Séance du vendredi 18 mars 2016 à 18h15
1re législature - 3e année - 2e session - 10e séance

M 2320
Proposition de motion de Mmes et MM. Eric Stauffer, Jean-Marie Voumard, Sandra Golay, Daniel Sormanni, Christian Flury, Florian Gander, Thierry Cerutti, Pascal Spuhler, André Python, Danièle Magnin, Ronald Zacharias, Jean Sanchez, Sandro Pistis, Jean-François Girardet, Henry Rappaz, François Baertschi : Stop à l'énergie fossile, sauvetage du patrimoine suisse en énergie hydroélectrique !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 17 et 18 mars 2016.

Débat

Le président. Nous abordons notre dernière urgence en catégorie II, trente minutes. Le premier signataire étant absent, je passe la parole au deuxième signataire, M. Jean-Marie Voumard.

M. Jean-Marie Voumard (MCG). Merci, Monsieur le président. Comme annoncé hier, nous avons demandé l'ajout et l'urgence pour renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'énergie. Je vous remercie, Monsieur le président.

M. Eric Leyvraz (UDC). Cette proposition de motion part certainement d'un bon sentiment, mais elle est totalement irréaliste. Tout d'abord, SIG est un tout petit acteur sur le marché de l'électricité. On n'est pas dans la même catégorie que ceux qui pourraient racheter des actifs de plusieurs centaines de millions. C'est un peu comme si le FC Satigny voulait racheter le FC Bâle. On est à peu près dans la même proportion ! Ensuite, Alpiq ne veut vendre que 49% de ses actions sur les barrages, afin donc de garder la majorité. Déjà il faut être deux... Il faut trouver quelqu'un qui soit d'accord de mettre beaucoup de millions et de ne pas avoir droit à la parole. C'est le deuxième point.

Il faut aussi ne pas oublier - cela n'est pas mentionné dans cet objet - que ce barrage va retourner aux communes en 2040. Qui va investir des centaines de millions pour vingt-deux ou vingt-trois ans puis récupérer son capital ? Cela semble un peu impossible. Ensuite, quand vous achetez de l'électricité d'un barrage, malheureusement aujourd'hui vous allez payer environ 80 euros le mégawatt alors que sur le marché européen le prix est de 20 euros. Il faut donc vendre de l'électricité qui coûte trop cher. Et il faut trouver un acheteur. Cela devient compliqué.

La probabilité qu'une grande entreprise étrangère achète ce barrage est extrêmement faible à cause des raisons que je viens d'évoquer. Les SIG veulent garder des barrages en Suisse et de l'énergie propre. Ils se rendent bien compte que cette électricité propre correspond à notre prochaine économie moderne, mais ils ne peuvent pas agir tout seuls. C'est impossible ! C'est vraiment un problème fédéral. C'est la Confédération qui doit prendre cela en main, qui doit trouver une solution avec les communes, parce que, si on supprimait les prélèvements des communes sur les barrages, on pourrait rendre cette électricité rentable. C'est donc à la Confédération de faire des propositions pour garder ces barrages, parce qu'il ne faut pas oublier que l'on ne pourra pas fermer ces barrages du jour au lendemain. Il y a des problèmes de sécurité et d'entretien qui font que ces barrages vont rester. C'est donc vraiment à la Confédération de prendre cela en main. J'ajoute encore un détail. Si vous désirez que les SIG rachètent des barrages, il faudrait éviter de leur piquer 30 millions par année, que ce soient l'Etat, les communes ou la Ville de Genève pour alimenter leurs caisses. Il faudrait leur laisser leur argent. Donc je pense qu'il ne faut pas voter cette motion...

Le président. Il vous reste vingt secondes.

M. Eric Leyvraz. ...car elle ne tient pas la route. Je vous remercie.

M. Boris Calame (Ve). Certains voudraient brader un des fleurons de notre patrimoine industriel, brader une composante essentielle de nos paysages, brader enfin des ouvrages indispensables au maintien de la sécurité énergétique de la Suisse. Nous nous opposons et nous nous opposerons par tous les moyens possibles à cette faillite annoncée et nous ne laisserons pas migrer nos barrages. Comme les chalets et notre drapeau hissé au vent, nos barrages font partie intégrante de notre paysage, de notre patrimoine. Que les SIG s'impliquent pour compléter leur outil industriel, eh bien pourquoi pas ? A noter aussi qu'une souscription publique trouverait un écho positif de la part de la population, même si ces barrages nous appartiennent déjà. Nos barrages sont une composante bien réelle de notre paysage. C'est un but d'excursion pour nombre de classes d'école, de groupes, de familles ou encore d'individus. C'est aussi une composante de la richesse industrielle historique et économique de la Suisse. La Suisse, château d'eau de l'Europe, se doit de conserver en mains publiques l'entier de ses barrages. Après la distorsion de la concurrence constatée actuellement sur le marché de l'électricité, il est certain que demain nos barrages seront à nouveau rentables. A noter enfin que l'énergie hydroélectrique est la seule dont nous disposons en quantité et qui est respectueuse de l'environnement. Les Verts soutiennent donc le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'énergie. Je vous remercie.

