Séance du
jeudi 17 mars 2016 à
17h
1re
législature -
3e
année -
2e
session -
6e
séance
PL 11506-A
Premier débat
Le président. Nous entamons notre ordre du jour avec le PL 11506-A. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole.
M. Jean-Luc Forni (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il n'y a pas de loi fédérale sur l'aide sociale. La Confédération ne définit donc pas un montant minimal d'aide sociale. La loi cantonale ne le fait pas non plus. Le canton de Genève applique dans une large mesure les normes CSIAS, la Conférence suisse des institutions d'action sociale. Ainsi, le forfait de base de l'aide sociale a été scindé en deux, à savoir le forfait de base et le supplément d'intégration. A la base de ce projet de loi, on trouve la décision du Conseil d'Etat de diminuer le supplément d'intégration de moitié et la volonté de créer un fonds avec l'argent économisé pour soutenir ceux qui ont les moyens et la volonté de revenir sur le marché du travail. Le but de ce texte n'est donc pas d'ouvrir le débat sur tous les éléments de l'aide sociale mais de faire en sorte que les montants de celle-ci ne puissent plus être modifiés par le Conseil d'Etat par voie réglementaire; il s'agit donc de les inscrire dans la loi. L'indexation des prestations sociales au coût de la vie ainsi que l'indexation des loyers sont aussi prévues dans ce projet de loi qui a généré des discussions nourries au sein de la commission et avec le conseiller d'Etat chargé du DEAS.
Les auteurs de ce projet de loi indiquent avoir profité de ce projet de loi pour rappeler un élément essentiel: la nécessité d'indexer les prestations d'aide sociale qui ne l'ont été qu'une seule fois depuis l'entrée en vigueur de la LASI, avant qu'elle ne devienne par la suite la LIASI. Ainsi, les prestations n'ont augmenté pour le forfait de base que de 17 F - soit de 1,8%, selon les auteurs du projet de loi - alors que l'indice du coût de la vie a quant à lui augmenté de 4%.
Les auteurs du texte précisent aussi qu'au niveau des loyers et des montants des maxima pris en compte dans le calcul des prestations d'aide sociale, il n'y a pas eu d'augmentation depuis 2001, alors même que depuis lors les loyers ont augmenté sensiblement. Ce projet de loi consistant principalement en un transfert du contenu du règlement d'application dans la loi, la majorité des commissaires ont déclaré que tout en entendant les arguments de la gauche, ils ne pouvaient pas accepter que le Conseil d'Etat ne puisse pas se prononcer par voie réglementaire, et qu'ils tenaient à ce que le Conseil d'Etat puisse toujours disposer d'une certaine marge de manoeuvre. La majorité des commissaires ont aussi souhaité que l'on ne fige pas la LIASI de la sorte, afin que le Conseil d'Etat puisse être réactif et agir si cela lui semble nécessaire. Sans la voie réglementaire, il ne lui sera pas possible de le faire.
A une large majorité, la commission des affaires sociales a donc décidé de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi 11506. Il a paru en effet téméraire à une grande majorité des commissaires de retirer au gouvernement ses prérogatives et ses outils de travail lorsqu'une de ses décisions n'est pas acceptée par une partie du parlement. Rappelons-le encore une fois, ce texte ne voulait pas ouvrir le débat sur toutes les composantes de l'aide sociale, mais souhaitait éviter qu'à l'avenir le Conseil d'Etat puisse continuer de modifier par voie réglementaire les différents montants des composantes de l'aide sociale en fonction de la situation du moment. Retirer au gouvernement son outil de travail, c'est l'empêcher de gouverner. Le budget de l'action sociale a augmenté de 30 millions ces dernières années; on assiste à 62% d'augmentation des dossiers d'aide sociale depuis cinq ans. L'aide sociale augmente car le nombre de bénéficiaires augmente. La question est avant tout de savoir comment répondre à cette situation en contenant les hausses. La période est difficile, il convient de prendre des décisions responsables. Genève reste malgré tout parmi les cantons les plus généreux dans l'application des normes CSIAS, malgré la réduction acceptée par le Grand Conseil du supplément d'intégration de 300 F à 225 F et même s'il est plus strict en ce qui concerne le barème jeunes ou celui des sanctions.
