Séance du
vendredi 5 juin 2015 à
20h30
1re
législature -
2e
année -
6e
session -
37e
séance
PL 11406-A
Premier débat
Le président. Pour le PL 11406-A, nous sommes en catégorie II, quarante minutes, et je passe la parole au rapporteur de majorité, M. Christo Ivanov.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la commission du logement s'est réunie le 28 avril 2014, il y a donc plus d'un an, pour étudier le projet de loi 11406 sous la présidence de M. Mathias Buschbeck. Ce projet de loi vise à établir une meilleure répartition entre les logements et les locaux commerciaux. Il prévoit que lorsque le taux de vacance sur le marché est supérieur à 2% pour les locaux commerciaux et inférieur à 1,5% pour les logements, un mécanisme de compensation se mette en place. Non seulement ce projet de loi freinerait la production de locaux commerciaux, mais en plus il n'augmenterait pas celle de logements. Ce projet de loi asséchera le marché et réduira l'offre, ce qui conduira indéniablement à une augmentation des prix. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission du logement vous demande de refuser d'entrer en matière.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de minorité. Vous me permettrez d'être un peu plus loquace que mon préopinant. (Commentaires.) Depuis plusieurs années, les promoteurs du canton de Genève ont très nettement privilégié la construction de locaux commerciaux au détriment de la construction de logements, puisque c'était beaucoup plus lucratif, on le sait bien: leur volonté de maximiser leurs profits les a donc entraînés dans la construction de locaux commerciaux en abondance. Le résultat se manifeste par une pénurie sévère sur le marché du logement et, par conséquent, par une flambée des loyers. A ce stade, je tiens à souligner que les loyers des logements vacants ont augmenté de plus de 42% en dix ans et que le loyer moyen des logements vacants s'élève à 2836 F par mois, ce qui est bien évidemment inaccessible pour de nombreux Genevoises et Genevois qui se retrouvent contraints de s'expatrier en dehors de notre canton. (Commentaires.)
Ce projet de loi tente de contrer cette distorsion et de rééquilibrer la répartition de locaux commerciaux et de logements, justement en faveur du logement: le texte propose, en cas de pénurie sur le marché du logement et d'abondance sur le marché des locaux commerciaux, comme l'a relevé M. le rapporteur de majorité, qu'un promoteur doive compenser toute nouvelle construction de locaux commerciaux par une surface équivalente en logements. Il existe un projet de loi déposé par M. Ronald Zacharias, pour ne pas le nommer... (Remarque.) ...qui traite d'un sujet tout à fait similaire et sur lequel la population devra se prononcer le 14 juin prochain. Ce projet de loi... (Commentaires.) ...dont le seul but est de déplafonner les loyers des logements convertis pour garantir de juteux profits aux propriétaires, au détriment des locataires, permet également au propriétaire de tirer des richesses et de créer des situations de pénurie sur le marché du logement pour pouvoir en profiter par la suite. Mais le projet de loi dont nous parlons aujourd'hui, contrairement à celui de M. Zacharias qui n'a pour but que de favoriser les rendements des propriétaires, amène une réponse concrète, une réponse en amont du problème: avec cette mesure, on anticipe les besoins de la population et on planifie la création de logements pour éviter d'avoir recours a posteriori à une réaffectation des locaux commerciaux en logements par le biais de transformations, souvent lourdes, longues et coûteuses. Pour ces raisons, la minorité de la commission du logement vous encourage à privilégier cette solution plus constructive, à accepter ce projet de loi et à refuser le projet de loi de M. Zacharias en votation populaire le 14 juin prochain. Je vous remercie.
M. Ronald Zacharias (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, nous avons là un exemple qui illustre parfaitement l'aplomb de la gauche. Définition de la pénurie de logements à Genève: un taux de vacance de moins de 2%. A Genève, nous sommes donc en état de pénurie depuis des décennies ! Définition de l'abondance des locaux: 1,5% ! A 1,6% de taux de vacance, nous sommes donc à Genève, et à Genève uniquement, en état de pénurie de logements et en état d'abondance de locaux ! Cette particularité genevoise obligerait tout promoteur à construire un mètre carré de logement pour compenser la construction d'un autre mètre carré de non-logement. Rideau ! Car ce projet assassin marque l'arrêt définitif de toute construction à Genève, soit exactement ce que souhaite la gauche afin de pouvoir continuer à régner sur le politique au travers de la crise du logement ! Ce projet doit être refusé le plus catégoriquement possible ! Je vous en remercie.
