Séance du
jeudi 12 octobre 2017 à
20h30
1re
législature -
4e
année -
7e
session -
37e
séance
PL 12181
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs, nous commençons la séance avec notre première urgence, le projet de loi 12181. Ce débat est classé en catégorie II, quarante minutes. En l'absence du premier signataire, je passe la parole à M. Deneys.
M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, une majorité des députés a souhaité traiter ce projet de loi non pas en commission, comme c'est d'ordinaire le cas, mais directement en séance plénière, sans doute pour lui réserver un sort qu'on peut déjà présager, connaissant leur position sur cette problématique !
Introduit en 2009 dans le cadre d'une réforme de la LIPP, le bouclier fiscal faisait partie d'un ensemble de propositions qui ont conduit à réduire la fiscalité sur les personnes physiques de plus de 400 millions de francs par année, ceci avec différentes conséquences: d'une part, un certain nombre de citoyens et citoyennes ne paient plus du tout d'impôts, ce dont se plaint régulièrement le PLR, tandis que les principaux bénéficiaires de ce changement, que le Conseil d'Etat avait pourtant vendu comme une réforme en faveur de la classe moyenne - tout est question de définition de la moyenne ! - sont en réalité les grandes fortunes. En effet, on a vu apparaître dans ce projet la notion de bouclier fiscal, c'est-à-dire une perte de recettes estimée à 50 millions par année.
Certes, ça ne semblait pas forcément excessif; on a quand même essayé de modérer ce bouclier, mais il y avait une très bonne raison pour l'introduire, que je ne conteste pas, à savoir que le canton de Vaud l'avait instauré peu de temps auparavant. Il est évident que par simple phénomène d'attractivité fiscale de proximité - de capillarité fiscale, pourrait-on dire - si les Vaudois l'introduisaient, il était judicieux que les Genevois le fassent également, même si on pouvait se demander s'il était bien raisonnable de lancer un tel mécanisme alors que la dette s'élevait à plus de 13 milliards de francs à l'époque - mais ça, le Conseil d'Etat comme une majorité de ce Grand Conseil l'oublient quand il s'agit de baisser les impôts, ils se fichent de la dette.
Or, aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, un déficit de plus de 250 millions de francs est annoncé dans le projet de budget 2018, lequel n'est pas totalement véridique quant aux chiffres puisque, par exemple, il inclut 15 millions de recettes provenant des SIG à la faveur d'un projet de loi qui vise à prélever une part du bénéfice, mais dont le Grand Conseil n'a pas voulu à ce jour. Ainsi, la sincérité du Conseil d'Etat peut être remise en question s'agissant du projet de budget 2018.
Voici donc le tableau: on a un déficit de l'ordre de 300 millions de francs au bas mot, et un Grand Conseil qui vote des dépenses sans hésiter, quand ça lui convient, certainement par proximité électorale - c'est la capillarité électorale, cette fois-ci ! Pourtant, il faut savoir que le bouclier fiscal coûte 110 millions de francs par année ! Oui, le cadeau offert par ce dispositif n'est pas de 50 millions, mais bien de 110 millions par année ! Mesdames et Messieurs les députés, on peut se poser toutes sortes de questions quant à la pertinence de ce bouclier fiscal... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...quant au fait qu'on veut plafonner le prélèvement pour les personnes qui ont de grandes fortunes mais, peut-être, des revenus relativement modestes - c'est toujours une question de définition, je pense pour ma part qu'ils sont encore plutôt élevés.
Face à pareil déficit, il est important de se préoccuper des recettes de l'Etat. Les socialistes ne proposent pas l'abolition du bouclier fiscal, mais simplement sa suspension pour deux années consécutives...
Le président. Monsieur le député, par capillarité, vous prenez sur le temps de votre groupe !
M. Roger Deneys. Je vous remercie, Monsieur le président. J'ai l'esprit d'escalier et je vais faire une certaine synthèse de mes propos ! Mesdames et Messieurs, par responsabilité budgétaire, les socialistes estiment que de nouvelles recettes sont indispensables, et la suspension du bouclier fiscal pour les personnes ayant une fortune ou des revenus conséquents ne semble pas constituer un effort excessif.
