Séance du
jeudi 2 novembre 2017 à
20h30
1re
législature -
4e
année -
8e
session -
42e
séance
M 2264-A
Débat
Le président. Nous passons au dernier objet de la soirée, la M 2264-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Nous sommes donc tout à fait dans les temps ! Le rapport est de Mme Schneider Hausser, à qui je passe la parole.
Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. (Brouhaha.)
Le président. Un peu de silence, s'il vous plaît ! Franchement, on ne s'entend plus !
Mme Lydia Schneider Hausser. Depuis 1996, Genève a payé 262 millions de francs de primes d'assurance-maladie en trop. On s'est rendu compte vers 2010 que les primes n'étaient pas réparties de manière égale entre les cantons et que les assurances transféraient des réserves d'un canton à l'autre. Suite à des démarches de Genève et d'autres cantons, le Conseil fédéral a proposé une loi sur la surveillance des assurances pour avoir davantage de contrôle. La loi, souvenez-vous-en, a passé de justesse en 2014, parallèlement à la votation fédérale sur la caisse publique. Mais il reste que seuls 120 millions de francs ont été rendus aux habitants de Genève par le Conseil fédéral. Le solde, soit 142 millions, n'a toujours pas été restitué aux assurés, et cette motion demande donc que cette somme soit déduite du versement au titre de la RPT. Pour rappel, il s'agit là de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons, dans le cadre de laquelle Genève verse, par exemple pour 2018, 297 millions net, et au total 399 millions. Le conseiller d'Etat Serge Dal Busco est venu nous dire en commission fiscale que cela n'était techniquement pas possible. En effet, la somme de la RPT genevoise est prélevée par la Confédération sur les rétrocessions de l'impôt fédéral direct, et plus particulièrement sur les 17% de cet impôt qui sont rétrocédés à Genève. De plus, la RPT est en train d'être renégociée pour que d'autres indicateurs que ceux qui étaient utilisés jusqu'à maintenant servent à ajuster la contribution, en particulier des cantons urbains ayant de lourdes infrastructures. En résumé, utiliser un instrument de la RPT pour le remboursement du solde dû à Genève pour les cotisations d'assurance-maladie n'est pas la solution, car cela bloquerait tous les flux financiers entre le canton et la Confédération. Cependant, la majorité de la commission voulait soutenir le principe de cette motion. La commission a été d'accord de considérer comme inadmissible que ces 142 millions ne soient pas rendus aux Genevois, et elle a donc revisité le titre et l'invite de la motion, dont vous pouvez prendre connaissance aux pages 19 et 20 du rapport. La majorité de la commission fiscale vous demande par conséquent d'accepter cette motion telle que ressortie de commission.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, chers collègues, c'est en 2005 que la direction générale de la santé a découvert qu'à Genève, depuis 1996, les assureurs avaient considérablement augmenté leurs réserves, puisque la moyenne des réserves des assureurs présents à Genève se montait à 40%, alors qu'ils sont normalement tenus de constituer des réserves à hauteur de 10% uniquement, voire 15% pour les caisses un peu plus petites. Après enquête et échanges avec d'autres cantons, on s'est rendu compte que cette situation touchait neuf cantons, pour la plupart romands, mais en particulier Vaud, Neuchâtel et Zurich. En tout, 1,6 milliard de francs a été payé en trop par les assurés sur le territoire de ces neuf cantons. Cela représente 262 millions pour le seul canton de Genève, soit environ 600 F par assuré. Si vous prenez un groupe familial de deux adultes et trois enfants, eh bien c'est vite vu, cela correspond à une somme de 3000 F, ce qui n'est pas rien.
