Séance du
jeudi 31 août 2017 à
8h05
1re
législature -
4e
année -
5e
session -
27e
séance
IN 159-B
Débat
Le président. Nous passons au point suivant. Madame Orsini, vous avez appuyé sur le bouton ? (Remarque.) Très bien, c'est une erreur. Nous abordons donc l'IN 159-B qui sera traitée en catégorie II, quatre-vingts minutes. (Brouhaha. Un instant s'écoule.) Madame von Arx-Vernon, passez de l'autre côté, s'il vous plaît.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon. Merci, Monsieur le président.
Le président. Monsieur Pistis, vous avez la parole.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. (Brouhaha.) Mesdames et Messieurs les députés, après de très nombreux débats sur le secret médical en milieu carcéral... (Brouhaha persistant.) J'ai le temps, hein !
Des voix. Chut !
Le président. Un peu de silence, s'il vous plaît !
M. Sandro Pistis. ...le sujet est de nouveau abordé; l'initiative 159 relance ce débat. Tous les partis s'entendent sur l'importance de préserver le secret médical, mais les divergences apparaissent sur la nécessité d'avoir à légiférer sur le sujet s'agissant du milieu carcéral. Certains, dont les initiants, estiment que c'est superflu. D'autres soulignent l'importance de réguler ces situations et de rendre systématiques les mécanismes permettant de lever le secret médical en milieu carcéral afin d'évaluer la dangerosité d'une personne condamnée. Le texte de l'initiative 159 porte sur trois alinéas d'un nouvel article de loi qui est récemment entré en vigueur, en avril 2016, en les vidant de leur portée obligatoire. Rappelons que l'harmonisation des législations cantonales dans l'espace pénitentiaire romand est devenue un enjeu crucial avec l'ouverture de Curabilis, où les détenus ne sont pas tous genevois. Nous devons également en tenir compte. (Brouhaha. Un instant s'écoule.)
Une voix. Chut !
M. Sandro Pistis. La majorité de la commission rejette la prise en considération de l'initiative 159 pour les raisons suivantes: l'acceptation de l'initiative restaurerait la situation antérieure à l'adoption de la loi 11404, ce qui affaiblirait le dispositif légal; de plus, cette loi étant entrée en vigueur depuis peu, il faut lui laisser le temps de produire ses effets. L'argument selon lequel la loi actuelle abolit le secret médical n'est pas soutenable. Contrairement aux craintes des initiants, le mécanisme actuel de levée du secret médical ne semble pas poser de problèmes d'engorgement. Enfin, beaucoup estiment que l'initiative est mal formulée et introduit des confusions par rapport à la loi actuelle - notamment en biffant une partie importante de l'alinéa 3 - mais en ne réussissant pas à faire la part des choses entre thérapeutes et experts.
La majorité de la commission a en revanche accepté le principe d'un contreprojet, avec des contours exacts à définir. Parmi les conditions et pistes évoquées, l'on peut mentionner les éléments suivants: l'initiative 159 est perfectible tant sur des questions de fond que de forme. Certaines personnes auditionnées, favorables à l'initiative, ont admis que des éléments rédactionnels du texte pouvaient être améliorés. Dans le cadre du contreprojet, il est notamment proposé de clarifier les rôles respectifs des thérapeutes et des experts. Il est aussi suggéré que l'obligation faite à l'alinéa 2 d'informer en cas de nécessité soit remplacée dans le contreprojet par une possibilité, comme cela est formulé dans l'initiative 159. Enfin, pour certains, un éventuel contreprojet doit permettre de maintenir le lien de confiance entre thérapeutes et détenus. Nous vous invitons à suivre la majorité de la commission, qui a refusé la prise en considération de l'initiative 159 puis largement accepté le principe d'un contreprojet.
M. Christian Zaugg (EAG), rapporteur de première minorité. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je tiens à souligner d'emblée que le préambule du Conseil d'Etat à l'appui de son refus d'entrée en matière est une véritable tromperie, et je pèse mes mots. Il fait en effet encore une fois, et comme une antienne, référence à l'affaire Adeline: cela apparaît explicitement dans le paragraphe 1, dans son début et à la fin du texte. Il le fait, quoi qu'il en dise, en indiquant que «les cantons de Vaud et de Genève ont été marqués en 2013 par deux assassinats» - il s'agit bien évidemment de ceux de Marie et d'Adeline - «perpétrés par des condamnés dangereux au bénéfice d'allégements dans le cadre de l'exécution de leur peine». Et il conclut dans le même paragraphe en énonçant que «ce sont donc des événements tragiques questionnant le fonctionnement des institutions qui ont suscité le besoin de renforcer l'évaluation de la dangerosité des personnes condamnées, par une meilleure transmission d'informations entre professionnels de la santé et autorités pénitentiaires». On ne peut être plus explicite ! Et ce constat accablant apparaît comme déterminant pour le Conseil d'Etat. Certes ! Mais il y a un hic dans tout cela: l'affaire Adeline n'a rien à voir, de près ou de loin, avec le secret médical ! On peut chercher de tous les côtés, le secret médical n'entre même pas par un judas dans le terrible drame qui est survenu en 2013 ! Je ne suis pas seul à faire ce constat puisque le procureur général, bien connu pour son franc-parler, à qui j'ai posé la question en commission, m'a répondu qu'il avait inscrit à droite du texte l'annotation suivante, consistant en un mot en quatre lettres: «faux» ! Cet avis a d'ailleurs été très largement partagé par nombre de personnes, plusieurs médecins éminents dont le Dr Wolff. On voit donc bien que le Conseil d'Etat n'a d'autre but par là que d'induire en erreur les députés, la presse et bien évidemment l'ensemble des citoyens !
J'en reviens au secret médical, car on serait bien en peine de trouver des situations où il aurait pu causer des dommages. Et poussé dans ses retranchements lors d'auditions antérieures, le Conseil d'Etat a eu beau chercher, il n'a pas pu trouver d'exemple significatif à l'appui de son raisonnement. Pourquoi ? Eh bien simplement parce que la situation qui prévalait - et qui d'ailleurs prévaut toujours - compte tenu de l'article 17 du code pénal relatif au secret professionnel suffisait à parer à tous les dangers. Intitulé «Etat de nécessité licite», cet article qui tempère l'article 321 du même code pénal énonce que «quiconque commet un acte punissable pour préserver d'un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien juridique lui appartenant ou appartenant à un tiers agit de manière licite s'il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants». Il suffit par conséquent amplement à se prémunir, en vertu de l'état de nécessité. Oui ! Tout cela est clair comme de l'eau de roche: en cas de nécessité, rien n'interdit à un médecin ou à un thérapeute de communiquer la présence d'un danger ou la menace d'une attaque imminente. Ces articles sont complétés par l'article 15 du code pénal, qui peut également être invoqué en cas de menace ou d'attaque imminente. Ces paradigmes, ces dispositions du code pénal avaient antérieurement fait l'objet de remarques de la commission judiciaire et de la police et l'on se souvient que le Conseil d'Etat avait à plusieurs reprises dû revenir sur son projet de loi initial, bâclé et mal ficelé.
Nonobstant, n'oublions pas qu'une thérapie ne peut aboutir que s'il existe un lien de confiance entre le psychiatre - ou le thérapeute - et son patient. Il en va tout autant à cet égard dans le monde carcéral que dans la société civile ! Il est donc impératif de conserver cette relation duale fondée sur la confiance. L'Association des médecins, qui a eu le mérite de déposer cette initiative, revient là-dessus. Mais le Conseil d'Etat fait la sourde oreille, car enfin il faut bien montrer à la population que l'on fait quelque chose et que l'on réagit aux événements, même si tout cela n'est au fond que du vent ! L'AMG considère que les médecins, les psychologues ou tout autre intervenant thérapeutique sont habilités - un mot qui renvoie à une éthique professionnelle - habilités à informer les autorités de tout fait qui serait de nature à faire craindre pour la sécurité d'un détenu, de codétenus ou du personnel pénitentiaire, pour autant, bien évidemment, que le danger soit imminent. A contrario, le verbe utilisé dans la loi en vigueur - qui énonce que lesdits professionnels «informent» - fait toute la différence ! Il n'y a là plus de choix devant le moindre petit risque, la moindre interprétation; il faut donc impérativement informer, sans tenir compte des risques de saturation et d'encombrement ! Le Dr Giannakopoulos l'a d'ailleurs lui-même reconnu: les médecins, les thérapeutes risquent de se sentir dans l'obligation de tout dire, ne serait-ce que pour se protéger des foudres de l'administration ou du Tribunal criminel, et de faire la queue en attendant leur tour devant le guichet de la commission du secret professionnel. Absurde ! Les effets de ce vilipendage sont de nature à compromettre gravement le processus thérapeutique, car comment imaginer, dans ce contexte, que les détenus communiqueront avec franchise et humilité tous leurs fantasmes relatifs à une évasion, un gardien ou une infirmière ? Ils se garderont bien de le faire afin de ne pas compromettre une libération anticipée et leurs séances de psychothérapie risquent alors de se transformer en des sessions mutiques de nature à compromettre sérieusement l'issue du traitement.