Des travaux en commission auraient permis d'introduire des amendements, notamment d'autres formulations. On aurait par exemple pu dire qu'on modifie le plafond du bouclier fiscal, plutôt que d'interrompre celui-ci pendant deux ans. Vous avez préféré mener les discussions ce soir en séance plénière avec quatre minutes de temps de parole par groupe, c'est regrettable. Mesdames et Messieurs les députés, nous pouvons décider en commission du sort à réserver à ce projet de loi qui, comme je l'ai dit, permet de générer 110 millions de recettes supplémentaires et réduit d'autant le déficit du canton pour l'année prochaine et l'année suivante.
Le président. Merci, Monsieur. S'agit-il d'une demande formelle de renvoi en commission ?
M. Roger Deneys. Oui, je sollicite un renvoi à la commission fiscale.
Le président. D'accord, alors nous le traiterons à la fin du débat, car ce projet de loi n'est pas encore passé en commission. Madame Orsini, c'est à vous pour deux minutes.
Mme Magali Orsini (EAG). Deux minutes ?
Le président. Excusez-moi, Madame, c'est une erreur: pour quatre minutes.
Mme Magali Orsini. Ah, il me semblait bien !
Le président. Je vous voyais déjà députée indépendante ! (Rires.)
Une voix. Elle est bien bonne !
Mme Magali Orsini. Merci, Monsieur le président. Le bouclier fiscal instauré en 2011 est pour nous une dérogation inadmissible au principe de progressivité de l'impôt, qui constitue la base de la justice fiscale. L'excuse brandie en faveur de cette aberration est la notion d'impôt confiscatoire: on nous parle du taux exorbitant de 1% d'impôt sur la fortune, mais en se gardant bien de préciser que cela ne concerne que des fortunes de 10 millions de francs... (Remarque.) Pardon ?
Des voix. De 2 millions de francs !
Mme Magali Orsini. Non, de 10 millions de francs. A qui fera-t-on croire que les détenteurs de telles fortunes ne sont pas capables de les placer à un taux supérieur à 1%, en particulier dans l'immobilier, même par les temps qui courent ? Le Tribunal fédéral a toujours été très restrictif avec la notion d'impôt confiscatoire, il ne l'a acceptée que dans de très rares cas, ce qui explique le peu de recours déposés avant l'instauration du bouclier. La réduction d'impôt sur la fortune qui en découle est d'ailleurs inopérante jusqu'à 2 750 00 F. Où est la justice fiscale quand un tel processus ne fonctionne que pour les très riches ?
Les fortunes dont il est question permettent généralement un rendement qui dispense leurs détenteurs de travailler. Certes, on m'a cité récemment des cas spécifiques de personnes qui sont actionnaires minoritaires de sociétés non cotées, lesquelles ne distribuent pas de dividendes, mais il s'agit de cas d'école extrêmes, et on ne va pas pleurer sur le sort de ces gens car les sociétés au sein desquelles ils sont actionnaires réinvestissent leurs dividendes, ce qui fait quand même monter la valeur des actions et augmenter leur fortune, n'est-ce pas ?
C'est toujours la même histoire: on nous dit que ces gens-là ne peuvent pas vendre. Bon, il y a tout de même une certaine équité fiscale qui fait qu'ils n'ont généralement pas besoin de travailler, alors qu'en ce qui concerne les revenus, on mélange allégrement les notions de revenus du travail et de revenus de la fortune, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Il y a ceux qui n'ont pas à travailler parce qu'ils vivent des rendements de leur fortune, et les autres qui sont obligés de travailler et qui ne disposent que des revenus de leur travail, et il n'est pas question de les traiter de la même manière.
Le comble de l'affaire, c'est que lorsque le Conseil d'Etat a essayé d'annuler ce bouclier inique en 2012 - nous nous en souvenons - il n'a pas trouvé de majorité pour le soutenir !
J'avais déjà présenté à la commission fiscale, à l'époque où j'avais le bonheur d'en faire partie, un cas professionnel que je connaissais bien puisqu'il s'agissait de l'un de mes clients: je lui avais annoncé un certain montant à payer, qu'il avait accepté tout à fait normalement, puis le fisc lui a remboursé une somme importante au titre du bouclier fiscal. Evidemment, c'était une bonne surprise pour lui. On m'a expliqué que le logiciel standard ne calculait pas le bouclier fiscal vu qu'il ne concernait qu'une minorité de personnes. Toujours est-il que ce client s'est vu rembourser plusieurs dizaines de milliers de francs d'impôts... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...alors qu'il ne s'y attendait pas, mais surtout alors qu'il n'en avait absolument pas besoin et s'apprêtait à payer son impôt sans aucune espèce de récrimination. Voilà vraiment la preuve qu'il s'agit d'un cadeau à ceux qui en ont le moins besoin !