M. Marko Bandler (S), député suppléant. C'est le baptême du feu ! Mesdames et Messieurs les députés, l'occasion est évidemment trop belle avec ce projet de loi pour ne pas faire le parallèle avec la votation qui va nous occuper toutes et tous le 14 juin prochain. Vous le savez, la majorité politique de ce parlement ne manque pas de cynisme en ce qui concerne les solutions qu'elle propose pour tenter de régler la crise du logement dont elle est, rappelons-le, en grande partie responsable.
Une voix. Ha ! (Commentaires.)
M. Marko Bandler. Dans quelques jours, le peuple sera appelé à voter une loi qui permettra aux propriétaires immobiliers avides de juteux profits - vous transmettrez à qui de droit, Monsieur le président - de convertir, bien évidemment sans se soumettre au moindre contrôle des loyers, des bureaux vides en logements de luxe qui seront bien entendu inabordables...
Une voix. C'est faux !
M. Marko Bandler. ...pour l'immense majorité de la population !
Des voix. C'est faux ! (Exclamations.)
Le président. S'il vous plaît, un peu de calme ! Modérez vos propos, merci.
M. Marko Bandler. Ces bureaux et locaux commerciaux, rappelons-le, sont en surnombre dans notre canton. On en construit et on continue à en construire, non pas parce qu'ils répondent à un quelconque besoin, mais bien parce qu'ils permettent aux promoteurs, pour autant qu'ils trouvent des locataires, de réaliser des profits faramineux, ce qui n'est pas faisable avec le marché du logement classique. Or aujourd'hui, le paradoxe veut que malgré la crise et malgré le fait qu'il devient de plus en plus difficile de trouver des locataires commerciaux, on continue à s'obstiner à construire des bureaux qui resteront désespérément vides pour la plupart, gaspillant ainsi par la même occasion le précieux territoire qui est le nôtre. Alors qu'elle ne parvient pas à refourguer ces bureaux, voilà que la majorité politique de ce parlement, aux ordres de quelques promoteurs en manque de bénéfice, a la soudaine et lumineuse idée de les transformer en logements, mais en logements hors de prix bien évidemment, afin de réaliser quand même les plus-values outrageusement élevées auxquelles elle estime avoir droit. Le procédé est, avouons-le, particulièrement ignoble. Etant donné qu'il est bien plus facile de construire des bureaux que du logement, les promoteurs ont honteusement contribué au déséquilibre actuel, déséquilibre qui a permis aujourd'hui à leurs sbires dans cette enceinte de proposer le très lucratif projet de loi qui sera soumis au suffrage populaire le 14 juin prochain et qui permettra à ceux qui feignent de hurler à la crise du logement de réaliser de juteux profits sur le dos des locataires qu'ils prétendent défendre.
Vous l'aurez probablement compris, et je terminerai ici, le parallèle existant entre la votation du 14 juin et le PL 11406 est tout sauf anodin. Il faut en effet aujourd'hui cesser de continuer à miter notre précieux territoire pour y construire des bureaux dont personne ne veut... (Remarque.) ...et pour demander ensuite à les transformer en logements échappant à tout contrôle des loyers. Le procédé est, vous en conviendrez probablement, Monsieur Zacharias, particulièrement vicieux. Afin d'éviter que les spéculateurs immobiliers ne continuent à contourner insidieusement l'esprit des lois, il s'agit aujourd'hui de trouver des solutions concrètes et crédibles à ce problème, et ce projet de loi en est une. D'autant qu'il s'agit là, Mesdames et Messieurs, d'une mesure provisoire qui ne s'applique, je vous le rappelle, que dans la mesure où le taux de vacance reste inférieur à 2%. Il n'y a donc finalement aucune raison pour que ce texte ambitieux et novateur, je vous l'accorde, ne recueille pas un avis favorable de votre part, raison pour laquelle je vous invite à l'adopter. (Quelques applaudissements.)