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Jean-Luc Forni. Je termine, Monsieur le président. Même si les commissaires ont entendu les arguments des signataires de ce projet de loi, il est apparu à la grande majorité d'entre eux qu'il ne constituait pas une bonne réponse à la problématique ainsi posée, et ils vous demandent de les suivre dans le refus d'entrer en matière. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Vous avez entamé quelque peu le temps de votre groupe. Je passe la parole à Mme la rapporteure de minorité.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit, avec ce projet de loi, de considérer que le minimum vital est un concept particulièrement clair et qu'il ne peut ni ne doit en aucun cas devenir une variable d'adaptation budgétaire ou un élément de régulation de l'augmentation des coûts d'assistance. Pour nous, très clairement, il apparaît que la marge de manoeuvre dont dispose le Conseil d'Etat sur toute une série d'objets ne peut, en ce qui concerne le minimum vital, s'appliquer de la même manière. Je dirais que le minimum vital est une chose trop importante pour qu'on la laisse à l'ombre des officines du Conseil d'Etat. Si ce minimum doit être modifié, cela doit faire l'objet d'un débat démocratique; ce changement doit pouvoir être saisi d'un droit de référendum, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, par le fait que les montants de l'aide sociale figurent uniquement dans un règlement d'application. Il faut encore peut-être amener une précision sur un sujet souvent évoqué: Genève serait l'un des cantons les plus généreux en matière d'aide sociale. On nous a assené cette pseudo-vérité à de multiples reprises; or, aujourd'hui, il est avéré que ce n'est pas le cas. En ce qui concerne le barème jeunes ou même le barème des sanctions... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...Genève est un des cantons les plus sévères.
La proposition contenue dans ce projet de loi vous invite à inscrire les montants de l'aide sociale dans la loi sur l'aide sociale, de sorte que ce parlement puisse, à chaque fois que le Conseil d'Etat voudra diminuer les prestations aux usagers, mener un réel débat sur ce qu'est la pauvreté à Genève, combien il faut pour vivre correctement, conformément aux dispositions contenues dans la constitution genevoise. Pour terminer, je dirais, pour reprendre le rapport de minorité, que prises à l'ombre d'un règlement d'application, les décisions du Conseil d'Etat en matière d'aide sociale, énoncées dans ce rapport ou le projet de loi, n'ont pu faire l'objet de débats, pas plus d'experts que démocratiques. Ce n'est de loin pas leur moindre défaut. Ce mode de faire en sourdine exclut de l'espace public la gestation et l'élaboration de la politique sociale. Elle l'acquitte subrepticement de l'épreuve de la vérification et de la mesure de son opportunité, de son adéquation à l'usage auquel elle est destinée. Aussi, parce que, comme l'indiquait l'un des titres du projet de loi, «un règlement d'application, c'est pratique, mais une loi, c'est démocratique», la minorité vous invite à accepter l'entrée en matière.
M. Christian Frey (S). Le groupe socialiste vous invite à entrer en matière sur ce projet de loi, tout simplement parce que depuis le début de cette législature, à petites touches, doucement... (Brouhaha.) ...le responsable du DEAS nous amène des économies supplémentaires. Il y en a eu six, à ma connaissance. Souvent, avec ces propositions d'économies, on recule un petit peu, on avance un petit peu... Non, on n'avance jamais, excusez-moi ! On recule systématiquement. Par rapport à cela, il s'est instauré une méfiance vis-à-vis du président du DEAS. Est-ce que les personnes qui sont au minimum vital sont les seules qui vont devoir compenser les économies qu'il faut faire pour sauver Genève ? Encore que «sauver Genève», c'est un grand terme.
