Séance du
vendredi 13 novembre 2015 à
15h
1re
législature -
2e
année -
10e
session -
65e
séance
M 2173
Débat
Le président. Nous en sommes à la M 2173. La parole va à son auteur, M. Yves de Matteis.
M. Yves de Matteis (Ve). Oui, merci, Monsieur le président. C'est une motion assez personnelle, parce que cela fait à peu près vingt ans que j'évolue dans les milieux des personnes en situation de handicap et j'ai été confronté à de nombreux problèmes les concernant. Je vais vous donner trois exemples très pratiques. Je me trouvais une fois avec une personne fortement malentendante; nous avons eu toute une conversation avec un tiers, et elle m'a dit à la fin: «Je n'ai rien pu comprendre, car notre interlocuteur était à contre-jour et je n'ai pas pu faire de lecture labiale.» Je savais que des cartes existaient pour préciser que quand on est face à une personne malentendante, il faut se présenter de telle ou telle manière, face au soleil, etc., pour qu'elle puisse justement faire cette lecture labiale, et j'ai demandé à cette personne: «Serait-il utile d'avoir une telle carte ?» Elle m'a répondu: «Evidemment oui.» La deuxième situation concernait un homme fortement malvoyant, qui d'habitude se promenait avec une canne blanche et des lunettes noires. Nous étions allés dans un bureau de tabac pour acheter du chocolat, en l'occurrence. Des policiers sont entrés tout à coup dans le magasin. Mon ami malvoyant est resté immobile, car il ne bouge en général pas pour éviter de renverser des objets. Le policier qui se trouvait en face de lui lui a demandé: «Pourquoi est-ce que vous me regardez fixement ?» J'ai bien été obligé de dire: «Cette personne ne peut pas vous regarder fixement car elle ne vous voit pas, en réalité.» J'ai donc heureusement été en mesure de mettre fin à une situation qui aurait pu devenir problématique pour mon ami qui, en effet, n'avait pas vu ce policier. Troisième situation peut-être encore plus délicate, et qui en tout cas a eu des conséquences nettement plus graves, si l'on veut: il s'agit de quelqu'un qui est atteint du syndrome de Gilles de la Tourette, et qui donc peut avoir des tics parfois extrêmement violents et même être atteint de coprolalie, soit le fait de proférer des injures, mais de manière complètement involontaire et irréfrénée. Cette personne s'est trouvée dans un train, éprouvant ces symptômes, surtout des tics, et le voyageur qui partageait le même compartiment a été tellement effrayé par ce comportement qu'il a appelé la police, même si la personne dont je parle a tenté d'expliquer ce dont il s'agissait: entrée dans le train à l'arrêt suivant, la police l'a fait descendre et l'a laissée sur le quai. Malheureusement, c'était le dernier train de la journée - je crois que cela se passait à Coire - ce qui a eu pour résultat que cette personne souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette a été obligée de passer la nuit dans la gare; elle n'a pas eu la possibilité de rentrer à Genève.
Cette motion demande simplement qu'on discute avec les associations de personnes handicapées pour mettre en place un système prévoyant une carte mentionnant véritablement l'identité de la personne. A l'époque, il me semble que j'avais rencontré sur un marché, lors d'une campagne, un magistrat qui m'avait dit être tout à fait acquis à cette cause. La personne atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette avait été en possession d'une telle carte et l'avait montrée aux policiers avec lesquels elle avait eu maille à partir, mais les policiers lui avaient rétorqué: «Cette carte, vous auriez tout à fait pu la trouver ou la fabriquer vous-même, elle n'a aucune valeur probante, juridique; on ne vous croit pas.» Il est clair que l'établissement d'une telle carte serait assez utile pour les personnes qui le désireraient si elles en avaient l'utilité, et il ne s'agit pas là d'un fichage des personnes handicapées. Cela peut concerner les personnes en situation de handicap comme celles atteintes d'autisme, d'aphasie ou d'autres syndromes; par ce biais-là, on pourrait prévenir les gens amenés à se trouver en contact avec elles qu'il faut adopter tel ou tel comportement, ou qu'en tout cas il faut comprendre qu'il s'agit d'une maladie ou d'un syndrome et non d'une volonté de la personne de se comporter de telle ou telle manière. Merci, Monsieur le président.
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, chers collègues, je remercie les Verts pour le dépôt de cette motion qui aborde une thématique importante mais aussi complexe, qui vaut donc la peine d'être renvoyée en commission pour une étude plus approfondie. Pour ma part, je ne suis pas tellement de l'avis qu'il faut renvoyer tout ce qui concerne le handicap à la commission des affaires sociales, j'ai toujours défendu ici que la politique du handicap est transversale. En l'occurrence, cette proposition de motion mentionne explicitement la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées, entrée en vigueur le 15 mai 2014 pour la Suisse. Il me paraît que c'est un thème afférent aux droits fondamentaux, qui devrait être renvoyé à la commission des droits de la personne - des droits de l'Homme, pour ceux qui préfèrent - quitte à ce qu'un préavis soit demandé: je sais en effet que certains souhaitent envoyer cet objet à la commission des affaires sociales; on peut requérir de cette commission un préavis, ainsi, chacun pourra être impliqué.