A plusieurs reprises le conseiller d'Etat chargé de la santé à l'époque, M. Unger, s'est rendu à Berne avec son collègue M. Maillard afin d'essayer de trouver des solutions. Le conseiller fédéral alors en charge, M. Couchepin, a toujours refusé d'entrer en matière, et c'est finalement avec l'arrivée de M. Berset au Conseil fédéral que la situation s'est dénouée. Enfin, dénouée, c'est vite dit, dans la mesure où entre la Confédération et les assureurs, on a accepté de rembourser aux Genevois seulement 120 millions, et non pas les 262 millions, ce qui a représenté la somme mirobolante de 79 F que nous avons perçue en 2015, en 2016 et en 2017. Tout ce qui a été invoqué par les assureurs pour ne pas verser ou verser le moins possible, c'étaient les difficultés administratives dues aux déménagements des assurés, aux décès, aux déplacements, etc. Tout a été invoqué pour retarder ce remboursement. En fait, ce remboursement n'est pas une restitution, ce n'est même pas une aumône, c'est juste une insulte. Dans ce cadre-là, et dans la mesure où le titre et l'invite de la motion ont été modifiés afin de la rendre un peu plus diplomatique, je vous recommande d'accepter cette motion telle qu'amendée en commission et avec la même majorité. Je vous remercie.
M. Thomas Wenger (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, on l'a dit, mais je pense qu'il est important de le rappeler, entre 1996 et 2013, 262 millions de francs ont été payés en trop par les assurés genevois, ce qui - notre collègue Jean-Marc Guinchard l'a indiqué, mais il convient de le répéter - correspond à 600 F par assuré. Il s'agit donc vraiment d'une somme non négligeable. A quoi cet argent - et celui des huit autres cantons qui étaient également dans ce cas - a-t-il servi ? Il a servi à modérer, Mesdames et Messieurs, l'augmentation des primes. A Genève ? Dans les autres cantons ? Dans les autres cantons, mais pas à Genève. (Remarque.) Oui, Appenzell ou d'autres, effectivement, où les primes sont beaucoup plus basses que celles des Genevois aujourd'hui.
Beaucoup de travail a été fait à Berne, notamment à la commission de la santé du Conseil des Etats en 2013. Cette dernière a refusé les propositions du Conseil fédéral ainsi que de la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé, ce qui montre quand même que parfois certaines commissions du Conseil des Etats ou le Parlement fédéral sont complètement à côté de la plaque par rapport à ce que vit la population et s'agissant de justes décisions qu'ils devraient prendre, notamment en ce qui concerne l'assurance-maladie. Et on ne reviendra pas sur l'initiative qui a été lancée et sur le problème fondamental consistant à avoir des élus fédéraux qui siègent à la commission de la santé et qui en même temps sont payés par des assureurs privés. Je le dis clairement - et je ne suis pas le seul - dans tous les autres pays ça s'appelle de la corruption, sauf en Suisse où on appelle ça du lobbyisme, ce qui est absolument scandaleux, Monsieur le président.
Au bout d'un moment, un compromis a été trouvé et il a été décidé de verser 800 millions de francs pour l'ensemble des neuf cantons. En ce qui concerne Genève, c'est un remboursement de 122 millions qui a été prévu, au lieu des 262 millions qu'on aurait dû restituer aux assurés genevois. On ne peut donc pas être content, car il paraît totalement logique et juste que les assurés genevois récupèrent leur argent. Je n'ai pas le temps d'expliquer maintenant l'aberration du système actuel d'assurance-maladie, Mesdames et Messieurs les députés, mais il faut savoir qu'aujourd'hui à Genève on verse un subside à 110 000 personnes pour les aider à payer leur assurance-maladie. A 110 000 personnes ! Cela représente 340 millions dans notre budget pour 2018, en augmentation de 26 millions si on compte le subside C, qui devrait être supprimé du budget par le Conseil d'Etat, mais qui, je l'espère, ne le sera pas. On sait, et je terminerai par là, que c'est un système qui ne fonctionne pas; le fait qu'il y ait une obligation légale d'être assuré devrait avoir pour corollaire que ce soit un service public, or ce sont des privés qui gèrent ce système d'assurance-maladie. C'est absolument scandaleux, et c'est pour ça que les assurés genevois doivent être remboursés au moins de ce qu'ils ont payé en trop, Monsieur le président. (Remarque. Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Au tout début, quand nous avons examiné cette motion, il était certain pour le groupe MCG que ça ressemblait un peu à un bricolage. Nous n'étions pas très chauds pour soutenir cette motion et nous avions même demandé un avis de droit pour savoir si on arrivait à avoir quelque chose de cohérent et d'efficace au travers de cette motion. Nous n'avons pas été suivis par la commission et, pour finir, une sorte de compromis a pu se créer avec la modification du titre et de l'invite, ce qui est positif. Nous nous sommes donc ralliés à cette motion amendée, qui pouvait éventuellement avoir une petite chance de succès, parce que nous sommes dans une situation où tous les moyens doivent être utilisés pour sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui dans le domaine de l'assurance-maladie.