Il convient d'autre part de constater que l'alinéa 3 de l'article 5A de la loi d'application intitulé «Evaluation de la dangerosité» induit une confusion des genres entre les thérapeutes et les experts. Cela est regrettable ! Car il est déjà arrivé dans le passé qu'un médecin soit saisi de l'obligation de produire un rapport considéré par le SAPEM comme déterminant et de nature à orienter sa décision. Sur requête spécifique des autorités, il est ici impérativement demandé aux médecins et aux thérapeutes de communiquer impérativement des renseignements à la commission du secret professionnel. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Nonobstant, chacun sait que ces communications se font par écrit, souvent sous la forme d'un petit rapport, et l'on voit bien dans ce cas de figure que la frontière entre le rapport d'un thérapeute et celui d'un expert peut prêter à confusion. C'est une situation qui s'est d'ailleurs déjà produite dans le passé !
Le président. Vous prenez sur le temps de votre groupe ?
M. Christian Zaugg. Oui, Monsieur le président. Et là, la nuance qui figure dans l'initiative est de taille ! L'amendement proposé par les initiants est déterminant ! Il énonce que seuls «les médecins, les psychologues et tout autre professionnel de la santé intervenant en qualité d'experts auprès de personnes détenues sont tenus [...] d'informer l'autorité découlant de leur mandat [...]». Ici, point de confusion: ce sont bien les experts qui ont l'obligation d'informer qui de droit et non des thérapeutes en charge d'un patient. J'ajoute pour le surplus que le dernier alinéa de l'article 5A est parfaitement clair et admet une cautèle. Il autorise les médecins, les psychologues - dans le cas d'un patient qui s'opposerait à la révélation de faits patents en matière de dangerosité - à saisir la commission du secret professionnel. Ainsi formulé, le contenu de cet article est donc parfaitement conforme à l'article 17 du code pénal concernant l'état de nécessité.
Alors de quoi s'agit-il ? L'initiative déposée par l'AMG, qui modifie le texte de la loi entrée en vigueur, réintroduit la libre appréciation des médecins ou des thérapeutes au moment de prendre la décision de communiquer des informations concernant la sécurité des biens et des personnes. Il convient ici de ne pas oublier qu'en dehors de très rares exceptions, tout détenu condamné par le Tribunal criminel ou en appel par la Chambre pénale d'appel et de révision retrouve la liberté au bout des deux tiers de sa peine. Il est donc impératif que ces détenus suivent, lorsque cela est possible, des thérapies, une sociothérapie et un encadrement professionnel afin de retrouver une place pleine et entière dans notre société. A cet égard, la quasi-totalité des personnes auditionnées a fait part de réserves sur tout ou partie de l'article 5A. Il convient donc absolument de voter et d'accepter l'initiative de l'Association des médecins genevois, qui remet les plateaux de la balance à égalité, et de refuser le principe d'un contreprojet qui apparaît comme une pure manoeuvre dilatoire. Je ne crois pas que la plus grande partie de celles et ceux qui défendent ce contreprojet souhaite modifier la loi en vigueur, et si le contreprojet était accepté, je prédis quant à moi un enterrement de première classe de l'initiative après les élections ! Je suis prêt à prendre tous les paris là-dessus !
Pour conclure, à gauche nous savons bien que les entreprises aimeraient abolir de manière générale le secret médical. Elles n'ont de cesse de vouloir connaître toutes les données relatives à la santé de leurs collaborateurs en leur soumettant des questionnaires. Cette remise en cause du secret médical au niveau carcéral est une tentative de porter atteinte au secret médical in globo ! Je suis persuadé que certains chefs d'entreprise et des assureurs pourraient observer avec intérêt le contenu de nos débats ! Ce sont les raisons pour lesquelles je vous invite, chers collègues, à ne pas tomber dans le panneau consistant à étudier d'ici mai 2018 un hypothétique contreprojet dilatoire et donc à voter résolument l'initiative mesurée déposée par l'Association des médecins genevois, qui répond parfaitement aux articles en vigueur de notre code pénal !
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur. (Brouhaha. Un instant s'écoule.) On peut avoir un peu de silence ? Merci. Madame von Arx-Vernon, c'est à vous.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous l'aurez compris, cette initiative a suscité de nombreux débats, avec beaucoup de respect et de considération pour les thèmes qui ont été abordés. Pourquoi est-ce que je vous recommande au nom du parti démocrate-chrétien, comme rapporteure de deuxième minorité, de soutenir cette initiative ? Ce secret professionnel garantit la protection de la personnalité, qui est la clé de voûte de la relation thérapeutique et qui laisse espérer que le traitement portera ses fruits; on l'a dit, c'est pour le mieux-être des patients, bien sûr, et la sécurité de la société lorsque ces derniers sont identifiés comme dangereux. La position de Mme la professeure Samia Hurst-Majno, bioéthicienne, nous a guidés, au parti démocrate-chrétien, dans notre réflexion pour aboutir au soutien de cette initiative 159. Nous avons bien sûr réfléchi au niveau éthique avec la notion de protection de la population, de l'état de nécessité. Nous sommes convaincus que le texte de l'initiative est meilleur que la loi actuelle. Dans le cadre de ses réflexions, Mme la professeure Hurst-Majno nous a rappelé que le principe de proportionnalité doit être réintroduit et que, en l'état, l'initiative respecte mieux ce principe que le droit cantonal actuel. Enfin, le parti démocrate-chrétien s'étonne que le Conseil d'Etat se pose la question du fardeau du secret médical et prétende qu'il serait devenu insupportable pour les praticiens alors que c'est la nature même de leur métier que de vivre avec de si lourdes responsabilités, lesquelles ne leur ont jamais posé problème jusque-là: la complexité existe, ils la gèrent; les médecins savent y faire, les soignants savent y faire.
Le parti démocrate-chrétien estime que les dispositions du droit fédéral - le code pénal prévoit ce que sont l'état de nécessité et le secret professionnel - sont appropriées à la problématique alors que la loi cantonale prévoit dans son article 5A que l'on peut contraindre quelqu'un à violer le secret médical pour autant qu'il détienne des éléments pertinents de nature à influencer une peine ou une mesure ou qui permettrait d'évaluer le caractère dangereux d'un détenu. La question pertinente est de savoir ce qu'il en serait si les éléments ne s'avéraient pas, in fine, de nature à influencer la peine ou la mesure ou le caractère dangereux d'un détenu. Ce principe de précaution, Mesdames et Messieurs les députés, ne doit pas s'appliquer uniquement en milieu carcéral alors que les risques les plus élevés se trouvent précisément hors de ce milieu-là ! Dès lors, dans ces conditions, si l'initiative 159 devait être refusée, d'aucuns se réjouiraient déjà d'amender la loi actuellement en vigueur pour qu'elle s'étende à l'ensemble du corps médical et des professions de la santé. Nous vous recommandons d'accepter l'initiative 159 et dans le cas du principe d'un contreprojet, le PDC s'abstiendra. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame. La parole est à M. Riedweg. Je demande aux députés de prendre l'habitude de regarder l'écran, merci. A vous, Monsieur Riedweg.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Merci, Monsieur le président, j'apprécie beaucoup le nouvel écran qui garnit la tribune présidentielle. Lorsque le médecin se trouve face à une situation dans laquelle une personne dangereuse pourrait commettre une infraction, l'article 17 du code pénal lui permet de lever le secret médical. Par contre, l'article 5A de la loi d'application genevoise du code pénal suisse impose systématiquement au médecin une obligation de parler aux autorités pénales lorsqu'il constate un danger. Toute la différence entre la loi actuelle et l'initiative 159 est là ! Il s'agit d'une nuance de rédaction qui a une portée juridique. Des conséquences disciplinaires, administratives ou civiles peuvent s'ensuivre en cas de non-respect de la nouvelle obligation d'informer. La différenciation entre un thérapeute, qui est un interne, et un expert - un externe mandaté pour évaluer la dangerosité des détenus - est très importante, l'expert n'étant pas lié par le secret médical. L'expert, qui a pour mission d'évaluer la dangerosité des personnes et d'informer l'autorité, a des obligations, alors que le thérapeute, tenu au secret médical, fait un travail de psychologue, de physiothérapeute ou de médecin.