Les questions posées au magistrat au cours de ces longues discussions à la commission des affaires sociales sont les suivantes: comment allez-vous continuer ? Quelle est la suite ? Qu'est-ce que vous allez faire avec les discussions autour des nouvelles normes de la CSIAS ? Allez-vous continuer à grignoter tout ce qui est attribué à l'aide et aux prestations sociales ? La réponse a été, à l'époque: on va voir ce que donneront les votations de février, et ensuite on verra. Lors des votations de février, deux référendums ont été refusés, un a abouti; nous ne savons pas ce qui va se faire. A ce moment-là s'installe, pour notre groupe, une méfiance très claire par rapport au DEAS; on se dit: jusqu'où va-t-on aller à petites touches, en grignotant ? C'est la raison pour laquelle nous vous incitons à accepter d'entrer en matière sur ce projet de loi, parce qu'effectivement, il garantit un débat démocratique ici et des possibilités de référendum auprès de la population, et que dans ce sens-là, tout le monde va pouvoir assumer la responsabilité de grignoter dans ce domaine.
Je ne vais pas développer à nouveau l'argument déjà mentionné par la rapporteuse de minorité qui consiste à dire qu'il faut absolument mettre fin à ce mythe selon quoi le canton de Genève est beaucoup plus généreux que les normes de la CSIAS. C'est tout simplement faux ! Si l'on prend par exemple le barème jeunes, la somme attribuée aux 18-25 ans est carrément de 50% inférieure à ce que recommande la CSIAS. Où est la générosité ? En ce qui concerne les sanctions, elles aussi représentent pratiquement le double en durée et en diminution des prestations de ce que propose la CSIAS. Alors arrêtons de grignoter, de démanteler les prestations sociales que Genève accorde aux personnes qui en ont le plus besoin. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, avec courage et détermination, il s'agit d'entrer en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Genève fait actuellement un effort considérable pour l'aide sociale. Il y a des hausses de budget qui sont elles aussi considérables, des dizaines de millions supplémentaires payés par le contribuable, et on a raison de les payer, il est bien qu'on les paie, il est bien que nous fassions preuve de générosité. Le problème actuel de notre système est qu'il est déjà trop rigide: il y a des normes, mais comme ce système ne marche pas, on a laissé aux communes le soin de donner des aides ponctuelles quand quelqu'un a un petit problème, qu'il ne peut pas payer sa caisse maladie ou a un pépin de la vie comme cela arrive. Cette rigidité est le gros problème. La commune travaille de manière subsidiaire, bouche un peu les trous, et a raison de le faire, quoiqu'il n'y ait aucune obligation pour les communes, ce qui est un gros problème actuel du système. On se retrouve finalement face à quelque chose de très rigide. Cette rigidité, avec de bonnes intentions, certes... Nous n'allons pas mettre en cause les intentions des auteurs de ce projet de loi, il y a même peut-être trop de bonnes intentions, quelque part; on arrive à quelque chose de très rigide. Nous pensons donc que ce n'est pas une bonne chose que d'inscrire dans la loi des éléments qui doivent être réglementaires. C'est quelque chose qui à notre sens ne doit pas y entrer, d'autant plus que nous avons d'autres moyens d'agir, ne serait-ce que par des motions ou des résolutions, voire par la voie budgétaire, pour augmenter des montants en cas de pingrerie du Conseil d'Etat qui s'exprimerait sur un élément ou un autre. Je vois M. Longchamp qui dément - vous transmettrez, Monsieur le président - cette pingrerie du Conseil d'Etat; après, c'est vrai qu'il y a aussi un budget à boucler, c'est aussi une réalité qu'il ne faut pas oublier. C'est certain qu'il y a un élément contradictoire dans ces deux aspects; il est certain qu'on doit essayer de trouver des solutions. C'est ce que, j'imagine, chacun essaie de faire. Mais je pense que l'idée de la rigidité est mauvaise, et c'est pour cela que le groupe MCG vous demandera de refuser ce projet de loi.
