Séance du
jeudi 2 novembre 2017 à
20h30
1re
législature -
4e
année -
8e
session -
42e
séance
R 836
Débat
Le président. Le prochain objet qui nous occupe est la R 836. Nous sommes en catégorie II, trente minutes, et la parole va au premier signataire du texte, M. Batou.
M. Jean Batou (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cela fait maintenant dix jours que les travailleuses et travailleurs de Notre-Dame et Plantamour sont en grève. Un mouvement social d'une telle importance constitue un événement dans ce canton. Quelle en est la cause ? C'est la privatisation des services hôteliers - pas seulement l'externalisation de certains travaux, mais bien la privatisation des services hôteliers - en faveur de l'entreprise Adalia SA.
Pour les usagers, cela revient à une baisse significative de l'encadrement médico-social. En effet, la présence du personnel de l'EMS qui fait le ménage, les lits, à manger, qui aide pendant les repas contribue, au quotidien, au confort des personnes âgées. Il s'agit donc d'une mesure à l'encontre de nos aînés, qui a été prise par la direction de Notre-Dame et Plantamour.
Mais il s'agit également d'une mesure très brutale à l'égard du personnel puisqu'il est question de baisses des salaires de l'ordre de 600 F en début de carrière et jusqu'à 1600 F en fin de carrière - les rémunérations d'entrée chez Adalia sont de 3417 F par mois - et d'une augmentation du temps de travail de deux heures. C'est une réelle menace pour les employés de ces deux établissements, qui ne seront plus soumis à la convention collective des EMS, une très grave atteinte à leurs conditions de travail, et cela risque de faire tache d'huile dans le reste des EMS de notre canton.
Le groupe Ensemble à Gauche interpelle le Conseil d'Etat quant à sa passivité s'agissant de ce dossier. Dix jours d'arrêt de travail et aucune intervention déterminante pour faire cesser ces privatisations, alors que l'Etat subventionne, donne le droit d'exploiter et signe les contrats de prestations ! Il est temps qu'il prenne ses responsabilités, dise clairement et fermement non à la direction de ces deux institutions. Merci. (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). C'est vrai que la situation dans les EMS est scandaleuse, on assiste à une externalisation du personnel, et pour quelle raison ? Pour faire baisser les salaires de manière arbitraire et dramatique. Les employés vont se retrouver à l'Hospice général, et c'est donc auprès du contribuable qu'on va chercher l'argent, c'est le contribuable qui, in fine, passe à la caisse, finance les institutions publiques et les sociétés privées, et c'est scandaleux.
Mais ce qui est encore plus scandaleux, c'est que de nombreux frontaliers vont venir les remplacer - vous connaissez le thème de prédilection du MCG. On se retrouve, comme nous l'avons signalé dans une motion sur le même thème déposée cette semaine, face à un véritable hold-up de l'emploi dans les EMS par les frontaliers. Il n'est pas digne de baisser pareillement les salaires, de ne plus offrir de rémunérations décentes aux employés des EMS, du secteur hôtelier ou encore de la restauration, ce n'est pas acceptable - pour notre part, en tout cas, nous ne l'accepterons jamais. Nous devons nous opposer à cette sous-enchère salariale à grande échelle, ce que fait le MCG de toutes ses forces, parce qu'on est en train de détruire la société genevoise que nous avons connue, on crée un véritable massacre sur le marché de l'emploi, massacre qui a été d'une certaine façon prémédité par une association de résidences qui regarde à courte vue.
Ce que l'on fait est très simple: on étatise les pertes, Monsieur le président, et on privatise les profits, c'est la vieille règle bien connue qui va être appliquée à l'ensemble des EMS genevois si on laisse cette dérive se poursuivre. C'est pour ça que le MCG dit stop, lutte contre cette vision néfaste et lui oppose une véritable politique de préférence cantonale. C'est ce que nous défendons, ce que nous devons défendre dans tous les cas de figure, sur tous les terrains, et c'est pour ça que je vous invite, Mesdames et Messieurs, à suivre cette résolution.
M. Bertrand Buchs (PDC). Le parti démocrate-chrétien s'octroiera la liberté de vote sur cette résolution puisque, après discussion, il y avait égalité des suffrages au sein du groupe. Je relèverai deux interrogations d'ordre général.