Mesdames et Messieurs, vous aurez noté que le projet de loi que nous vous demandons d'accepter ne concerne que les années 2018 et 2019, mais engendrerait des recettes estimées à 220 millions, ce dont notre république aurait bien besoin en ce moment. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Ronald Zacharias (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le projet de loi concocté par Sainte Marie et l'abbé Deneys tient à la fois du religieux et du révolutionnaire. Du religieux tout d'abord, puisqu'on fait référence au salut. Il s'agit de sauver quoi ? Les recettes fiscales du canton au moyen d'un instrument révolutionnaire, propre à toutes les révolutions, à savoir la confiscation.
La gauche s'est offusquée et s'offusque encore du fait que son écriture ne bénéficierait pas d'un débat démocratique complet. Je vais vous poser la question suivante, Mesdames et Messieurs: si demain matin un projet de loi était déposé pour interdire la gauche au Grand Conseil - et ce n'est pas l'envie qui manque - serait-il renvoyé à la commission des droits politiques ? Si demain matin un projet de loi était déposé qui viserait à réintroduire la torture en procédure pénale genevoise, serait-il renvoyé à la commission des Droits de l'Homme ? De la même manière, est-ce qu'un projet de loi qui prône la confiscation à l'endroit d'une certaine proportion de contribuables doit être renvoyé à la commission fiscale ? Bien évidemment que non ! Pareil projet, qui est à ce point éloigné de nos valeurs et de nos droits fondamentaux, en l'occurrence du droit de propriété, ne mérite pas un traitement démocratique complet.
Laissez-moi vous donner un exemple - enfin, ce n'est même pas un exemple, c'est un e-mail qui m'a été transmis suite à ma participation à une émission télévisée avec l'excellent et honorable collègue Deneys, précisément sur le bouclier fiscal. On m'écrit ceci - je cite: «Cher Monsieur, bravo pour votre intervention chez Décaillet ce soir. Je partage votre point de vue de la situation et votre infinie patience devant cette véritable» - et là, je censure le mot - «socialiste. Mes revenus taxables sont de 313 000 F par an, dont 67 000 F au titre de la valeur locative.» Cette personne dispose donc d'un revenu effectif de 246 000 F. Là-dessus, elle paie 230 000 F au titre des impôts cantonal et communal, et fédéral direct. Il lui reste donc 43,85 F par jour. Par ailleurs, elle possède une fortune imposable nette... (Commentaires.) Par ailleurs... (Commentaires.) Messieurs, recevez ces chiffres, qui correspondent au réel ! Elle possède par ailleurs une fortune imposable de 13 millions...
M. Roger Deneys. Il faut donner son nom ! (Commentaires.)
M. Ronald Zacharias. Monsieur le président, pouvez-vous intervenir ? Je sais qu'ils sont enthousiastes, mais enfin... Une fortune nette précisément composée des actifs auxquels Mme Orsini vient de faire référence, soit qui ne sont pas vendables, non cotés. Cette personne conclut ainsi: «Il me reste 43,85 F par jour pour vivre. Je vais quitter Genève cette année encore.»
Qu'adviendra-t-il de notre canton si le bouclier fiscal devait être levé ? Mesdames et Messieurs les députés, nous ne pouvons pas laisser la catégorie de population qui assure le train de vie de l'Etat d'une part, les prestations positives d'autre part, nager dans un tel doute, dans cette espèce d'incertitude. Nous devons clarifier la situation - c'est le but de cette discussion immédiate - nous devons donner un signal clair et épurer l'ordre du jour du Grand Conseil de cette folie. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Stéphane Florey (UDC). Bonne question: pourquoi ne pas renvoyer ce projet de loi en commission ? Eh bien tout simplement parce que ça ne sert à rien ! Le Grand Conseil a déjà statué à plusieurs reprises sur cette question, le peuple a même voté lors de la dernière révision de la LIPP, ça faisait partie d'un consensus. Le débat ayant déjà été fait, on ne va pas revenir dessus, ce qui permet déjà une substantielle économie parce que renvoyer un projet de loi inutile en commission, ce sont des jetons de présence pour rien, un rapport pour rien, de l'argent du contribuable gaspillé pour rien.