Le dispositif prévu dans la loi 11404 - notamment à l'article 5A, alinéa 3, de la LaCP - est un dispositif qui fonctionne, bien que le problème de l'état de nécessité subsiste. La loi issue du PL 11404 permet une collaboration entre les autorités et les intervenants thérapeutiques puisqu'elle autorise ceux-ci à divulguer à la commission d'évaluation de la dangerosité les éléments pouvant servir à l'évaluation de la dangerosité des personnes. C'est ensuite cette commission qui se déterminera sur le sort du détenu, de sorte que le médecin ne commet pas de violation du secret médical. Pour violer le secret médical en invoquant l'état de nécessité, il faut démontrer que la violation de ce secret était nécessaire pour protéger un bien supérieur. Il faut toutefois observer le principe de proportionnalité entre le danger et ce qui est divulgué. La situation est différente avec le texte de l'initiative 159 puisque le médecin doit vivre avec le fardeau de passer pour un traître, car il parle aux autorités de ce que le prévenu lui confie. Mais le médecin peut préférer prendre le risque de libérer une personne dangereuse alors qu'il a de sérieux doutes quant à son degré de dangerosité. Avec l'initiative 159, le médecin est face à un conflit de loyauté entre la hiérarchie et le détenu car l'initiative fait peser la décision sur le professionnel de la santé. Ce que les auteurs de l'initiative visent, c'est qu'on laisse faire les médecins comme ils veulent pour pouvoir se tromper impunément: il n'y aurait pas de sanction pénale pour le praticien qui se tromperait car les règles de la bonne foi s'appliqueraient. Dans le cadre de la loi en vigueur, la grande crainte des médecins est qu'ils soient responsabilisés s'ils ne détectent pas un élément susceptible de tomber sous le coup de la dangerosité. Or, ce point d'inquiétude est supprimé dans le texte de l'initiative 159.
L'initiative 159 représente un pas en arrière et un affaiblissement du dispositif légal. Le dispositif figurant dans la loi actuelle est celui qui protège le mieux le médecin puisqu'il n'y a pas de violation du secret médical: lorsqu'il estime que cela est utile, le médecin a en effet simplement l'obligation de saisir la commission du secret professionnel qui endossera la responsabilité de la décision, alors que c'est lui qui endosse ce risque dans l'initiative. En d'autres termes, le praticien conserve son libre arbitre et peut se décharger de sa responsabilité puisque ce n'est pas lui qui décide s'il faut en parler aux autorités, étant donné que c'est la commission du secret professionnel qui prend cette décision. La commission du secret professionnel n'est saisie que lorsque le détenu-patient refuse la transmission des données suite à une enquête, et cette commission est plus restrictive que les médecins en ce qui concerne la transmission d'informations aux experts. Depuis sa promulgation en février 2016, la loi actuelle ne pose pas de problèmes car elle n'a engendré aucun changement. Les auteurs de l'initiative 159 craignent une érosion du secret médical, alors que la loi actuelle n'abolit pas le secret médical. Il faut être conscient qu'en acceptant l'initiative et en restaurant la situation antérieure à l'adoption de la loi 11404, on procède à un affaiblissement du dispositif légal. L'Union démocratique du centre est d'avis qu'il faut laisser le temps à la loi pour savoir comment évolue concrètement la situation. Pour les raisons invoquées ci-dessus et du fait que les signatures de cette initiative ont été récoltées auprès de patients qui font confiance à leur médecin traitant, dans des cabinets médicaux leur appartenant, l'Union démocratique du centre refusera l'initiative 159 mais, le cas échéant, est favorable au principe d'un contreprojet. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur. La parole est à Mme Orsini pour quatre minutes vingt-deux.
Mme Magali Orsini (EAG). Merci, Monsieur le président. Comme vous le savez, le groupe EAG est partagé au sujet de la prise en considération de l'initiative. Le Conseil d'Etat rappelle que l'actuel article 5A de la LaCP a fait l'objet d'un long travail de compromis entre l'exécutif et le Grand Conseil. Finalement voté le 4 février 2016 par notre parlement et entré en vigueur le 8 avril 2016... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Le président. Un petit instant, Madame, s'il vous plaît.
Mme Magali Orsini. ...il visait trois objectifs: répondre à la recommandation de la conférence latine des chefs des départements de justice et police de se doter d'une base légale formelle pour fonder l'échange d'informations entre les autorités judiciaires et les responsables médicaux en charge d'un détenu, faciliter l'intervention des autorités cantonales pour prendre en compte les aspects médicaux liés au caractère dangereux d'un détenu, clarifier le cadre dans lequel les professionnels de santé sont libérés du secret médical et doivent transmettre des renseignements médicaux. La majorité de la commission expliquait bien dans son rapport que le texte ne remettait pas en cause la question de principe du secret médical. Les droits des détenus dans ce domaine étaient respectés, mais cet article permettait de diminuer les risques et de répondre aux impératifs de sécurité publique. Il s'agit de protéger la collectivité, les professionnels de santé mais aussi la qualité des soins aux condamnés. Si cette initiative était acceptée, elle restaurerait la situation qui prévalait avant l'adoption de l'article 5A LaCP en remplaçant l'obligation d'informer par la seule faculté d'informer. Or, dans l'urgence, le thérapeute n'a pas le temps de saisir la commission du secret professionnel. Il peut faire un choix lourd de conséquences en privilégiant le secret au détriment de la sécurité.
En 2014, un rapport d'expertise relevait la faiblesse du dispositif due à la question du secret médical. Les auteurs de l'initiative invoquent une érosion du secret médical et un risque de contagion à d'autres professions, comme les avocats et les ecclésiastiques. Comme pour le titre de l'initiative, on se garde de préciser que le nouvel article 5A ne s'applique strictement qu'aux personnes condamnées en thérapie. Il s'agit de personnes condamnées et de détenus parmi les plus dangereux de la société. L'article 321 du code pénal préserve la possibilité d'édicter des règles sur l'obligation de renseigner une autorité sans renoncer à la protection du secret médical. Des dispositions similaires ont déjà été adoptées dans les cantons de Vaud, du Valais, du Jura, de Fribourg, etc. L'article 5A LaCP ne porte pas atteinte au secret médical, mais il oblige le professionnel de santé à intervenir en présence d'un état de nécessité et à demander la levée du secret professionnel lorsqu'il est sollicité par les autorités pénitentiaires. Les reformulations proposées par l'initiative réduiraient à néant des mois de travail législatif et réintroduiraient l'arbitraire dans la transmission d'informations concernant les détenus dangereux. La relation des thérapeutes avec les personnes condamnées diffère sensiblement de celle des praticiens de ville ou du milieu hospitalier: le médecin soumis à la LaCP ne dispense pas un traitement librement choisi par son patient dans l'espoir d'une réinsertion. L'aumônier ou l'avocat ne jouent pas le même rôle dans l'exécution de la peine, ils n'ont pas pour mission de préserver les intérêts de la collectivité. L'article 5A LaCP ne stipule en aucun cas que les thérapeutes doivent agir comme experts auprès des autorités. Il s'agit de la prise en charge de condamnés par une thérapie qu'ils n'ont pas forcément choisie. L'expertise est demandée par les besoins de la justice et non du détenu. Cet article, en cas de refus de l'intéressé, rend seulement obligatoire le mécanisme de levée du secret professionnel là où le thérapeute pouvait choisir de se taire. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Je trouve inouïe la position des Verts qui voudraient que la relation thérapeutique soit la même pour un citoyen normal et un détenu dangereux ! Comme si la priorité n'était pas la sécurité de la population ! Selon le responsable médical de Curabilis, l'état de nécessité n'a pas beaucoup changé car la pratique au niveau de la communication avait déjà évolué depuis l'affaire Adeline.
Le président. Votre temps de parole est terminé, Madame, je vous remercie. La parole est à M. Buchs. (Remarque.) Regardez le temps de parole: il est indiqué, Madame. Merci. Monsieur Buchs, c'est à vous.
M. Bertrand Buchs (PDC). Merci beaucoup, Monsieur le président. Le parti démocrate-chrétien va soutenir l'initiative, et je vais vous expliquer pourquoi. Nous nous sommes opposés au projet de loi qui avait été voté dans cette enceinte, et si nous nous sommes opposés à lui, c'est que nous pensions que cette loi n'était pas proportionnelle et reposait sur un fantasme. Tout est parti de l'atroce histoire d'Adeline; on est parti du principe que c'est parce qu'on n'avait pas communiqué certaines informations qu'Adeline avait été assassinée. Sur ce sujet, on n'a pas encore de réponses: je vous rappelle qu'il existe une commission d'enquête parlementaire qui n'a pas encore rendu ses travaux et nous n'avons pas de réponses sur le pourquoi et le comment de cette affaire Adeline. Là-dessus, on nous a dit qu'il fallait absolument qu'on puisse lever le secret médical parce que des informations importantes n'avaient pas été transmises. Jusqu'à maintenant, il n'y a aucune preuve que des informations médicales importantes n'aient pas été transmises. Je rappelle que le dispositif qui existait avant la loi actuelle était tout à fait suffisant pour protéger la population. Pourquoi ? Parce que, dans le cas d'un détenu dangereux, on mandate des experts quand on doit décider s'il peut sortir ou pas. Et on vient de le dire et de le répéter dans cette enceinte: les experts ne sont pas soumis au secret médical. Dans leur expertise, les experts doivent signaler tout ce qui a été dit par le patient, par les intervenants. On a ainsi dans un rapport des éléments clairs et nets à partir desquels la justice peut trancher.