Tout d'abord, la question de la stabilité: il convient d'avoir du personnel stable au sein d'un EMS. Les employés d'hôtellerie, c'est-à-dire le nettoyage, le service à table, sont parmi les plus essentiels pour les résidents, ce sont ceux qui ont le plus de contacts et de discussions avec eux. Il faut savoir que les personnes âgées, avant d'intégrer ce genre d'établissement, ont souvent une femme de ménage chez elles et ont pris l'habitude de ce contact humain. J'ai discuté avec de nombreux responsables et infirmières-cheffes d'EMS qui m'ont dit ceci: «Sans personnel stable pour l'hôtellerie, on ne pourra pas gérer notre institution, on a besoin de lui pour avoir des retours en cas de problème entre un usager et le reste de l'équipe.» Pour nous, la décision prise à Plantamour et Notre-Dame est problématique, parce qu'elle laisse planer le doute quant à la stabilité du personnel; même si on nous promet le contraire, on redoute une rotation importante des employés, qui ne pourront alors plus jouer leur rôle dans les soins que l'on doit aux aînés qui entrent en résidence.
Ensuite, il y a le problème d'une potentielle baisse des salaires. Le PDC aimerait dire...
Le président. Monsieur Stauffer, merci d'aller téléphoner dehors ! Excusez-moi, Monsieur le député.
M. Bertrand Buchs. Ce n'est rien, Monsieur le président, je reprends: pour le PDC, il est inadmissible qu'on ne puisse pas vivre de son salaire, et c'est là quelque chose qu'on répétera durant toute la campagne électorale. On doit pouvoir vivre de son salaire, c'est-à-dire qu'une personne qui travaille à 100% ne doit pas dépendre des services sociaux, ce n'est pas à l'Etat de subventionner des rémunérations insuffisantes. Il s'agit d'une donnée importante: on est en train de fausser l'aide sociale, car l'Etat comble les salaires que des gens baissent. Je crois qu'il y a là une réflexion éthique à mener: est-ce vraiment à l'Etat de subventionner les salaires, ne devrait-on pas percevoir une rétribution digne qui nous permette de vivre ? A ce sujet non plus, on n'a pas de réponse à Notre-Dame et Plantamour. On nous dit qu'il n'y aura pas de diminutions - je l'espère, je veux bien le croire, mais si on ne baisse pas les salaires, alors où fera-t-on les économies prévues ? Je vous remercie.
M. Stéphane Florey (UDC). Concernant cette problématique, je constate une chose: d'après ce que l'on sait, les salaires comme les places de travail ont été garantis, le tout respecte les conventions collectives de travail, donc on peut déjà émettre des doutes quant à la véracité de certains points exprimés dans cette résolution.
Maintenant, sur le fond, on peut effectivement se demander s'il est judicieux d'externaliser certaines tâches et pourquoi bon nombre d'EMS pratiquent déjà la sous-traitance tandis que d'autres n'y feront certainement jamais recours. Il serait intéressant d'étudier la question afin de déterminer s'il y a un réel gain. Personnellement, en l'état, même en lisant la résolution, je suis incapable de répondre à ces questions.
Dans certains établissements scolaires, le Conseil d'Etat a déjà externalisé des postes de travail, des pétitions demandant d'y renoncer ont été déposées, qui ont été refusées par une majorité de ce Grand Conseil. Pour ma part, je pense qu'il serait intéressant d'étudier ce texte à la commission de l'économie en même temps que la proposition de motion 2427, puisque ces deux objets sont liés, et qu'on obtienne de vraies réponses aux questions posées ici - je ne suis pas le seul à m'en poser, le PDC a lui aussi émis un certain nombre d'interrogations, et d'autres partis en ont également. Voilà pourquoi je demande le renvoi de cet objet à la commission de l'économie et qu'il soit traité avec la proposition de motion 2427, qui y a déjà été renvoyée. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Lussi pour trente secondes.
M. Patrick Lussi (UDC). Formidable, Monsieur le président, merci. Quant à moi, j'aimerais simplement demander ceci: de quoi parlons-nous, Mesdames et Messieurs ? Je vais vous choquer: nous parlons du racket sur les personnes âgées ! Chacun a déjà connu cette situation, par exemple avec ses parents. Le prix de la pension s'élève maintenant à 10 000 F ou 11 000 F par mois, est-ce normal ? Mesdames et Messieurs les députés, quelque chose ne joue pas, il ne s'agit pas d'attaquer qui que ce soit, mais juste de dire que notre système est malade, que ça coûte trop cher et qu'il nous faut trouver des solutions. L'UDC vous recommande de renvoyer ce texte en commission pour qu'il y soit étudié et qu'on trouve de réelles solutions, on ne peut pas simplement décider quelque chose sur le siège, comme ça. Je vous remercie.