Maintenant, j'entends dire qu'on perd des recettes à cause du bouclier fiscal; mais c'est totalement le contraire ! Non seulement le bouclier fiscal ne coûte rien, mais il rapporte. En effet, 2% des grosses fortunes à Genève engendrent 80% de la substance fiscale. Si ce n'est pas rapporter, dites-moi ce que c'est ! Il s'agit de contributions non négligeables, donc il faut préserver ces gens plutôt que les faire fuir.
Ce projet de loi revient à se tirer une balle dans le pied, c'est prendre un grand risque parce que les gros contribuables pourraient très bien inverser leurs domiciles, le droit le permet: vous placez votre adresse fiscale dans n'importe quel autre canton et vous demeurez à Genève en résidence secondaire, vous avez parfaitement le droit de le faire pour une durée de cinq ans, ce qui fait que vous êtes résident légal à Genève, vous y travaillez, vous y avez tous vos intérêts, mais vous n'y payez pas un rond puisque votre domicile fiscal officiel se trouve dans un autre canton. En cela, ce projet de loi loupe totalement sa cible, parce que non seulement ce que je viens de dire est possible, mais ça ne durera que pendant deux ans.
Non, on est totalement hors champ, ce projet de loi est à la limite de l'inadmissible, et l'UDC invite tout simplement le parti socialiste - vous transmettrez, Monsieur le président - à en faire le deuil une bonne fois pour toutes, à l'enterrer là d'où il n'aurait jamais dû sortir. Mesdames et Messieurs, nous vous recommandons de le refuser. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Yvan Zweifel (PLR). A la lecture du projet de loi, je me suis demandé ce que j'allais bien pouvoir dire sur ce sujet que l'on a déjà traité maintes et maintes fois. J'aurais pu dire à la gauche ici réunie qui nous propose ce projet, Monsieur le président, que l'OCDE ne reconnaît aujourd'hui plus qu'un seul pays avec un impôt sur la fortune tel que nous le connaissons en Suisse: la France, qui, aux dernières nouvelles, n'est pas un modèle de gestion financière et s'attelle justement à supprimer ledit impôt.
J'aurais pu indiquer également que si cet impôt sur la fortune existe au niveau cantonal, son taux est très variable selon les régions: à Schwytz, le taux maximum est de 0,17%, tandis qu'à Genève, il est de 1%. Sans surprise, nous sommes le canton où il est le plus élevé ! J'aurais pu ajouter encore, Monsieur le président, que cet impôt sur la fortune rapporte 710 millions dans les caisses de l'Etat, dont 70% sont payés par 1% des contribuables - naturellement les plus mobiles, ceux qui ne mettront pas longtemps à traverser la Versoix, comme le suggéraient d'ailleurs certains de mes collègues. J'aurais pu aussi rappeler à la gauche que Genève est le canton suisse à la ponction fiscale la plus importante - et ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Département fédéral des finances.
M. de Sainte Marie nous écrit - de manière mensongère, il faut le préciser - que de 2000 à aujourd'hui, les baisses d'impôts votées par la majorité responsable et raisonnable de droite ont fait perdre un milliard de francs, en citant comme documentation un article de journal; or la réalité statistique et chiffrée est toute différente puisque entre 1998 et 2016, les recettes fiscales à Genève ont augmenté de 3 milliards grâce à une dizaine de baisses d'impôts votées par la majorité de droite. Cela correspond à une hausse de 83% alors que, dans le même laps de temps, la population n'a crû que de 23%.
Quant à M. Deneys, il insiste sur le fait qu'il nous faut de nouvelles recettes; eh bien je suis d'accord avec lui et c'est pourquoi je pensais lui répondre que créer de nouvelles recettes, c'est attirer ici de la substance fiscale en baissant les impôts.
Mais je ne vais pas dire tout ça, Monsieur le président, je vais plutôt analyser ce texte comme le ferait un gestionnaire de risques puisqu'il comporte effectivement un risque, celui de voir cette proportion de 1% des contribuables quitter notre territoire. Pour analyser un risque, il y a deux axes: le premier, c'est la probabilité de survenance du risque, et le deuxième, l'impact de celui-ci. S'agissant de la probabilité - ces gens vont-ils partir ou non ? - on ne sera pas d'accord et je sais que je ne convaincrai pas une gauche armée d'oeillères idéologiques qui ne peut pas voir la réalité statistique et comptable, alors je vais l'analyser d'un autre point de vue: quel serait l'impact si, par malheur, nous avions raison ?