Présidence de M. Jean-Marc Guinchard, premier vice-président
M. Benoît Genecand (PLR). Mesdames et Messieurs, nous avons traité au cours de cette journée un projet de loi sur le droit d'emption, un projet de loi sur les immeubles à prix coûtant - j'essaie de m'en souvenir tant ils sont insignifiants - un projet de loi sur les salles communes, maintenant nous avons un projet de loi sur l'obligation de construire un mètre carré de logement lorsqu'on construit un mètre carré de bureau, et nous aurons ensuite un projet de loi proposant de pénaliser les logements vides parce qu'évidemment, il faut pénaliser. Quel est le point commun de tous ces projets de lois ? Chaque fois, on s'en remet à l'Etat, comme si celui-ci allait régler le problème de la crise du logement. Toute cette gauche a commencé dans des squats et finit complètement dépendante de la mamelle étatique. A peu près tout peut être réglé par Monsieur l'Etat, alors que la réalité, c'est que l'Etat... (Remarque.) ...a en ses mains la plupart des leviers qui permettent la construction, notamment le fait d'accélérer un peu les plans localisés de quartier et d'accélérer les autorisations de construire, puisqu'il lui faut environ deux ans pour un PLQ et deux ans pour une autorisation de construire. S'il s'occupait déjà de ces questions, nous n'en serions pas là et ne nous retrouverions pas en situation de pénurie. Mais non, plutôt que de se soucier de ce qu'on pourrait faire mieux au sein de l'Etat, on lui donne de nouvelles missions, en veux-tu en voilà ! Alors que se passerait-il si on votait ce projet de loi ? C'est simple: si demain Google voulait s'installer à Genève et construire 5000 mètres carrés de locaux commerciaux, si Patek souhaitait s'étendre, ou je ne sais quelle autre société, on leur dirait: «Mesdames et Messieurs, amenez-nous cent ou deux cents logements avant et vous pourrez construire ensuite !» Autant dire que ces gens-là ne viendraient pas, ne seraient pas les nouvelles entreprises qui feront marcher Genève, mais cela ne semble pas du tout représenter un problème pour la gauche, puisque l'emploi, on en a trop de toute façon, cela ne sert à rien de se demander ce qui fera tourner l'économie, ce n'est vraiment pas leur problème: l'Etat y pourvoira.
Mesdames et Messieurs, apparemment il faut parler aussi du projet en votation le 14 juin. Il m'a semblé que c'était le sujet principal à gauche; ils ont tellement peu d'intérêt à leur propre projet de loi qu'ils évoquent les votations à venir. Parlons donc un peu de ce projet en votation le 14. Il y a là un vrai potentiel de transformation de locaux commerciaux - des logements transformés en locaux commerciaux qui pourraient redevenir des logements - si on avait eu une attitude un peu moins dogmatique. On se lance à la figure des âneries, notamment le quatre-pièces à 4000 F ou 4500 F - vous transmettrez d'ailleurs à Mme Marti, Monsieur le président, que ses statistiques ne sont pas tout à fait à jour, le prix moyen d'un quatre-pièces à Genève étant de 1400 F... (Remarque.) ...et le prix moyen d'un quatre-pièces remis en location étant de 1800 F et non de 2400 F. Si on avait été un peu moins dogmatique, on aurait pu déclencher le processus qui permettrait de procéder à la transformation de ces logements transformés en locaux commerciaux, pour qu'ils redeviennent des logements définitivement, puisqu'ils ne correspondent effectivement plus aux besoins des petites entreprises qui les utilisent, les fiduciaires, les avocats ou les médecins. Mais non, plutôt pas de logements qu'un logement qui ne répondrait pas aux critères de la gauche, c'est cela le débat: plutôt aucun logement ! Puisque c'est cela la réalité actuelle: il n'y a pas de transformation. On nous dit: «Oui, ça serait très cher», etc. Mais l'alternative, c'est quoi, Mesdames et Messieurs ? Il n'y a pas eu une transformation de ces locaux, pas une ! Vous n'avez pas un exemple ! Alors vous pouvez dire que cela vaudrait 4000 F, 5000 F; moi je vous dis, même à 5000 F, c'est mieux que rien ! Mais ce n'est pas ce qui se passerait !
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Benoît Genecand. Vous refusez de déclencher un processus qui aurait permis de convertir vraisemblablement plusieurs milliers de logements sur la durée - puisque plusieurs milliers d'appartements avaient été convertis en locaux commerciaux et ne correspondent désormais plus aux besoins - et vous préférez persister dans votre attitude dogmatique, empêcher cette possibilité et alimenter la crise plutôt que d'essayer de trouver des solutions qui contribuent à la résoudre. C'est tout.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Michel Baud (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, je suis un petit peu déçu: le député Genecand a soulevé pratiquement tous les points que j'avais l'intention d'évoquer, hélas pour moi ! (Commentaires.) J'ajouterai simplement qu'en lisant ces projets de lois, on constate qu'on déplace des curseurs pour modifier le taux de vacance mais qu'on ne se préoccupe même pas du taux de rotation - un taux quand même assez important. On s'aperçoit que de nombreux éléments ont été négligés de ce côté-là. C'est pour ces raisons, et je ne vais pas en rajouter, que l'UDC propose de refuser l'entrée en matière sur ce projet.