Mme Frédérique Perler (Ve). Les Verts vous invitent, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir ce projet de loi et à le voter, et donc à soutenir le rapport de minorité. En effet, comme cela a déjà été expliqué ces dernières minutes, le minimum vital est une base à préserver, le minimum vital est intangible. A cet égard, la marge de manoeuvre accordée au Conseil d'Etat par voie réglementaire ne peut pas s'appliquer dans le cadre de la loi sur l'aide sociale et l'insertion. Pourquoi ? En raison, comme il a été expliqué, des baisses successives qui ont eu lieu depuis l'année 2006 et grignotent au fil du temps le minimum vital des personnes à l'aide sociale. Dans cet esprit-là, c'est une rupture du contrat social, et nous estimons qu'à cet égard, il s'agit de ne rien modifier sans ouvrir un débat démocratique au sein de ce Grand Conseil. Ça, c'est une première chose. Deuxième chose, il s'agit aussi, tout en préservant la politique sociale menée jusqu'ici, de prendre nos responsabilités, chers collègues, par une proposition de modification de décisions qui nous viendraient du Conseil d'Etat.
Enfin, on a évoqué le fait que l'aide sociale augmentant parce que les demandeurs augmentent, comme cela a été expliqué dans le rapport de minorité, il faudrait peut-être aussi interroger notre société, notre rapport à l'emploi, le développement de l'économie, ces personnes qui sont exclues, et surtout, Mesdames et Messieurs les députés, les reports de charge successivement imposés soit par la loi sur le chômage, soit par l'assurance-invalidité, et j'en passe. Toutes ces mesures d'économies sur le plan fédéral ont amené les cantons à devoir assumer encore plus de personnes qui sont exclues du marché du travail, exclues des assurances sociales et se retrouvent à l'aide sociale. Il ne s'agit pas, et il n'est pas question pour les Verts de leur faire porter le poids de l'augmentation de leur nombre et le poids de ces décisions prises par les Chambres fédérales en diminuant le minimum d'aide sociale dont ils ont pu bénéficier jusqu'ici, et nous tenons à ce que soit ouvert un débat démocratique sur ces questions à chaque fois que cela sera nécessaire, ce qui permettra également à la population de se prononcer par voie référendaire. Je vous remercie donc de soutenir ce projet de loi.
M. Marc Falquet (UDC). Le rapporteur de majorité a parlé des bonnes questions à poser. Effectivement, il s'agit déjà de voir la situation sociale, la situation de l'emploi à Genève: 22 000 personnes à l'Hospice général, chaque jour de nouvelles personnes perdent leur emploi, chaque jour de nouvelles personnes doivent être assistées, doivent être prises en charge; 16 500 demandeurs d'emploi, plus au moins 15 000 personnes qui vivent chez leurs parents parce qu'elles ne savent pas quoi faire. Il y a au moins 50 000 personnes à Genève qui ne travaillent pas. (Remarque.) 100 000, me dit-on à droite; au moins 50 000, ça, c'est clair. La question n'est pas d'être pingre ou généreux; si le nombre de personnes assistées augmente, à un moment donné, il faudra bien décider soit de diminuer les prestations, soit d'aller chercher de l'argent ailleurs au niveau de l'Etat. Il faudra donc de toute façon prendre de l'argent quelque part. La question, ce n'est pas tellement ça; la question, c'est: comment faire pour que chacun puisse trouver une place dans la société ? Ma collègue a parlé de personnes exclues du marché du travail. Mais il faut savoir que personne n'est exclu du marché du travail: elles sont exclues simplement parce que quelqu'un les exclut, parce qu'on les exclut ! Et qui les exclut ? La plupart du temps, ce sont les employeurs, évidemment... (Commentaires.) Non, je n'ai pas dit ces salauds d'employeurs ! Non, il y a des employeurs qui prennent leurs responsabilités. Mais à un moment donné, on devra effectivement demander aux employeurs qu'ils prennent leurs responsabilités... (Remarque.) ...et au lieu de débaucher les Suisses pour employer des Français à moitié prix, qu'ils favorisent quand même l'emploi local, et surtout qu'ils arrêtent de licencier des Suisses - encore cette semaine, deux personnes m'ont dit qu'elles se sont fait débaucher et remplacer par des Français. C'est inadmissible !