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Mesdames et Messieurs les députés, bon nombre d'entre vous habitent sans doute des immeubles; dans les années 90, nous avons vu les régies externaliser tout ce qui relevait de la conciergerie avant de revenir petit à petit au principe du concierge d'immeuble attitré, parce qu'elles se sont rendu compte que le lien entre les gens, la résolution des problèmes de voisinage étaient importants et ne pouvaient se faire que si les personnes étaient sur place et connaissaient les habitants de l'immeuble.
Mais revenons aux établissements de Notre-Dame. Nous voici donc en route vers l'entreprise EMS; parfait ! On a des clients captifs idéals, mais des frais fixes qui augmentent et qu'il faut donc juguler, limiter, rationaliser; d'accord. De fil en aiguille, nous nous dirigeons vers une direction d'EMS qui va gérer des mandats au moins-disant - et là, je me tourne vers les professionnels du bâtiment, parce qu'ils connaissent bien les mandats et les AIMP au moins-disant; magnifique !
Une voix. Au mieux-disant !
Mme Lydia Schneider Hausser. Non, au moins-disant, c'est-à-dire ce qui est le moins cher, parce qu'il faut faire des économies ! Il faudra donc gérer une entreprise pour la cuisine, une autre pour le ménage, puis pour la lessive, et peut-être aussi pour préparer les piluliers... Ensuite, on touche aux soins, donc cela s'arrêtera là pendant une période, mais sait-on jamais !
Les grévistes relevaient, à juste titre d'ailleurs, que les aînés ne sont pas uniquement des usagers captifs, mais ont aussi besoin d'être rassurés quant à leur environnement, leur chambre, le ménage, les gens qu'ils côtoient, leurs effets, les habits qu'ils perdent et croient s'être fait voler; avoir des personnes qui passent en vitesse parce que chaque geste est compté, ça n'a plus beaucoup de sens, et ce sera compliqué de gérer tout ça avec du lien, dans une ambiance cohérente.
Accepter l'externalisation, c'est aussi décider de sortir de l'Etat une partie des personnes qui y travaillent. Une fois le mandat donné, on peut quand même se poser quelques questions quant aux contrôles de qualité. Certes, on a des clients, mais ils sont captifs et ce sont nos aînés, ce qui est tout de même un peu gênant. Enfin, et ça a bien sûr été dit... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...c'est aussi accepter des salaires plus bas, et il sera intéressant de voir si cela va obliger ces salariés à se tourner vers les prestations complémentaires familiales. On peut bien enlever d'un côté, mais si on doit compenser de l'autre... Il faut quand même que les gens, que les familles puissent vivre à Genève.
Le parti socialiste demande au gouvernement de faire tout ce qu'il peut pour s'opposer à ces externalisations in fine, et nous vous prions, chers collègues, d'accepter cette résolution en la renvoyant au Conseil d'Etat. Merci beaucoup. (Quelques applaudissements.)
Mme Frédérique Perler (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, les Verts soutiennent bien évidemment cette résolution. Après tout ce qui a été dit jusqu'ici, j'aimerais ajouter que cette affaire d'externalisation nous pose trois problèmes.
Le premier, c'est le principe même de la sous-traitance, qui vise à contourner une convention collective de travail. Comme l'a relevé M. Buchs, si on diminue les salaires, c'est un report vers des prestations sociales existantes à Genève. Or tel n'est pas le but de l'aide sociale ! Il n'est pas question de pratiquer des externalisations d'un côté pour ensuite, de l'autre, ouvrir le porte-monnaie afin de soutenir les travailleurs et travailleuses. Que signifie l'externalisation ? Ça signifie précariser l'emploi, ce qui n'est pas acceptable pour les Verts, parce que ces EMS sont largement subventionnés par l'Etat de Genève. En tant que contribuables, en tant que politiques, en tant que députés, nous ne pouvons pas accepter ça, surtout après plus de trente ans de lutte pour l'amélioration des conditions d'accueil de nos aînés, il est impensable de détruire tout ce qui a été tissé ces trente dernières années.