Présidence de M. Antoine Barde, président
M. Bernhard Riedweg (UDC). Après avoir réalisé une étude de marché, le promoteur privé ou institutionnel - une caisse de pension ou une compagnie d'assurance, entre autres - est intéressé à vendre ou à louer les locaux qu'il a construits, qu'il s'agisse de logements ou de locaux non résidentiels. Cela vaut aussi pour le propriétaire d'un local résidentiel ou non résidentiel. Tant les promoteurs privés que les propriétaires sont libres de leur choix, mais ils supportent le risque que leurs biens-fonds ne puissent être loués à un prix qui couvre leurs charges. Ils sont tributaires de l'offre et de la demande dans chaque catégorie d'objet immobilier, tant pour les logements que pour les surfaces industrielles, commerciales ou artisanales dont la rentabilité peut sembler plus intéressante, même si ce n'est pas toujours le cas. Si le taux de vacance des surfaces non résidentielles devait basculer d'une suroffre actuelle à une sous-offre future, le propriétaire devrait obligatoirement opérer des travaux coûteux pour s'adapter à l'obligation contenue dans ce projet de loi, ce qui n'est pas envisageable économiquement. Une réaffectation des locaux commerciaux artisanaux ou industriels en logements a un coût de transformation élevé et cette opération prend du temps. Cela pourrait réfréner certains propriétaires - dont des caisses de pension et des compagnies d'assurance notamment - qui seraient limités par des contraintes antiéconomiques. Le marché de l'immobilier doit être libre, afin qu'il puisse suivre les règles de la profitabilité, que ce soit sous forme de rendement ou d'une plus-value bénéficiant aux bailleurs de fonds. Si tel n'était pas le cas, les investisseurs pourraient se désintéresser de construire ou de procéder à des transformations, ce qui aurait des conséquences néfastes sur les loyers qui renchériraient immanquablement, compte tenu de la forte demande. Ce projet de loi freine la construction des quatre catégories de locaux non résidentiels, ce qui est néfaste pour l'emploi, sans nécessairement favoriser la construction de logements. Ce projet de loi s'applique plus facilement à une collectivité publique, plus à même d'entreprendre une compensation qu'un promoteur privé. En outre, ce projet de loi, tel qu'il nous est présenté, entraînerait le principe de l'égalité de surfaces, soit la création de trois emplois pour un logement, une contrainte trop restrictive et trop rigide. La collectivité publique ne doit pas orienter le marché privé de l'immobilier dans un sens où il ne veut pas aller. Nous vous demandons de refuser ce projet de loi, comme le demande le rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président.
M. Olivier Cerutti (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, une juste répartition entre logements et emplois doit rester un principe de base de notre développement. Je rappellerai simplement que la définition de l'assiette fiscale ne se fait pas seulement en construisant des cités dortoirs d'un côté et des cités industrielles de l'autre. Je crois qu'il faut trouver un équilibre dans cette répartition, et celui-ci ne peut être atteint qu'au niveau de nos trois échelons politiques. Le premier échelon, à savoir l'échelon communal qui jouit de droits en termes d'aménagement du territoire, me paraît essentiel, et cette répartition doit continuer de se faire à ce niveau-là. Construire une cité-dortoir sans activités est dommageable, car une telle cité ne vit pas la journée et crée des besoins sociaux, qu'on le veuille ou non. Une certaine mixité est recherchée et se trouve garante du bon fonctionnement de notre société et d'un équilibre naturel. C'est pour cela qu'imposer aujourd'hui un cadre aussi précis, telles des Fourches caudines, dans une situation de développement sujet à l'évolution conjoncturelle, représente un enjeu important qu'on doit refuser, car une certaine souplesse doit être préservée. Or cette souplesse doit se trouver entre les mains de l'Etat, aux trois niveaux: au niveau de la Confédération qui a accepté un plan directeur cantonal qui n'est pas forcément celui qu'on recherchait puisqu'il contient un certain nombre d'éléments ne correspondant pas à la volonté de départ; au niveau cantonal, car le canton doit rester acteur et doit pouvoir disposer de la capacité de mettre en place cette mixité; au niveau communal, de façon à mieux définir l'assiette fiscale des communes. Je vous remercie et vous demande de refuser ce projet de loi. (Quelques applaudissements.)