Il y a également la responsabilité de l'Etat. On voit que l'Etat fait quand même, maintenant, des efforts pour engager en priorité des Genevois, et nous en remercions le Conseil d'Etat. Si on veut que le chômage diminue, évidemment qu'il faut considérer en premier les gens qui sont à l'Hospice général et ceux qui cherchent des emplois, les employés en priorité. Ça ne sert donc à rien de brider le Conseil d'Etat, les véritables questions sont: comment faire pour insérer ces gens ? Comment faire en sorte qu'ils retrouvent un travail ? Et c'est surtout, je le répète, la responsabilité des employeurs. Pitié, parce qu'un jour ou l'autre, on va devoir sévir envers les employeurs ou les taxer, puisque chaque fois qu'ils emploient un Français, ils chargent la barque de l'Etat, et c'est le contribuable qui subit les conséquences ainsi que les Genevois. Merci, donc, de refuser évidemment ce projet de loi, dont l'intention et les soucis qu'il reflète sont justes, mais qui ne propose pas les bonnes réponses.
M. Serge Hiltpold (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, je vous demanderai bien évidemment, au nom du PLR, de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi et de suivre le rapport de majorité très fourni de M. Forni, notamment pour les raisons suivantes: d'abord, ce débat est assez récurrent. Au sein de ce parlement, lorsque des éléments ne nous plaisent pas, on se prémunit contre des compétences qui appartiennent au Conseil d'Etat, et je ne crois pas que ce soit une politique très institutionnelle. Il faut veiller avec équité à l'équilibre des trois pouvoirs - je pourrais presque parler des quatre pouvoirs, parce qu'on observe avec le temps la Cour des comptes devenir presque un quatrième pouvoir, notamment si on prend en considération qu'elle revoit les comptes de l'Etat, mais c'est un autre débat. Ensuite, pourquoi la voie réglementaire ? Pour que le Conseil d'Etat fasse son travail d'exécutif et ait la marge de manoeuvre de gestion de ce budget. Je citerai notamment des propos tenus par le magistrat Mauro Poggia en commission, à la page 21 du rapport de M. Forni: «M. Poggia rappelle que les normes CSIAS prévoient un montant entre 100 F et 300 F pour le supplément d'intégration. La variation se fait en fonction de ceux qui s'engagent de manière volontaire et active pour un retour vers l'emploi.» Cette marge d'appréciation permet notamment la mise en place de programmes CAP Formations pour des jeunes pour cibler davantage...
Une voix. Ben voilà !
M. Serge Hiltpold. ...dans certaines prestations, et je pense que c'est un choix juste et légitime. Lorsqu'on procède à des comparaisons intercantonales, pour mon collègue Barrillier, ou à du «benchmarking»...
Une voix. Euh là là !
M. Serge Hiltpold. ...pour mon collègue Patrick Saudan...
La même voix. Euh là là !
M. Serge Hiltpold. ...on voit que Genève est tout à fait dans la cible, puisqu'elle accorde 225 F dans le cadre d'une fourchette allant de 100 F à 300 F. La problématique ne consiste absolument pas à dénigrer ces prestations, mais on se pose toujours les mêmes questions notamment dans le débat qu'on aura sur RIE III: qu'est-ce qu'on peut donner de plus ? On voit systématiquement qu'à Genève, on donne toujours plus que dans les autres cantons suisses. Lorsqu'on en vient à des débats de fond, comme RIE III, les allocations familiales sont déjà données; les suppléments d'intégration sont déjà donnés. Qu'est-ce qu'on peut donner de plus ? Je vous demande de rester dans la politique de la raison, une politique équitable, de soutenir le rapport de majorité et de refuser d'entrer en matière sur ce projet de loi.
