Séance du
vendredi 8 mai 2015 à
15h
1re
législature -
2e
année -
5e
session -
30e
séance
R 781-A
Débat
Le président. L'ordre du jour appelle le rapport sur la résolution 781, et je passe la parole au rapporteur, M. Jean-Luc Forni.
M. Jean-Luc Forni (PDC), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Je vais simplement rappeler, dans le cadre du débat qui vient d'être lancé, qu'il s'agit ici de la résolution du Conseil d'Etat qui va dans le même sens que la motion 2232 dont nous venons de débattre largement et demande à l'Assemblée fédérale la révision de la LAMal visant à instaurer une caisse unique cantonale ou intercantonale. Sur la base des conclusions de la commission de la santé, qui l'a adopté à une large majorité, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à accepter ce texte également.
M. Thomas Bläsi (UDC). Chers collègues, juste une petite précision par rapport à ce qu'on a évoqué tout à l'heure s'agissant des coûts de la santé. M. Falquet a peut-être été un peu trop précis; en réalité, ce que voulait dire le groupe UDC, c'est que nous souhaitons qu'une réflexion globale soit menée quant aux coûts de la santé. Il a cité le secteur du médicament, dont l'impact est passé de 18,4% à 9,2% des frais de la santé par l'alignement des prix de vente sur les tarifs européens. Si on faisait la comparaison au niveau des tarifications médicales en prenant les mêmes relations avec l'Europe, on aurait des consultations à 23 euros - en Suisse, le prix est donc environ 500% supérieur ! On tente de maintenir cette pression sur les prix au niveau des médicaments, et j'en resterai là, mais l'alignement avec le franc fort va générer un nouvel abaissement des prix de 5%. C'est pour cela qu'il semble nécessaire à notre groupe de mener une réflexion globale sur les coûts, et non pas par secteur. Merci, Monsieur le président.
M. Pierre Conne (PLR). Chers collègues, vous avez peut-être entendu parler du sociologue romand Pierre Gilliand, aujourd'hui décédé, qui écrivait il y a plusieurs décennies déjà que tous les ressorts sont tendus pour que les coûts de la santé ne fassent qu'augmenter. L'une des causes de cette augmentation est en grande partie liée à la fragmentation entre les différents partenaires: fragmentation entre l'hospitalier et l'ambulatoire, fragmentation de la prise en charge d'un patient à l'autre, fragmentation des assureurs. Cette réalité-là perdure, et toute tentative pour réformer économiquement les éléments fondamentaux de notre système de soins a échoué à ce jour. D'un point de vue non pas idéologique mais économique, le fait d'avoir un morcellement des assureurs contribue à ce qu'il n'y ait aucune possibilité de mettre en place des processus de soins continus pour les patients et plus particulièrement les patients âgés, chroniques et polymorbides.
L'un des intérêts d'une caisse maladie unique - et j'insiste: une caisse unique et pas forcément publique, puisque à partir du moment où on parle de caisse publique, on risque de tomber dans une approche idéologique - est d'instaurer un partenaire payeur privilégié avec lequel on va pouvoir négocier des processus de prise en charge continus. Personnellement, c'est le modèle que je soutiens, et c'est la raison pour laquelle, à titre personnel en tout cas, j'appuierai cette résolution qui vise à ce que le débat sur cette réforme ne s'interrompe pas maintenant, même à l'issue relativement récente de la votation populaire fédérale pour une caisse maladie unique et publique. Je vous remercie.
M. Bertrand Buchs (PDC). Je serai bref, Monsieur le président. J'aimerais juste répondre à mon collègue Bläsi, si vous le permettez, sur la question du prix des médicaments: encore une fois, il s'agit d'une réflexion démontrant qu'on va faire un effort qui va mettre en péril les pharmaciens mais pas les grandes firmes pharmaceutiques. Prenons l'exemple de Novartis: moins de 1% de son chiffre d'affaires est réalisé sur la vente de médicaments en Suisse; on pourrait ainsi baisser le prix des médicaments, la société Novartis ne se rendrait strictement compte de rien au niveau de son chiffre d'affaires; pour elle, ce serait une opération blanche. En revanche, quand on baisse les prix ainsi que la marge des pharmaciens, ceux-ci risquent de fermer, tout comme les médecins. Je vous remercie.
M. François Baertschi (MCG). Nous assistons actuellement à un débat où chacun se lance des reproches à la figure, où chacun accuse l'autre d'être responsable des coûts de la santé. C'est peut-être là que réside tout le problème, comme l'a bien dit mon préopinant, le député Conne. Il est vrai qu'on est arrivé à une certaine fragmentation, on n'a pas de vision globale de nos systèmes de santé et d'assurance-maladie. C'est sans doute ça, le gros problème, et c'est précisément la raison pour laquelle il faut aller dans le sens de la réforme pour une caisse cantonale qui nous est proposée, c'est là que se trouve en tout cas une solution partielle et réalisable rapidement.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le texte sur lequel vous allez vous prononcer dans quelques instants, contrairement au précédent, est une résolution qui a la forme d'une initiative cantonale, de sorte qu'elle sera obligatoirement examinée par les Chambres fédérales. Il faut être réaliste, cela ne signifie pas que celles-ci l'accueilleront avec enthousiasme; toutefois, je suis fier que Genève soit le premier canton qui maintienne ouvert le débat sur ce sujet, et le fasse, de surcroît, à la lumière d'une résolution du Conseil d'Etat, votée à la majorité de celui-ci. C'est donc une Genève unie qui s'exprime, même si certaines voix discordantes se feront certainement entendre, qui formuleront les mêmes craintes que celles qu'elles ont exprimées lors de la votation du 28 septembre, à savoir qu'une caisse unique ne permettrait pas une saine concurrence.