M. Rémy Pagani (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, à en juger par certains des points soulevés par les uns et les autres, il me semble qu'on ne saisit pas bien la réalité. D'abord, Monsieur Zacharias, si vous connaissiez comme moi le marché, vous sauriez que, selon une étude réalisée par l'Institut Battelle en 1971 à laquelle je vous renvoie, le taux de vacance, soit l'équilibre entre l'offre et la demande, est défini à 2,5%. Or dans notre canton, et dans notre ville a fortiori, nous n'avons jamais dépassé ce chiffre; notre taux de vacance a toujours été inférieur. La crise du logement, la pénurie existent donc dans notre canton depuis 1961 - cette étude se basait sur les dix années précédentes, à partir de 1961. Alors, avant de faire de la politique, il faudrait quand même parler de la réalité; j'ai l'impression que vous êtes un extraterrestre ! En ce qui concerne M. Genecand, il nous enjoint de laisser transformer les bureaux qui ont été transformés illégalement - parce que ces appartements... (Remarque.) ...ont en effet été transformés illégalement au cours du temps, et je prends un exemple très concret, celui du boulevard des Philosophes, où des immeubles entiers qui étaient des logements sont au fur et à mesure, année après année, transformés en bureaux. «Laissez-nous les transformer en logements et vous allez voir ce que vous allez voir !» Excusez-moi, Monsieur Genecand, mais j'attends de voir - la votation le démontrera, si peut-être vous gagnez, ou si nous gagnons. Toujours est-il qu'aucun de ces propriétaires obtenant aujourd'hui un rendement de 15%, et qui louait il y a une année ses appartements transformés illégalement en bureaux à 500 F ou à 1000 F le mètre carré, ne va soudainement offrir des logements bon marché à la population en les louant à 90 F ou 100 F le mètre carré; il continuera de louer ces appartements-là au boulevard des Philosophes en exigeant 500 F le mètre carré. Cela paraît l'évidence même. Monsieur Genecand, je crois que vous pourriez au moins vous baser sur la réalité pour formuler vos affirmations. (Commentaires.)
Ensuite, on nous dit qu'il y a pénurie. Mais attendez ! A la rue Abraham-Gevray par exemple, à côté de la place de la Navigation, des appartements ont été construits et sont en vente à 17 000 F le mètre carré, Monsieur Genecand ! Votre politique depuis cinq ans vise à favoriser la vente d'appartements; depuis une année, ces appartements sont vides ! 17 000 F le mètre carré, Monsieur Genecand ! C'est cela la réalité de notre ville, et nous devons partir de ce constat. Or précisément, en me basant sur cette réalité, je suis allé trouver une cinquantaine de chefs d'entreprise, membres de notre communauté municipale, dont certains ont la responsabilité de 250 employés, et je leur ai posé la question: «Seriez-vous intéressés à investir pour vos employés ?» Ils ont répondu: «Effectivement, oui ! On ne nous l'a jamais proposé.» Suite à mon passage, certains se sont mis à réorienter les investissements de leur caisse de pension dans le marché immobilier genevois, et je pourrais vous citer des exemples d'investissements... (Remarque.) ...de ces grandes entreprises ayant décidé après mon passage d'investir un peu plus dans le logement.
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Rémy Pagani. Je pense donc qu'il s'agit d'une bonne idée qui vise simplement à encourager celles et ceux qui heureusement investissent dans l'économie genevoise à mettre des logements à disposition de leurs employés. C'est en effet aussi la tâche de n'importe quel employeur. En tout cas, il y a une soixantaine d'années, c'était considéré ainsi: les employeurs mettaient à disposition des logements pour leurs ouvriers; c'est une tâche a minima des employeurs de loger les personnes qu'ils font venir sur notre territoire. Je vous remercie de m'avoir accordé le temps imparti, Monsieur le président.