Au moment de l'examen de cette motion, il était déjà question de l'actuelle initiative fédérale pour un système de liberté cantonale en matière d'assurance-maladie, une initiative qui a été lancée il y a deux mois et que je vous encourage chaudement à soutenir. En effet, nous avons là une possibilité de sortir de l'impasse, parce que si cette initiative était acceptée et que ses éléments étaient appliqués, les problèmes soulevés par la motion n'existeraient plus, car l'argent ne partirait plus dans d'autres cantons. Nous pourrions mieux gérer les risques à Genève et mettre fin à la dilapidation de l'argent des assurés qui est la situation actuelle. Je ne vais pas aller plus loin, parce que le débat sur cette initiative commence - des récoltes de signatures ont actuellement lieu dans les rues - mais je ne peux qu'inviter les téléspectateurs qui nous voient sur Léman Bleu, les députés et toute personne de ce canton à suivre ces deux initiatives. En conclusion, nous soutiendrons cette motion, même si c'est vrai que c'est plus un acte symbolique qu'autre chose, car il est possible que ça nous aide néanmoins à aller dans la bonne direction. Il faut donc soutenir cette motion, c'est important, c'est un risque important - enfin, je ne sais pas si c'est un risque, mais en tout cas il faut y aller ! Merci. (Exclamations.)
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ai-je besoin de vous dire à quel point je considère inique ce qui a été commis au préjudice des assurés du canton de Genève et de huit autres cantons ? Je crois que je l'ai dit et redit, et je me fais jour après jour le porte-parole de votre colère légitime dans ce domaine. Mais quand l'injustice est commise au plus haut niveau de l'Etat fédéral, que faut-il faire, Mesdames et Messieurs, si ce n'est essayer de reprendre en main un système qui nous a échappé à tort depuis trop longtemps ? Aujourd'hui, vous pouvez donc renvoyer ce texte au Conseil d'Etat, il en fera bien sûr bon usage, mais vous savez parfaitement que ce que vous désirez est soumis à des décisions qui doivent être prises au niveau du Parlement fédéral. Vous savez aussi que ces majorités-là, nous ne les aurons pas, et que ce qui doit nous être remboursé ne peut l'être qu'au moyen de l'argent de ceux qui l'ont reçu à tort. Or lorsqu'il y a plus de bénéficiaires d'une injustice que de victimes et que l'ordre du jour de l'assemblée générale prévoit de répondre à la question de savoir s'il faut rendre le butin, on connaît évidemment le résultat du vote. Soutenez donc ce texte, si vous le souhaitez, j'en ferai bon usage; il sera simplement une arme de plus dans le combat que nous devons continuer à mener pour que la justice soit enfin ramenée dans le système d'assurance-maladie et pour que, indépendamment de la lutte que nous devons livrer pour contenir la hausse des coûts de l'assurance-maladie, un franc versé par les Genevois reste aux Genevois et que ces derniers ne paient que ce qu'ils consomment. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vais maintenant mettre aux voix cette proposition de motion.
Mise aux voix, la motion 2264 (nouvel intitulé) est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 83 oui (unanimité des votants).