Séance du
jeudi 12 mars 2015 à
20h30
1re
législature -
2e
année -
3e
session -
15e
séance
M 2259
Débat
Le président. Nous abordons la deuxième urgence de la soirée. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à l'auteure de la motion, Mme Lisa Mazzone.
Mme Lisa Mazzone (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous vous proposons de renvoyer à la commission des affaires sociales cette motion qui demande de mettre fin au recours aux abris de protection civile pour héberger des demandeurs d'asile. Nous espérons ainsi pouvoir l'étudier et agir rapidement, afin de pallier cette situation insoutenable. Je vous remercie donc d'accepter le renvoi à la commission des affaires sociales.
Mme Bénédicte Montant (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, l'état terrible dans lequel se trouve une partie du monde qui nous entoure est un sujet dont nous ne pouvons pas faire l'économie. Cette motion en est une conséquence directe, car elle demande que soient examinées les conditions dans lesquelles sont hébergés ceux qui, au terme d'un long voyage au bout de la souffrance, arrivent à Genève pour demander un abri, pour demander l'asile. Ce n'est pas aujourd'hui qu'il faut ouvrir le débat; il convient tout d'abord d'examiner la situation; il convient que cela soit fait avec le plus grand sérieux; il convient que cela soit fait rapidement. Enfin, il faut garder à l'esprit notre appartenance au grand et vaste monde, en se rappelant ces paroles: la condamnation du racisme, la protection des minorités, l'assistance aux réfugiés ne sont que des applications cohérentes du principe de la citoyenneté mondiale. Pour ces motifs, le parti libéral-radical vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion à la commission des affaires sociales, et de le faire sans ouvrir de débat aujourd'hui. (Quelques applaudissements.)
M. Jean-Luc Forni (PDC). Le parti démocrate-chrétien va également soutenir le renvoi de cette motion à la commission des affaires sociales. Comme cela a déjà été dit, Genève est la capitale des droits humains, et Genève a le devoir d'accueillir ces réfugiés selon les principes et les normes humanitaires. Il est clair que lorsqu'on parle avec ces personnes, on s'aperçoit qu'elles sont très déprimées par la qualité de l'accueil qui leur est réservé ici, à Genève et en Suisse, alors qu'elles pensaient, peut-être à tort d'ailleurs, que notre pays était une sorte d'eldorado qui leur offrirait liberté et rétablissement. Sans vouloir critiquer toutes les mesures prises jusqu'à présent, car le problème est complexe, je voudrais simplement appuyer cette demande de renvoi à la commission des affaires sociales, afin que la situation puisse rapidement être évaluée et que l'on puisse trouver une solution à ce problème. Je vous remercie.
M. Christian Frey (S). Le groupe socialiste soutient totalement cette proposition de renvoi à la commission des affaires sociales. Il est vrai que ce n'est peut-être pas encore maintenant que le débat peut avoir lieu; nous préférons donc, dans le sens de ce qui a été dit par la députée du PLR, Mme Montant, réserver cette discussion pour la commission des affaires sociales, et y renvoyer cette motion. Je vous remercie.
Mme Lisa Mazzone (Ve). Je n'ai pas du tout étayé le sujet de la motion et, en voyant toutes ces prises de parole, je me suis dit qu'il fallait que j'ajoute quelques mots. Je me contenterai de remercier les signataires de ce texte; je me réjouis qu'il ait pu rallier un front beaucoup plus large que nos bancs, de ce côté-ci de l'hémicycle, et que les travaux puissent débuter le plus rapidement possible en commission.
Mme Christina Meissner (UDC). Le groupe UDC a soutenu l'urgence aujourd'hui parce qu'effectivement, il y a urgence à discuter de ce problème. J'avoue, pour ma part, ne pas comprendre pourquoi nous sommes tout à coup saisis d'une pudeur certaine par rapport à ce sujet. Je vous rappellerai qu'au-delà des réfugiés, nous avons un sérieux problème de logement dans cette république. Mme Sandrine Salerno, il y a quelques jours, disait qu'elle avait 3682 demandes de logement actives, pour la plupart des urgences sociales. Et ce sont des gens qui sont de chez nous, et qui sont désespérés. Je n'ose même pas citer le mail reçu par un député de cet hémicycle, qui parle de sa propre ex-femme qui se trouve dans la rue ou presque. (Remarque.) Nous avons effectivement un problème de logement dans cette république; ne devons-nous donc pas commencer par loger les gens qui sont chez nous ? Je suis désolée d'avoir le courage de prendre la parole là-dessus ! (Commentaires. Brouhaha.)
