes similaires, à compétences et formations égales. Cette injustice doit cesser: pour toutes ces raisons, le MCG soutiendra l'envoi de cette résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais répondre à notre collègue du PDC qu'il ne s'agit pas d'obtenir l'égalité: nous l'avons obtenue, par deux fois ! Dans la Constitution en 1981 et dans la loi sur l'égalité en 1995 ! Ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est de faire en sorte que ce que nous avons obtenu devienne effectif. C'est de ça qu'il s'agit ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
J'aimerais aussi revenir sur cette démarche d'adresser une résolution à l'Assemblée fédérale. Nous savons que certains ici doutent de l'efficacité de ce genre de mesures: ils n'ont pas forcément tort, parce que certaines de nos résolutions n'ont pas obtenu toute l'attention qu'elles méritaient. Ce n'est pas une raison pour se priver de cet instrument démocratique, à plus forte raison parce que nous ne sommes pas les seuls à l'utiliser; de plus, nous savons que, sur cette question de l'égalité hommes-femmes, le Grand Conseil vaudois a d'ores et déjà été saisi d'une démarche similaire.
Le président. Voilà, Madame...
Mme Jocelyne Haller. Je conclus: si les cantons s'allient sur cette question et insistent auprès de l'Assemblée fédérale...
Le président. S'il vous plaît !
Mme Jocelyne Haller. ...nous aurons peut-être des chances de voir enfin aboutir cette aspiration... (Le micro est coupé. Applaudissements.)
Le président. Je passe la parole à M. le député Cyril Aellen.
M. Cyril Aellen (PLR). Merci, Monsieur le président. Le PLR votera cette résolution avec l'amendement proposé par le PDC que nous remercions, parce qu'il y a des objectifs, des méthodes et des façons de faire différents, et je ne doute pas que nous soyons nombreux à penser que le terme «mettre activement en oeuvre» est quelque chose de tout à fait positif: on ne fait pas contre les entreprises, on fait avec !
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). L'amendement PDC avait aussi pour but de relever à quel point nous sommes attachés au partenariat social. Nous faisons confiance aux partenaires sociaux sous cet angle-là et je m'étonne que la gauche ne soit pas aussi engagée que moi dans ce domaine. Franchement, c'est quand même avec le partenariat social qu'on a obtenu - justement - des avancées. C'est la meilleure résolution du monde; si elle est rejetée, évidemment qu'elle n'aura servi à rien ! Donc, nous vous invitons à soutenir nos amendements qui ont pour but de faire avancer avec vous cette volonté de faire appliquer l'égalité hommes-femmes. Vous pouvez compter sur le parti démocrate-chrétien pour le rappeler aussi souvent que nécessaire. Merci !
M. Thomas Bläsi (UDC). Malgré notre confiance relativement limitée dans les textes que nous envoyons à l'Assemblée fédérale, notre groupe estime que c'est une question de principe et nous y sommes éminemment favorables. Nous soutiendrons donc cette résolution, de même que l'amendement du PDC.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, je vais d'abord vous faire voter sur l'amendement PDC portant sur la deuxième invite. Je vous le lis: «de réviser la législation fédérale afin de permettre aux cantons de mettre activement en oeuvre auprès des employeurs, avec les partenaires sociaux, le principe d'égalité salariale entre femmes et hommes».
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 49 oui contre 41 non et 2 abstentions.
Mise aux voix, la résolution 847 ainsi amendée est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 83 oui et 1 abstention.