Si vous avez raison et que ces gens-là ne partent pas, eh bien on pourra effectivement compter sur 113 millions supplémentaire dans les caisses de l'Etat; en revanche, si nous avons raison et que ces contribuables s'en vont, il y aura 710 millions en moins d'impôt sur la fortune, moins l'impôt sur le revenu des personnes physiques et, si celles-ci possèdent des entreprises, moins l'impôt sur le bénéfice et le revenu des salariés... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Mesdames et Messieurs, l'impact serait désastreux, il reviendrait à vouloir entrer dans une pièce sombre où on aurait ouvert le gaz et à craquer une allumette pour voir si elle éclaire. Certes, si je craque une allumette dans une salle pleine de gaz, on n'est pas sûr que ça explose, mais la réalité est que si ça explose, ce sera catastrophique, tout comme l'est ce projet de loi 12181. C'est pourquoi le PLR vous appelle à être raisonnables et responsables, et à le rejeter comme il se doit !
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Velasco pour trois minutes.
M. Alberto Velasco (S). Merci, Monsieur le président. Chaque fois que j'entends la droite s'exprimer sur cette problématique, ça me rappelle notre cher Dürrenmatt, vous savez, sa fameuse pièce intitulée «La Visite de la vieille dame». J'y pense chaque fois que j'entends la droite à cause du chantage qu'elle pratique - on l'a vu tout à l'heure. Dans son exposé des motifs, mon collègue indique que le nombre de contribuables disposant d'une fortune allant de 1 million jusqu'à plus de 5 millions a augmenté de 89% entre 2004 et 2010; or malgré ça, la droite s'obstine !
Monsieur le président, pourquoi ne proposerait-on pas un bouclier fiscal pour les pauvres aussi ? (Commentaires.) Par exemple, ils ne devraient pas être imposés sur plus que 60% de leur revenu. Mais non, on le fait seulement pour les riches ! Au-delà des chiffres, Mesdames et Messieurs, je trouve ce projet-là inique. Au fond, qu'est-ce que vous êtes en train de faire ? Vous nous demandez de nous prostituer, c'est ça ! Prostituons-nous parce que, sinon, d'autres vont se prostituer plus que nous ! C'est l'histoire de Dürrenmatt, c'est ce que vous nous proposez.
Les projets de lois de la droite sont magnifiques, Monsieur le président: augmenter le temps de travail à 42 heures, c'est progressiste, c'est l'avenir ! Le bouclier fiscal pour les plus riches, c'est un projet progressiste, c'est l'avenir, magnifique ! Vraiment, la vision d'avenir de la droite est merveilleuse, merveilleuse ! Même les économistes libéraux n'ont jamais osé proposer un bouclier fiscal, jamais ! En effet, ils sont conscients que la redistribution fiscale est importante pour développer l'économie libérale.
Vous n'êtes même pas libéraux, Messieurs, parce que si au moins vous l'étiez, on pourrait discuter, bon Dieu ! Vous n'êtes même pas libéraux, vous êtes Ancien Régime, conservateurs, et on ne peut pas travailler avec des gens comme vous. (Commentaires.) Oui, malheureusement, la gauche est parfois amenée à défendre des propositions libérales, parce que vous êtes incapables de le faire, parce que vous revenez sur l'histoire. Votre position sur le projet de loi que nous proposons, Mesdames et Messieurs, est insupportable du point de vue éthique, et il est temps d'en finir avec cette situation immorale... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...vis-à-vis des citoyens qui paient leurs impôts sur la totalité de leur revenu, parce que ceux et celles qui bénéficient d'un bouclier fiscal, à la fin du mois, il leur reste pas mal de pognon.
Monsieur Zacharias, l'exemple que vous avez mentionné tout à l'heure, la personne à qui il reste 43 F par jour pour vivre, il s'agit de vous, sans doute ? Est-ce vous ?
Le président. C'est le moment de conclure, Monsieur.
M. Alberto Velasco. Je vous pose la question: qui est-ce ? Qui est-ce qui touche 246 000 F et, à la fin du mois, se retrouve avec 43 F ? (Commentaires.)
Le président. Monsieur Velasco...
M. Alberto Velasco. Qui est-ce ? (Commentaires.)
Le président. C'est terminé...
Une voix. Vous devez assumer !
M. Alberto Velasco. Qui est-ce ? (Commentaires. Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. La parole revient à M. Medeiros pour deux minutes.