Maintenant, il y a un fantasme terrible qui repose sur l'idée que les dossiers médicaux contiennent des choses graves qui ne sont pas dites. C'est complètement surréaliste ! C'est complètement surréaliste ! D'abord, c'est ne pas faire confiance à une profession ! Vous pouvez avoir le même débat avec les avocats en disant qu'il y a dans leurs dossiers des choses terribles qu'ils vont taire ! Ça, c'est faire peser un doute scandaleux sur une profession. Et vous pensez que vous allez sauver la société; vous pensez que vous auriez pu sauver Adeline avec une loi ! C'est complètement surréaliste; vous ne sauvez personne avec une loi ! Il faut savoir si une loi est utile ou pas. Jusqu'à maintenant, cette loi n'a montré aucune utilité. Aucune utilité ! Le secret médical... Vous pensez que les médecins ne vont pas le dénoncer lorsqu'ils apprennent quelque chose, qu'ils sont au courant de quelque chose ? Quand ils savent qu'il y a un risque, que leur patient leur raconte des choses qui sont à risque, vous pensez qu'ils ne vont pas le dénoncer ? Ils le dénoncent ! Ils le dénoncent ! J'ai été dans une situation analogue, quelqu'un est venu un jour dans mon cabinet en disant: «Demain, je prends un fusil et je vais descendre les gens à l'AI !» Vous croyez que je suis resté derrière mon dossier en disant: «Bah, je ne fais rien parce qu'il y a le secret médical et on verra bien ce qui se passe demain» ? J'ai appelé la police. C'est ma responsabilité ! Je ne peux pas faire autrement ! Ça ne sert à rien d'avoir une commission du secret ou pas, lorsqu'il est au courant de choses potentiellement graves, le médecin a la responsabilité de les dénoncer. Il n'y a pas besoin d'une loi ! Vous devez faire confiance; si vous ne faites plus confiance aux gens, ça ne peut plus fonctionner. Et on ne peut pas réglementer entièrement le comportement des professions - quelles qu'elles soient - par des lois. On ne peut pas le faire. Il y a des moments où on doit faire confiance; je le répète !
On est en train de mélanger tous les genres, on est en train de mélanger le rôle thérapeutique du médecin, le rôle de l'expert, on est en train de mélanger la qualité des gens. Ça veut dire que quand vous êtes un dangereux criminel, vous n'avez plus de droits. Vous n'avez plus de droits ! Ça veut donc dire qu'il n'y a pas de relation thérapeutique. Ça veut dire que ça ne sert à rien d'essayer de soigner ces gens; ça ne sert à rien ! Alors à l'UDC, au MCG, allez au bout de votre raisonnement: puisque ça ne sert à rien de les soigner, bah, il faut les éliminer ! Il faut les éliminer ! Des gens ont fait ça en 1940-1945, hein, ils ont compris ce qu'il fallait faire: ils ont éliminé tous les gens qui étaient un peu déviants ! Alors si vous voulez ce genre de société, Messieurs, ce sera sans moi ! Ce sera sans moi qu'on aura cette société ! On a eu ce débat, il n'y a pas besoin d'une loi ! On va maintenir cette loi qui ne servira strictement à rien, vous verrez; je ne suis pas dans la commission d'enquête parlementaire sur Adeline, je ne sais pas ce qui va en sortir, mais on verra probablement que la responsabilité des médecins n'est pas engagée. Je dirais que les experts suffisent entièrement.
Et puis, pour finir, j'aimerais quand même revenir sur ce qu'a dit M. Riedweg - vous transmettrez, Monsieur le président. Lorsqu'on récolte des signatures, il n'y en a pas de bonnes et de mauvaises ! On n'extorque pas les signatures à nos patients ! On ne récolte pas les signatures dans les cabinets médicaux, Monsieur Riedweg ! Si les gens signent, c'est qu'ils sont convaincus de signer ! Si les gens ont signé, c'est donc qu'ils n'étaient pas d'accord avec cette loi. Il n'y a pas que les médecins qui n'étaient pas d'accord avec la loi. Les avocats ne sont pas d'accord non plus avec elle. Il y a tout le troisième pouvoir qui n'est pas d'accord avec elle ! C'est quand même important quand un procureur général vient et vous dit qu'il n'est pas d'accord ! Ce n'est pas pour rien qu'il le dit ! C'est parce que cette relation doit être maintenue; vous devez partir du principe que toute personne mérite des soins et que si cette personne mérite des soins, elle doit avoir une relation harmonieuse avec son thérapeute. Elle doit pouvoir parler de certaines choses, et après le thérapeute a la responsabilité - je le répète une dernière fois: il a la responsabilité - s'il a un doute, de communiquer ce doute. Et tout existe actuellement pour qu'il puisse le communiquer. Il n'y avait pas besoin de la loi qu'on a votée, et nous soutiendrons cette initiative qui revient en arrière, parce que c'est pour nous toucher un secret essentiel; si on commence à le toucher, on va aller beaucoup plus loin dans les prochaines années. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Emilie Flamand-Lew (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, les Verts avaient combattu l'introduction de l'article 5A en 2016. Ils pensaient en effet que cet article avait été proposé en réaction à des événements tragiques et notamment à l'affaire de la Pâquerette, à Genève, une affaire qui n'a strictement aucun lien avec le secret médical. Nous pensons également que cet article est contre-productif puisqu'il risque de détériorer le lien de confiance entre le détenu et son médecin et ainsi de remettre en cause le processus thérapeutique. Rien n'a changé au niveau de la pratique, plusieurs personnes l'ont évoqué. Cela signifie donc que cet article n'est pas nocif puisque rien ne change dans la pratique, mais l'Association des médecins genevois a certainement bien compris son objectif. Ainsi, l'avocat qui la conseille, un professeur de droit éminent qui a accompagné ses représentants lors de leur audition, expliquait que cette modification - cet article - visait en réalité à faire porter la responsabilité d'un éventuel nouveau drame sur les médecins plutôt que sur l'Etat et les politiques. Les Verts soutiennent donc l'initiative 159 et regrettent la décision de la majorité de vouloir y opposer un contreprojet. On a bien compris que la majorité - peut-être en particulier le PLR - ne souhaite pas se fâcher avec les médecins à six mois des élections en rejetant purement et simplement leur initiative et décide de temporiser en votant pour le principe d'un contreprojet.
Honnêtement, on a de la peine à imaginer ce que pourrait être le contreprojet. Les différences entre la loi et le texte de l'initiative sont si infimes qu'on ne voit pas très bien où est la place pour un entre-deux. Dans le fond, le seul contreprojet valable, et qui a d'ailleurs été évoqué par certaines personnes auditionnées, le seul contreprojet qui paraîtrait donc vraiment intéressant - et c'est l'option que nous défendrons - c'est le retour au statu quo ante, c'est-à-dire la suppression de l'article 5A puisque l'article 17 du code pénal et l'état de nécessité continueront à s'appliquer, comme l'ont déjà évoqué plusieurs intervenants. Et évidemment qu'un médecin qui a connaissance d'éléments laissant penser que son patient est sur le point de commettre un acte irréparable doit le signaler. Mais supprimer tous ces textes qui servent finalement un peu à se renvoyer la patate chaude entre les différents corps de métiers prenant en charge les détenus... Nous pensons qu'une bonne collaboration serait meilleure que ce rejet des responsabilités les uns sur les autres. Nous accepterons donc la prise en considération de l'initiative et nous nous abstiendrons sur le principe d'un contreprojet. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Nathalie Fontanet (PLR). Monsieur le président, le groupe PLR avait soutenu la loi qui est aujourd'hui en vigueur, mais il s'est rendu compte que cette loi avait suscité de nombreuses réflexions en son sein. Cette loi touche à deux piliers essentiels de la pensée libérale, tous deux garants de notre liberté: d'un côté la sphère privée avec le secret médical et, de l'autre, la question de la sécurité dont l'Etat se doit d'être le garant. Cette loi, nous l'avons appris, ne convient pas aux médecins. Elle leur paraît insatisfaisante, raison pour laquelle ils ont déposé cette initiative. Au-delà du jeu politique de ceux qui sont toujours opposés par principe à toute mesure de sécurité qui viserait à entraver les libertés, nous sommes aujourd'hui face à des arguments certainement un peu plus solides, liés à l'aspect du secret médical et des soins aux détenus, parce que dans notre canton, dans notre pays les détenus sont effectivement amenés à sortir de prison un jour ou l'autre. Le PLR est extrêmement sensible au fait que les détenus puissent être soignés sans craindre que le secret professionnel ne soit pas respecté, respectivement sans qu'un processus de levée de ce secret soit bien compris de tous et mis en place de façon respectueuse. Dans ce contexte et au vu du texte de l'initiative, qui selon le PLR ne remplit pas ces conditions, eh bien nous avons souhaité retravailler ce sujet-là dans un esprit de proportionnalité qui tienne compte de ces valeurs si chères au PLR que sont la sécurité et le respect de la sphère privée. Pour ces raisons, le groupe PLR - à l'exception d'un de ses membres qui soutiendra l'initiative et de trois d'entre eux qui s'abstiendront - rejettera l'initiative et soutiendra le principe d'un contreprojet. Il ne s'agit pas de retirer l'initiative à la population car au final, si elle est rejetée aujourd'hui, elle sera soumise au vote du peuple à moins que les initiants ne décident eux-mêmes de la retirer. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Cyril Mizrahi (S). Au nom du groupe socialiste, j'aimerais défendre l'initiative. Le groupe socialiste défend clairement le secret médical et est donc opposé à maintenir le statu quo, qui comporte deux défauts essentiels qui selon nous affaiblissent le secret médical. Tout d'abord, en introduisant une obligation pour les médecins de dénoncer en cas de danger imminent, au lieu de leur laisser la confiance dont a parlé mon collègue Buchs tout à l'heure, on vise simplement à encourager les médecins à dénoncer beaucoup plus souvent que nécessaire pour se protéger, à donner beaucoup plus souvent que nécessaire des informations couvertes par le secret médical. En fait, cette obligation vise à faire des médecins des sortes de fusibles au cas où il y aurait un problème, pour trouver un responsable, au lieu de leur donner la confiance nécessaire dont a parlé mon collègue Buchs.