M. Ronald Zacharias (MCG). Premièrement, concernant la question des appartements transformés en locaux - vous transmettrez à M. Pagani, et il le sait fort bien - j'aimerais rappeler que ces changements d'affectation ont eu lieu avant l'entrée en vigueur de la LDTR. (Commentaires.) Dès lors, Monsieur Pagani, et vous le savez, ces appartements n'étaient pas assujettis à quelque autorisation que ce soit. (Remarque.) Voilà la raison pour laquelle M. Benoît Genecand y faisait allusion. Deuxièmement, et j'aimerais bien qu'on saisisse la réalité de ce que veut nous faire avaler la gauche, un appartement de quatre pièces, un local converti de 85 ou 90 mètres carrés de surface brute de plancher, qui pourrait être converti en logement, serait bloqué à 1135 F par mois après travaux, alors que l'office du logement autorise 1500 F par mois pour les HBM. 1135 F par mois ! A ce prix-là, je vous le dis, c'est vrai, les propriétaires n'y parviennent pas. Mais ce que je reproche à la gauche, et en cela vous trahissez ceux que vous prétendez défendre, vous trahissez ceux que vous prétendez protéger... (Commentaires.) ...c'est que vous refusez des loyers à 1136 F, 1400 F ou 1500 F, autrement dit des loyers qui à l'évidence correspondent à ce que la classe moyenne peut s'offrir, qui correspondent aux besoins prépondérants de la population. Vous les refusez parce qu'ils dépassent les 1135 F. Or personne ne peut convertir à ce prix-là. (Commentaires.) Vous ôtez cette possibilité de réduire la pénurie de logements de manière significative. Parce que trois cents logements ainsi convertis par an, c'est quoi ? Cela représente quasi 25% de la production annuelle de logements à Genève. Mais ce qui vous fait bondir, et ce pour quoi c'est inadmissible... Parce que le référendum - puisqu'on en parle - qui a été lancé est une injure à ceux qui sont désespérément à la recherche d'un logement... (Commentaires.) ...précisément dans la gamme de loyers de 1250 F à 1760 F - ce sont par ailleurs les prix pratiqués en zone de développement locatif. Encore une fois, je soupçonne la gauche - je le répète et il faut le répéter à l'envi - de ne pas vouloir atténuer cette crise du logement - crise du logement signifie tout simplement pas assez de logements. Pourquoi ? Parce que vous surfez sur cette crise, afin d'asseoir et de continuer à asseoir votre pouvoir politique ! Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme la rapporteure de minorité Caroline Marti, à qui il reste quarante secondes, puis quarante secondes sur le temps de son groupe.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de minorité. Merci, Monsieur le président. Vous transmettrez: Monsieur Zacharias, vous radotez. (Rires. Commentaires.) Vous radotez ! Je suis désolée de vous le dire. (Commentaires.)
Le président. Madame Marti, adressez-vous à moi.
Mme Caroline Marti. Je vous ai demandé de transmettre, Monsieur le président !
Le président. Mais je transmettrai, je vous rassure !
Mme Caroline Marti. Vous radotez ! Cela me fait un peu de peine pour lui, Monsieur le président. (Rires.) Il nous ressert encore et toujours sa vieille rengaine selon laquelle la gauche entretient la crise du logement, etc. (Commentaires.) Soyons un peu sérieux ! C'est vous, Monsieur Zacharias - vous pouvez continuer à transmettre, Monsieur le président - et vos amis promoteurs qui avez systématiquement privilégié la construction de locaux commerciaux, ce qui en effet a complètement asséché le marché des logements. Il faut absolument, maintenant, si vous avez un peu d'honnêteté, Monsieur Zacharias... (Remarque.) ...que vous assumiez votre responsabilité dans cette crise du logement. (Commentaires.) Je vous demanderai encore de transmettre, Monsieur le président, à M. Benoît Genecand que le mépris dont il fait preuve à l'encontre de ces projets de lois ne le grandit malheureusement pas. La crise du logement et la difficulté à trouver un logement constituent de réelles craintes et souffrances pour la population.
Le président. Il vous faut conclure.
Mme Caroline Marti. Vous méprisez ainsi des projets de lois qui cherchent des solutions concrètes pour trouver des logements à la population; ces projets sont ainsi toujours bons à prendre, à étudier et à discuter.
Le président. Merci, Madame la députée.
Mme Caroline Marti. C'est pour cela que je vous recommande d'adopter celui-ci. Je vous remercie.
Le président. Je vous remercie, Madame la députée. Je passe la parole au rapporteur de majorité, M. Christo Ivanov.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Combien de temps me reste-t-il, Monsieur le président ? (Commentaires.)