M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe démocrate-chrétien n'entrera pas en matière, non pour évacuer le débat de fond, nous sommes tout à fait d'accord qu'il y a un débat à mener sur les aides sociales; mais je pense que ce débat a déjà lieu chaque année lors du budget. Nous pourrions entrer en matière sur ce projet de loi s'il n'y avait pas de discussion possible, si le Conseil d'Etat rendait des oukases sans aucun débat au parlement. Mais chaque année, nous avons un débat sur des propositions du gouvernement, que nous acceptons ou refusons. Il n'y a donc pas besoin d'inscrire cela dans une loi: vous pouvez refuser, faire un référendum, vous y opposer; toutes les voies légales, démocratiques, restent tout à fait ouvertes. Mais je soutiens ce qu'a dit M. Hiltpold: il ne faut pas mélanger les pouvoirs; on recommence à vouloir prendre la place du Conseil d'Etat, à vouloir prendre son pouvoir d'instance décisionnaire sur la prérogative d'établir un budget. Si on n'est pas d'accord avec le budget, on le vote ou non, on peut faire un référendum, décider des tas de choses; mais laissons au Conseil d'Etat cette possibilité de travailler, ne le remplaçons pas. Je vous remercie.
M. Olivier Baud (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, c'est toujours un peu la même histoire qui se joue, et cette scénette se joue souvent ici: les pauvres, les personnes qui sont dans le besoin ont l'immense défaut d'être trop nombreux, et quand il s'agit de leur accorder une aide, elle coûte toujours trop cher; quand il s'agit de les ponctionner, là, il n'y a aucune retenue pour la majorité de ce Grand Conseil, bien entendu. Ensemble à Gauche soutient ce projet de loi, rappelle que s'il existe, c'est parce que les prestations n'ont pas cessé de diminuer, contrairement aux propos de M. Hiltpold - vous transmettrez, Monsieur le président: on ne donne pas toujours plus, non, on donne toujours moins ! Je vais m'arrêter là pour laisser du temps à notre excellente rapporteuse de minorité, et je vous remercie d'entrer en matière sur ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député François Baertschi pour une minute trente-sept.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Pourquoi une telle pauvreté, pourquoi une telle précarité à Genève ? Ce n'est pas un hasard, il suffit de voir le forum transfrontalier de recrutement qui a lieu aujourd'hui à Archamps, où l'on va piquer le travail des Genevois. 250 postes sont réservés aux frontaliers de l'autre côté de la frontière. Le délégué aux affaires internationales va là-bas pour favoriser ce recrutement hors de nos frontières; l'IFAGE, également - subventionné par Genève - est présent. (L'orateur montre un document publié par l'IFAGE.) On va former des frontaliers à Genève directement parce qu'on ne veut pas former les personnes qui se trouvent ici dans la précarité. La HES-SO est aussi présente, donne ce genre de documentation... (L'orateur montre un document publié par la HES-SO.) ...«Programme romand HES-SO de formation à l'insertion professionnelle». En fait, Genève participe à l'insertion professionnelle des frontaliers. C'est délirant ! En plus de ça, il y a certains journaux transfrontaliers, avec le visage de Mme Emery-Torracinta... (L'orateur montre un journal avec la photo de Mme Anne Emery-Torracinta sur la couverture.)