Si vous me permettez, j'aimerais faire une remarque sur le thème que nous venons de traiter, le maintien à domicile des personnes âgées: je voulais rappeler qu'un projet de loi très utile en la matière, le PL 11718, se trouve en ce moment en traitement à la commission du logement. Il prévoit l'adaptabilité des nouveaux logements; c'est une condition: vous aurez beau avoir des dispositifs numériques efficaces, si l'appartement ne peut pas être adapté, ce sera beaucoup plus difficile de maintenir la personne concernée chez elle. J'enjoins donc bien évidemment à la commission du logement de soutenir ce PL 11718, et vous remercie.
M. Jean-Luc Forni (PDC). Le handicap est toujours relatif à un environnement susceptible de favoriser ou non l'inclusion de la personne qui en est victime. Le parti démocrate-chrétien soutient donc toutes les mesures visant à supprimer les discriminations que subissent les personnes en situation de handicap et à améliorer leurs conditions de vie. Comme la motion le rappelle et comme on l'a dit tout à l'heure, certaines personnes ont un handicap immédiatement visible alors que le handicap d'autres personnes n'est pas immédiatement apparent. Ces syndromes ou maladies mal connus de la population et des services publics peuvent conduire à des situations potentiellement difficiles, voire périlleuses, comme il a été mentionné. Est-ce qu'une carte officielle accompagnée de mesures de formation et d'information des services publics et privés ainsi que de la population, attestant que le comportement de la personne est bien dû à son handicap, représente une bonne réponse à cette problématique ? Y a-t-il d'autres mesures à prendre ? Le groupe démocrate-chrétien pense qu'une ou des réponses à ces questions pourront être données en commission grâce à l'audition des groupements de personnes concernées, voire des victimes de ces comportements relevant du handicap. Pour cette raison, nous demandons le renvoi de cette proposition de motion à la commission des affaires sociales.
M. Serge Hiltpold (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, je vais soutenir la demande de M. Forni de renvoi à la commission des affaires sociales. En effet, nous avons l'habitude, dans cette commission, d'auditionner le monde du handicap et d'aborder tous les thèmes qui y sont liés. La deuxième invite demande de «mettre sur pied une formation idoine»: l'aspect de la formation sera mieux traité dans cette commission. Ainsi, comme je l'ai déjà dit, je soutiens la demande de renvoi de mon collègue Jean-Luc Forni.
M. Christian Frey (S). Beaucoup d'arguments ont déjà été développés. Je voulais brièvement prendre la parole pour dire que certes, ce thème est transversal et touche aux droits de l'Homme; néanmoins, au cas où la proposition de renvoi à la commission des droits de l'Homme serait refusée, le groupe socialiste peut aussi se rallier à celle d'un renvoi à la commission des affaires sociales, justement du fait de cette transversalité. Je vous remercie.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Je me conformerai au renvoi de cet objet à la commission des affaires sociales. Cependant, j'aimerais rendre cette commission et le parlement attentifs au fait qu'une telle motion, dont les considérants incitent très fortement à suivre les invites, est un peu à double tranchant: en effet, cela peut aussi conduire à une stigmatisation du handicap, il faut y être très attentif. Ces deux ou trois dernières décennies, on n'a pas arrêté de considérer le plus possible le handicap comme appartenant à une normalité et de développer un esprit de tolérance, et, chez les enfants, les adolescents et les adultes, une capacité à intégrer le handicap comme une situation différente mais pas forcément anormale. Au nom de cette différence, je crois qu'il serait bon, au sein de la commission des affaires sociales, de travailler ce point-là. Je ne suis pas du tout pour une stigmatisation avec une carte ou des choses de ce genre: cela me rappelle un peu trop de choses...
Le président. Il vous reste vingt secondes.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. ...mais je pense que ce serait utile de continuer à travailler sur l'information et la formation. Je vous remercie.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Notre groupe soutiendra le renvoi à la commission des affaires sociales. Certes, on soulève là une question de reconnaissance des droits des personnes en situation de handicap; mais il nous semble que le principe de non-discrimination est déjà établi, et qu'en l'occurrence, il s'agit de mettre en place des moyens permettant à ces personnes de mieux vivre en société. Le travail à faire en matière de connaissance des problématiques liées au handicap, des difficultés qu'éprouvent ces personnes, mais aussi les campagnes d'information à organiser pour que la population connaisse mieux ces situations et se retrouve mieux à même d'agir avec respect et une meilleure compréhension relèvent plutôt du champ de compétences de la commission des affaires sociales. Je vous remercie de votre attention.