M. Carlos Medeiros (HP). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, M. Deneys - vous transmettrez, Monsieur le président - a tout résumé dans son intervention: il a dit que ce parlement était en train d'accroître le déficit de l'Etat, parce qu'on est en période préélectorale. Bon, je tiens quand même à rappeler que le trou de 30 millions est plutôt le fait de la gauche - même si j'ai voté ce projet, je pensais que c'était une bonne chose - ce n'est pas vraiment la droite qui est en train d'augmenter le déficit budgétaire.
Encore une fois, la gauche, dans ses fondements égalitaires, trouve toujours dégueulasse - excusez-moi pour le terme - qu'une minorité de la population soit protégée par un bouclier fiscal qui fait tant de mal à la majorité de celle-ci. Mais de quoi on parle, là ? On parle de la réalité ou vous planez tous ? M. Zweifel - et je le remercie pour son intervention - vous a bien expliqué quel était le plan A et quel était le plan B, que 1% des contribuables paient plus de 700 millions par année. Par conséquent, si vous voulez défendre le social, si vous voulez protéger la masse des travailleurs, eh bien vous devez impérativement garder cette classe de contribuables qui est très volatile, qui peut partir du jour au lendemain !
Aujourd'hui, nous sommes dans un monde globalisé où la mobilité des entreprises est aussi valable pour les personnes physiques. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) En quelques jours, vous êtes à Singapour tout en ayant votre domicile fiscal à Monaco ! Cette proportion de 1% des contribuables est quand même garante des prestations à la majorité de la population, notamment en ce qui concerne l'assurance-maladie: elle paie plus de 360 millions pour compenser le manque dû aux gens qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts. Alors arrêtons de faire de la stratégie préélectorale, soyons réalistes et envoyons ce projet de loi directement à la poubelle.
M. Olivier Cerutti (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, le parti démocrate-chrétien souhaite que la pression fiscale reste réaliste pour l'ensemble de nos concitoyens. La comparaison qu'on pourrait faire avec les pays nordiques est vite là. Payer plus de 60% d'impôts ? Mais c'est déjà le cas ! Chez nous, en effet, nous devons ajouter les assurances sociales, ce qui fait qu'on paie près de 90%, voire plus pour certains contribuables...
M. Alberto Velasco. Oui, mais pas les riches ! (Exclamations.)
M. Olivier Cerutti. Cher Monsieur, je vous ai écouté quand vous parliez et je vous demande d'être courtois à votre tour, j'ai toujours respecté les gens dans cet hémicycle ! Merci.
Une voix. Bravo !
M. Olivier Cerutti. Un système de proportion est nécessaire pour atteindre l'équilibre. Pour cela, nous devons absolument retrouver l'esprit salutaire. Qu'est-ce que l'esprit salutaire ? C'est voir où va notre république. Si nous sommes confrontés à un déficit de plus de 260 millions, c'est bien parce que nous dépensons et que nous sommes incapables de restructurer nos frais. Je vous demande, Mesdames et Messieurs de la gauche, de discuter des restructurations, et peut-être pourra-t-on revenir sur d'autres formes de financement. Mais, en l'état, ce qui est important pour notre économie, c'est de trouver le chemin de l'investissement, et nous avons besoin de contribuables qui ont des moyens, qui paient des impôts et participent à l'acte économique de notre canton.
Mesdames et Messieurs, je vous invite à mener une politique du plein emploi, à faire preuve de réalisme et de courage. Nous devons passer par l'étape budgétaire 2018 qui est nécessaire pour Genève, pour l'ensemble de nos concitoyens. Le bouclier fiscal tel qu'il est fustigé dans ce projet de loi est fondamental pour notre Etat, pour qu'il puisse continuer à payer ses charges. Le parti démocrate-chrétien n'entrera pas en matière sur ce projet de loi, car il est complètement démagogue.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Monsieur Zacharias, vous avez vingt-cinq secondes.
M. Ronald Zacharias (MCG). Je vous remercie, Monsieur le président. Je ne souhaite pas être provocateur...
Une voix. Article 24 !
M. Ronald Zacharias. ...mais je pourrais faire une proposition à la gauche: supprimez l'impôt sur la fortune et nous supprimerons le bouclier fiscal; alors, Genève redeviendra un canton riche - et je suis totalement convaincu de ce que je dis ! Je vous remercie.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Une grande partie des citoyens qui bénéficient du bouclier fiscal sont venus à Genève justement pour ça ! Il y a beaucoup de jalousie dans cette demande de suspendre une disposition en faveur de contribuables très mobiles. Il faut savoir que ceux qui jouissent du bouclier fiscal sont conseillés par des avocats et des fiscalistes qui sauront convaincre leurs clients de prendre des décisions contraires aux intérêts de notre canton. Ces conseillers sont rémunérés en fonction de leurs recommandations, c'est leur valeur ajoutée. Ce projet de loi ne mérite même pas un vote d'entrée en matière. Merci, Monsieur le président.