M. Olivier Cerutti (PDC). Effectivement, nos concitoyens sont très attachés à nos barrages, et cela me rappelle qu'au mois de septembre nous avons voté une résolution transmise d'ailleurs par ce même parlement à nos instances fédérales.

Dans les invites de la présente motion, il est dit qu'il faut que nous rachetions la Grande-Dixence. Peut-être... Peut-être que l'on peut étudier cette proposition en commission. C'est une bonne idée de se poser la question, mais il faut savoir qu'en Suisse il y a plus de mille barrages qui produisent 10 mégawatts par année, soit une puissance totale de 3800 térawatts. Et ça je pense que c'est important, parce que ces petits barrages sont effectivement eux soumis à une concurrence qui est tellement forte aujourd'hui qu'on ne sait pas comment ils vont pouvoir résister. Ils pourraient peut-être le faire si l'Assemblée fédérale décide de mettre un jour des taxes sur l'électricité qui est trop bon marché.

Le parti démocrate-chrétien vous invite à renvoyer cette motion à la commission de l'énergie et, surtout, est très rassuré, parce que le MCG nous déclare enfin que les Services industriels ont une gouvernance qui est effectivement adéquate. Je vous remercie.

M. Pierre Vanek (EAG). Le sujet est trop important pour qu'on improvise un débat en plénière comme nous sommes en train de le faire. Je soutiens l'idée que cette motion - pas forcément tous ses considérants ou ses invites - est importante quant au sujet qu'elle entend traiter. Je pourrais vous faire un discours sur la libéralisation du marché de l'électricité, ses effets pernicieux, le refus populaire en 2002 avec des affiches qui disaient «Ne bradons pas nos barrages», la manière dont la libéralisation du marché de l'électricité a été soustraite une deuxième fois au scrutin populaire, celles et ceux qui ont pris la responsabilité de ne pas aller au référendum dans cette affaire... Je pourrais vous faire tout le discours. Mais, sérieusement, renvoyons cette motion en commission, documentons-nous sur la question, entendons les Services industriels et nous reviendrons, le cas échéant, faire le débat en plénum. J'invite les uns et les autres à ne pas faire le débat maintenant. Il sera mal fait. Il faut que cette motion soit renvoyée en commission et que la commission de l'énergie et des Services industriels empoigne le sujet de manière sérieuse.

M. Alberto Velasco (S). Tout d'abord, cette motion touche un point qui est éminemment émotionnel dans ce pays. Je discutais avec mon collègue Christian Dandrès dont le grand-père a travaillé à la Grande-Dixence. Des centaines de travailleurs, d'ouvriers sont morts lors de la construction de ces barrages. Ces barrages sont de véritables cimetières étant donné les personnes qui y ont travaillé et sont décédées. Des vallées ont été inondées avec comme prétexte l'intérêt public. Comme l'a dit Pierre Vanek, nous étions un certain nombre à nous opposer à cette libéralisation et nous voyions déjà les conséquences de ce qui allait arriver en participant à cette fusion d'actifs. Moi-même j'ai participé à EOS et nous voyions déjà ce qui allait se passer avec la libération du marché et le fait que ces barrages qui répondaient à des missions publiques pour des prestations publiques ne pouvaient pas résister à la pression du marché. Aujourd'hui on voit les conséquences. Nous les socialistes nous déposerons une motion, parce qu'effectivement les considérants et les invites de celle du MCG ne nous satisfont pas. Nous avons d'autres propositions à faire, et malheureusement je n'ai pas eu le temps de la déposer aujourd'hui. Etant donné le sujet, un débat sérieux en commission s'impose sur ce sujet qui est éminemment important et, dans ces conditions, nous appuierons le renvoi en commission.

M. Michel Ducret (PLR). Beaucoup de choses ont déjà été dites pour un simple renvoi en commission. Je n'ai donc pas beaucoup de choses à ajouter si ce n'est de dire que cette affaire de barrage a une forte charge émotionnelle dans la population et que l'on ne peut pas passer sur cette affaire comme chat sur braise. Mais il ne faut pas non plus que cette charge émotionnelle conduise les pouvoirs publics à investir de l'argent si ce n'est pas forcément nécessaire... Il ne faut pas non plus que nous nous retrouvions victimes d'une manoeuvre pour le refinancement d'une entreprise qui doit aussi pouvoir fonctionner par ses propres moyens. Cela est important et il en sera discuté autour de la table en commission. Il est donc inutile d'en rajouter. Je vous remercie de votre attention.