Le deuxième problème, également très important, est celui de la confusion entretenue entre la fonction d'expert et celle de thérapeute. Il est sain de distinguer cette fonction, d'avoir des médecins dont le but est de soigner et auxquels le secret médical s'applique pleinement, et, d'autre part, des experts qui ont une fonction d'évaluation.
Pourquoi défendre le secret médical ? Tout d'abord, parce qu'il est un droit pour l'ensemble de la population. Ce n'est pas parce que les personnes en détention sont privées d'une liberté essentielle, la liberté de se mouvoir, qu'il faut pour autant les priver de tous les autres droits qui sont les leurs. Pourquoi ? Parce qu'on commence par les personnes en détention, et ensuite - on l'a dit - on va étendre à d'autres catégories, il y aura un effet de contagion par rapport au secret médical et au secret professionnel pour l'ensemble de la population; nous sommes donc tous concernés. Mme Fontanet a opposé d'une part la question de la liberté et d'autre part celle de la sécurité. Mais cette opposition n'est pas adéquate ici: en entretenant la confusion dont j'ai parlé entre mission d'expertise et mission de soin, on soigne moins bien les personnes qui doivent l'être; on fait donc courir un risque plus grand à la société du point de vue de la sécurité. L'initiative permet de garantir à la fois la dimension juridique du secret médical, mais aussi la question de la sécurité. Il est faux d'opposer les deux éléments, qui sont mieux garantis par l'initiative que par le texte de la loi actuelle.
Nous soutenons donc pleinement l'initiative. Nous ne voyons pas non plus très bien, comme les Verts, ce que pourrait apporter un contreprojet, si ce n'est de revenir au statu quo ante. Nous nous abstiendrons donc sur la question du contreprojet. Si par impossible il devait ne pas y avoir de majorité autour de l'initiative, ce que je n'espère pas, nous participerions le mieux possible, bien entendu, à la rédaction d'un contreprojet; mais en attendant, nous vous enjoignons de voter cette initiative. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. Conne pour cinq minutes et vingt secondes.
M. Pierre Conne (PLR). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, je suis médecin, ce n'est un secret pour personne, et je suis également membre de l'AMG, vous vous en doutez. J'ai assisté à l'assemblée générale extraordinaire de l'AMG en novembre 2015 qui avait pour objet de définir la position de l'association suite au rapport de la commission judiciaire sur le projet de loi 11404. Cette prise de position de l'AMG se situait entre le rapport de la commission et le vote final que nous avons eu ici sur ce projet de loi, en février 2016. Lors de cette assemblée générale, j'ai ressenti un profond malaise, car à mon sens, j'étais confronté à un emballement collectif. Je ne parle pas là d'un emballement de l'AMG, ou pas uniquement de l'AMG, mais d'un emballement du système, puisque, je vous le rappelle, le projet de loi initial 11404 prévoyait d'abolir le secret médical. Ce projet de loi a été repris, amendé, et nous est revenu avec le principe du secret médical réintroduit. Finalement, c'est ce projet de loi que nous avons voté ici en février 2016. Pourquoi ce profond malaise qui m'a poussé à m'abstenir et non pas à voter contre la position par ailleurs unanime de l'AMG ? Nous sommes encore aujourd'hui véritablement dans un conflit de valeurs entre deux systèmes: un système de valeurs qui vise à protéger la relation thérapeutique et un autre système de valeurs qui vise à protéger la société. La question est: faut-il légiférer de manière à concilier deux systèmes de valeurs, ce qui est l'une des choses les plus difficiles à réaliser pour l'esprit humain ? La réponse objective est oui, Mesdames et Messieurs. Pourquoi ? Nous avons voté ici la loi 11404 en février 2016, et l'AMG également nous dit, dans l'exposé des motifs de son initiative: «Le texte [de l'initiative] amende la loi récemment adoptée». Ce n'est pas un référendum ayant pour but d'annuler une législation, mais la tentative d'affiner un processus, un cadre législatif. Donc, légiférer, oui.
A mon avis, cet emballement sur la croyance que la loi actuelle abolit le secret médical n'a pas lieu d'être. Je tiens à citer ici quelques intervenants auditionnés par la commission judiciaire, qui précisent que la disposition actuelle de l'article 5A LaCP garantit le secret médical. M. Jornot, procureur général, dit: «Le dispositif figurant dans la loi actuelle est celui qui protège le plus le médecin, puisqu'il n'y a pas de violation du secret médical.» Ensuite, j'ai posé à la professeure Samia Hurst-Majno, bioéthicienne, la question de savoir si la législation actuelle abolit le secret médical. Ma question était: «Il» - c'est-à-dire moi - «demande en quoi il s'agirait d'une atteinte au secret médical.» La professeure Hurst-Majno a répondu non. Non ! J'ai posé la même question au professeur Hans Wolff: non ! La question est fermée, la réponse est fermée. La disposition actuelle n'abolit pas le secret médical. J'ai posé la même question au professeur Wolff, médecin chef de service de la médecine pénitentiaire - je lis une fois de plus le rapport, à la page 45: «Il» - moi - «demande à M. Wolff si la loi actuelle abolit le secret médical. M. Wolff répond que non.» On ne peut pas être plus clair: la loi actuelle n'abolit pas le secret médical, le secret médical, Mesdames et Messieurs, est garanti.
Est-ce qu'il n'y a pas de problème ? Oui, il y a un problème; mais s'il vous plaît, intéressons-nous au vrai problème et arrêtons de nous écharper sur la question du secret médical ou de son absence en milieu carcéral, car le problème est ailleurs. Où le problème est-il ? D'abord, il faut savoir que si nous devons légiférer, le but, dans ce cas précis, est de protéger les détenus patients. Le deuxième but est de protéger les médecins, le troisième est de protéger la société. Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, à la fois la loi en vigueur et l'initiative, sur les deux points qui ne concernent pas le secret médical parce qu'il est réglé, sont imparfaites. La loi actuelle est très imparfaite en ce qui concerne l'état de nécessité, soit l'obligation faite à tout professionnel de santé d'informer les autorités s'il est confronté à une situation très dangereuse. C'est là aujourd'hui une faiblesse de la loi. Par contre, l'initiative telle qu'elle nous est soumise aujourd'hui est aussi très imprécise, pourquoi ? Parce que s'agissant de l'évaluation de la dangerosité... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...elle abolit ce que nous avions introduit dans la disposition actuelle, soit une clarification des thérapeutes et des experts. L'initiative réintroduit le flou: dans la loi actuelle, une petite phrase dit que les professionnels doivent informer sur requête spécifique et motivée. Cette phrase a été biffée de l'initiative. Aujourd'hui, les professionnels de la santé...
Le président. C'est terminé, Monsieur.
M. Pierre Conne. ...ne savent plus quand et à qui répondre à des questions qui concernent la dangerosité des détenus. Donc nous refusons l'initiative... (Le micro de l'orateur est coupé.)