M. Mathias Buschbeck (Ve). Monsieur le président, chères et chers collègues, j'aimerais répondre à quelques propos qui ont été tenus, d'abord sur le fait que les riches quitteraient le canton si nous suspendions le bouclier fiscal pour une durée de deux ans. Rappelons qu'il s'agit là d'un dispositif relativement récent - il date de 2009 - qui n'a engendré ni augmentation ni diminution du nombre de personnes fortunées sur notre territoire. C'est un cadeau que vous leur avez fait ! Il n'est pas question de supprimer le bouclier fiscal, mais de le suspendre pendant deux années difficiles - notre ministre des finances nous en parle régulièrement - afin de retrouver un certain équilibre.
Le bouclier fiscal constitue une injustice qui va à l'encontre du principe de progressivité de l'impôt et, rien que pour cette raison, vous devriez faire preuve d'un peu plus d'égards vis-à-vis de ce projet de loi. Il ne s'agit pas d'une proposition totalement révolutionnaire puisque, pas plus tard qu'il y a deux ans, le Conseil d'Etat lui-même - pourtant à majorité de droite - proposait l'interruption de cette mesure, et je ne pense pas que notre grand argentier avait à ce moment-là l'idée de diminuer nos recettes, mais plutôt de les augmenter.
Mais la question n'est pas tant là, et les Verts voudraient plutôt vous faire part d'une inquiétude. Le déficit annoncé pour le budget 2018 est de 261 millions; quant à la dette, elle frôle actuellement les 12 milliards, ce qui signifie que nous paierons l'année prochaine 200 millions rien qu'au titre des intérêts. Par une simple règle de trois, cela représente 1500 postes de travail, c'est-à-dire 1500 infirmières, instituteurs, policiers qui ne seront pas là l'an prochain simplement à cause du service de la dette. Or, ce soir, j'entends un bloc de députés en face me dire que nous ne sortirons de cette situation que par le biais d'une baisse de charges.
Le hasard de l'ordre du jour veut que nous traitions aujourd'hui deux projets de lois: le premier destiné à augmenter les recettes de l'Etat - c'est celui-ci - et le second visant à diminuer les charges - il arrivera un peu plus tard. Nous sommes obligés de constater que le seul groupe qui se soucie de la dette, le seul qui soutiendra ces deux projets financiers est celui des Verts. Voilà notre véritable inquiétude, nous avons l'impression d'être les seuls à nous préoccuper de l'accroissement de la dette, du creusement du déficit de l'Etat. Si vous pensez réellement, Mesdames et Messieurs, que nous atteindrons l'équilibre en agissant uniquement sur les recettes ou les charges, c'est un leurre ! Nous vous invitons à agir sur les deux axes, à la fois sur les charges et sur les revenus, et à voter ce projet de loi. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur. C'est le tour de M. Stauffer pour deux minutes.
M. Eric Stauffer (HP). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, en cette fraîche et belle soirée, nous sommes en train de parler d'un sujet important. Nous avons entendu la gauche nous dire: «Faisons payer ces riches, l'impôt doit être progressiste !» - progressif, pardon: j'ai fait un lapsus, mais vous ne m'en voudrez pas, puisque vous êtes une gauche progressiste. Finalement, si on ne crée pas de richesse... (Remarque.) Oui, progressiste parce qu'on sait bien que le parti socialiste est devenu une gauche caviar, cette gauche qui... Combien y a-t-il d'entrepreneurs sur les bancs socialistes ? Dites-le-moi. Combien d'entre eux prennent des risques... (Remarque.) Je n'ai pas dit qu'il n'y en avait pas ! Combien d'entre eux prennent des risques pour créer de l'emploi, pour soutenir l'économie genevoise ? Trois sur vingt ? Eh, vous êtes en dessous de la moyenne cantonale !