Le deuxième point qui nous pose problème, c'est la question de la déontologie, de l'éthique: quand on est largement subventionné, pourquoi créer une société anonyme dans le but d'externaliser certaines tâches ? M. Buchs nous disait tout à l'heure qu'il n'y aurait pas de baisses des salaires; dans ce cas, Monsieur le président, pourquoi externaliser ? Si rien ne bouge, si rien ne change, on peut se demander où vont aller ces économies. Eh bien il n'y a pas besoin d'être économiste - ce que je ne suis pas, du reste - pour deviner dans quelles poches elles atterriront !
La troisième chose qui chiffonne les Verts, ce sont les conditions d'accueil des résidents, qui ont travaillé toute leur vie, qui ont fait la richesse de notre canton et qui vont se retrouver dans une institution pour plus de 7000 F par mois en moyenne - pour certains, c'est même le SPC qui doit intervenir... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...en risquant d'être moins bien soignés. Je ne vais pas vous citer des expertises de gérontologues, mais je puis vous dire que nous sommes arrivés à une qualité de prise en charge qu'il serait extrêmement dommageable de perdre, il serait malvenu de détricoter tout ce qui a été réalisé jusqu'ici.
Enfin, les Verts refuseront le renvoi à la commission de l'économie. Ce serait un peu hypocrite de la part de ce Grand Conseil de le voter, car nous savons pertinemment que cette question n'y sera pas traitée avant six mois. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, l'intendance et la restauration dans les EMS, nous le savons bien, ne sont pas de simples tâches domestiques, mais remplissent une fonction sociale importante au pied du lit, à côté de la chaise des résidents au restaurant, devant la cafétéria. Elles sont indispensables à la qualité de vie dans une institution et font partie intégrante du projet médico-social. Les banaliser en les réduisant à de simples travaux n'a aucun sens, c'est une manière pernicieuse de jouer une convention collective contre l'autre: celle de l'hôtellerie-restauration contre celle des EMS. On a déjà vécu ce genre de situations et régulièrement constaté qu'elles n'allaient ni dans le sens des travailleurs, ni dans celui de la qualité des prestations. Il est hors de question de se donner bonne conscience en se disant qu'il reste une convention collective, comme l'a fait M. Florey - vous transmettrez, Monsieur le président; non, ce n'est pas la bonne convention, ce n'est pas celle qui doit s'appliquer dans ce secteur, ce n'est pas celle qu'il faut dans les EMS.
Finalement, qu'est-ce qu'on est en train de faire avec de telles externalisations ? On est en train d'offrir un marché à des sociétés privées, on est en train de privatiser une partie des services publics, ce à quoi nous sommes fermement opposés. On nous dit que les EMS coûtent cher; oui, c'est une réalité qui est liée à la qualité des prestations et aux besoins croissants des personnes qui vivent dans ces lieux, mais ce n'est pas en privatisant certaines missions qu'on réglera ce problème, parce que le bénéfice n'ira ni aux établissements, ni à l'Etat, vous pouvez en être certains.
J'aimerais revenir sur un élément qui a déjà été soulevé, celui de l'appauvrissement des travailleurs. Vous avez beau vous gargariser en disant qu'il restera une convention collective, c'en est une dont les salaires sont beaucoup plus bas que ceux aujourd'hui pratiqués dans ces établissements. Ce que vous allez faire, c'est appauvrir une catégorie de citoyens. Le constat du rapport sur la pauvreté - qui, je vous le rappelle, avait été commandé par le Conseil d'Etat - est celui d'un appauvrissement croissant d'une partie de la population en raison du défaussement de certaines d'entreprises, ce qui crée un report sur les charges de l'Etat; en l'occurrence, en renonçant à la convention collective des EMS au profit de celle de l'hôtellerie-restauration, c'est ce que vous êtes en train de faire.
Je vous exhorte véritablement, Mesdames et Messieurs, à refuser cette manoeuvre particulièrement insane, qui va à l'encontre de l'intérêt non seulement des travailleurs, mais surtout des résidents dans les institutions. Je vous remercie de votre attention.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Serge Hiltpold (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, vous connaissez l'attachement du parti libéral-radical au partenariat social, et c'est finalement là le thème du débat de ce soir. On a un problème dans deux EMS, voilà dix jours que les employés sont en grève. Il s'agit d'un problème d'ordre relationnel entre la direction et ses collaborateurs, c'est-à-dire qu'aucun accord n'a été trouvé - ce sont des faits objectifs. Or ce n'est pas le rôle de ce parlement de s'immiscer dans le partenariat social. Pourquoi ?