Je suis d'une commune où il y a le centre des Tattes; le centre des Tattes, aujourd'hui, est à 60% occupé par des non-entrée en matière ! Pas plus tard qu'hier, j'ai été au centre des réfugiés du Grand-Saconnex, parce qu'à l'occasion de la journée de la femme, nous rencontrions des migrantes - et je n'étais pas la seule, Mme Mazzone était avec moi. C'est avec des femmes comme celles-ci que nous avons besoin de discuter; ce sont des réfugiées de Syrie, du Yémen, des réfugiées qui essaient de s'intégrer et pour qui, aujourd'hui, on n'a pas de solution, parce que d'autres, qui sont dans une situation de non-entrée en matière, prennent leurs places ! Nous avons un problème de logement à Genève, nous avons aussi un problème de réfugiés, réel, dont on doit s'occuper, mais qu'est-ce qu'on fait ? Aujourd'hui on nous demande de supprimer les abris de protection civile ! Mais combien de réfugiés syriens, aujourd'hui, par rapport à la situation dans laquelle ils sont, seraient bien contents d'avoir au moins cette sécurité, cette paix, cette possibilité de pouvoir être ici, à Genève ? Alors oui, renvoyons cela à la commission des affaires sociales, mais je conjure ceux qui étudieront cela: pensez à la situation des handicapés qui sont à Belle-Idée et qu'on ne peut pas mettre ailleurs, à nos habitants qui sont dans une situation catastrophique au niveau du logement, aux conditions de vie des véritables réfugiés, et demandez-vous franchement: avons-nous encore, nous, ici, à Genève, la place d'accueillir tout le monde ? C'est ça la question ! Les accueillir, les loger ailleurs que dans les abris de protection civile... (Brouhaha.)
Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée !
Mme Christina Meissner. Mais où ? Mais où ? (Quelques applaudissements.)
M. Jean-Marie Voumard (MCG). Le groupe MCG rejoint les propos de Mme Meissner, qui sont justes. Nous nous rallions tout à fait à la position du parti UDC concernant cette motion, que nous allons également renvoyer à la commission des affaires sociales. Nous précisons tout de même que la première invite ne fait mention que des demandeurs d'asile à Genève, et qu'il serait peut-être judicieux de voir s'il n'y a pas des résidents ou des Suisses dans le tas. (Quelques applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, l'omerta qui a régné jusqu'ici sur les conditions de vie des requérants d'asile a enfin été levée, malheureusement pour des motifs dramatiques. Aujourd'hui, une mobilisation des citoyens et des requérants eux-mêmes vient mettre au jour ce problème. Ce qu'on nous demande, c'est de mettre fin à l'indignité des conditions de vie dans lesquelles, aujourd'hui, ils sont contraints de vivre. Il est vrai qu'un certain nombre d'habitants du canton de Genève est aussi, aujourd'hui, en difficulté par rapport au logement, mais on ne parle pas des mêmes conditions ! Et pour ceux-là, nous déployons aussi des moyens, et nous les défendons également ! Cela étant, pour ceux qui actuellement sont contraints de vivre dans des sous-sols, vous les avez entendus tout à l'heure revendiquer de l'air, de la lumière du jour, un peu d'espace... C'est de cela qu'il s'agit ! (Brouhaha.) Alors oui, la problématique de l'asile est complexe; mais venir aujourd'hui établir une espèce de hiérarchisation entre certains requérants d'asile et d'autres, entre les déboutés et les non-déboutés... Ce sont avant tout des êtres humains ! Des êtres humains que l'on n'a pas le droit de contraindre à vivre en sous-sol ! (Brouhaha. Protestations.) Aujourd'hui, cette motion demande quoi ? Qu'on tente, dans les meilleurs délais, d'une part de dresser un inventaire des possibilités de relogement, et d'autre part qu'on essaie effectivement de répondre à cette revendication légitime qui est de pouvoir vivre dans des conditions décentes. C'est pourquoi nous soutiendrons le renvoi de cette motion à la commission des affaires sociales. Je vous remercie de votre attention. (Quelques applaudissements.)
M. Jean-François Girardet (MCG). Chers collègues, j'ai juste une remarque à faire concernant les nouvelles mesures préventives pour l'accueil, justement, des non-entrée en matière. Ceux qui signent cette motion pour déplacer les gens qui se trouvent actuellement dans des abris PC sont les mêmes qui s'opposent à ces nouveaux centres ! Alors là je ne comprends pas la logique, parce que ces nouveaux centres permettraient justement d'accueillir des gens qu'on ne veut pas sur notre territoire, ce qui ouvrirait des places pour les familles qui, réellement, ont besoin d'être accueillies à Genève dans des centres d'accueil prévus pour cela. Je vous remercie.
Une voix. Bravo !