M. Patrick Dimier (MCG), député suppléant. L'année dernière, la BNS a investi 2,5 milliards de francs dans des gisements de gaz de schiste. Et l'on vient nous parler de la pertinence de l'investissement public. On peut avoir des doutes... En 2003, l'Etat a demandé aux Services industriels d'investir 480 millions pour une usine d'incinération qui sera obsolète en 2022. Mais elle a été faite. Aujourd'hui nous parlons de quelque chose qui a une tout autre ampleur. Au-delà de la production d'électricité, c'est aussi la maîtrise de la gestion de l'eau. Et lorsque le MCG critique les Services industriels, c'est sur les liquidités, pas sur le liquide. (Remarque.) Donc soyons attentifs. Je vous remercie de bien vouloir soutenir cette motion. Monsieur Vanek, vous avez tout à fait raison. Ce n'est ni le lieu ni le moment de se confronter sur des divergences éventuelles de fond ou d'approche. L'essentiel aujourd'hui est de renvoyer cette motion en commission pour qu'elle puisse être étudiée comme elle doit l'être. Merci !

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. En ma qualité de suppléant de mon collègue Antonio Hodgers qui n'a malheureusement pas pu être présent en cet instant, je souhaiterais vous faire part de la position du Conseil d'Etat sur ce sujet. Cette motion nous demande de donner l'instruction aux SIG de racheter au meilleur prix le barrage de la Grande-Dixence. Il suffit de lire cette invite pour se rendre compte qu'elle pose évidemment quelques problèmes préalables. Il nous est également demandé de donner mission aux SIG de racheter certaines installations hydroélectriques en Suisse au meilleur prix. Même remarque que pour la première invite. Et, enfin, on nous demande d'inviter le Conseil fédéral à taxer l'importation d'énergies fossiles en Suisse. Autre problème...

Il n'en demeure pas moins que cette motion pose des questions importantes, car les enjeux sont importants. Vous le savez, en raison de sa situation financière et des conditions-cadres actuelles avec un bas niveau des prix de l'électricité, un franc fort et d'autres éléments intervenant dans ce cadre, Alpiq a décidé, dans le cadre de mesures structurelles d'assainissement, de mettre en vente jusqu'à 49% de son portefeuille hydroélectrique. Sont notamment concernés des barrages importants, dont vous avez parlé, comme celui de la Grande-Dixence ou celui d'Emosson, parmi dix-huit ouvrages hydroélectriques.

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, sur le plan financier, les SIG et le canton sont évidemment concernés par cette situation en tant qu'actionnaires d'Alpiq. Les SIG, je le rappelle, détiennent 20,4% d'EOS Holding, elle-même actionnaire d'Alpiq à hauteur de 31,4%. Du point de vue de la politique énergétique, les barrages représentent aujourd'hui 60% de la production électrique de Suisse. Cette source d'énergie propre, locale, à même de couvrir la majorité de nos besoins, également neutre en CO2, est essentielle pour la transition énergétique. Les ouvrages hydroélectriques suisses d'importance nationale et stratégiques doivent être préservés, nous en sommes tous ici convaincus. Mais - mais, Mesdames et Messieurs les députés - les conditions du marché, en particulier la baisse constante du prix de l'électricité depuis des années, rendent la situation difficile sur le plan économique. L'énergie hydraulique est aujourd'hui deux à trois fois plus chère que le prix de l'électricité sur le marché européen. Donc toute décision devra être précédée d'un examen complet de la situation. Il ne suffit évidemment pas de demander aux SIG d'acheter au meilleur prix, pour reprendre les termes de la motion. Il faut tenir compte de l'ensemble des enjeux, du fait que le canton de Genève n'est pas seul non plus dans cette problématique. Les cantons romands doivent avancer de manière concertée dans ce domaine.

Le Conseil d'Etat considère qu'effectivement, même si les invites de cette motion laissent à désirer, je dirais dans leur tournure extrêmement générale, il faut qu'il y ait une discussion qui doit avoir lieu dans le cadre de la commission de l'énergie, comme cela a été proposé. Et je vous remercie donc d'y renvoyer cette proposition de motion.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous votons maintenant sur le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'énergie.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2320 à la commission de l'énergie et des Services industriels de Genève est adopté par 89 oui contre 2 non et 2 abstentions.