Une voix. C'est bon, on a compris !
Le président. C'est terminé, Monsieur, merci. Monsieur Baertschi, c'est à vous.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Ce qui me choque dans ce débat, c'est qu'on passe énormément de temps à parler du secret médical pour les détenus dangereux, condamnés, qui sont donc en institution, alors que dans le même temps, le secret médical est bafoué en permanence: on a vu il y a peu de temps que des dossiers médicaux figuraient sur Google, que malheureusement, les assurances-maladie ne respectent pas le secret médical. Or, on n'en parle pas dans cette enceinte ! C'est quelque chose qui me choque, personnellement; non pas que les détenus dangereux ne doivent pas avoir de droits, non pas qu'il ne faille pas protéger les médecins et autres thérapeutes qui travaillent dans le milieu carcéral, leur donner des lignes claires - cela s'est fait sans loi. A titre personnel, j'aurais peut-être préféré qu'on reste dans cette situation-là. Mais maintenant, où en est-on ? Une loi a été établie, c'est la tendance générale dans la plupart des cantons suisses, on se trouve donc dans un trend. On a beaucoup parlé, on a amendé, modifié la présente loi. Cette initiative, qui n'est pas un référendum, ne demande pas l'abolition des données législatives en vigueur mais juste leur modification. Bien évidemment, je comprends les gens qui ont proposé ou signé cette initiative. Elle constitue un appel pour défendre une valeur, comme on l'a dit. C'est une valeur tout à fait louable. Il y a malheureusement aussi quelques petits défauts de plume, cela a été soulevé lors des auditions. Je pense que le plus raisonnable serait de voter un contreprojet modéré, où l'on redéfinirait notamment le rôle du thérapeute et celui de l'expert - c'était une des questions posées - ainsi que deux ou trois éléments qui peuvent poser problème, voire peut-être d'élaguer une partie de la loi actuelle. C'est une possibilité que la commission aura; je pense que c'est tout à fait positif de penser à un contreprojet qui nous permettra véritablement de continuer ce dialogue, un dialogue qui n'est pas futile, qui porte sur les valeurs, qui est important, mais un dialogue qu'il faudrait peut-être aussi élargir à l'ensemble des patients, pas uniquement aux criminels dangereux condamnés, mais à M. et Mme Tout le Monde, dont les données ne sont malheureusement pas protégées aujourd'hui. Cela échappe bien évidemment à la volonté du corps médical, à la volonté des instances étatiques, mais il faudrait peut-être se prononcer sur cette question qui malgré tout est de grande urgence et de première importance.
Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. Maitre pour deux minutes et quatre secondes.
M. Vincent Maitre (PDC). Je vous remercie, Monsieur le président. On peut débattre pendant des heures de ce sujet, en particulier de la question du secret médical. Je crois que l'essentiel a été dit. Il y a un réel problème que pose en fait la loi que ce Grand Conseil a votée, qui de mon point de vue fragilise le secret médical à tout le moins, mais fragilise surtout ce qui forme l'essence même de la profession de médecin traitant ou de médecin expert en milieu carcéral: c'est précisément l'essence de ce métier que de recueillir la confiance du patient et de poser des diagnostics, ce qui laisse à cette profession, par essence, de nouveau, la capacité et surtout la volonté de poser un diagnostic. De tout temps, le corps médical et d'autres métiers aussi, à l'époque - comme d'ailleurs celui de l'actuel conseiller d'Etat chargé de la santé - ont dû évaluer des situations avec des individus qui, de par leur complexité, requièrent une analyse spécifique et particulière. Avec la loi actuelle, entrée en vigueur, et, je le répète, votée par ce parlement, on a totalement aseptisé ce qui constitue la substantifique moelle de la profession médicale. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) En d'autres termes, on la simplifie à l'extrême pour en faire un simple rapport de droit administratif, ainsi que j'ai envie de le qualifier, en ce sens qu'on ne laisse plus au médecin - ou moins - la possibilité de poser son diagnostic, d'évaluer - puisque c'est le coeur même du sujet - la dangerosité du patient en face de qui il se trouve. On restreint à l'extrême ces compétences et ces capacités-là...
Le président. C'est terminé, Monsieur, je vous remercie.
M. Vincent Maitre. ...et par là même, on tue totalement ce qu'est ce métier. Je pense que cette initiative a donc tout son sens... (Le micro de l'orateur est coupé.)
Le président. La parole est à M. Bugnion.
M. Jean-Michel Bugnion (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la méfiance est à l'heure actuelle très tendance. On se méfie d'abord des politiciens, mais aussi des élites, des intellectuels, des policiers, des experts psychiatres - on a vu ce que ça a donné au procès de Fabrice A. La loi actuelle montre bien qu'on se méfie des médecins pénitentiaires et même des médecins en général. J'aimerais juste vous dire que pour moi, la méfiance est quelque chose d'infiniment néfaste. Pourquoi ? Parce qu'elle fractionne la société, parce qu'elle crée des groupes différents et les oppose. Je ne vois pas en quoi il est positif de refuser l'initiative des médecins, dans le sens où ce qu'ils demandent essentiellement pour pouvoir fonctionner, et donc pour le bien de la société en général, c'est simplement qu'on leur fasse confiance. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, j'espère que vous aurez le courage de faire confiance aux médecins - ils le méritent - et de soutenir leur initiative.
Le président. Merci, Monsieur. Il reste encore du temps à M. le rapporteur de majorité et à Mme la rapporteure de deuxième minorité. Monsieur Zaugg, vous avez épuisé votre temps. (Remarque.) M. Frey voulait encore prendre la parole. C'est à vous, Monsieur Frey.
M. Christian Frey (S). Merci, Monsieur le président. Je ne suis pas membre de la commission judiciaire et de la police, je n'entrerai donc pas en matière sur les questions juridiques abondamment abordées ici. Il n'empêche qu'après une lecture attentive du rapport, j'arrive à des conclusions tout à fait différentes de celles du député Conne. En effet, c'est assez étonnant, je lis que le procureur général préférait la situation «ante», et évidemment, il affirme que le lien fait - on l'a mentionné à plusieurs reprises - entre les événements tragiques que nous connaissons et la nécessité de légiférer est faux; ce qui revient à dire que le procureur général pense que la situation «ante», avant la loi entrée en vigueur, était meilleure. C'est quand même un constat important ! De même, en ce qui concerne Mme Hurst, bioéthicienne, professeure de bioéthique, je lis ses propos tout à fait différemment du député Conne. Elle dit que la loi actuelle manque de précision, semble s'appliquer à tout le monde, et que le principe de proportionnalité n'est pas respecté. Elle trouve bon le texte de l'initiative, meilleur que la loi actuelle. Il faut quand même appeler un chat un chat et tenir compte de ce qui a été dit dans ce sens-là ! Elle mentionne aussi que la notion de danger est tout ce qu'il y a de plus flou. En ce qui concerne le Dr Wolff, même constat: il trouve globalement que l'initiative 159 est bonne car elle protège le rôle du médecin. Dans quel sens le fait-elle ? Sachant qu'il y a de grandes difficultés pour lui à trouver des médecins d'accord de travailler dans ce milieu... C'est d'ailleurs un argument repris par la représentante de l'AGEPSY, l'Association genevoise des psychologues et des psychothérapeutes, pour qui il est très difficile de trouver des psychologues qui osent encore s'aventurer là-dedans avec tout le tapage médiatique qu'on a fait.
A ce propos, j'aimerais aussi vous dire que plus longtemps nous parlerons de cette histoire - est-ce qu'il faut, est-ce qu'il ne faut pas, est-ce qu'il y a une obligation, qu'est-ce que le thérapeute peut retenir ? - plus, non seulement parmi les détenus, mais dans la population en général, on va se méfier des thérapeutes; parce qu'on dira qu'il n'y a plus de lien de confiance avec le thérapeute. J'aimerais d'ailleurs revenir sur cette notion de lien de confiance. Celui-ci est indispensable à toute démarche thérapeutique, qu'elle se fasse en prison ou à l'extérieur, qu'elle soit demandée ou imposée par une autorité, ou librement consentie; une démarche thérapeutique ne peut naître que sur la base de ce lien de confiance. Je parle de thérapeutes, intentionnellement, parce qu'on parle toujours des médecins, or ça ne concerne pas que ceux-ci, mais aussi les psychologues et les psychothérapeutes. Au fond, c'est un contrat thérapeutique qui est énoncé, qu'on pourrait formuler ainsi: «Je vous invite à me parler de tout ce qui vous préoccupe, et je vous donne la garantie de la confidentialité sur tout ce que vous allez me dire.» (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) A partir de là, le thérapeute a effectivement cette responsabilité qu'apparemment on veut lui enlever. Il ne s'agit pas de materner le thérapeute, qu'il soit médecin ou psychologue; il s'agit de lui laisser cette appréciation, qui lui appartient à lui seul, de savoir ce qu'il doit signaler et ce qu'il doit garder pour lui. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste, comme il a déjà été dit, est favorable à cette initiative, car elle apporte une amélioration, et s'abstiendra sur le contreprojet.