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. François Baertschi. ...et une publicité pour la Fondation des parkings. La pauvreté que nous avons à Genève a aussi des causes très précises, et je crois qu'il faut s'attaquer à la cause du problème et ne surtout pas tolérer... J'espère que le Conseil d'Etat va lui-même réagir et s'opposer à ce genre de pratiques vraiment intolérables à Genève, parce qu'on ne peut pas continuer à se laisser dépouiller entièrement de nos places de travail comme on est en train de le faire. Il y avait sur le parking d'Archamps des centaines de voitures ! C'est vraiment une situation où l'on veut détruire notre société. Je vous remercie, Monsieur le président. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Marc Falquet pour une minute et sept secondes.
M. Marc Falquet (UDC). Merci, Monsieur le président. Si l'Etat veut vraiment développer une politique de l'emploi et de solidarité, c'est assez simple - là, on parle bien de solidarité - il faut partager le travail, c'est-à-dire qu'il doit développer le travail à temps partiel pour la majorité des gens. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Vu les salaires très élevés à l'Etat, ça ne posera pas de problème et ça fera gagner énormément d'emplois. Donc, développer le temps partiel à l'Etat, le favoriser au maximum. Merci beaucoup.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai l'impression qu'on s'éloigne du sujet. Il s'agissait simplement de garantir qu'un débat démocratique puisse avoir lieu lorsque sont déterminées des choses aussi importantes que la définition du minimum vital, de ce qu'il faut pour vivre à Genève pour les plus pauvres. Cela étant, je ne pense pas qu'on puisse imputer la dégradation de la situation économique et sociale dans notre canton aux frontaliers: les causes sont multifactorielles, il faudrait peut-être un peu réfléchir avant de proférer un certain nombre d'âneries.
Je constate que les pauvres augmentent dans notre canton, c'est une vérité: 62% d'augmentation en cinq ans, il y a de quoi s'alarmer. La véritable question, c'est non pas de savoir comment on pourrait leur donner moins pour maîtriser les coûts, mais comment on pourrait supprimer les causes de la précarité et travailler sur l'insertion. Mais c'est là un autre débat, et j'aimerais bien qu'on y vienne une fois sérieusement, parce qu'à chaque fois qu'on en parle, des lieux communs sont assenés, et chacun croit détenir la vérité, alors qu'en fait, il n'a qu'une connaissance très approximative de ce thème.
J'aimerais insister sur un aspect piquant, tout de même, du débat que nous avons aujourd'hui. Certains dans ce Grand Conseil viennent nous dire qu'avec ce projet de loi, on muselle le Conseil d'Etat, on lui enlève des compétences. Je remarque simplement qu'une partie de ceux-là, une bonne trentaine, n'ont pas hésité à signer un projet de loi qui demandait l'instauration d'un droit de veto, notamment sur la question des règlements d'application. Alors je demande à ces personnes de se montrer conséquentes, parce qu'il s'agit là non pas d'instituer un droit de veto, mais d'instaurer un débat démocratique qui permette de faire toute la lumière sur des préoccupations telles que la définition du minimum vital.
Par ailleurs, il faudrait préciser un point. Tout le monde dit que la préoccupation est pertinente, mais que l'outil n'est pas le bon; on nous dit qu'il existe toute sorte d'autres lieux où ces questions pourraient être débattues, notamment la commission des finances. Mais que je sache, les décisions relevant d'un règlement d'application ne sont pas discutées dans cette commission. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Ce sont les budgets affectés à telle ou telle ligne qui le sont, mais pas les décisions relevant des règlements d'application. Je pense donc que les personnes qui estiment qu'il y a peut-être un moyen de toucher cette problématique par ce biais se trompent, et elles feraient mieux, notamment sur un sujet comme celui-là, d'entrer en matière sur ce que nous demandons, à savoir de fixer les chiffres du minimum vital dans la loi. Je vous remercie de votre attention. (Quelques applaudissements.)