Fort heureusement, il y a des contribuables qui créent de la richesse, qui paient des impôts. Mais quand ceux-ci deviennent trop élevés, Mesdames et Messieurs, les gens s'en vont. Je ne vais pas citer de nom, mais il y a eu à Genève un acteur qui était de nationalité belge - le Conseil d'Etat saura évidemment de qui je parle - et qui a été naturalisé suisse... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Eh bien quand il a constaté la conséquence sur ses impôts, il a quitté le canton, il est maintenant un Suisse de l'étranger. Pourquoi ? Parce qu'à partir d'un certain niveau, l'impôt devient confiscatoire. C'est bien là où vous avez tort, Mesdames et Messieurs de la gauche, car si ces personnes s'en vont, ce sont des centaines de millions que vous ne pourrez pas dépenser.
Le président. Il vous faut conclure.
M. Eric Stauffer. Je termine, Monsieur le président. C'est le b.a.-ba de la mathématique ! Je l'ai toujours dit - je conclus là-dessus, Monsieur le président: à force de convoiter l'argent des riches, vous finirez par voler celui des pauvres !
Le président. Merci, Monsieur... (Remarque de Mme Salika Wenger.) S'il vous plaît, Madame ! Si tout le monde intervient, ça ne va pas aller ! Pour finir, je donne la parole à M. le conseiller d'Etat Dal Busco.
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, c'est vrai: il manque de l'argent dans la situation qui est la nôtre aujourd'hui. Les auteurs de ce projet de loi nous proposent une solution apparemment simple, que je qualifierais pour ma part plutôt de simpliste, voire de dangereuse. En effet, contrairement à ce que vous pouvez penser, ce n'est pas une arithmétique simple comme la vôtre qui s'applique. Dans le contexte actuel, le bouclier fiscal permet de garder de la substance fiscale dans notre canton. Nous avons fondamentalement un problème avec le niveau de l'imposition sur la fortune, qui est très nettement supérieur à celui de la moyenne suisse, et le dispositif qui a été introduit il y a quelques années permet justement d'atténuer ce mécanisme.
J'ai entendu quelqu'un faire une comparaison avec l'année 2011, où un projet similaire avait été lancé. Or, depuis, la situation a radicalement changé: les rendements sur les valeurs monétaires sont faibles, les obligations rapportent très peu; aujourd'hui, un impôt sur la fortune de 1% est véritablement problématique. Notre système assure l'assiette fiscale, garantit la substance fiscale à Genève, il faut s'en réjouir ! J'ai toujours de la peine à comprendre pourquoi, du côté de la gauche, on interprète l'augmentation du nombre de personnes fortunées sur notre territoire comme une sorte de tare, comme un facteur préjudiciable - c'est comme ça que j'entends ces propos - alors qu'au contraire, celles-ci contribuent fort heureusement au financement de nos prestations.
La question qu'il faut se poser maintenant, Mesdames et Messieurs, est tout à fait pragmatique: est-ce qu'on encourt un risque en changeant quelque chose à ce dispositif ? La réponse est clairement oui, je peux vous le certifier: nous encourons le risque énorme de voir l'objectif poursuivi par les auteurs de ce projet de loi conduire exactement à l'effet contraire. M. Deneys avait l'air de dire tout à l'heure, en présentant ce projet, qu'il y avait une bonne raison d'introduire le bouclier fiscal à l'époque, précisément parce que le canton de Vaud l'avait instauré. Mais, Mesdames et Messieurs, ce procédé est toujours en vigueur dans le canton de Vaud, alors ce qui prévalait à ce moment-là est encore valable actuellement - je dirais même que c'est encore plus valable actuellement ! - ce qui devrait vous inciter à faire preuve de la plus grande des prudences en la matière.
C'est dans ce sens que le Conseil d'Etat vous enjoint de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi. Merci de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous avons été saisis d'une demande de renvoi de cet objet à la commission fiscale...
M. Eric Stauffer. Vote nominal pour tous les votes, Monsieur le président !
Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Très bien, nous allons donc procéder au vote nominal... Vous savez, Monsieur Stauffer, vous avez le droit de vous asseoir à votre place ! (Rires.) Si, si ! (Le président rit. Commentaires.) Je vais donc lancer le vote... (Commentaires.) Monsieur Stauffer, vous sortez avec votre téléphone ! Monsieur Stauffer, s'il vous plaît ! (Commentaires.) Pas possible, ça ! Bien, Mesdames et Messieurs, vous vous prononcez maintenant sur la proposition de renvoi en commission; en cas de refus, je vous soumettrai l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le renvoi du projet de loi 12181 à la commission fiscale est rejeté par 64 non contre 33 oui (vote nominal).
Mis aux voix, le projet de loi 12181 est rejeté en premier débat par 64 non contre 33 oui (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)