Le président. Merci, Monsieur. Madame von Arx, c'est à vous.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Combien de temps me reste-t-il ? Il manque les minutes, sur votre merveilleux compteur, là !
Le président. Cinq minutes.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon. Ah, c'est formidable ! Merci, Monsieur le président. Pour conclure, le parti démocrate-chrétien est clairement en faveur de l'initiative qui a pour but de modifier l'obligation de livrer des informations couvertes par le secret professionnel en une autorisation de livrer ces observations. Cette nuance a une portée juridique importante, car la levée du secret professionnel reste dans le cadre d'une évaluation de la dangerosité, mais elle maintient la liberté de choix des professionnels dans le cadre d'un traitement thérapeutique. Cette nuance est très importante, Monsieur le président, cela a très bien été développé par les partisans de cette initiative présents dans la salle. Le parti démocrate-chrétien est convaincu que les professionnels du milieu médical qui ont lancé cette initiative connaissent bien mieux que quiconque les responsabilités qui leur incombent, les limites de leur champ thérapeutique, le bien-fondé du secret professionnel, les risques qu'eux et la société encourent; ils le savent bien mieux que nous tous dans cette salle, même si certains ici sont médecins, soignants, psychologues. Je vais même dire une chose peut-être un peu provocatrice: ces professionnels-là le savent mieux que les députés les plus consciencieux, que les plus éminents procureurs et que le conseiller d'Etat le plus précautionneux. Ils le savent mieux, Monsieur le président. C'est pourquoi nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à accepter cette initiative 159.
Le président. Merci, Madame. Monsieur Pistis, vous avez quatre minutes vingt-cinq.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je pense qu'il faut clarifier un élément: si aujourd'hui le Grand Conseil refuse cette initiative, le peuple, nos concitoyens, pourront s'exprimer sur le texte. Il n'est pas acceptable que l'on prive de débat nos électeurs, les Genevois et les Genevoises, sur un sujet aussi important. Il ne serait pas juste que ce Grand Conseil se substitue à nos résidents; il n'est pas juste que ce débat ne soit fait que par cent députés. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à ne pas tuer le débat, et donc à refuser cette initiative. Les électeurs auront largement la possibilité de s'exprimer sur ce texte. Je vous invite à accepter le principe d'un contreprojet, qui est tout à fait raisonnable et raisonné.
Le président. Merci, Monsieur le député. Encore un petit coup pour Mme von Arx-Vernon !
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC), rapporteuse de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. J'avais oublié un élément important: au regard des discussions nourries sur le contreprojet, en définitive nous ne pourrons pas le soutenir, car nous ne pouvons pas penser un instant à un contenu qui soit acceptable. Je vous remercie.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, dans un premier temps, je vais vous répondre sur des questions ayant essentiellement trait à la sécurité, puis, mon collègue Mauro Poggia prendra la parole à son tour pour évoquer le volet médical - ces médecins dont on apprend à l'instant qu'ils ont, au-dessus du parlement et du gouvernement, une «vista» telle qu'ils peuvent définir, par la science infuse, sans doute, et convenir pour eux-mêmes des conditions dans lesquelles ils vont agir ici notamment, et dans bien d'autres domaines également, comme on peut l'imaginer.
J'aimerais d'abord, Mesdames et Messieurs, revenant sur des propos que nous avons écoutés très attentivement, régler la question chronologique. Je m'adresse ici au premier rapporteur de minorité, à qui je redis - sans doute pas pour la dernière fois, parce que c'est une antienne, mais, ma foi, on la reprend ! - que ce projet de loi, cette discussion n'a pas de rapport direct avec le drame de la Pâquerette. (Commentaires.) On l'a dit, on l'a redit, on l'a réécrit, il a un rapport indirect en ce sens, Mesdames et Messieurs, que ce débat, c'est vrai, est arrivé sur la table du Conseil d'Etat puis du parlement en 2013, malheureusement, alors que nous avons connu en Suisse - notamment dans les cantons de Vaud et de Genève - plusieurs occurrences, et que, de façon générale, les ministres de justice et police ont considéré qu'il fallait procéder à une harmonisation des règles et à un questionnement en profondeur, déjà initié d'ailleurs dans les cantons du Valais, du Jura, de Vaud, sur les conditions dans lesquelles se pratique le secret médical, et plus que celui-ci, la circulation de l'information au sein des administrations pénitentiaires ainsi qu'entre les cantons. C'est le premier élément que je veux poser ici, car, pour ma part, je m'inscris dans une vision très pragmatique. Vous avez en face de vous un gouvernement qui doit gérer les situations pénitentiaires délicates de détenus qui par définition sont incarcérés, et pour certains d'entre eux, dans des conditions médicales particulières. Certains de ces détenus, comme il a été dit tout à l'heure, émigrent dans d'autres cantons, certains détenus d'autres cantons viennent dans le nôtre, et donc, le premier argument qui plaide ici pour le maintien de la loi existante et pour le rejet de l'initiative, c'est d'avoir une situation harmonisée, qui procède d'une discussion qui a eu lieu il y a quatre ans entre ministres cantonaux, qui s'est ensuite répercutée dans les commissions interparlementaires, parce qu'on ne peut pas fonctionner avec un espace pénitentiaire clos; on le sait bien, et à Genève, on le sait même mieux que quiconque. On doit pouvoir expatrier quelques détenus en fonction de certaines conditions de prise en charge - c'est un coût d'environ 10 millions par année - et, depuis l'existence de Curabilis, en accueillir un certain nombre d'autres. Si on n'a pas un niveau à peu près équivalent notamment dans l'échange d'informations, on va avoir de gros problèmes, simplement parce qu'on ne peut pas envoyer par exemple en Valais des détenus dont on n'aurait pas une partie du dossier médical à mettre à disposition de l'administration pénitentiaire valaisanne. Imaginez: à ce moment-là, les Valaisans ne souhaiteraient plus prendre les détenus genevois, parce qu'on ne saurait pas à quel degré de dangerosité ils auraient été évalués; et réciproquement, imaginez que l'on accueille ici les détenus d'autres cantons dont on ne pourrait pas remplir les conditions exigées par ces cantons-là s'agissant de l'évaluation de la dangerosité. Le premier argument, qui est central et qui explique la chronologie, Monsieur Zaugg, c'est celui-là: sur fond de différentes affaires qui ont défrayé la chronique, ce débat était nécessaire, et nous avons apporté des réponses uniformes.
C'est l'occasion ici de tordre le cou à un deuxième élément. Les lectures du rapport sont différentes, semble-t-il. Très clairement, entre le premier projet de loi, dont nous reconnaissons volontiers que ce n'était pas un bon texte, et le deuxième, amendement général du Conseil d'Etat déposé et adopté avec quelques modifications, il y a un monde. Aujourd'hui, aussi bien le procureur général que le président du TAPEM, que plusieurs médecins - je veux en citer ici un qui dépend en partie de mon autorité, le professeur Giannakopoulos, chargé de l'exploitation du complexe Curabilis - ont dit que c'était un bon projet de loi, parce qu'il clarifiait les choses, parce qu'il permettait de sortir de l'ambiguïté. C'est noir sur blanc, il ne faut pas comparer la discussion précédente avec la discussion actuelle, sur le texte actuel.
Cette initiative, Mesdames et Messieurs, présente trois défauts: elle est biaisée, elle est confuse et elle est idéologique. Tout d'abord, elle est biaisée par le fait même qu'il s'agit d'une initiative, alors que les médecins auraient pu saisir l'arme du référendum et montrer ainsi qu'ils n'avaient pas peur de poser la question à la population. A la suite du vote de la loi en février 2016 par ce parlement survient une initiative. C'est inédit ! Cette initiative vise à rétablir le statu quo ante, mais en le péjorant, et là, je souligne l'honnêteté des représentants socialistes et des Verts, qui ont dit eux-mêmes - il me semble que c'était M. Mizrahi - que la confusion entre expert et thérapeute n'était pas excellente, mais qu'on pouvait passer dessus et tout de même voter l'initiative. Non !