Tout d'abord, il faut bien dissocier deux choses: on ne parle pas d'une entité étatique, mais bien d'une entité subventionnée régie par un contrat de prestations. Celui-ci constitue un accord comprenant des objectifs à atteindre dans une certaine autonomie. Or il est capital pour le bon fonctionnement des institutions que la direction assume son rôle d'employeur et se réfère aux buts fixés. Il y a un contrôle étatique, nous pouvons dire que nous ne sommes pas d'accord sur le prix de la pension ou sur un autre élément, nous établissons des objectifs. Aussi, l'analyse pure doit se faire à l'aune du contrat de prestations.
Dans la construction, vous le savez, nous sommes souvent confrontés à des problèmes de sous-traitance, et on admet dans ce parlement la responsabilité solidaire, l'engagement du sous-traitant. Le message pourrait être le suivant: oui, la direction a sans doute manqué de tact s'agissant de l'accompagnement vers cette externalisation, il aurait peut-être fallu davantage préparer les choses, mieux analyser l'offre, c'est un reproche objectif qu'on peut lui faire. Cependant, ce n'est ni notre rôle ni notre compétence, je le répète, de nous immiscer dans la direction opérationnelle de l'établissement.
Je pense qu'il faut rester objectif, et c'est malheureux parce que le but de cette résolution, si je lis le titre, c'est d'empêcher les externalisations dans l'intérêt de nos aînés; est-ce vraiment dans l'intérêt de nos aînés que le parlement demande au Conseil d'Etat d'imposer à la direction le contenu de contrats de prestations que nous avons nous-mêmes votés ? La réponse est non. Le PLR vous demande de refuser cette résolution, ou alors de la renvoyer à la commission de l'économie pour un traitement vraiment objectif. Merci.
M. Gabriel Barrillier. Très bien !
Le président. Merci, Monsieur. Je passe la parole à Mme Engelberts pour une minute trente.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Merci, Monsieur le président. Je suis tout à fait favorable au renvoi à la commission de l'économie. Mais je voudrais quand même dire la chose suivante: pourquoi notre parlement s'intéresse-t-il à cette problématique au sein des EMS ? L'ensemble des décisions qui sont prises, tant sur un plan économique que politique, devraient profiter aux résidents, puisqu'on n'arrête pas de dire que la personne est ce qu'il y a de plus important, comme le malade dans un hôpital. A ce moment-là, il faut prendre en compte les besoins, et je crois que nous sommes autorisés à le faire - c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons développé une politique très entreprenante s'agissant des personnes âgées dans notre canton.
Quels sont ces besoins ? Tout d'abord, il y a un besoin d'autonomie, qui doit être respecté tout en évaluant le degré de dépendance. Ensuite - et c'est généralement une priorité pour les personnes âgées... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...il y a un besoin de continuité dans les activités, laquelle s'opère à travers tout le personnel, en particulier celui au plus bas de l'échelle, généralement les femmes de chambre et les intendants au moment des repas, parce que ce sont les employés qui connaissent le mieux l'intimité des usagers. Qu'on le veuille ou non, c'est ainsi que ça se passe.
J'aimerais encore ajouter...
Le président. Il vous faut conclure, Madame.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. Bon, alors je souhaite simplement que ce Grand Conseil se montre cohérent en ce qui concerne nos aînés. Merci.
Le président. Je vous remercie, Madame, et laisse la parole à M. Stauffer pour une minute trente également.
M. Eric Stauffer (HP). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous ai écoutés avec attention. Les arguments avancés par nos collègues Mme Haller, d'Ensemble à Gauche, et Mme Engelberts, indépendante, font sens dans une certaine mesure. En revanche, je dois m'opposer aux slogans anti-frontaliers à deux francs, parce que le problème, ce n'est pas les frontaliers... (Exclamations.) Laissez-moi vous expliquer pourquoi, Mesdames et Messieurs...
Le président. Laissez parler M. Stauffer, s'il vous plaît !