Or, nous savons en majorité dans ce parlement que la concurrence instaurée par la LAMal est une fausse concurrence; en fait, c'est une chasse aux bons risques, et Genève en a payé le lourd tribut entre 1996 et 2013. Heureusement, après des années de stigmatisation durant lesquelles nous avons été désignés comme les pires profiteurs du système, il a enfin été reconnu que nos primes ont en réalité servi à maintenir artificiellement basses celles d'autres cantons. La question du remboursement du trop-perçu est un sujet que je m'abstiendrai d'aborder ici puisqu'il nous entraînerait trop loin dans le débat. Cela dit, elle n'est de loin pas close puisque la situation qui nous est proposée aujourd'hui par le Conseil fédéral et une majorité des Chambres fédérales est insatisfaisante: non seulement on ne nous rembourse qu'une partie de ce que l'on nous a pris, mais peut-être va-t-on même nous demander, à partir de l'année prochaine, de mettre la main au porte-monnaie pour financer une partie de ce que l'on nous rembourse. Bref, je serai extrêmement attentif à tout cela, et vous serez tenus au courant des démarches entreprises afin de rétablir la justice dans ce domaine.
Revenons-en au sujet qui nous occupe maintenant: il s'agit d'instaurer une caisse unique. Nous n'avons délibérément pas utilisé le terme de caisse publique, et je voudrais rectifier une erreur de compréhension exprimée antérieurement. Ce n'est pas parce que la caisse unique serait privée qu'elle ferait ce qu'elle voudrait et fixerait à sa guise les primes pour les Genevois. Non, l'idée est que les primes seraient fixées par l'entité de direction de cette caisse unique, une entité managériale qui serait composée à la fois des fournisseurs de soins, des entités publiques et bien sûr des assurés. Nous veillerions ainsi avec la plus grande attention à ce que les primes collent le plus près possible aux coûts de la santé. Ceci dit, comme personne n'est devin, il y a toujours un décalage entre les prévisions et la réalité. Or, avec une caisse unique, nous serons certains que si les Genevois paient trop une année, ils récupéreront le trop-versé, peut-être pas l'année suivante puisque vous savez qu'il y a un décalage dans le calcul des primes, mais du moins deux ans après.
Aujourd'hui, vous le savez, le système des réserves ne donne aucune garantie, et nous aurons encore une très grande incertitude, égale à celle que nous avons connue jusqu'à présent, jusqu'en 2017, année de l'entrée en vigueur de la loi sur la surveillance de l'assurance-maladie. En effet, il y aura une loi sur la surveillance de l'assurance-maladie dès 2017. Je ne vous dirai pas ce que je pense de ce que l'on en fera: je pense que cette surveillance a été mise en place pour apaiser les esprits à la veille de la dernière votation - et quand je dis la veille, c'est une réalité - mais qu'elle n'aura que peu d'effet sur un contrôle effectif réalisé par une poignée de fonctionnaires à Berne sur la base d'une soixantaine de caisses fixant des tarifs différents dans chaque canton pour une palette multiple d'assurés. Nous savons donc que le système continuera à dysfonctionner.
Il est cependant vrai que la caisse unique n'est pas une panacée, et la maîtrise des coûts ne passe pas par celle-ci. La caisse unique nous permet d'être certains que l'argent que nous dépensons va là où il doit aller, c'est-à-dire à la prise en charge des coûts et de frais d'administration sévèrement contrôlés. La maîtrise des coûts passera par la connaissance du système et des flux financiers, connaissance dont seuls les assureurs disposent à travers santésuisse. Qu'elle soit mise en place à Genève ou, ce que je souhaiterais, pour un ensemble de cantons romands, la caisse unique permettra de savoir exactement où les coûts augmentent, où nous pouvons agir. Nous constatons aujourd'hui que les cantons font l'objet d'un transfert de charges systématique de la part de la Confédération sans avoir pourtant les moyens de piloter ce grand navire qu'est l'assurance-maladie. Nous devons véritablement donner aux cantons les moyens de piloter le système: ils en sont et en seront toujours davantage les financiers - et je m'émerveille que mes collègues d'autres cantons, notamment alémaniques, n'aient pas encore saisi l'impérieuse nécessité d'agir dans ce domaine.
Je vous remercie donc de soutenir massivement la voix de Genève auprès de la Confédération, laquelle sera suivie, j'en suis certain, par celle d'autres cantons romands pour qu'on laisse les cantons qui le souhaitent appliquer la LAMal, la même LAMal que pour le reste de la Suisse, mais avec un instrument qu'ils piloteront eux-mêmes. Celles et ceux qui sont pour la concurrence devraient se réjouir de la mise en place de ce système qui permettra de démontrer que le système actuel est meilleur que le nôtre, s'ils en sont si convaincus; pour ma part, je pense que c'est très exactement le contraire ! Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit maintenant de voter.
Mise aux voix, la résolution 781 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 66 oui contre 6 non et 5 abstentions.