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous avons, à Genève, un réseau associatif fourni et actif, et nous pouvons nous en féliciter. Pour ma part, je conçois les relations entre l'Etat et le monde associatif comme des relations de partenariat; le monde associatif doit être une force de proposition pour apporter concrètement des solutions à des problèmes que rencontre notre société. En revanche, le monde associatif ne doit pas instrumentaliser des hommes et des femmes qui souffrent, instrumentaliser même des députés, si j'en juge par le manque d'informations dont vous faites preuve dans les interventions que je viens d'entendre, qui mettent sur la table un problème qui est certes un problème humain, mais qui n'a de loin pas l'ampleur qu'on veut lui donner ici. Et je trouve scandaleux de parler de dignité humaine ou même d'indignité de l'hébergement et de culpabiliser une population genevoise qui fait beaucoup pour accueillir des réfugiés et des demandeurs d'asile; beaucoup, oui, beaucoup plus que d'autres cantons qui se limitent à faire avec ce que la Confédération veut bien leur donner. Je rappelle qu'en 2014, ce sont 38 millions qui ont été versés par les contribuables de ce canton pour la politique de l'hébergement en matière d'asile.
Alors maintenant, remettons, si vous le voulez bien, l'église au milieu du village. On nous fait croire que les Genevois sont des tortionnaires, qu'ils parquent les demandeurs d'asile dans des abris. Mais de quoi parle-t-on ? Vous auriez pu déposer une question au Conseil d'Etat, nous vous aurions renseignés. Et vous savez très bien que le Conseil d'Etat est particulièrement préoccupé par cette question: toute l'année dernière, nous avons eu des séances avec l'Hospice général pour trouver des solutions. Mais qu'avons-nous eu des associations actives dans ce domaine, si ce n'est des réclamations ou des récriminations ? Rien ! Rien du tout ! Aucune proposition pour nous aider à faire face à un problème auquel nous ne nous attendions pas voici une année. (Commentaires.) Je rappelle qu'en 2013, nous avions fermé un abri de protection civile à Châtelaine; en été 2014, nous souhaitions fermer le deuxième et dernier abri de protection civile, celui d'Annevelle, et finalement, au lieu de le fermer, nous avons dû en ouvrir un second en octobre. Deux abris de protection civile avec 125 personnes au 31 janvier 2014, 125 personnes sur 5227 qui sont issues de la politique d'asile du canton. Aujourd'hui ces personnes sont au nombre de 90, ce ne sont que des hommes célibataires, pour la majorité desquels la demande d'asile a été rejetée. Il n'y a ni femmes, ni enfants, ni familles. Où sont les tortionnaires ? (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Mauro Poggia. Je rappelle qu'au début des années 90, lorsqu'il y a eu la guerre en ex-Yougoslavie, neuf abris de protection civile avaient été ouverts à Genève pour recevoir les réfugiés. Avons-nous vu des gens manifester dans la rue ? Non, parce que ces personnes avaient conscience de la générosité du peuple suisse, qui les accueillait dans une situation difficile. Aujourd'hui, je ne vois aucune gratitude, je ne vois que des plaintes ! Et je trouve scandaleux de stigmatiser, de culpabiliser notre population, qui fait déjà beaucoup. Et je trouve aussi que les motionnaires sont des incendiaires, parce que les relations entre une population d'accueil et une population migrante sont des relations difficiles, délicates, qu'il faut traiter avec beaucoup de finesse et de diplomatie ! A Genève nous avons la chance d'avoir une population ouverte à ces migrants qui souffrent. (Brouhaha.) Or, ce que vous faites, en instrumentalisant ces personnes, en leur donnant la parole pour leur faire dire que les sanitaires ne sont pas salubres... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...et qu'il faudrait les nettoyer... (Applaudissements. Huées. Le président agite la cloche.)
Le président. Mesdames et Messieurs, s'il vous plaît !
M. Mauro Poggia. En les instrumentalisant... (Chahut. Exclamations.)
Le président. Monsieur Lussi !
M. Mauro Poggia. En les instrumentalisant, vous ne faites que créer un fossé entre eux et les Genevoises et les Genevois qui les ont accueillis les bras ouverts. Je vous demande donc de renvoyer cette motion en commission... (Commentaires.) ...et nous vous donnerons toutes les explications utiles; mais je ne peux pas tolérer que, dans les médias, vous stigmatisiez la politique de l'hébergement des demandeurs d'asile à Genève, alors que nous faisons bien plus que partout ailleurs ! (Longs applaudissements. Huées.)
Des voix. Bravo !
Le président. Merci ! Mesdames et Messieurs, je vais donc vous faire voter sur le renvoi de cette motion à la commission des affaires sociales.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2259 à la commission des affaires sociales est adopté par 55 oui contre 24 non et 3 abstentions. (Brouhaha durant la procédure de vote.)