M. Eric Stauffer. Laissez-moi vous expliquer pourquoi: le grand responsable, c'est l'Etat qui, année après année, fait des économies sur le dos des établissements publics, notamment des EMS. Alors que font les directions de ces institutions ? Eh bien elles licencient les employés de plus de quarante ans qui sont là depuis des années parce qu'ils coûtent trop cher, et engagent évidemment de plus jeunes qui coûtent moins cher. Puis, cerise sur le gâteau, on externalise les tâches pour faire diminuer encore les frais. Les responsables, ce ne sont pas les EMS, c'est à proprement parler la politique gouvernementale qui provoque ces séquelles.
Or quand on veut s'attaquer à un mal, on s'attaque à sa cause, pas à ses effets. Pour cette raison, Genève en Marche va soutenir cette proposition parce qu'elle fait sens. Rappelez-vous bien, Mesdames et Messieurs, que le grand responsable, c'est l'Etat, et que lorsqu'on boit l'eau du puits, il ne faut jamais oublier ceux qui l'ont creusé. Merci.
Le président. Merci. Monsieur Sormanni, c'est à vous pour vingt-cinq secondes.
M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, beaucoup d'arguments vraiment inconvenants ont été avancés. Il n'y a aucune raison de privatiser un certain nombre de prestations, ce qui se ferait dans tous les cas au détriment des résidents des EMS, il est malvenu de vouloir faire ça. On se doit de montrer un minimum de respect vis-à-vis de nos aînés, et c'est pourquoi je vous invite à voter cette résolution.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je ne relèverai pas l'accusation selon laquelle le Conseil d'Etat se montrerait passif dans cette affaire. Vous transmettrez simplement ceci au député Batou, Monsieur le président: ce n'est pas parce qu'on ignore ce qui est entrepris qu'il faut en déduire que rien n'est mis en oeuvre - je n'en dirai pas plus.
Pour en venir au sujet qui nous occupe maintenant, M. Stauffer, d'une certaine façon, a raison, pour une fois... (Rires.) En effet, les injonctions de l'Etat sont paradoxales: d'un côté, on réclame davantage d'efficience de la part de nos partenaires - oui, les EMS sont nos partenaires dans le domaine des personnes âgées - et, de l'autre, on entend s'ingérer dans leur pratique, les empêchant ainsi d'être plus efficients.
Mais là où M. Stauffer a tort - parce que, comme M. Batou, il s'exprime sans connaissance suffisante du dossier - c'est quand il nous fait croire que les établissements en question prennent les mesures aujourd'hui critiquées au motif que les restrictions budgétaires de l'Etat les y contraindraient. Je ne compte pas entrer dans le détail des chiffres, Mesdames et Messieurs, mais sachez simplement que non seulement ces EMS ne sont pas déficitaires, mais les subventions comprises dans les contrats de prestations actuellement en négociation sont même en augmentation. Aussi, il n'existe pas d'impérieuse nécessité d'externaliser une partie du personnel pour maintenir les chiffres noirs ou pour sortir des chiffres rouges.
Maintenant, il s'agit de trouver le juste équilibre entre ces deux prescriptions contradictoires, car si on peut comprendre l'exigence d'efficience lorsque l'on connaît le coût mensuel d'un séjour en institution - environ 25% des résidents s'acquittent eux-mêmes de la facture, les autres bénéficient de prestations complémentaires déplafonnées - nous sommes évidemment obligés d'examiner attentivement la manière dont l'argent du contribuable est utilisé, ceci pour plusieurs raisons.
D'abord, par égard pour les résidents. J'aimerais insister sur le fait que nos personnes âgées figurent au centre des préoccupations de l'Etat, et il faut donc veiller à la qualité des prestations qui leur sont destinées. Il est vrai que certaines tâches de proximité, si elles ne sont pas englobées dans la notion de soins au sens strict, font partie intégrante de l'encadrement attentif que l'on est en droit d'attendre du personnel d'un EMS envers les aînés. On sait à quel point ceux-ci sont sensibles à la continuité dans la prise en charge, ont besoin d'une certaine familiarité avec la personne qui entre dans la chambre, ne serait-ce que pour faire le ménage. Prétendre, selon les contrats de prestations, que la notion de soins - qu'il est interdit d'externaliser, je le rappelle - se réduit aux soins au sens strict est une question qui doit être discutée.