Le président. Trois minutes.
M. Christo Ivanov. Parfait, j'ai donc largement le temps. Je vous remercie, Monsieur le président. Je me référerai à notre conseiller d'Etat, M. Antonio Hodgers, en citant la page 7 du rapport: «La question fondamentale réside dans l'application de la compensation: il faut savoir si celle-ci est dévolue au promoteur ou à l'Etat.» (Commentaires.) Si on peut s'exprimer, ce serait bien. Merci d'écouter l'orateur ! Le conseiller d'Etat «relève que selon le texte, le projet de loi constituerait une contrainte uniquement pour le département, puisque c'est ce dernier qui devrait planifier la compensation en surface de logements. Or, il relève que cet équilibre global est déjà garanti par le plan directeur cantonal. De plus, il précise que la parité emplois-logements ne se compte pas en termes de 50-50. De fait, un logement recouvre 10 mètres carrés par habitant, tandis qu'un emploi recouvre 40 mètres carrés en moyenne. Dès lors, le PL tel qu'il est rédigé obligerait, par le principe d'égalité de surfaces, de construire trois emplois pour un logement. Il rappelle que le PAV, qui répond au principe d'un logement pour un emploi, compte concrètement 30% de surface de logements et 70% de surface d'emplois. La rigidité et le déséquilibre proposés par le projet de loi seraient contre-productifs. Il rappelle que les députés sont informés des réalisations accomplies dans les grands projets. Selon lui, l'équilibre se conçoit dans la planification, et modifier n'apporterait qu'une rigidification sans valeur ajoutée.» Voilà, je crois que tout est dit, Monsieur le président. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission vous demande de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi 11406. Je vous remercie.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le rapporteur de majorité a déjà eu la gentillesse de rappeler les propos que j'ai tenus en commission, et ceux-ci ne varient pas ce soir. Sur le principe, bien sûr que nous devons aujourd'hui mettre l'accent sur le logement. C'est pourquoi, dans son programme de législature, le Conseil d'Etat a introduit il y a une année le principe de deux logements pour un emploi, au lieu du principe précédent, un logement pour un emploi. A vrai dire, à l'instar de M. Pagani, je constate que les promoteurs ne se font pas prier pour construire du logement à la place de surfaces d'activités. Tout au long de ces dix-huit mois de mandat, j'ai eu l'occasion, dans le cadre de différents projets, de discuter avec des promoteurs qui planifiaient... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
M. Antonio Hodgers. ...des surfaces d'activités et je les ai sans trop de problème convaincus de construire du logement, étant donné le nombre élevé de surfaces commerciales vides dans notre canton et le risque commercial important auquel s'exposerait un entrepreneur souhaitant construire des bureaux, à l'inverse de celui qui construit du logement et qui sait parfaitement que tout logement trouvera preneur. La dynamique économique ainsi que la dynamique de planification interviennent donc en faveur du logement, même si cette dernière est parfois limitée par des normes fédérales, comme les normes sur la protection du bruit - je pense notamment aux alentours de l'aéroport - ou celles sur la protection contre les accidents majeurs - je pense aux abords des voies de chemin de fer et à ces fameux wagons de chlore - qui, dans ce cas, nous obligent à créer de l'emploi et non du logement.
Sur la forme, il est vrai que ce projet de loi souffre d'un grand problème qui vient d'être rappelé par le rapporteur de majorité, à savoir qu'en l'état, le texte, tel qu'il est rédigé, implique que chaque logement construit donnerait droit à trois emplois. Or, Mesdames et Messieurs, ce n'est pas le programme du Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat estime que notre région connaît un déséquilibre qui a pour conséquence que les logements ne sont pas assez nombreux dans le canton pour loger nos actifs, de sorte que, chaque matin, notre canton importe un tiers de ses actifs qui repartent chaque soir. Cette mobilité pendulaire est extrêmement lourde, nuisible et coûteuse pour notre région, et ce déséquilibre serait aggravé par ce projet de loi. Ce n'est pas l'intention des auteurs, mais la conséquence de l'acceptation de ce texte, tel qu'il est formulé, serait ce déséquilibre, or là nous ne pouvons évidemment pas suivre.