M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, pour notre part, nous allons soutenir le renvoi de cette proposition de motion non pas à la commission des affaires sociales, mais bel et bien à celle des Droits de l'Homme, suivant en cela les brillantes explications de notre collègue Cyril Mizrahi. Nous vous invitons à suivre la proposition de notre collègue socialiste de renvoyer cet objet à l'excellente commission des Droits de l'Homme.
M. Cyril Mizrahi (S). Deux mots, pour dire que je peux comprendre les arguments en faveur d'un renvoi à la commission des affaires sociales; simplement, je regrette qu'on ait une vision exclusivement sociale de la politique du handicap. Et je regrette encore plus que les personnes qui proposent le renvoi à la commission des affaires sociales ne défendent même pas l'idée d'un préavis de la commission des Droits de l'Homme. (Commentaires.)
Le président. Il vous reste vingt secondes.
M. Cyril Mizrahi. Je conclus, Monsieur le président. A mon sens, il est un peu dommage d'avoir une vision axée sur une seule commission, alors qu'on sait que ces préavis sont possibles. Je vous invite donc à suivre ma proposition.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, la question de l'intégration des personnes handicapées est évidemment centrale. Vous le savez toutes et tous, le handicap n'est pas une notion établie de manière définitive et pérenne, nous sommes tous dans cette salle, je dirais, normalement handicapés: les handicaps que nous avons naturellement ne se voient tout simplement pas dans un cadre de vie normal, alors que d'autres de nos concitoyens éprouvent des handicaps qui font que leur intégration est plus difficile.
Evidemment, il faut faire quelque chose de cet objet, non pas le renvoyer à la commission des Droits de l'Homme, mais à celle des affaires sociales, même si tout le monde est convaincu, bien sûr, qu'il s'agit d'une notion transversale; ce n'est pas pour rien, puisque vous savez qu'en mars de l'année dernière, sur l'impulsion de mon département, nous avons créé un groupe de travail interdépartemental sur la question du handicap, qui réunit l'ensemble des départements: c'est aussi une question de logement, de transport, bien sûr - le handicap touche l'ensemble des activités de l'Etat, la réflexion ne doit donc pas se faire seulement au niveau d'un département particulier.
J'ai quelques doutes quant au fait que l'on puisse préparer une carte de légitimation, pour ainsi dire. Vous savez que de telles cartes existent pour l'assurance-invalidité; les CFF en établissent aussi afin que soient données à l'interlocuteur potentiel des indications sur le type de handicap dont est atteinte la personne concernée qui emprunte le réseau. Les associations privées peuvent également attester ce type d'informations. De toute façon, rien ne se fera sans l'accord des personnes souffrant d'un handicap; dans leur très grande majorité, elles sont capables de discernement. Il ne s'agit évidemment pas de leur mettre une pancarte autour du cou pour que leurs interlocuteurs sachent exactement et immédiatement pourquoi elles ne sont pas «normales», entre guillemets, par rapport à l'ensemble ou à la très grande majorité de la population, si leur comportement n'est pas strictement conforme à celui auquel on s'attendrait. Des problèmes de droit de la personnalité, de protection des données se posent, des problèmes déontologiques concernant le corps médical: je doute que nous arrivions à des solutions immédiatement praticables. Quoi qu'il en soit, je ne voudrais pas donner ici le sentiment que le Conseil d'Etat ne souhaite pas que cette question soit abordée, car elle l'est, je peux vous le dire, toutes les semaines au sein de mon département, puisque nous menons le travail sur les personnes handicapées de front avec nos autres tâches; vous savez aussi que le Conseil d'Etat a récemment adopté des modifications législatives précisément pour permettre l'intégration des personnes handicapées dans le cadre du logement, parce que la politique du handicap, à un moment donné, recoupe celle liée au vieillissement de la population. Aujourd'hui, nous n'éprouvons pas de handicap, Dieu merci, mais en vieillissant, un jour, peut-être, nous serons en fauteuil roulant, et nous aurons alors besoin d'un cadre de vie qui nous permette malgré tout de poursuivre l'ensemble de nos activités. Tout cela se fait dans le département. Discutons-en, mais, si vous le voulez bien, à la commission des affaires sociales. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons d'abord voter sur le renvoi à la commission des Droits de l'Homme, puis, en cas de refus, sur celui à la commission des affaires sociales.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2173 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est rejeté par 60 non contre 21 oui et 4 abstentions.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2173 à la commission des affaires sociales est adopté par 80 oui et 2 abstentions.