Ensuite, nous nous soucions naturellement des employés, étant précisé que nous ne parlons pas ici de fonctionnaires du service public, ainsi que j'ai pu l'entendre. Certes, dans une acception large, il s'agit d'un service public, mais ce sont tout de même des institutions privées qui, rappelons-le, ne sont pas directement soumises à la loi B 5 05, contrairement à la Maison de Vessy, à la maison de retraite du Petit-Saconnex ou à La Vespérale, qui constituent indirectement des établissements de droit public. Là encore, il est délicat d'une part de soumettre le personnel à la législation et aux échelles salariales de l'Etat, d'autre part de le laisser se faire externaliser sans limites et sans contrôle.
Enfin, il y a une autre préoccupation sur laquelle vous n'êtes pas intervenus, à savoir la protection du marché de l'emploi. Vous le savez, la directive transversale adoptée par le Conseil d'Etat fin 2014 impose aux EMS d'annoncer les postes vacants à l'office cantonal de l'emploi et de donner la priorité à nos demandeurs d'emploi. Or externaliser certains postes, c'est permettre à des sociétés externes de s'affranchir de cette obligation ! Nous n'avons aucun moyen légal pour contraindre les entreprises dans lesquelles le personnel est externalisé à annoncer les postes vacants. Cela signifie, selon l'article 333 du code des obligations, que la pérennité de l'emploi de ces personnes de même que leur salaire ne seront plus protégés et qu'elles pourront être licenciées, auquel cas elles s'adresseront à l'office cantonal de l'emploi, et je ne pourrai pas exiger qu'elles soient présentées et engagées si des postes similaires venaient à se libérer. Vous voyez à quel point ces problématiques complexes s'enchevêtrent, et elles doivent être résolues avec nuance et intelligence.
Je regrette, dans le cas d'espèce, que le Conseil d'Etat ait été placé devant le fait accompli à cause de décisions prises de bonne foi - je veux bien le croire - par les établissements en question, qui pensaient bénéficier d'une totale liberté de manoeuvre. Ils n'ont en tout cas pas eu la sensibilité politique de discuter préalablement avec le Conseil d'Etat, puis avec les partenaires sociaux qui auraient pu, cas échéant, s'exprimer sur le sujet. A présent, il va s'agir de reprendre les choses en main, voire de mettre en route une médiation si véritablement les acteurs n'arrivent pas à s'entendre.
S'agissant de la résolution 836, Mesdames et Messieurs, vous demandez au Conseil d'Etat...
Le président. Six minutes, Monsieur le conseiller d'Etat.
M. Mauro Poggia. Pardon ?
Le président. Vous avez déjà parlé durant six minutes.
M. Mauro Poggia. Alors j'ai trop parlé ! Ai-je dit des choses inutiles ? Je vous en laisse l'appréciation. Je conclus, Monsieur le président, car je ne veux pas prolonger le débat, même si la problématique est importante. Mesdames et Messieurs, le fait que vous m'envoyiez une résolution me demandant de m'opposer fermement à des externalisations prête à confusion. En effet, certaines sous-traitances peuvent être compréhensibles et sont déjà une réalité aujourd'hui, par exemple pour le linge plat, que ce soit les draps ou les serviettes, ou encore les cuisines; parfois, on trouve même du personnel externalisé qui travaille à l'intérieur des EMS, donc il existe différents cas de figure. Cela dit, en ce qui concerne les employés de proximité, nous devons entamer une discussion avec la direction, qui aura lieu pas plus tard que demain - elle est déjà agendée depuis une semaine.
Nous sommes là dans le but de trouver des solutions raisonnables. Il s'agit de sauvegarder les emplois ainsi que le niveau des salaires, et d'éviter le démantèlement de ce secteur. Aussi n'ai-je pas d'opinion particulière sur cette résolution: renvoyez-la-moi, cela ne changera rien à ce que j'ai déjà décidé de faire en accord avec mes collègues; ne me la renvoyez pas, je le ferai quand même. (Rires.) Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission, Mesdames et Messieurs les députés, sur laquelle je vous prie de bien vouloir vous prononcer; en cas de refus, je vous ferai voter sur la prise en considération de ce texte.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 836 à la commission de l'économie est rejeté par 54 non contre 39 oui et 1 abstention.
Mise aux voix, la résolution 836 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 59 oui contre 30 non et 5 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)