M. Jean-Luc Forni (PDC), rapporteur de majorité. Sans vouloir entrer dans le débat de fond sur l'aide sociale, le problème prédominant, on l'a dit à plusieurs reprises, est la séparation des pouvoirs. On ne peut pas essayer d'enlever au Conseil d'Etat son pouvoir chaque fois qu'il prend une décision, si celle-ci ne plaît pas à la majorité du parlement. Notre gouvernement a une moyenne d'âge basse, ce serait une erreur de le mettre en retraite anticipée en lui enlevant ses outils de travail, et cela n'arrangerait d'ailleurs pas la caisse de pension du personnel de l'Etat. Je vous remercie.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce qui vient d'être dit est frappé au coin du bon sens: en effet, vous ne voudriez pas nous envoyer en retraite anticipée pour faire notre travail à notre place ! Trêve de plaisanterie, nous avons ici une technique législative un peu particulière. Il va de soi que pendant toute législature, vous êtes confrontés à des modifications réglementaires qui ne satisfont pas l'un ou l'autre groupe politique. Si la conséquence de cette contestation est le dépôt automatique d'une loi qui vise à intégrer dans la loi le règlement dont la modification ne vous satisfait pas, vous imaginez que nous aurons alors un arsenal législatif surdimensionné, avec un pouvoir de manoeuvre du Conseil d'Etat qui sera celui de hauts fonctionnaires, personnes pour qui j'ai le plus grand respect, mais qui ne sont pas élues par la population pour gouverner notre république. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Je pense donc qu'il y a déjà largement à redire sur le moyen que vous mettez en oeuvre.
Parlons maintenant du fond. A vous entendre, Mesdames et Messieurs qui soutenez ce texte, on a l'impression que Genève est en train de dépecer les prestations sociales et que nous en sommes finalement à réduire nos plus démunis à la portion congrue. Je vous rappelle tout de même que si l'on prend l'évolution des sommes investies pour l'aide sociale, entre 2010 et 2014 - une petite fourchette, donc - on observe qu'en 2010, nous avions 186 millions pour 8000 dossiers en moyenne. En 2014, il s'agit de 271 millions - donc un passage de 186 à 271 millions - pour 11 000 dossiers au lieu de 8000 en 2010. Vous le voyez, nous avons à répondre à des demandes de plus en plus importantes, qui prouvent - oui, vous avez raison - qu'il y a une paupérisation d'une partie de notre population... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...à laquelle nous devons bien évidemment répondre; mais vous devez être conscients que nous ne pouvons pas sans cesse augmenter de plusieurs dizaines de millions les sommes attribuées à l'aide sociale, parce que nous devons aussi faire preuve de réalisme, et que nous sommes contraints d'obliger aussi les bénéficiaires de faire un effort supplémentaire en vue de leur réintégration. Je rappelle que nous parlons ici du supplément d'intégration, qui, comme son nom l'indique, est un supplément qui doit être accordé à une personne qui fait l'effort de tenter de se réintégrer, et qui en a aussi les moyens, parce que bien souvent, vouloir n'est évidemment pas suffisant dans ce genre de domaine, malheureusement. Nous donnions le maximum à tout le monde, c'est-à-dire 300 F, alors que les normes CSIAS prévoient la possibilité de passer de 100 F à 300 F. Nous avions proposé de donner à tout le monde 150 F, et d'attribuer les 150 F retirés, d'une part à cette hausse constante des prestations sociales - pour 100 F - et d'autre part - pour 50 F - à un fonds spécial pour des actions ponctuelles, comme celles qui ont été indiquées, que ce soit pour les chômeurs en fin de droit de plus de cinquante ans ou pour les jeunes. Vous n'avez pas voulu de cela, et au lieu de 300 F, nous en sommes aujourd'hui à 225 F. Que je sache, cela ne pose pas de problème majeur: Genève reste l'un des cantons les plus généreux de Suisse, il faut le savoir. Ainsi, Mesdames et Messieurs, pour cette question de forme et cette question de fond, je vous demande de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'ouvre le scrutin pour l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 11506 est rejeté en premier débat par 62 non contre 33 oui.