M. Cyril Mizrahi. Ce n'est pas ça que j'ai dit ! (Commentaires.)
M. Pierre Maudet. C'est ce que j'ai compris. Du moins, en soulignant ici les défauts de l'initiative, ils montrent à quel point on a dévoyé le processus démocratique, qui consiste simplement, si l'on n'est pas d'accord avec une loi, à déposer un référendum. Par chance, il y a besoin de moins de signatures ! Pourquoi ne l'ont-ils pas fait ? Le problème de cette initiative, c'est que dans l'intervalle, la loi est entrée en vigueur, elle déploie ses effets depuis huit mois; je n'ai pas connaissance - on verra ce que dit mon collègue, et vous pouvez interroger les spécialistes et les experts - d'une difficulté croissante à recruter des médecins dans ce domaine; en tout cas, depuis huit mois, on n'a pas eu de difficultés à en recruter, notamment pour les nouvelles unités ouvertes à Curabilis, et les choses se passent très bien, elles se passent même mieux qu'avant, puisque maintenant, l'information circule, les médecins saisissent d'eux-mêmes la commission de levée du secret et induisent ainsi le processus que le parlement a voulu en février 2016. Cette initiative est donc biaisée parce qu'elle utilise un autre outil démocratique que l'outil prévu, celui du référendum - concrétisant, pour moi, une forme d'abus de droit - et, Mme Flamand l'a dit tout à l'heure, la vraie question est: retourne-t-on au statu quo ante ou confirme-t-on cette loi-là, et non une solution intermédiaire qui est celle de l'initiative, confuse précisément sur la question des experts et des thérapeutes, et qui amènera des difficultés nouvelles ?
Cette initiative, ensuite, est très idéologique, et c'est ce que je lui reproche, Mesdames et Messieurs. Depuis huit mois, l'administration fonctionne, et fonctionne bien avec le nouveau système; elle fonctionne même très bien. Par ce mécanisme un peu tarabiscoté, mais voulu à l'époque par la commission, qui consiste non pas à lever automatiquement le secret de fonction, mais, par une demande motivée, à saisir la commission de levée du secret, et donc à reporter sur cette commission la responsabilité ultime du médecin qui précédemment était écrasante, elle permet d'étudier les cas beaucoup plus sérieusement, avec de la distance, avec ce double regard que nous voulons tous voir appliquer aujourd'hui dans l'évaluation de la dangerosité des détenus, après l'affaire Adeline, précisément; elle induit ce mécanisme qui aujourd'hui protège mieux la société.
Avant de donner la parole à mon collègue, j'aimerais vous dire ici encore un mot, Mesdames et Messieurs, sur cet argument que j'ai entendu, à savoir que par un effet de tache d'huile, on étendrait le système de la levée du secret professionnel des médecins aux avocats. Mais s'il vous plaît, un peu de sérieux ! De quoi parle-t-on ? On n'a jamais demandé aux avocats d'évaluer la dangerosité de leurs clients. (Commentaires.) Par définition, par nature même, les avocats défendent leurs clients, et personne ne va imaginer... Comparer le médecin à l'avocat dans le contexte de personnes condamnées - on parle bien ici de personnes condamnées, non de l'ensemble de la population - est une ineptie qui montre à quel point les partisans de cette initiative sont dépourvus d'arguments.
J'aimerais donc formellement vous demander, Mesdames et Messieurs, de rejeter cette initiative pour que, le cas échéant, le peuple puisse trancher. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Si d'aventure vous souhaitez un contreprojet, bien évidemment, nous, Conseil d'Etat, accepterons d'en discuter en commission; mais de grâce, faites en sorte qu'on puisse considérer avec le recul que représentent quelques mois, et si possible une année, les effets bénéfiques de cette loi. Je m'arrête ici et laisse la parole à mon collègue. (Commentaires.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. (Commentaires. Remarque.) Non, Monsieur Mizrahi, vous avez épuisé le temps de votre groupe, autrement, je vous aurais laissé trente secondes. La parole est maintenant à M. le conseiller d'Etat Poggia.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Monsieur le président, je voulais d'abord dire que le but est de garder une relation de courtoisie entre le Conseil d'Etat et votre parlement; le Conseil d'Etat doit évidemment ne pas abuser de son droit de parole, je ne crois pas que mon client... que mon collègue... (Hilarité. Applaudissements. L'orateur rit.) J'aurais pu dire mon patient ! Je ne crois pas que mon collègue ait abusé de son temps de parole par des propos qui n'étaient pas pertinents. Je n'abuserai pas, Monsieur le président. Simplement, pour l'aspect médical, je vous dirai que le débat auquel nous avons assisté ici a quelque chose d'irrationnel. A mon sens, nous sommes tous d'accord: je n'ai entendu personne contester le fait que le secret professionnel, dont fait partie le secret médical, soit un des fondements, un des piliers de notre société démocratique. Le Conseil d'Etat le premier le dit et le répète ici, à supposer qu'il y ait eu un doute à ce sujet. Je n'ai entendu personne non plus contester le fait que la société doive à un moment donné se protéger contre des criminels dangereux condamnés - je répète: criminels dangereux condamnés, je ne le répéterai jamais assez. On ne parle pas ici d'un condamné à Champ-Dollon qui se casse la jambe au football et qui ferait des déclarations à son médecin orthopédiste sur des faits passés ou futurs.
Comment faire en sorte, donc, que ces deux principes sur lesquels nous sommes finalement tous d'accord puissent s'articuler dans le respect l'un de l'autre, en protégeant à la fois l'individu-patient qu'est le condamné détenu, qu'il reste, et la société qui, à un moment donné, doit se protéger ? Nous avons dans notre droit pénal un principe que nous saluons tous, selon lequel nous partons de la présomption que les personnes considérées comme malades par la justice sont en principe guérissables; le terme «curabilis» le dit d'ailleurs bien. Ce ne sont pas des personnes définitivement perdues pour la société - il y en a certaines, mais il faut alors que la justice le dise clairement. Sinon, nous partons de l'idée que ces personnes sont récupérables. Pour savoir si elles sont récupérables, il faut savoir si, à un moment donné, elles peuvent véritablement retourner dans la société sans risque pour elles. Bossuet disait que Dieu se rit de ceux qui déplorent les causes dont ils chérissent les effets; je pense que nous devons bien être conscients ici qu'on ne peut pas à la fois vouloir que la société soit protégée et dire simultanément que le médecin qui intervient sur une base institutionnelle dans le cadre d'un établissement pénitentiaire est un médecin comme les autres. Nous ne parlons pas d'un médecin de cabinet librement choisi par le patient; nous parlons de médecins désignés et mandatés par la société, par la justice, par l'intermédiaire des Hôpitaux universitaires de Genève, avec un mandat de soigner ces patients, dans toute la mesure du possible, pour qu'un jour ils puissent revenir dans la société. Quand je lis le titre de cette initiative, «Garantir le secret médical pour tous protège mieux la société», si on entend par là: «garantir de manière absolue le secret médical pour tous, y compris pour les criminels dangereux condamnés, protège mieux la société», je dis non; je dis non, la société doit pouvoir se protéger à l'égard de ces personnes, raison pour laquelle il faut trouver un juste milieu. Nous considérons que le droit actuel est ce juste milieu, même si tout est perfectible, ce pour quoi le Conseil d'Etat n'a pas d'objection absolue à ce que la discussion se poursuive dans le cadre d'un éventuel contreprojet.
J'ai entendu dire par Mme le deuxième rapporteur de minorité que les médecins sont mieux placés que tout le monde ici pour savoir quelles sont les limites qu'ils doivent s'imposer eux-mêmes; je le dis avec le plus grand respect que j'ai pour le corps médical, le principe que vous énoncez serait transposable au domaine des tarifs: qui mieux qu'un médecin peut apprécier la valeur du travail qu'il fait ? Pourtant, vous le savez, nous essayons de contenir les coûts de la santé, et nous ne demandons pas aux médecins de fixer eux-mêmes le prix de leurs prestations, qui sont bien sûr de très grande qualité. (Commentaires.)
Pour conclure, Mesdames et Messieurs les députés, je vous dirai simplement ceci: battez-vous pour ces principes, qui sont tout à fait louables; mais battez-vous d'abord et en priorité pour les citoyens et la population de ce pays, qui, quotidiennement, elle, fait l'objet - on l'a dit - de violations du secret médical. Se battre avec une vision jusqu'au-boutiste, comme on le fait ici, pour des criminels dangereux condamnés, pour faire en sorte que finalement l'information nécessaire, la plupart du temps en leur propre faveur, ne puisse pas arriver aux organes décisionnels, est un mauvais combat, c'est un combat qui ne protège pas la société et qui, in fine, ne protège pas celles et ceux que vous voulez précisément protéger. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous allons maintenant voter sur cette initiative. Je vous signale que nous avons un petit problème informatique; nous avons demandé à M. Bugnion d'occuper la place de M. Lefort, et M. Lefort votera ici, à la tribune.
Mise aux voix, l'initiative 159 est refusée par 47 non contre 44 oui et 4 abstentions.
Le président. Nous allons maintenant procéder au vote sur le principe d'un contreprojet.
Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est accepté par 53 oui contre 17 non et 24 abstentions.
Le rapport IN 159-B est renvoyé à la commission judiciaire et de la police.