Maintenant, puisque le débat a été élargi, je ne peux pas m'empêcher d'y apporter à mon tour quelques considérations générales, mais brèves, Monsieur le président. Tout d'abord, M. Genecand rappelle régulièrement que ce n'est pas l'Etat qui pourra résoudre la crise du logement. C'est vrai en partie, et j'attends toujours que les milieux des promoteurs immobiliers se saisissent de la possibilité législative qu'ils ont de concevoir eux-mêmes des PLQ. (Remarque.)
Des voix. Chut !
M. Antonio Hodgers. Pourquoi les promoteurs immobiliers attendent-ils toujours que l'office de l'urbanisme conçoive les plans localisés de quartier ? La loi permet aux promoteurs de le faire ! Si les privés sont si efficaces, qu'ils le fassent ! (Remarque.)
Le président. Monsieur Cerutti !
M. Antonio Hodgers. Le département ne s'en portera que mieux ! (Remarque.) Nous devrons vérifier les légalités mais nous ne devrons pas fournir nous-mêmes tout le travail. Sur ce point, il existe quelques exemples, notamment du côté de Vernier, où on constate que certains promoteurs ont vraiment pris le risque commercial d'investir; ils ont investi des millions, voire des dizaines de millions de francs pour réaliser un projet urbain mais qui reste, même dans le cadre du projet de l'Etang, je cite, «un PLQ de l'Etat». Donc je vous entends, Monsieur Genecand, et je vous rappelle que la loi permet aux privés de réaliser des PLQ, et si vous estimez que l'Etat n'est pas assez efficace, incitez les membres de vos corporations à les faire, ils seront les bienvenus !
Finalement, concernant la votation du 14 juin... (Remarque.) ...je suis quand même très emprunté quand il s'agit d'expliquer aux journalistes que le Conseil d'Etat n'a pas pris position. Parce que, contrairement à ce que vient de soutenir M. Zacharias - je l'ai souligné en commission, je l'ai répété en plénière - il n'existe pas de plafond LDTR pour les surfaces commerciales converties en logements selon la loi actuelle ! (Commentaires.) La loi ne stipule pas que les loyers sont plafonnés à 1135 F. La pratique - qu'on ne peut pas mettre en oeuvre, je suis prêt à vous l'écrire, je suis prêt à m'engager formellement, et jusqu'aux dernières nouvelles, c'est quand même le Conseil d'Etat qui applique les lois dans cette république... La loi actuelle permet déjà au promoteur qui veut convertir sa surface commerciale en logement de le faire. Je vous l'ai dit en commission, je vous l'ai dit en plénière: vous avez déposé un projet de loi que je soutiens sur le fond puisque je suis en faveur de ces conversions... (Remarque.) ...mais il n'empêche que nous nous trouvons aujourd'hui face à une votation populaire qui suscite des questions de la part des journalistes qui me demandent pourquoi ce n'est pas déjà possible; je dois leur répondre que oui, c'est déjà possible, ce qui les amène à me demander ensuite: «Mais alors pourquoi une votation populaire qui demande quelque chose qui est déjà possible ?» Que répondre à cela ? (Commentaires.) Peut-être, et c'est bien là que réside le problème, que suite aux Rencontres du logement et suite à un certain débat qui s'est tenu entre acteurs - entre acteurs professionnels et non politiques - je dois constater qu'avant de pouvoir aboutir à un partenariat social dans ce canton dans le cadre du logement, le chemin que nous devons parcourir est encore long. Vous le savez, en matière d'employeurs et d'employés, il existe dans notre pays un dialogue social. Cela ne signifie pas qu'on est d'accord; les dialogues sont plutôt musclés, on peut parfois même sortir de la table des négociations, mais on y retourne, puisque finalement, les employeurs et les employés savent que c'est de cette façon qu'on construit la prospérité de notre monde économique. Il en va de même pour la crise du logement qui mérite mieux que des invectives idéologiques de part et d'autre, car les vraies victimes sont évidemment ces nouvelles générations qui ne trouvent pas de logement, ou alors les trouvent à des prix indécents puisque c'est la réalité du marché, et car la guerre du logement n'est pas synonyme de solution à la crise du logement. Seuls le dialogue et la concertation entre acteurs professionnels d'une part, et ensuite entre acteurs politiques d'autre part, nous permettront d'avancer. J'espère que nous parviendrons au cours de cette législature à faire mieux que ce que nous avons fait cette dernière année. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je fais voter l'assemblée sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 11406 est rejeté en premier débat par 60 non contre 31 oui.